Je dois dire que cette année 2023 est déjà étonnante. Encore une fois, le comportement des investisseurs est assez bluffant. Compte tenu de ce qui se passe actuellement, j’ai la nette impression que si les chiffres que nous avons eu ces derniers jours étaient sortis en septembre ou en octobre 2022, les indices seraient en train d’essayer de casser la résistance des 3'500 en remontant et les médias financiers seraient remplis d’articles sur le sujet du « changement de carrière » et sur « quel est le bon moment pour quitter Wall Street et se lancer dans le coaching ou le tarot ». Alors qu’aujourd’hui, peu importe ce qui nous tombe dessus, on se dit que ça ira mieux demain. Et ça ne baisse pas.

L’Audio du 28 février 2023

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Le verre, toujours le verre

Ce qui est absolument phénoménal en ce moment, c’est que l’on arrive à se prendre des chiffres immondes en pleine figure, à se rendre compte que notre scénario sur le ralentissement de l’inflation est en train de partir en sucette, mais les intervenants restent calmes et se disent : « non, mais on verra les non-farm payrolls dans treize jours, parce que EUX, ils ont la capacité de TOUT CHANGER !!! »…

Sauf que c’est très exactement ce que l’on s’est dit au sujet du PCE la semaine dernière et puis le PCE nous a montré que l’inflation n’était clairement pas sous contrôle et qu’il y avait encore des montagnes de boulot pour que ça se règle. Même Biden l’a dit. Et puis hier, on revient au bureau après avoir été traumatisé par un chiffre qui démontre clairement que ce qui était prévu n’allait pas se produire, que l’on allait encore faire face à des hausses de taux qui pourraient être problématiques à tous les étages : cartes de crédits, taux hypothécaires, financement de la technologie et psychologie des investisseurs. Mais en fait ON N’EN A STRICTEMENT RIEN À FOUTRE. Le monde merveilleux de la finance qui vit dans le monde des Bisounours sur l’île aux enfants, se dit que « si les NFP de dans treize jours montrent que l’emploi commence à faiblir (ce qu’aucun chiffre ne montre actuellement), ça pourrait tout changer et la FED pourrait (peut-être) se relaxer ».

L’optimisme face au pessimisme (mais c’est quoi le pessimisme ???)

Cette capacité de voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide est donc spectaculaire. Alors attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je trouve ça super que l’on vive dans un optimisme obsessionnel et que si l’on ne gagne pas au tirage de l’Euromillion de mardi, on se raccroche au fait qu’il reste le tirage de vendredi et qu’au pire on a joué pour 5 semaines. Mais il y a des moments je dois dire que je m’inquiète un peu pour notre état mental. J’ai ce sentiment au fond de moi qui me dit que cet état de béatitude ne peut pas non plus durer éternellement et qu’à force de taper sur le clou, ça risque quand même de piquer un peu à la fin.

Non, parce que lorsque je regarde ce que l’on avait prévu le 1er janvier et les spéculations qui nous avaient fait monter jusque-là. Je me dis que l’on s’est quand même un peu perdu en cours de route. Loin de moi l’idée d’être un oiseau de mauvais augure, mais soit la baisse de l’an dernier ne faisait aucun sens parce qu’en fait on s’en fout des taux, que la guerre en Ukraine c’est du pipeau et que l’explosion de certains bien de consommation n’est qu’une information banale parce qu’en fait on a tous tellement de pognon sur le compte après en avoir gagné des tonnes sur les cryptos, que tant que l’inflation ne monte pas à 114% tout va bien se passer. En plus Guy Savoy a perdu sa troisième étoile, ça sera donc moins cher de manger au resto. Ou alors j’ai raté quelque chose.

Si j’ai bien tout compris

Je vais juste essayer de me rappeler ce que l’on attendait ou plutôt ce que l’on espérait en début d’année.

Donc, le premier janvier on se disait que l’INFLATION ÉTAIT sous contrôle et que la FED n’avait plus que quelques hausses de taux. Deux fois 25 BP après le meeting de janvier et qu’ensuite on entrerait dans une période de plateau avec des taux élevés pendant 9 mois. Histoire d’amener l’économie vers un « soft landing » ou au pire une « légère récession toute mignonne et toute gentille qui se termine toujours très bien à la fin ». Ensuite, pour éviter cette récession ou gérer cet atterrissage en douceur sur un aéroport de haute altitude au Népal et par grand vent, la FED baisserait gentiment les taux. Ce qui boostera les profits du secteur de la Technologie et ce qui fera bondir les marchés à la hausse pour repartir dans un bull market de folie qui durera probablement 15 ans, comme le précédent. Ça, c’était le plan du premier janvier.

Aujourd’hui, 2 mois plus tard. On sait que l’inflation fait plus ou moins ce qu’elle veut et que s’il y a un truc qu’elle n’est pas, c’est sous contrôle. Que les dernières données économiques du PPI, CPI ou même de PCE démontrent que ceux qui pensent que l’inflation sera à 2% en décembre, vivent dans monde qui existe uniquement dans les films qui finissent bien à la fin. Nos attentes sur les taux sont passées de deux fois 25 BP à une fois 50, puis éventuellement encore 2 fois 25 BP… Les taux terminaux qui devaient friser les 5% il y a deux mois en arrière sont plus près des 5.75% actuellement et les rendements obligataires deviennent bientôt plus sexy que les espoirs les plus fous des traders en cryptos. Vous rajoutez à cela que l’emploi ne ralentit pas et que le consommateur consomme comme s’il ne lui restait que six mois à vivre et qu’il fallait absolument qu’il fasse péter le plafond de la carte de crédit avant de mourir. Sans compter que l’on n’a toujours pas trouvé une solution pour régler le plafond de la dette américaine et que dans l’état, les USA sont mûrs pour faire défaut. (même si je n’y crois pas une seconde, parce que rentrer dans une année électorale en 2024 avec une récession aux fesses et un défaut de la dette, j’imagine que si Biden se présente face à une chèvre, c’est la chèvre qui gagne)…

Tout ça pour vous dire

Bref, tout ça pour vous dire que je suis sidéré que nos prévisions d’il y a deux mois se résument à un échec total et à une remise en question sans précédent et pourtant les marchés sont d’une sérénité sans faille. Après les chiffres de vendredi on aurait pu craindre un vent de panique sur les bourses mondiale, mais en fait on s’en fout comme de notre premier stop loss et tout le monde est déjà en train de se tourner vers les chiffres des non-farm payrolls de vendredi de dans 13 jours. Hier on a simplement rebondi parce que la fin de la semaine dernière était pourrie et qu’il fallait corriger le tir. Il n’y a rien de fondamental. On est juste remonté parce qu’on avait baissé avant. Et quand on voit comment l’Europe est repartie à la hausse hier, on a presque l’impression que la Chine vient de rouvrir une deuxième fois après le COVID, ou qu’ils ont annoncé que chaque chinois allait recevoir une allocation exceptionnelle pour acheter un sac à main chez LMVH ou une Peugeot 5008.

Pour le moment, j’ai comme le sentiment que la photo de famille ne s’est pas vraiment améliorée, bien au contraire. Mais que l’on s’en fout complètement parce que nous sommes convaincus que le scénario qui a été gravé dans les tables de la grande loi de la finance à la fin du mois de décembre, ne peut être remis en question et que, comme à la fin c’est FORCÉMENT les bulls qui gagnent, il va inévitablement se passer un miracle d’ici cet été qui va nous faire comprendre pourquoi on ne peut plus baisser, même si les étoiles sont alignées. Même si je ne vois pas trop quelle forme ce miracle pourrait prendre, il faudra retenir que ce dernier lundi de février aura vu les marchés monter après un chiffre du PCE qui était à vomir et que la raison était : PARCE QU’ON A BAISSÉ vendredi.

De la folie

Le CAC40 prenait 1.51% emmené par AXA, Renault et Michelin. Le DAX grimpait de 1.13% et c’était Fresenius, Siemens et Heidelberg Cement qui tiraient l’indice. Vous vous rendez compte, le DAX montre grâce à une boîte qui fait du ciment et qui a pris 72% depuis le mois d’octobre 2022… Et puis autrement la Suisse prenait 0.34% avec le Crédit Suisse en tête. Là aussi, c’est du délire. Je ne pensais pas écrire un jour : « le SMI est en hausse avec le Crédit Suisse en tête ». Du côté US c’est un peu moins frappant avec une hausse de 0.31% sur le S&P500 et 0.63% sur le Nasdaq.

Ce matin en Asie, c’est service minimum pour les indices, puisque le Japon est en hausse de 0.12% alors que la Chine monte de 0.07% et qu’Hong Kong progresse de 0.4%. Il faut dire que l’on attend une avalanche de chiffres économiques pour demain en Chine et une avalanche de chiffres en Europe et aux USA aujourd’hui. Alors pour le moment, c’est calme et on attend de voir. Du côté du pétrole, on reste toujours dans notre « range » 73.50$/81$ et pour ce qui est de l’or, comme d’habitude, je n’ai rien à dire mais le métal jaune est à 1820$, le Bitcoin est à 23’400$ et demain sera un autre jour.

Nouvelles du jour

En ce qui concerne les nouvelles du jour, on notera que Fisker a pris 30% parce que les commandes se passent tellement bien qu’ils pourraient finalement faire un profit. Zoom prenait 7% after close parce que leurs chiffres étaient meilleurs que les attentes. Mais ça ne vaut que 80$ et ça n’a pas splitté depuis le COVID, ça a juste baissé. Le Barron’s revient sur l’inversion de la courbe qui signale en général une récession, le « spread » est toujours au plus mal et théoriquement plus il est au plus mal, plus c’est une indication de récession à venir. Mais pour être franc, tout le monde s’en fout.

Autrement, il y a Jim Cramer qui pense que le marché est complètement cinglé et que la FED ne peut plus rien faire pour le contrôler. Pour une fois, je ne suis pas loin d’être d’accord avec lui. Et puis il y a le patron de Bank of America qui revient encore une fois dans les médias pour répéter que les prochains moins ne vont pas être faciles. Mais encore une fois, personne ne l’écoute. Donc, si je prends huit secondes pour faire le point : JP Morgan pensent que nous sommes dans une tempête parfaite et que ça va faire mal, Bank of America aussi. À quelques détails près c’est également l’avis de Goldman Sachs et Morgan Stanley. La liste des gourous qui pensent qu’on va s’en prendre une est plus épaisse que le bottin de téléphone – quand il y avait encore des bottins – mais pour le moment, ça n’intéresse personne et les marchés restent « solides » parce que si ça se trouve, dans deux semaines les NFP montreront que l’emploi ralentit. Une chose est ABSOLUMENT certaine au milieu de tout ça : On vit une époque formidable.

Chiffres du jour

Pour ce qui est des chiffres du jour, nous aurons le CPI en France – ce qui donnera une occasion au génial Ministre des Finances français de venir nous dire Ô combien ils sont balaises pour garder l’inflation au plus bas à grand coups d’aides sociales. En Suisse, il y aura le KOF et le PIB. Et puis aux USA, nous aurons le Redbook, les prix de l’immobilier, le Chicago PMI et la confiance du consommateur. Mais comme tout va bien dans le meilleur des mondes, tout va bien se passer.

À l’heure actuelle, les futures sont inchangés et on s’accroche au bonnes nouvelles qui nous disent que ça va bien se passer parce que pour le moment, on se raccroche au Dieu Du Verre à Moitié Plein. Amen. Passez une excellente journée et à demain.

Thomas Veillet
Investir.ch

“I’m sick of following my dreams, man. I’m just going to ask where they’re going and hook up with ’em later. »
—Mitch Hedberg