Si j’ai bien calculé, depuis le discours de Powell, ça faisait presque une semaine que l’on déprimait, se basant sur le fait que le combat contre l’inflation allait prendre du temps – des années pour certains – et que pendant ce temps, la FED ne s’occuperait pas de NOS affaires. S’occuper de nos affaires veut dire soutenir les marchés pour qu’ils montent en toute sérénité. On a bien compris que ça ne se passerait plus comme ça et que pour le moment, la FED s’occuperait de l’inflation pendant que nous, investisseurs, on s’occuperait de la récession. Le fait d’admettre cet état de fait nous aura apporté une belle semaine pourrie. Mais heureusement, on avait les NFP qui pouvaient tout changer.

L’Audio du 5 septembre 2022

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On a donc décidé de se raccrocher à ce chiffre qui pouvait tout changer – que l’on croyait en tous les cas – et on a eu bien raison parce que pour la première fois depuis des années, les économistes avaient eu raison. C’est assez rare pour le signaler d’ailleurs, mais je dis tellement de mal que quand ils sont justes, il faut le dire aussi. Et dès lors on a essayé d’y croire, de se dire que tout avait changé, que dorénavant on pouvait à nouveau compter sur la FED. Sauf que ça ne va pas être aussi simple que ça. On a mieux compris à la clôture de New York. Mais heureusement, reste le CPI qui va nous sauver le 13 septembre. Ou pas.

Les chiffres de l’emploi qui changent tout

Tout d’abord, il faut se souvenir que tout va toujours aussi mal un peu partout. Les chiffres économiques américains ont beau avoir l’air un peu moins mal que le reste, je dois dire que je doute quand même un peu de la fiabilité de ces derniers. On pourra me dire ce que l’on veut, mais au travers de ma carrière, j’ai quand vu même plusieurs exemples qui prouvent que les chiffres de l’emploi qui ont été publiés vendredi dernier, ont été plusieurs fois modifiés au gré et aux désirs de la FED ou d’un quelconque Président qui aurait voulu se faire reluire pour une raison électorale, ou juste pour son égo personnel.

D’ailleurs si l’on était aussi convaincu que cela de la véracité et de l’exactitude de ces chiffres, pourquoi est-ce qu’à chaque publication on révise les chiffres du mois précédent ? Voire pour le mois précédent, qui précède le précédent ? C’est bien qu’on a un doute et que calculer les chiffres de l’emploi pour un pays de près de 400 millions d’habitants et les annoncer le premier vendredi du mois suivant, c’est toujours un peu tiré par les cheveux parce que l’on sait tous que c’est pratiquement impossible d’avoir un chiffre correct…

Un mois comme les autres – ou presque

Et pourtant. Pourtant, tous les premiers vendredis de chaque mois, les marchés financiers se bavent dessus dans l’attente de ces chiffres, pensant que ça va littéralement leur changer la vie. Et ce mois n’y a pas fait exception.

Depuis que Powell a parlé à Jackson Hole vendredi il y a 10 jours, les marchés étaient en mode effondrement dépression et fin du monde. La plupart des indices mondiaux sont entrés dans une dépression profonde se rendant compte soudainement que rien ne fonctionnait dans le monde – chose qui est évidente depuis des mois – mais qui était cachée par le fait que nous avions toujours ce sentiment comme quoi la banque centrale américaine allait nous soutenir FOREVER et nous soutenir dans un bull market permanent comme à chaque crise toute pourrie que l’on a vécu ces 15 dernières années. Et puis là, tout d’un coup Powell nous a aboyé dessus pour nous dire qu’il ne fallait plus compter sur la FED pour soutenir les bourses mondiales, parce que la FED elle avait autre chose à faire que soutenir les performances de Wall Street, la FED elle devait sortir dans la rue avec son sabre laser et se fighter avec l’inflation. Un point c’est tout.

Ne pas être dans le déni

Depuis que l’on s’est rendu compte de cela, tout est parti en vrille. Et puis comme on ne renonce pas facilement, on s’est dit que « peut-être que si les chiffres de l’emploi de vendredi dernier étaient bons, la FED reviendrait peut-être de meilleurs sentiments à notre égard, parce que l’on ne pouvait décemment pas croire que la FED ne nous aimait plus !!!! Le problème était quand même le fait que le mois dernier, les USA avaient créé plus de 500’000 nouveaux jobs. Y compris ceux de garçon de plage, de serveur de plage, de vendeur de glace sur la plage et d’économiste à Wall Street. Que des métiers durables dans le temps et dans lesquels on peut faire carrière, même en hiver.

Et du coup, les analystes s’attendaient à 318’000 nouveaux jobs créés en août. Alors ne me demandez pas comment ils sont TOUS arrivés plus ou moins à ce chiffre, mais il y a sûrement un peu de boulier, de pile ou face, de feuille-caillou-ciseau et de marc de café impliqué dans tout cela, mais à la fin on attendait 318’000 nouveaux emplois. Et le problème, c’est que si c’était sorti nettement en-dessus, on était mort parce qu’on aurait parié que la FED allait monter les taux de 0.75% tous les mois, pendant les 24 prochains mois, sauf pendant les vacances et que si c’était nettement en-dessous, on entrait en pleine récession, tout en sachant que la FED s’en foutait tant que l’inflation ne baissait pas…

Choisir un camp

Le dilemme était donc énorme.

Mais heureusement, comme dans tout bon film hollywoodien, le chiffre est sorti pratiquement SUR les attentes des analystes. Je crois qu’en 35 ans de carrière, c’est arrivé 1 fois. Une seule fois les chiffres de l’emploi sont sortis pile-poil sur les attentes. Et là, quand il faut : PAF !!! Dans le mille. On a eu exactement LE CHIFFRE que l’on voulait. Alors les marchés Européens ont littéralement explosé parce que le Dow Jones ouvrait en hausse de près de 400 points (ce qui ne veut ABSOLUMENT rien dire) et que l’on avait le sentiment que compte tenu de ces chiffres dont l’exactitude est très aléatoire, la FED pourrait éventuellement peut-être mais c’est même pas sûr, ne monter les taux que de 0.5% en septembre.

Nous en sommes donc arrivés là. Avec UN seul chiffre qui est connu pour être presque aussi fiable qu’une voiture qui aurait été fabriquée en France, nous sommes capables de renverser la tendance et de tenter d’effacer 6 séances de baisse consécutives en Europe. Jeudi soir, le DAX était en baisse de 4% sur la semaine et À CAUSE des chiffres de l’emploi AUX États-Unis, le DAX est passé positif sur la semaine. Alors que, pendant ce temps, la Russie fait mumuse avec son pipeline et que l’on est loin d’être certain d’avoir de l’électricité et du chauffage en Europe pour cet hiver. De là à penser que le marché est complètement débile ou dans un déni total, il n’y a qu’un pas à franchir…

Pas convaincus, les Ricains

D’ailleurs, dans la foulée du rebond post-chiffres de l’emploi, lorsque les Européens ont fermé leurs bourses, les Américains se sont dit : « Huuuummmmm, pas sûr que les chiffres de l’emploi suffisent pour que Powell se détende, vaut peut-être mieux attendre le CPI de dans 10 jours et que la BCE monte les taux de 0.75% ce jeudi avant de s’emballer ». Et le Dow Jones a reperdu 700 points dans le sillage de cette réflexion puissante. Pendant que le DAX avait terminé en hausse de 3.3%, le S&P500 terminait en baisse de 1% et testait dangereusement la solidité du support des 3’900 sur l’indice de référence américain.

EN résumé, on n’est pas en superforme et on se rassure avec pas grand-chose, ce qui me met dans un état de doute approfondit actuellement… Et d’ailleurs, je ne suis pas le seul, puisque tous les gourous du camp des Bearishs sont de retour dans les médias. La semaine dernière je vous disais même qu’il était presque certain que Roubini allait revenir pour nous annoncer que la fin du monde était proche et que des monstres allaient venir de l’espace pour nous dévorer et appauvrir nos économies. Eh bien ça n’a pas manqué. Ce week-end Roubini a réapparu comme par magie. Lui c’est un peu comme les guêpes en début d’été. Tu ne les as pas vues pendant tout l’hiver et dès que tu sors un morceau de viande sur la terrasse, c’est Pearl Harbor version jaune et noir. Roubini, c’est pareil. Tu te tapes un bull market de folie, le mec n’existe pas, mais dès que l’on a droit à trois jours de baisse consécutifs, il débarque d’on ne sait où et il vient nous expliquer que la FED va devoir monter les taux au moins jusqu’à 5% pour juguler l’inflation et que les marchés vont perdre 80% dans la foulée.

Non, pour les 85% j’en sais rien, j’ai même pas eu le courage de lire son papier jusqu’à la fin, il y avait match de cricket à la télé indienne que je ne voulais pas rater. Toujours est-il que Roubini est de retour et que, selon lui : On va se la prendre. Rappelons tout de même son track record se résume à une victoire et 254 défaites consécutives depuis. Au moins, la bonne nouvelle c’est que ce lundi les USA ne baisseront pas, puisqu’ils sont fermés pour cause de Labor Day.

Vu depuis l’Asie

Ce matin on a une petite bonne nouvelle puisque le secteur des services en Chine a progressé plus que prévu en août, il semblerait que les dépenses de consommation ont aidé le secteur à résister aux vents contraires liés au COVID et au coût de l’énergie. Reste plus qu’à voir si on sait faire ça en Europe… Pour fêter ça, l’indice chinois est en forte hausse de 0.10%, pendant que Hong Kong recule de 1.5% et que le Japon ne fait rien en attendant la réouverture des USA demain après-midi. Autrement, on retiendra que le baril est toujours aussi faible à 88.62$ – mais méfiance, l’OPEP se réunit cette semaine et on ne sait jamais ce qu’ils pourraient bien nous sortir – l’or est à 1723$ et le Bitcoin est à 19’900$, les 20’000$ ont cédé, ce qui voudrait dire que, si l’on se base sur le nouvel indicateur avancé, que là tout de suite, l’appétit au risque n’est pas au top.

D’ailleurs si l’on regarde la tronche du semiconducteur index – ancien indicateur avancé avant que l’on découvre le Bitcoin – il n’est pas non plus au mieux de sa forme, néanmoins, pour ceux qui veulent voir ce que c’est le concept de « ne jamais rattraper un couteau qui tombe », je vous recommande de prendre une photo du graphique du SOX et l’accrocher au-dessus de votre lit.

Les nouvelles du jour

Les news du jour sont plutôt maigres ce matin, vu que les Américains sont en train de faire chauffer le barbecue et d’inviter les voisins pour se finir à la bière, mais on retiendra quand même que le CFO de Bed, Bath and Beyond, titre ultra-adoré par les spéculateurs qui pensent toujours que la boîte va devenir révolutionnaire en vendant des porte-savons, a décidé de mettre fin à ses jours en sautant d’un immeuble à New York durant le week-end. Il semblerait que le concept devient très populaire et pas qu’en Russie.

Pour le reste, les nouvelles tournent toutes autour du fait que l’hiver va être compliqué en Europe et que de plus en plus de sociétés sont au plus mal face à l’augmentation des coûts de l’énergie. On entend des demandes de plans de soutiens un peu partout et on a l’impression que l’on a repris les discours du COVID pour les appliquer aux problématiques énergétiques. Toujours est-il que l’on entend de plus en plus parler de récession pour cet hiver en Europe et que les gouvernements de l’Union continuent de scier la branche sur laquelle ils sont assis. Ça tombe bien parce que dès jeudi, on va se concentrer sur l’annonce de la BCE qui devrait s’aligner avec Powell pour commencer à lutter contre l’inflation. Cependant, je ne suis pas certain que quand on voit les prix de l’électricité qui prennent 50% et plus, les 0.75% de hausse des taux vont suffire à calmer le jeu. À précipiter la récession oui, à faire baisser l’inflation, suis pas certain. Mais bon, faisons confiance à Dame Christine qui est tellement forte.

Là tout de suite

Ce matin les futures sont en hausse 0.2%, histoire de rassurer les Européens, le temps qu’ils se rendent compte que les Américains ne sont pas au bureau. Et puis ensuite, il y aura le PIB suisse qui a le pouvoir de renverser les tendances mondiales, comme tout le monde le sait, puis les PMI’s en France et en Allemagne. Pour le reste va falloir attendre demain que ça se secoue un peu.

D’ici-là, je vous souhaite une excellente journée et on se revoit demain à la même heure et au même endroit ! Très bon début de semaine, profitez du soleil pendant qu’il est encore chaud et profitez de charger vos téléphones, tant qu’on a encore de l’électricité.

À demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

“There’s something wrong with your character if opportunity controls your loyalty.”

– Harvey Specter.