Il semblerait que le 15 décembre 2022 restera gravé dans les mémoires comme le jour où le monde merveilleux de la finance a pris conscience que nous n’étions pas encore complètement dans le monde des Bisounours. Le jour où il a pris conscience que Powell n’était pas là pour « être notre ami » et faire monter le marché quand on en avait besoin, mais qu’en fait, sa mission était tout autre et que nous – le marché – n’étions pas vraiment sa préoccupation principale et qu’il n’allait pas baisser les taux, juste pour que les performances de Wall Street aient de la gueule sur les bilans de 2022. La journée d’hier aura été la grosse fatigue du trimestre et une prise de conscience qui a fait mal.

L’Audio du 16 décembre 2022

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Pas un krach non plus

Alors bon, ça n’était pas non plus un krach boursier, mais disons qu’après le discours de la FED et le fait que nous avions « correctement » anticipé la hausse des taux de « seulement » 0.5% et le fait que l’inflation continuait sa spirale descendante, on aurait pu quand même s’attendre à mieux. Sauf qu’en se repassant le discours de Powell, on a quand même bien compris que nos centres d’intérêts n’étaient pas les mêmes.

Nous, les investisseurs, gérants de fonds et autres traders, étions surtout concentrés sur la recherche du moindre indice qui aurait pu laisser entendre que Powell allait se détendre en 2023. Un peu comme à chaque fois qu’il a parlé cette année, nous avons cherché le ton « dovish » dans ses paroles et comme à chaque fois, on a été déçus et le marché s’est fait déglinguer derrière. Le 15 décembre n’aura pas échappé à cette désormais tradition de 2022. Chaque fois que la FED parle, c’est pour nous dire que ça va encore être long et douloureux, que les taux ne baisseront pas de sitôt et que ceux qui s’attendent à un changement de stratégie sur base du fait que l’inflation a perdu 0.3% sur les 30 derniers jours, vivent dans un scénario hollywoodien qui a été bâclé parce qu’il fallait le rendre avant la fin de la semaine.

Le jour de la marmotte

C’est même devenu un grand classique de 2022. À chaque sortie de Powell, on s’attend à une éclaircie, on s’est préparé, on a mis notre plus belle chemise hawaïenne, notre plus beau short et même de la crème solaire. On s’est préparé pour une embellie de l’économie et un soutien encourageant de la FED et…

BAM !!!!

Encore une fois, la FED nous explique que ça sera long et douloureux et que même, si à la fin c’est la France qui gagne, la baisse des taux n’est pas pour demain. Que la FED n’est pas venue pour intervenir sur le court terme et qu’elle veut non seulement s’assurer que l’inflation est VRAIMENT sous contrôle, mais que du côté de l’emploi, les choses se calment également avant d’envisager ne serait-ce que le moindre changement d’attitude. Et c’est la réalisation de cet état de fait qui a fait plonger les marchés hier. Le Dow Jones perdait 2.25%, le S&P500 reculait de 2.45% et le Nasdaq, toujours plus fort quand ça baisse, abandonnait 3.23%. En Europe, l’addition était du même acabit, surtout après que la BCE ait annoncé son intention de monter les taux de 0.5% et de continuer à le faire. Même son de cloche à la banque centrale anglaise.

Autant vous dire qu’à force d’entendre des patrons (ou des patronnes) de banques centrales nous dire que la suite va être longue et douloureuse et que 2023 ne sera pas forcément une année de cycle de baisse des taux, on a senti comme une petite envie de tout envoyer balader pour se casser en vacances. La prise de conscience dont nous avons fait preuve hier est tout à notre honneur, mais laisse présager une année à venir bien compliquée. Les bourses mondiales donnent l’impression de vouloir envoyer un message aux banques centrales. Un message qui dit :

« Si vous continuez monter les taux, vous nous emmenez directement à l’abattoir, directement à la récession ».

Et de l’autre côté, les banques centrales envoient un message aux marchés. Un message qui dit :

« On ne peut pas relâcher la pression trop tôt, trop vite. On doit s’assurer que l’économie a bien pris la mesure de ce qui se passe et que l’on ne reparte pas dans une spirale inflationniste qui serait déclenchée par des salaires trop élevés ou une croissance trop forte, d’où notre obligation de garder le couvercle sur la marmite pour ne pas que ça déborde. »

Le seul problème dans ce dialogue – c’est qu’il n’y en a pas un qui parle la même langue. C’est un peu comme quand on envoie un message aux extra-terrestres dans l’espace, on ne sait pas quelle langue ils parlent ! Eh ben entre les banques centrales et les marchés, c’est pareil en ce moment. Hier nous avons donc bien compris que voir arriver Powell et l’entendre déclarer qu’il est une colombe, se rapproche plus d’un film de science-fiction que d’autre chose et que si l’on comptait sur une baisse des taux, même toute petite à la fin 2023 – c’est que l’on est bon pour se faire interner. Mais que l’on se rassure, Mesdames et Messieurs, il y a toujours une bonne nouvelle dans tout cela :

« Les banques centrales n’ont jamais vu arriver l’inflation, il est donc fort probable que leurs prévisions actuelles soient à peu près aussi fiables que celles de l’an dernier. Je rappelle, pour information, que dans le domaine de la finance, le taux d’efficacité tourne autour de 50%. On a donc une chance sur deux que ce que l’on nous vend actuellement, soit VRAIMENT la réalité ».

On a baissé et puis c’est tout

Bref, hier il aura donc suffi de lister tout ce qui n’allait pas : ton hawkish, taux en hausse, Chine qui ralenti, guerre qui n’en finit pas, crainte de récession et tout était parfait pour une belle séance de nettoyage. Ce matin les futures ne font pas grand-chose, mais on a une autre crainte – ce vendredi c’est la quadruple échéance des options et des futures – les volumes devraient être énormes et certains commencent à craindre une explosion de la volatilité. Là aussi, que l’on se rassure : chaque fois que l’on nous prédit des trucs de fous pour l’échéance des options, on se retrouve avec un pet dans l’eau et rien qui ne se passe. Retenons tout de même que le montant de l’échéance devrait représenter 4’000 milliards de dollars. Ça représente quand même plusieurs fois le rachat de Twitter. Ou un paquet de Tesla S.

Ce matin les marchés asiatiques sont dubitatifs et ne savent pas si la baisse d’hier est du lard ou du cochon. Le Japon a donc décidé de faire comme les Américains et plonge de 2%, pendant que les deux autres indices ont décidé plus simplement de ne rien faire. Les craintes de récession et le ralentissement de la Chine sont les moteurs de la légère faiblesse du pétrole. Le baril est à 75.94$, l’or est à 1788$ et le Bitcoin est à 17’400$.

Nouvelles du jour

Dans les nouvelles du jour, on parle des décisions de toutes les banques centrales du monde et du fait qu’elles sont toutes hawkishs et que la récession mondiale est à nos portes. On parle d’Elon Musk qui a encore suspendu les comptes Twitter de certains journalistes qui le « suivaient » d’un peu trop près. Nouveau concept de la liberté de parole, mais au moins Tesla n’a pas baissé hier et ça n’est pas peu dire dans un marché qui s’est fait exploser comme ça. On notera d’ailleurs que le fonds Ark Invest de Cathie Wood a encore racheté des Tesla dans le concept du « buy the dip ». Pas sûr que ça soit la meilleure stratégie du moment, mais il fallait tout de même le signaler.

Autrement Jim Cramer de CNBC a déclaré que Powell n’est pas notre ami et qu’il ne va pas se montrer complaisant avec les marchés actions. Ce qui, compte tenu du track record du Jim Cramer en question, devrait être un signal d’achat majeur et l’annonce quasi-officielle que Jerome Powell est notre ami. Du côté des chiffres économiques et au-delà du fait que c’est la quadruple échéance, il y aura le PMI en France, en Allemagne et aux USA. Et puis il y aura aussi le CPI en Europe. Les futures sont inchangés et le monde merveilleux de l’investissement est en train de se demander si ça vaut vraiment la peine de venir au bureau la semaine prochaine et celle d’après. Si ça n’est pas mieux de laisser l’année comme elle est là et de revenir en 2023.

La statistique qui va bien

Surtout que l’on vient de déterrer une statistique qui dit que quand la fin de l’année est pourrie, l’année suivante est meilleure. Et plus c’est pourri en décembre mieux c’est les 12 mois qui suivent. Alors vive le Christmas Sell-Off et longue vie au bull market de 2023. Ou pas.

Excellent vendredi à tous, que votre week-end soit beau et on se retrouve lundi matin pour de nouvelles aventures passionnantes !

À lundi.

Thomas Veillet
Investir.ch

« Life is trying things to see if they work. » -Ray Bradbury