S’il y a une chose que l’on sait faire, dans le monde merveilleux de la finance ; c’est trouver des termes pour expliquer où nous en sommes et pourquoi nous y sommes. Je suis tombé sur un commentaire ce matin qui m’a rappelé Ô combien nous étions brillants pour expliquer que ce qui vient de se passer n’est une surprise pour personne et que dès maintenant là tout de suite, on sait exactement ce qui va se passer. Histoire de montrer que tout est sous contrôle et que les experts financiers que nous sommes connaissent très clairement le chemin à suivre. Ça serait quand même ballot de laisser croire au client de base que l’on est au bord de la panique. Alors on respire et on se met en PLS.
L’Audio du 15 septembre 2022
Soyons clairs
Avant d’aller plus loin dans ce point de situation, il faut tout d’abord retenir le fait que l’on s’est fait piéger par les chiffres de l’inflation de mardi. Si ce matin nous savons exactement où nous sommes et où nous allons, nous pensions très clairement la même chose à 14h29 le mardi 13 septembre. 13 septembre, on aurait pourtant dû se méfier. Enfin, toujours est-il que mardi à 14h29, nous savions que le gouvernement nous montrerait que l’inflation refluait et que les choses allaient vers le mieux parce que la Banque Centrale Américaine sait parfaitement ce qu’elle fait. Ce mardi était fait, prévu, construit et réfléchit pour nous démontrer que l’inflation était sous contrôle et que si Powell voulait, il pourrait AUSSI marcher sur l’eau et multiplier les pains.
Sauf que le plan ne s’est pas déroulé sans accroc et que l’on s’est tout d’abord rendu compte que l’inflation n’était pas du tout sous contrôle, que mis à part le pétrole, tout augmente et que si la FED veut réussir à contrôler l’inflation, va falloir monter tellement les taux que cela voudra également dire que l’on va se prendre un « hard landing » de derrière les fagots qui donnera l’impression qu’un crash aéronautique, c’est une promenade de santé. Pour ceux qui ont un doute, un « hard landing », c’est le mot politiquement correct pour dire « une putain de récession bien merdique à souhaits ». Une fois que nous nous fûmes rendu compte que l’inflation était en train de nous filer entre les doigts comme une poignée de sable sur une plage de cocotiers au Sud de Bali, on s’est ensuite fait soigneusement défoncer.
Avec l’art et la manière
Les intervenants ont donc pris soin de massacrer le marché comme si cela était devenu un art et qu’il fallait des années de pratique pour parvenir à être capable de décrocher un téléphone et d’hurler à son courtier sur le ton du mec qui perd ses nerfs : « VENDEZ TOUT !!!!! »… Mais tout en ayant l’air très calme en apparence et refaisant son nœud de cravate avec l’autre main.
Mais ça, vous le savez. Le narratif de mardi, vous le connaissez.
Ce qui est le plus étrange en ce moment, c’est que l’on ne panique pas. Pourtant le bain de sang de mardi n’était pas un bain de sang pour les amateurs. C’était quand même la PIRE journée depuis deux ans. Sur ces 35 dernières années, je peux vous dire que j’ai personnellement connu beaucoup pire, mais celle de mardi était pas mal quand même. Et pourtant. Pourtant, lorsque l’on se réveille mercredi avec une chute de 5% sur le Nasdaq et et 500 milliards de market cap effacée sur les 5 plus gros titres du marché, on se dit que quand même, ça pique une peu. On se dit que la gueule de bois va quand même faire mal à la tête toute la journée. Et puis en fait non. En fait on se retrouve là, décontracté sur une terrasse en train de boire un café avant l’ouverture de Wall Street tout en se disant que « c’était cool parce que les supports avaient tenu et qu’il ne restait plus qu’à profiter des opportunités d’achat, d’autant plus que les chiffres du PPI étaient quand même en baisse de 0.1% et que donc ça devrait bien se passer ».
Zéro panique et pas de capitulation
Les marchés se sont donc fait massacrer et le lendemain, tout le mondes est serein et personne ne panique. Suis désolé, mais y a un truc qui ne joue pas. Les gens qui savent tout à l’avance et qui n’ont peur de rien, en finance ça existe depuis toujours. Ça s’appelle les gens qui sont tous égaux, mais qu’eux sont plus égaux que les autres. Mais là tout de suite, depuis quelques jours, j’ai l’impression que tout le monde est confiant et que plus personne n’a peur. Tout le monde a lu Warren Buffet et tout le monde fait de l’investissement long terme et n’a donc pas peur de détenir des actions À VIE. Même si le plan de base était de devenir riche en 15 jours et qu’il faudra annuler le bon de commande de la Lamborghini vert pomme avec les jantes fuchsia.
Il y a comme un vent de confiance indéboulonnable qui me fait peur. Il suffira de regarder l’indice de la volatilité pendant la chute de mardi. Le truc a pris 14%. Autant dire qu’il n’a pas bougé. Et même pire, on a à peine retrouvé les niveaux de quand Powell a dit qu’il allait se tatouer un faucon sur la poitrine et nous sommes encore 10% en-dessous du pic de volatilité lors des points bas du 15 juin. La VIX que l’on surnomme : l’indice de la peur, est en train de nous montrer qu’il n’a peur de rien et qu’il est au bord du coma. On ne capitule pas, on ne tremble pas et on met des cierges devant des portraits de Warren Buffet en hommage à sa grandeur et à sa vision, espérant être capable de tenir nos positions en Ark Investments suffisamment longtemps pour que Cathie Wood soit canonisée par le Vatican comme Sainte des Investissements et de l’hyper-croissance.
Quand même
Alors oui, quand même, les marchés européens se sont dit que c’était quand même un peu gonflé de racheter tout de suite et on a rattrapé un peu du retard accumulé la veille, mais la baisse restait raisonnable. Par contre aux Etats-Unis, les acheteurs revenaient tranquillement à l’achat profitant de l’opportunité inouïe qu’il leur était offerte de racheter sur les niveaux des 3920 qui vient d’être intronisé comme le dernier support qu’il ne faudra pas lâcher. Mais entre vous et moi, tout le monde sait que ça ne lâchera jamais parce que ça ne fait pas partie du plan de grande remise à zéro du monde merveilleux de l’investissement qui sait exactement où l’on va.
À ce propos, la phrase qui m’a d’ailleurs fait le plus plaisir durant ma nuit c’est celle qui dit que :
« Les intervenants ont remis leurs attentes à zéro en attendant de voir ce que va faire la FED au sujet de l’inflation ».
Donc si j’ai bien compris. Jusqu’à mardi on pensait que la FED maitrisait l’inflation et que tout allait bien se passer et depuis, on a arrêté d’attendre quoi que ce soit de la part de la FED, des gouvernements ou même des forces de polices intergalactiques qui gèrent l’Univers depuis leur base de Saturne. On est tout simplement assis sur nos chaises en attendant que ça remonte et que les supports tiennent. Je vous avoue que je suis effaré de voir la relative confiance qui plane sur le marché alors qu’il y a 48 heures on était en train d’envisager calmement de passer de l’état de « je maîtrise du sujet » à « je panique, mais avec confiance et élégance ».
La photo est toujours toute pourrie
Pourtant, c’est pas que les choses vont beaucoup mieux un peu partout dans le monde soudainement. Non, non, non. Au contraire, l’Europe est toujours empêtrée dans sa crise énergétique et ne sait même pas comment elle va s’en sortir. Les clowns de Bruxelles sont à la recherche de 140 milliards pour empêcher le système de couler alors qu’ils n’ont jamais bossé un seul jour de leur vie et que leurs pays respectifs sont endettés jusqu’aux oreilles. La dette de l’Italie est toujours un peu plus en train de partir en vrille et mis à part l’intervention du supérieur hiérarchique du pape François, ou à la limite que l’on arrive à décrocher l’autre de la croix pour qu’il recommence à multiplier les Euros à place des pains, on voit assez mal un miracle poindre à l’horizon.
Pour le reste, on voit que l’inflation et la hausse des taux qui va avec va inévitablement projeter l’économie dans une récession bien gourmande et bien croquante. Malgré la quasi-victoire des Ukrainiens, on n’est pas encore sorti de l’auberge du côté de la guerre, la Chine maintient toujours sa politique zéro-Covid qui aide à maintenir la tête sous l’eau à son économie. Et puis là tout de suite, vous avez aussi le gourou Mark Mobius qui pense que la FED pourrait monter les taux jusqu’à 9% si l’inflation refuse de céder et qu’au vu des mauvaises nouvelles qui foisonnent dans les médias, je suis encore étonné de pas entendre beaucoup plus Monsieur Roubini venir nous dire qu’on va tous mourir et que le S&P500 va à 333. Pas trois mille trois-cent trente-trois. 333 tout court.
Mais en fait non
Au contraire. Alors que tout pointe en direction d’une période économique, financière et énergétique plus que compliquée, on nous sort des listes de titres qui vont rebondir et nous rendre très très riches, on nous dit que les fortunes se sont construites pendant les crises et que tout va bien se passer. La peur n’existe plus, il n’y a plus qu’une confiance inouïe et la certitude qu’à la fin les marchés finissent TOUJOURS par remonter. Ce qui est absolument correct d’un point de vue empirique. Le seul truc c’est qu’en général, avant de remonter il doit nettoyer les convictions des intervenants et réduire la confiance à l’état de concept. Le même type de confiance qu’il te reste quand tu es Ripley dans Aliens et qu’il te reste 2 balles dans ton arme et que les Aliens en question sont plutôt en colère.
Mais pour l’instant, la sérénité plane sur le marché. Le stratégiste de JP Morgan pense que le pétrole va remonter à 150$ – mais on est relax – on a sondé des investisseurs et 70% des sondés pensent que le marché va encore perdre 20% – mais on se reprend un café sur la terrasse – on sait que l’on va en récession, mais on sait aussi que c’est le moyen de faire fortune en en sortant – alors on est vraiment décontracté – on n’a peur de RIEN. C’est fou. Tout simplement incroyable. À côté de ça, le prix du bois s’effondre à nouveau parce que les taux hypothécaires US passent au-dessus des 6%, les chemins de fer américains veulent se mettre en grève ce qui paralyserait une partie de l’économie, chose dont on a bien besoin. La Californie colle un procès « anti-trust » contre Amazon parce qu’ils auraient arnaqué le consommateur et qu’après 864 jours comme « le titre le plus shorté » Tesla cède sa place à Apple.
En Asie
En Asie, la Chine se débat avec ses histoires d’immobiliers qui étaient censés faire s’effondrer le reste du monde, jusqu’à que l’on détourne notre attention sur l’inflation et la guerre en Ukraine, deux choses qui ont également fait disparaître le COVID des radars financiers. Ce matin la Chine recule de 1% et le reste ne fait rien. Le pétrole est à 88.50$, toujours en train de se demander si les Chinois vont consommer ou pas. L’or est de retour à 1700$ si cela intéresse encore quelqu’un et le Bitcoin se demande s’il doit prendre le lead du retour de l’appétit au risque ou s’il faut encore digérer jusqu’à la FED de la semaine prochaine.
Dans les nouvelles du jour, on apprend que Zelensky a eu un accident de voiture, mais qu’il va bien. Ça aurait été quand même ballot que le gars se tue au volant alors qu’il est en train de pourrir la vie d’une des plus grandes puissances militaires de la planète. Autrement les entreprises pétrolières américaines ont clairement dit aux Européens qu’il ne fallait pas compter sur eux pour combler les manques cet hiver. Reste plus qu’à aller couper du bois nous-mêmes. Et puis il y a aussi le Sénat US qui, dans un geste d’apaisement vis-à-vis de la Chine, ont débloqué 6.5 milliards pour fournir des armes à Taïwan. Des armes qui seront commandées à des boîtes américaines dans lesquelles les membres du Sénat ont leurs intérêts personnels. Mais par pur hasard uniquement.
Le reste
Et puis, dans les super-bonnes nouvelles qui rassurent et qui justifient encore plus notre décontraction naturelle, il y a Cathie Wood qui n’arrête pas de hurler à la déflation qui vient d’être rejointe dans cette prévision par Jeff Gundlach – proclamé roi des bonds à Wall Street et par Elon Musk, roi d’à peu près tout sauf des bonds parce que c’est Gundlach. Ce qui est bien avec Musk, c’est que peu importe, le sujet, tout le monde pense qu’il est expert en tout. Quoi qu’il en soit, une inflation, ça va. Mais une déflation, ça serait moins drôle. Mais comme nous avons confiance, rien ne peut nous arriver.
Côté chiffres économiques nous aurons le CPI en France, chiffre tronqué par les aides gouvernementales. Il y aura aussi les Jobless Claims comme tous les jeudis, puis le Philly Fed ainsi que la production manufacturière et industrielle. Pour le moment, les futures sont en hausse de 0.07% et nous allons passer la journée à voir si quelqu’un, quelque part peut écorner un peu cette magnifique confiance évidente (presque) parfaitement justifiée. Ou pas.
Il me reste à vous souhaiter une excellente journée et on se retrouve demain à la même heure pour boucler la semaine au champagne, tellement tout va bien !
À demain !
Thomas Veillet
Investir.ch
“Focus on making yourself better. Not on thinking that you are better.”
-Harvey Specter.