Dans les marchés, ce qu’il y a de bien depuis trois ans, c’est que l’on est capable d’aller de crise en crise et d’oublier la précédente aussi vite que nous sommes entrés dans l’actuelle. La peur du COVID aura duré trois semaines, la guerre en Ukraine aura duré trois mois concrètement, puis aura servi d’alibi pendant 9 mois. Mais aujourd’hui, tout le monde s’en fout. L’inflation et la hausse des taux aura duré un peu plus longtemps et aura été un peu plus persistante sur la durée. Mais à la fin, il aura suffi de trois banques qui mettent la clé sous la porte pour régler le problème et maintenant nous avons découvert la « crise de liquidité des banques » et ça aura duré deux semaines.

L’Audio du 22 mars 2023

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Résolution

AH ! Parce qu’on ne vous l’avait pas dit ? Ben en fait, depuis hier c’est officiel : on s’en fout de la crise bancaire parce que toutes les banques centrales se sont donné la main et que quoi qu’il arrive, peu importe ce que feront les banques, les banques centrales leurs sauveront les fesses, peu importe le prix. D’ailleurs, moi je serais une banque aujourd’hui, je prendrais tous les risques possibles et imaginables, je virerais mon staff de « risk managers » – parce qu’ils ne servent à rien, les banques centrales sont là pour éponger et nettoyer ce qui ne va pas – et je commencerais à prendre des risques vraiment débiles ; acheter des options « out of the money » à trois jours de l’échéance avec la trésorerie de la banque, investir dans tous les « junks bonds » imaginables, ouvrir des comptes à de la clientèle russe et même plus fou : prêter de l’argent aux PME qui veulent se développer. Bon, d’accord, la dernière idée est vraiment folle. Tout ça pour dire que je prendrais des risques de dingues en me disant que dans le meilleur des cas, on fait un carton et le bonus de fin d’année sera indécent. Et qu’au pire, si on se plante, les Banques Centrales nous donneront une cape d’immortalité parce que quand même :

« On ne peut pas se permettre de perdre une banque systémique !!! »

Bref, je serais un banquier, un top manager dans une grosse banque qui fait partie des « too big too fail » ou mêmes des 450 suivantes, c’est maintenant, à cet instant très précis que je prendrais TOUS LES RISQUES vu que nos fesses sont couvertes pour les siècles à venir. Il faudrait être idiot pour s’en priver.

C’est plus de la protection, c’est du blindage

Oui, vous l’aurez compris, la crise bancaire est finie. Enfin : pour le moment. Hier Madame Yellen nous a refait une sortie à la « Whatever it takes » made in Draghi pour nous dire que s’il le fallait, les banques centrales pourraient encore agir en conséquence et en cas de besoin pour ne pas laisser la situation dégénérer. En gros, les banques peuvent faire ce qu’elles veulent, elles seront protégées par les autorités supérieures de la nation et les banques centrales. Pour faire simple ; elles sont plus ou moins officieusement nationalisées et la seule chose qui change, par rapport à l’administration, c’est que les employés de banque ne sont pas des fonctionnaires. Enfin, pas encore.

Alors bien sûr, j’ironise un poil sur la situation, mais je ne suis pas si loin de la vérité que cela. Ce week-end on a sauvé le Crédit Suisse, cette semaine on essaye de sauver la First Republic, ça n’est d’ailleurs pas simple, parce que si le titre a bien repris 30% hier soir, après la clôture l’action replongeait de 10% parce qu’il semblerait que la banque ait encore engagé de nouveaux « advisors » qui sont censés leur trouver des solutions pour se sortir de l’ornière. Un Advisor c’est un mec qui coûte super-cher – qui a probablement bossé chez McKinsey et qui facture 600’000 $ un Power Point de 5 pages qu’un chimpanzé adolescent bien dressé aurait pu réaliser en 5 minutes, tout en cherchant des poux sur la tête de son camarade de jeu. Mais First Republic qui a des problèmes de liquidités a pensé qu’engager des gars comme ça, c’était la solution ultime. C’est étrange, parce qu’en même temps, il y a Jamie Dimon qui est quand même le patron de JP Morgan, qui se défonce gratuitement avec ses équipes pour trouver une solution. Mais passons. Je crois qu’à l’heure actuelle, trouver quelque chose de logique et rationnel dans ce marché se rapproche plus de la science-fiction que d’autre chose.

NOUS SOMMES SAUVÉS

Tout ça pour vous dire qu’il semblerait que nous sommes tirés d’affaire. C’est en tous les cas ce que le marché a tenté de nous dire hier. Les banques sont en mode décollage, les indices européens ont oublié que ça pouvait baisser et on reparle déjà de records à venir et, alors que la semaine dernière on nous faisait des listes pour trouver les « prochaines banques » en faillite, ce matin on nous sort les « banques qui sont bon marché et qu’il ne faut pas rater ». Le tout en moins de deux semaines. Ça n’est plus une mémoire de poisson rouge que nous possédons, je crois que nous sommes passé au-dessus, cette-fois nous sommes passé à la « mémoire de politicien », lui qui oublie ce qu’il a dit à l’instant où il l’a dit et qui doit se faire tatouer son nom, son prénom et le nom de son parti sur le bras pour ne pas oublier qui il est.

Les marchés sont donc remontés. Encore. Les banques en tête et même le Crédit Suisse a repris 7%. Et puis les valeurs technologiques sont en folie et ça n’arrête plus de monter. Les intervenants se jettent à nouveau sur les GAFAM’s sous prétexte que c’est la sécurité absolue, puisque l’on sait maintenant que les taux vont baisser. Des sociétés comme Microsoft ou Apple n’avaient plus autant surperformé le S&P500 depuis des mois et les analystes pensent que les problèmes de Tik-Tok vont faire monter META de 25%. Et puis hier, les ventes de voitures en Chine étaient annoncées en forte hausse – forcément, maintenant qu’ils peuvent ressortir, on préfère rouler en voiture électrique pour sauver la planète – du coup, aux USA, on a rapidement fait le calcul et on s’est dit qu’il est plus que probable que Tesla ait fait un carton sur les ventes de voitures en Chine. Il suffisait donc de faire le calcul était l’action Tesla a pris près de 8% parce que « peut-être ils ont vendu des voitures ». Je vous le dis, c’est tout bonnement HALLUCINANT, il y a trois jours nous étions au bord de la fin du monde et un client du Crédit Suisse sur quatre hésitait à s’ouvrir les veines avec sa carte de compte et en l’espace de quelques jours et l’intervention des génies de la FINMA et de la BNS ; nous vivons à nouveau dans un spin-off des Bisounours à Wall Street.

L’Asie, les taux et la couleur de la cravate de Powell

Ce matin, l’Asie est en pleine forme également et le soutien affiché par nos amies les banques centrales semble faire contagion plus vite que le COVID et la crise bancaire réunis. Le Nikkei est en hausse de 2.1% et Hong Kong progresse de 1.9%. La Chine ne fait rien, mais c’est probablement parce qu’ils sont trop occupés à acheter des Tesla. Le pétrole est à 69.33$, l’or est à 1940$ et le Bitcoin s’échange à 28’200$ – même si les banques sont sauvées, les gens ont l’air d’attendre un peu pour être sûrs.

Mais ce qu’il faut surtout retenir ce matin, c’est que CE SOIR Jerome Powell va arriver sur le podium de la FED et devant les caméras du monde entier – pour nous dire à quelle sauce nous allons être mangé au niveau des taux. Avant d’aller plus loin dans cette réflexion, il faut savoir que « nous savons ». Avant on ne savait pas comment combattre l’inflation, mais aujourd’hui, on sait. Dans toutes les théories économiques on nous avait vendu le concept de la hausse des taux pour vaincre l’inflation. Mais cette année, en 2023, nous avons eu un coup de génie :

« Et si on mettait une banque en faillite ??? »

Du coup, depuis que la SVB a mis la clé sous la porte, l’inflation est théoriquement un problème réglé. D’ailleurs je propose une commission d’enquête pour voir si « mettre une banque en faillite » ne pourrait pas avoir d’autres fonctions d’utilité publique. Je ne sais pas, par exemple : résoudre le problème de la faim dans le monde ou faire démissionner Macron, je ne sais pas, mais je pense que ça vaut la peine de creuser. Alors oui, je sais bien que les Banques Centrales ont juré fidélité aux banques et que plus jamais aucune d’entre elles ne devraient faire faillite, assurant du même coup les bonus des CEO’s pour les deux prochains siècles, mais ça pourrait peut-être valoir la peine d’y réfléchir un peu. Si on sacrifie une banque par année pour le bien public, ça pourrait être pas mal. Ça a fonctionné pour l’inflation, pourquoi pas pour autre chose.

Bref, tout ça pour dire que ce soir, Powell devrait nous annoncer une hausse de 25 bp ou nous annoncer rien du tout. C’est 50/50. La seule chose qui est plutôt pratiquement certaine, c’est qu’il devrait annoncer tout cela avec un ton un peu moins faucon et un peu plus gentille colombe qui essaie vainement de ramener la paix en Palestine et en Ukraine et qui du coup, est un peu crevée. Oui, le ton faucon devrait changer pour rassurer encore un peu plus le secteur bancaire, parce qu’il faut être gentil avec les banques qui n’ont même pas vu les taux monter… Réponse ce soir à 19h00. Mais que l’on se rassure, nous savons déjà une chose : il ne montera pas les taux de 0.5%. Non, parce que s’il fait ça, va falloir se ruer sur les parachutes parce qu’il n’y en n’aura pas pour tout le monde.

Nouvelles du jour

Dans les nouvelles du jour, on reparle des licenciements dans la nouvelle entité aux deux voiles et au trois clés. On parle de plus de dizaines de milliers de jobs qui devraient passer à la trappe selon le FT et pendant ce temps, tous les politiciens suisses ont un avis sur le sujet. Autrement, il y a Moody’s qui retiré la dette de Tesla de « junk » et il est désormais moins risqué d’acheter des obligations Telsa. Il y aussi Nike qui a publié des chiffres que l’on qualifiera de « moyens », le titre perdait 2.25% after close. Vous noterez que ça fait plaisir de parler d’autre chose que de taux, d’inflation et de disparition du Crédit Suisse.

Toujours au chapitre des chiffres du trimestre, il faudra noter que GameStop a publié un bénéfice inattendu et des ventes hausse. Et comme GameStop ne fait pas les choses à moitié, le titre prenait 50% after close. Ça fait plaisir de voir que même si les banques sont nationalisées et que l’on pourra mutualiser les pertes à vie, les réactions du marché sont toujours aussi débiles sur certaines valeurs. Et puis pour terminer avec le sourire, on notera que Trafigura – le trader de matières premières – devrait prendre une perte de près de 600 millions après s’être fait refiler des sacs de cailloux sans valeur à la place de Nickel. Il y en a un quelque part qui doit se rouler par terre de rire. Si ça se trouve, le Crédit Suisse est impliqué dans l’affaire…

Les chiffres du jour

Côté chiffres du jour, au-delà de l’annonce de la FED qui devrait obséder les marchés, il y aura aussi les inventaires pétroliers et les nouvelles demandes d’hypothèques. Pour le moment, les futures sont inchangés et on va attendre ce soir.

D’ici-là, je vous souhaite une excellente journée et que la force des banques centrales soit avec vous ! Nous on se retrouve demain pour voir si Powell est toujours notre ami et si la First Republic est toujours debout.

À demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Know that your money is like a bar of soap. The more you handle it, the less you’ have. “

Gene Fama Jr. (a famous economist).