Il fût un temps, les marchés financiers avaient tendance à bouger dans la même direction. Ce que je veux dire c’est qu’en général, quand les actions montaient, elles allaient toutes dans la même direction et les investisseurs se satisfaisaient de la même histoire. Ou de la même justification. De nos jours et plus spécifiquement, ces derniers jours, on ne sait plus où donner de la tête, qui croire et à quoi se raccrocher. Entre tensions géopolitiques, problèmes macro-économique et dépressions technologiques, sans parler des interrogations profondes sur les attitudes futures des banques centrales, nous sommes dans un merdier sans précédent.

L’Audio du 28 octobre 2022

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Demander son chemin

Alors oui, bien sûr que j’exagère un peu. Mais tout d’abord, si l’on se souvient des 15 dernières années, nous n’avons eu que très peu de longues périodes déprimantes sur les bourses mondiales. Pour ceux qui s’en souviennent, après s’être fait défoncer par les subprimes, les investisseurs aurons vécu une décennie plutôt cool. On s’est bien fait secouer pendant la crise grecque, mais on s’en est sorti relativement rapidement, puis les quelques secousses qui suivirent à l’approche de la génération COVID ne furent que des petits points à peine discernables sur un graphique aujourd’hui. Et même l’année COVID n’aura été qu’une anecdote pour les bourses mondiales.

D’ailleurs, peut-être que nous avons pris cette période un peu à la légère, puisqu’à force de mettre les taux à zéro et de filer du pognon gratos à Monsieur et Madame Toutlemonde, on ne va pas exclure la probabilité que c’est À CAUSE de ça que nous sommes dans la panade aujourd’hui et que, de plus en plus d’intervenants professionnels, pensent de plus en plus à quitter le navire du monde merveilleux de la finance pour aller faire pousser des chèvres en Ardèche. Toujours est-il que la majorité s’accrochent encore au bastingage et essaient de ne pas se faire éjecter du système, parce que soyons honnête, il n’y a que peu de jobs dans le monde qui paient aussi bien qui nécessitent aussi peu de compétences… Mais toujours est-il qu’en ce moment, c’est pas simple et qu’en plus du fait que ça va dans tous les sens, même les actions ne bougent plus dans le même sens les unes avec les autres. J’ai presque l’impression que jamais dans l’histoire boursière on a senti un tel fossé entre « vieille » et « nouvelle économie ».

Même pendant la bulle c’était pas pareil

C’est vrai qu’il faut tout de même reconnaître que lors de la bulle de l’an 2000, le fossé était déjà pas mal large. Mais la nouvelle économie de l’époque n’était qu’embryonnaire par rapport à l’importance qu’elle a pris aujourd’hui. Il y a encore quelques jours, les rois du monde que l’on connaissait sous le nom de « GAFAM » représentaient près de 25% de l’indice S&P500. Je ne sais pas ce qu’ils représentent ce matin, mais en tous les cas c’est plus 25%. Loin de là. Sauf que là, depuis que l’on s’est rendu compte que la «magie du CLOUD » s’est éteinte chez Microsoft et chez Amazon, que la pub sur internet, c’était moins drôle qu’avant chez Google et chez Meta-Facebook et qu’en plus, les deux derniers claquaient des montagnes de pognons dans des montagnes de projets que personne ne comprends vraiment, les choses se sont clairement complexifiées.
Et hier c’était symptomatique. Vous aviez Microsoft, Google, Amazon, Apple et surtout Meta Zuckerberg qui se faisaient déglinguer par le marché et de l’autre côté, vous aviez des investisseurs qui saluaient la performance de McDonalds qui a publié de très bons chiffres pendant qu’ils vomissaient sur les décisions d’investissement du fondateur de Facebook. Hier on sentait vraiment que le fossé s’était creusé entre nouvelle et ancienne économie. Et puis, surtout on sentait le ras-le-bol qui s’installait dans la tête des investisseurs qui ne comprenaient plus les décisions et les stratégies des dirigeants des grandes sociétés technologiques.

Jamais on a entendu autant de critiques sur les stratégies de Google ou de Facebook. Jamais les analystes se sont montrés aussi agressifs vis-à-vis des choix des géants californiens. Je crois que le meilleur exemple était le downgrade de Morgan Stanley sur Meta, la banque d’affaire new-yorkaise est passée de buy à neutre avec un objectif de prix qui passait de 205$ à 105$. Alors vous me direz que ça fait encore partie de ces downgrades qui ne servent à rien, puisque META est déjà plus bas, mais cela démontre également une fatigue générale et le fait que plus personne ne veut croire au Metaverse, par exemple. Un peu comme plus personne ne croyait au e-commerce à la fin de l’an 2000… Bezos était un con mégalomaniaque et plus personne ne voulait lui parler. Comme Zuckerberg aujourd’hui alors que Meta se faisait démolir de 25%.

Et puis y a la girouette de la vision économique

Le problème c’est que si l’on ne sait plus où l’on va du côté des actions – phénomène d’ailleurs assez facile à décrire avec la clôture des indices hier soir : le Nasdaq au fond du bac et le Dow Jones au bord de l’orgasme – on ne sait plus quoi penser également au niveau des banques centrales et de la macro-économie. Si l’on se souvient bien, au début de la semaine, tout le monde était content de savoir que l’économie ralentissait avec les chiffres du PMI en berne, la confiance du consommateur à la casse et le marché immobilier américain qui commence à lancer des signaux de SOS qui sont bien plus inquiétants que ceux du Titanic en 1912. Mais pourtant, hier avec les chiffres du GDP américain, on trouvait quand même pas mal de monde qui se disait « satisfait » et « heureux » de voir que l’économie ne fléchit pas trop et que nous sommes encore loin de la récession.

Comme quoi il y a certains chiffres qui montrent que l’économie faiblit qui sont positifs pour le marché parce que la FED va arrêter de se prendre pour un faucon et envisager de retourner picorer des graines sur la terrasse des cafés comme toutes les colombes. Et il y a d’autres chiffres qui ne sont pas faibles qui rassurent tout le monde parce que l’économie reste forte. Il est tout de même super-intéressant de voir que le PMI et la confiance du consommateur sont intimement liés aux futures décisions de Powell et de ses potes, alors que d’autres, on fait comme si la FED ne les regardait pas. Non, je vous le dis ; en ce moment c’est pas simple d’être un investisseur, de déterminer sa stratégie pour les 12 prochains mois et de s’y tenir sans se laisser troubler par le chant des sirènes médiatiques qui a tendance à nous balader dans tous les sens et toutes les 5 minutes.

Séance des extrêmes

Bon, il est vrai que la séance d’hier n’était pas non plus très facile puisqu’il fallait gérer le fait que Meta Platform se faisait massacrer tellement fort qu’à un moment de la séance, j’ai envisagé d’ouvrir une cagnotte Leetchi pour soutenir Mark Zuckerberg qui va avoir des fins de mois difficiles. Mais il fallait aussi gérer les « aftershocks » des chiffres décevants de Microsoft et Google, des bons chiffres de McDonalds et la restructuration du Crédit Suisse. Sans compter qu’il fallait aussi analyser les chiffres économiques et s’angoisser à l’idée que la BCE nous fasse un truc qu’on n’avait pas vu venir.

Il est vrai que quelques minutes avant l’annonce de la décision sur les taux, certains médias se faisaient l’écho d’une éventuelle possibilité de voir Lagarde monter les taux de 1%. Le marché a d’ailleurs moyennement apprécié cette perspective et glissait en direction du Sud de manière un peu appuyée. Mais HEUREUSEMENT, après s’être concertée avec Zelensky, Madame Lagarde s’est finalement contentée de monter les taux de 0.75% (seulement) – oui, parce que de nos jours, les grands dirigeants de ce monde ne font plus rien sans demander à Zelensky s’il est d’accord. Zelensky est devenu LA référence, il sait tout, il entend tout, il a toujours raison et je ne suis pas loin de penser qu’il est nouvel enfant sacré du Tibet, le prochain Dalaï-Lama. Sauf qu’il coûte plus cher. Donc la BCE n’a monté les taux QUE de 0.75% et le marché a ADORÉ la nouvelle car c’était une révolution et c’était presque aussi excitant que quand le premier iPhone est arrivé sur le marché et qu’on ne savait pas ce qu’était un écran tactile. Restait plus qu’ensuite à attendre la publication des chiffres d’Amazon et d’Apple. On notera au passage que Madame Lagarde n’a donné aucune guidance, aucune vision du futur en ce qui concerne les taux. On voit clairement que la Banque Centrale Européenne avance à tâtons et qu’au lieu de dire des conneries, elle préfère se taire.

Et maintenant que vais-je faireeeeeeeee

La journée d’hier aura donc été difficile, longue et complexe. Ce matin l’Asie est en plein doute et se pare de rouge dans tous les coins du continent. Le Japon recule de 0.38%, Hong Kong perd 1.17% et la Chine baisse de 0.77%. Le pétrole se replie un peu et se traite à 88.05$, l’or ne fait rien depuis hier et le Bitcoin n’arrive pas à casser les 20’500$ et se rétracte autour des 20’200$, pour essayer d’accumuler de l’énergie, ce qui est l’activité la plus « tendance » du moment.

Amazon

Pour le reste, on digère ce qui a été dit, fait et annoncé par Intel, Amazon et Apple. Mais surtout par Amazon et Apple. On ne va pas se mentir, il y avait à boire et à manger. Du côté d’Amazon, c’est sans surprise qu’ils nous ont annoncé que le CLOUD c’était plus trop ça, que la croissance était en berne et que l’on avait atteint un plateau. Pareil que Microsoft, tient donc. Quelle surprise. Cependant, non content de nous avoir déprimé au sujet du CLOUD, Amazon s’est aussi empressé de dire que les ventes de fin d’année, ça serait la cata et que les attentes étaient médiocres pour le reste du trimestre. Pas besoin de vous faire un dessin, le titre perdait 12% after close.

Apple

Chez Apple c’était pas pareil. Peut-être parce que l’on ne fait pas dans le CLOUD. Toujours est-il que la société de Cupertino a annoncé des chiffres en ligne avec les attentes, des ventes de Mac bien supérieures à ce que l’on attendait et des ventes d’iPhones légèrement en-dessous des attentes. Résultat : le titre ne faisait rien après la clôture et en ce moment, ne pas se faire démonter, pour un GAFAM, c’est déjà une superbe performance.

Eh oui, on se contente de ce que l’on a et faute de grives, on mange des merles. On ne va donc pas dire que c’était l’euphorie chez Apple, mais c’est la moins pire du club des cinq. Il y avait aussi Intel qui publiait ses chiffres et c’était pas terrible, en ligne mais pas euphorique et en plus, ils annonçaient une charrette de licenciements – le titre ne faisait pas grand-chose non plus, mais là encore, en ce moment, toute société qui ne se fait pas détruire lors de la publication de ses chiffres peut s’estimer heureuse. Il faut dire qu’actuellement le marché est bien plus réceptif et réactif aux mauvaises nouvelles qu’aux bonnes. Et d’ailleurs, à propos de « nouvelles », hier matin à 7h le Crédit Suisse a publié ses chiffres et sa stratégie. Vous avez sûrement tout lu, vu et entendu. On retiendra que le trimestre était pourri, que l’environnement était pourri, que les casseroles étaient pourries, que le boss l’investment banking se casse avec effet rétroactif tellement ils l’ont viré fort et puis, l’Arabie Saoudite devient l’actionnaire principal. Le titre se faisait déglinguer presque aussi fort que Facebook, puisqu’il perdait 18.6% et clôturait au plus bas. Si vous voulez en savoir plus, je vous recommande la vidéo ci-dessous que j’ai fait juste pour le Crédit Suisse. Si vous m’écoutez en podcast, il vous suffit d’aller voir sur la chaîne YouTube de Swissquote (en français)…

Elon Musk, son lavabo est Twitter

Dans le reste des nouvelles du jour, on notera aussi qu’Elon Musk a finalisé le deal et qu’il est désormais le boss de Twitter. Il a d’ailleurs déjà viré le Top Management, on ne sait pas si cela a un rapport avec le lavabo qu’il portait hier en entrant dans les bureaux. Le milliardaire a donc commencé à bosser sur le sujet et on se demande ce qu’il se passe chez Tesla. Autrement, le FMI a baissé ses attentes de croissance sur l’Asie et la Banque du Japon reste officiellement la seule banque centrale du monde à être « dovish ».

Dans la presse du matin on trouve plein d’articles passionnant sur les rachats d’actions de Facebook, puisque l’on peut y apprendre que l’an dernier la société a racheté massivement ses propres actions pour un montant de 45 milliards. Le prix moyen de l’achat est à 330$ – sachant que le titre était à 100$ hier soir. Comme quoi les « shares-buy back », c’est pas toujours payant. On peut aussi y apprendre que les géants de la tech ont perdu 3’000 milliards de capitalisation boursière ces 12 derniers mois. Retenons aussi que la Russie a prévenu que tous les satellites commerciaux américains qui s’engageront dans la guerre en Ukraine pourraient devenir des cibles militaires. Déjà que le Starlink de Musk tourne à la vitesse d’un escargot au galop, autant dire que si en plus on leur tire dessus, je vais devoir déménager pour trouver un endroit où ils ont du vrai débit !!!

Chiffres du jour

En plus des trimestriels, il y aura avalanche de chiffres économiques ce matin. Le CPI et le GDP en France et en Allemagne, confiance du consommateur et sentiment des affaires en Europe. Puis aux USA nous aurons le PCE qui devrait, que dis-je, qui DOIT faire partie du plan que la FED met en place pour mercredi prochain et puis il y aura aussi la confiance du consommateur version Michigan, ainsi que les ventes de maisons existantes qui devient un sujet de plus en plus préoccupant.

Du côté des trimestriels, il y aura Exxon, Chevron, Nextera, ABBvie et Colgate. Mais aussi Sanofi, Volkswagen, Airbus, Swiss Re et Holcim. Après ça sera enfin le week-end et on pourra se reposer deux jours pour être en forme afin de ne parler QUE de la FED à partir de lundi matin et ce, jusqu’à jeudi prochain. Pour le moment, les futures sont en baisse de 0.4%, mais pas sur le Dow Jones qui lui est en hausse de 0.10% et qui a l’air de devenir « the place to be dans la finance mondiale » parce que finalement, c’est pas mal les actions qui paient des dividendes, qui ne sont pas trop volatiles et qui ont des business que l’on comprend et qui ne nécessitent pas de porter un casque de réalité virtuelle. Parce qu’entre vous et moi, qu’est-ce que c’est lourd et chiant ces trucs !!!

Allez, profitez de votre vendredi et de votre week-end dans le monde réel. Vous verrez, c’est pas mal aussi ! Nous on se voit lundi en pleine forme !

Bonne journée à tous !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Remember no one can make you feel inferior without your consent.”

– Eleanor Roosevelt