La prochaine réunion sur le climat se déroulera en décembre 2023 à Dubaï, qui est un émirat des Emirats arabes unis, puissance pétrolière. Le président de la COP 28 sera le Sultan al-Jaber, ministre de l’Industrie et de la Technologie des Emirats arabes unis et CEO de la compagnie pétrolière nationale Abu Dhabi National Oil (Adnoc), le 7ème producteur mondial de pétrole. La COP 27 avait eu lieu en novembre 2022 à Charm el-Cheick en Égypte, un autre producteur de pétrole.

Des centaines d’ONG dénoncent la présidence de la prochaine COP 28 en adressant une lettre au secrétaire générale de l’ONU demandant la libération de ces réunions climatiques de «l’influence polluante» du secteur pétrolier. L’ONU-Climat sabote sa propre crédibilité, selon les ONG. Les ¨pour¨ soulignent que le choix du Sultan a-Jaber donne l’occasion de mettre sur la table certaines questions difficiles.

Les énergies fossiles et leur transformation sont les plus importants émetteurs de CO2 ; le lieu et la nomination du président a déclenché un flot de critiques. Pourtant, les Emirats arabes unis ont été un des premiers à fixer un objectif de neutralité carbone pour 2050 défini par l’Accord de Paris (2015). L’Arabie saoudite veut atteindre la neutralité en 2060 et l’Inde en 2070.

83% des émissions de CO2 viennent du pétrole, du gaz et du charbon
Par secteurs, la production d’électricité compte pour 30%, l’industrie 30% et le transport 20%
Source : McKinsey

2023.02.17.Utilisation d'énergie

Al Jaber soutient une augmentation des investissements annuels dans les combustibles fossiles de 600 milliards de dollars jusqu’en 2030 car, explique-t-il, «nous devons progresser avec pragmatisme». Adnoc prévoit d’augmenter sa production de pétrole à 5 millions de barils par jour, contre 3,5 millions aujourd’hui.

En réponse aux critiques, les Emirats arabes unis soulignent qu’ils investissent $15 milliards dans le développement de projets de décarbonation, comme la capture carbone et le stockage de l’énergie. Ils ont d’énormes projets dans le solaire, le nucléaire et l’hydrogène. Ils vont consentir $400 milliards aux pays en développement pour leur transition énergétique et aider à produire de l’électricité verte pour 100 millions d’Africains d’ici 2035.

Les dernières COP ont épargné le pétrole et le gaz. La COP27 en Egypte a montré des désaccords majeurs entre pays occidentaux et pays émergents, ces derniers étant parfois puissants financièrement et influents. L’OPEP insiste sur la nécessité d’investir dans le pétrole pour garantir une transition juste, ordonnée et équilibrée. Pays-producteurs et pays-consommateurs doivent travailler ensemble. De plus en plus de pays occidentaux se rangent derrière ce pragmatisme. Dans son dernier discours sur l’Etat de l’Union, Joe Biden a déclaré qu’il va falloir vivre avec le pétrole pour 10 ans encore. Pour l’OPEP, l’industrie pétrolière a été marquée ces dernières années par une insuffisance des investissements et il faudrait investir $500 milliards par an jusqu’en 2045. Les compagnies pétrolières mondiales doivent être en première ligne si l’on veut assurer une transition avec des prix de l’énergie abordables pour le monde.

Pour les Emirats arabes unis, accueillir la COP 28 sur le climat est une opportunité d’exercer leur soft power et redorer leur réputation quant à la prise en compte des sujets climatiques. Ce soft power se perçoit dans l’ensemble de la péninsule arabique dans d’autres domaines que la transition énergétique, comme avec la dernière coupe du monde de football au Qatar ou les achats de joueurs réputés par des clubs saoudiens. Le sport fait partie des moyens pour orienter la politique internationale en leur faveur.

Les profits pharamineux des compagnies pétrolières et gazières en 2022 rajoutent de la colère à ceux qui s’opposent au choix du président de la COP 28. Les 6 oil majors occidentaux, Exxon Mobil, Chevron, Shell, TotalEnergies, BP et Equinor ont engendré $200 milliards de profits. La compagnie saoudienne, Aramco, 10% de la production mondiale de pétrole, devrait annoncer des profits de $170 milliards. Après des années de pression sur les Big Oil pour réduire la production, les leaders politiques occidentaux ont changé leur fusil d’épaule et préconisent une accélération de la production pour remplacer le pétrole et le gaz russe. Exxon Mobil a augmenté sa production en 2022 et BP va ralentir la réduction de sa production, signifiant que les émissions de CO2 vont diminuer plus lentement que prévu. BP voulait réduire de 40% sa production de pétrole d’ici à 2030, mais cela sera pour finir 25%. D’ici à 2030, BP va investir autant dans la production de pétrole et de gaz que dans la transition énergétique. En 2022, Shell a dépensé seulement 14% du total de ses capitaux dans les solutions vertes et ce pourcentage restera le même en 2023.

La transition énergétique sera longue et coûteuse. Bien sûr, on espère une transition rapide, mais pas trop non plus. La guerre d’Ukraine a montré à l’Europe que se passer des énergies fossiles demande de la justesse et de la sagesse pour éviter une crise sociale. La transition énergétique sera inflationniste et mettra de la pression sur les classes sociales les moins favorisées. L’Europe est fragile après le  quoique qu’il en coûte du Covid» et la guerre d’Ukraine avec la nécessité du réarmement massif et l’indépendance énergétique fossile.

La réalité est que notre civilisation est construite à partir de 4 matériaux indispensables fabriqués presque exclusivement avec du gaz, du charbon et du pétrole: le ciment, le fer, le plastique et l’ammoniac, nécessaire pour produire les engrais azotés. Sans engrais azotés, comment nourrir 8 milliards d’humains. En 1800, il fallait 150 heures de travail humain (et animal) pour produire un hectare de céréales, aujourd’hui, il faut 2 heures grâce aux machines. Il va falloir accepter les énergies fossiles encore plusieurs années, car une énergie solaire et éolienne plus rare (intermittence) et plus chère ne peut se traduire que par un appauvrissement. La pénurie d’électricité nous guette si l’on veut aller trop vite dans la transition énergétique. Seuls les écologiques extrémistes veulent franchir un pas radical, mais au prix d’une très forte décroissance économique, avec un prix évident, conflits militaires et guerres civiles.

Dans un rapport de novembre 2022 sur la transition climatique, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz de France Stratégie mettent en garde des années difficiles qui vont affecter la croissance, l’inflation, les finances publiques, la compétitivité, l’emploi et les inégalités. Il y aura un dosage entre trois mécanismes : la substitution de capital à des combustibles fossiles, l’accélération des progrès technologiques vers les alternatives aux énergies fossiles et la sobriété. Une transition énergétique rapide va impliquer une obsolescence accélérée du capital (équipements, qualifications, brevets, …). Quant aux valorisations boursières, la transition les a déjà bouleversées et va continuer de le faire; la capitalisation boursière de Tesla équivaut à celle de l’ensemble des autres constructeurs historiques automobiles.

Quoiqu’il en soit, on doit accepter de faire une transition énergétique avec des pays « pollueurs », mais financièrement très riches. S’opposer à eux nous affaiblirait financièrement. La majorité du monde ne pense pas comme l’Europe ni les Etats-Unis. La majorité du monde ne veut pas de notre modèle de démocratie. Il faudra s’en accommoder si on ne veut pas s’affaiblir. La Coupe du Monde de football au Qatar ou les Jeux d’hiver asiatiques en 2029 dans la mégalopole Neom (station d’hiver Trojena) en Arabie saoudite n’ont offusqué que des ONG européennes et quelques politiciens populistes de gauche; le reste du monde ne trouve rien à redire. Et il y a surtout une méconnaissance du projet Neom, une mégalopole du futur basée uniquement sur le solaire et l’hydrogène. Avec Neom, l’Arabie saoudite ambitionne de devenir le 1er exportateur mondial d’hydrogène. Une bonne nouvelle pour la transition énergétique. Les pays du Golfe, avec 30% de la production mondiale de pétrole et de gaz, détiennent les clefs d’une transition verte douce.

Tout n’est pas négatif. La responsabilité des sociétés occidentales et l’émergence des véhicules électriques réduisent la consommation de pétrole. Le Covid a modifié les habitudes de travail. En 2022, la consommation d’essence aux Etats-Unis a reculé de 6% en 2022 par rapport à 2021, et reste bien en-dessous de 2019. Les conducteurs américains de véhicules comptaient en 2019 pour 9% de la consommation globale de pétrole. Avec le télétravail, les Américains sont à 90% du volume trafic des niveaux de janvier 2020. A San Francisco, le volume trafic est à 60% des niveaux pré-Covid.

Les Etats-Unis doivent faire attention à ne pas se mettre à dos les pays du Golfe. Joe Biden pousse les producteurs domestiques à investir pour accroître la production US, mais 2014-2015 (chute des prix après une période de fortes dépenses capex) reste dans la mémoire de tous. Donc, les sociétés veulent garder une gestion conservatrice, mais elles ont aussi conscience que la consommation de pétrole est sur le déclin. Mais les compagnies pétrolières préfèrent surtout retourner les profits aux actionnaires sous forme de dividendes et rachats d’actions. Et peut-être que le boom du pétrole/gaz de schiste touche à sa fin. Le nombre de puits de forage diminue aux Etats-Unis. Certains experts soulignent que le pic US est proche.

En conclusion, 1) la sécurité énergétique a été invitée à la table de la transition énergétique, 2) la réalité, c’est que les énergies fossiles restent incontournables, 3) avec le Covid et la guerre d’Ukraine, on passe de l’idéologie à la réalité économique, géopolitique et financière, 4) le Covid et la guerre d’Ukraine ont montré qu’il faut intégrer les énergies fossiles pour avoir une transition douce, et 5) en termes d’investissement, on peut jouer les énergies renouvelables et les énergies fossiles en même temps, sans que cela ne paraisse incompatible.