Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais cette après-midi nous aurons la publication des chiffres du CPI. Il fût un temps où ces données OBSÉDAIENT le marché, puisque cela nous donnerait une vision très claire de ce que la FED allait faire au niveau des taux. À cette époque, tout le monde était anxieux et inquiet parce que ces chiffres allaient être utiles pour déterminer ce que la FED déciderait lors des prochains mois, voire même de la prochaine année. Sauf que depuis jeudi, plus personne n’en a rien à foutre, parce qu’entre-deux, la SVB banque que personne ne connaissait est partie en vrille et que, soudainement, on s’attend même à une baisse des taux…
L’Audio du 14 mars 2023
L’effet magique de l’effondrement des banques
On vit vraiment une époque formidable dans un marché financier extraordinaire qui est remplit de tout plein de visionnaires et de théoriciens qui rendent vraiment l’investissement un peu trop facile. Nous sommes donc passé de :
« OH MY GOD, l’inflation ne baisse pas assez vite, Powell va rester « hawkish » et il va PROBABLEMENT monter les taux de 0.50% lors du prochain FOMC Meeting du 21 et 22 mars ! VITE, vendons un peu de bons du trésor à 1 an, à 2 an et à 10 ans, on ne sait jamais ! On va anticiper comme nous le faisons si bien depuis toujours !!! »
À :
« OH MY GOD, la SVB s’est effondrée, la Signature Bank aussi et la First Republic est en train de faire pareil ! OH MY GOD, tous les clients sont en train de retirer leur argent des petites banques pour le mettre dans les grosses banques qui sont « too big to fail », et cela même si le Président Joe Biden a promis que les dépôts serait garantis par l’État et que ça ne coûterait rien au peuple, même si l’État n’a pas une thune et est surendetté ! Alors vite, rachetons le marché qui est en baisse parce que le système bancaire va s’effondrer et profitons du fait que l’effondrement des banques va déclencher la fin des hausses de taux et même début de la baisse !!! Ouais, c’est trop cool la finance quand on est des visionnaires !!! »
Nous pouvons donc clairement voir que les mentalités ont changé. Les experts qui passent à la télé se foutent donc officiellement des taux et de l’inflation, mais se sont immédiatement reconvertis sur le sujet de la capitalisation des banques et du risque de défaut de ces dernières. Et depuis jeudi dernier le monde a changé et plus rien ne sera jamais pareil. Pour être franc avec vous – vous vous en êtes sûrement rendus compte – depuis des mois, je m’étais résolu à ne vous parler que de macro puisque la seule chose qui semblait intéresser les intervenants, c’était l’avenir des taux d’intérêt. Même jeudi dernier au matin, on ne parlait que de ça. Et depuis, c’est fini !
Exit les taux, Exit l’inflation
C’est fini et on ne va dorénavant plus que parler de banques comme Sandy Spring Bancorp, Dime Community Bancshares, Prosperity Bancshare, ou encore Zions Bancorporation et Heartland Financial USA, bref des noms de banques qui ont été généré par ChatGPT, vu qu’il semblerait qu’aux États-Unis, par moment, fonder une banque régionale était devenu un signe extérieur de richesse : « Quoi ???? Tu as un yacht, un chalet à Aspen et tu n’es pas encore fondé ta propre banque ?? Non mais allô quoi !!! »… Mais il va falloir s’y habituer parce que là tout de suite, c’est l’axe principal des marchés : l’avenir des banques et du système bancaire qui doit lutter contre la contagion et l’effondrement.
Alors que l’on se rassure, comprendre comment fonctionne le système bancaire américain, c’est à peu près Mission Impossible, et encore, je ne suis même pas certain qu’Ethan Hunt accepterait la mission, trop compliqué. Mais toujours est-il que c’est comme pour le COVID, on trouve toujours des financiers à la ramasse et à recherche d’une minute de gloire qui sont d’accord de venir parler sur un plateau télé pour expliquer aux masses laborieuses ce qui est en train de se passer. Et je peux déjà vous dire que c’est un sacerdoce, parce qu’en 2008 la moitié du système bancaire américain est parti en vrille – il y avait même un site internet dévolu qui tenait compte des avis de décès des banques au fur et à mesure.
Entre 2008 et 2012, 465 banques américaines ont fait faillite – et aujourd’hui, dans le monde financier vous ne trouverez pas une personne sur cent qui est capable de vous raconter ce qui s’est vraiment passé. Je ne suis même pas certain que l’on comprenne ce qui se passe actuellement d’ici que le Bitcoin soit à 1 million. Mais une chose est certaine, la seule chose dont se souvient très bien, c’est qu’après la crise des Subprimes, ce fût le début d’un bull market de folie, assisté par les banques centrales…
Les taux ? Quels taux ?
La séance d’hier aura donc été hectique avec les Européens qui revenaient soudainement à la réalité et qui prenaient conscience que le battement d’aile d’un papillon dans la Silicon Valley pouvait déclencher pas mal de trucs tous pourris en Europe et dans le monde et que les Chinois qui achètent des sacs à main ne suffiraient pas si le système bancaire américain et mondial venait à s’effondrer. Alors bien sûr, le système bancaire ne va pas s’effondrer mais comme nous avons tendance à surréagir, il n’en fallait pas plus pour que le bain de sang continue dans le secteur financier un peu partout autour de la planète.
Hier l’Europe aura donc vécu sa pire séance de l’année et de loin, le DAX et le CAC reculaient de 3%, l’Italie de 4% et la Suisse s’en sortait moins mal avec une baisse de seulement 1.24% – bon, il faut dire que le SMI n’a rien foutu cette année si on le compare aux autres indices du Vieux Continent, il aurait donc été injuste que l’on cotise autant que les autres. Au niveau des bancaires la séance aura donc été apocalyptique, vu que dans le doute on tire d’abord et on pose les questions ensuite. Il est clair qu’aujourd’hui nous n’avons aucune idée de l’impact sur nos banques à nous et intuitivement, il me semble complètement débile de comparer les problèmes de la SVB avec le Crédit Suisse par exemple……………………………. Oui……. Bon……………. Le Crédit Suisse c’est pas un bon exemple. Mais disons que l’on ne va pas comparer SVB et la grosse banque au logo vert en France – ça serait idiot – et bien pourtant, dans le doute, hier valait mieux ne pas être une banque et même pas une financière d’ailleurs.
Le bilan est donc catastrophique. En France, la grosse banque au logo vert (j’ai pas le droit de dire le nom), est en baisse de 6.8% et on dirait presqu’ils étaient actionnaires de la SVB, Soc Gen recule de 6.23% et AXA se prend 5.9% dans les dents. En Allemagne, la Deutsche Bank recule de près de 5% et la Commerzbank plonge de 12.7% – il faut dire que la Commerzbank, c’est un peu notre Crédit Suisse à nous. Crédit Suisse qui d’ailleurs hier a pris soin de toucher son plus bas de tous les temps à 2.11 CHF – avant de rebondir et de n’abandonner « que » 10% – C’est ballot parce que ça aurait pu être une bonne journée, puisque la FINMA renonce à leur coller une énième procédure aux fesses pour les discours un peu aléatoires du Chairman. Bref, sale journée pour les banques… Même l’UBS perdait plus de 7%.
The end is near
La journée aura donc été un bain de sang sur les bancaires en Europe et aux USA. Les marchés européens ont à nouveau connu la peur et la baisse, chose qui ne leur était plus arrivé depuis le début de l’année. Par contre aux USA, les marchés sont parvenus à renverser la tendance. Alors soit, les banques se sont fait défoncer avec l’art et la manière, mais pour le reste nous avons su trouver un argumentaire en béton pour sauver « Le Soldat Marché » : la fin de la hausse des taux !!! Et même mieux, certains parlent déjà de baisse de 75 basis points d’ici la fin de l’année !!! Dire que ça fait des mois que l’on cherche une solution pour faire la peau à l’inflation, alors qu’il suffisait de mettre deux ou trois banques en faillite pour régler l’histoire !!!
Donc oui. Depuis hier l’inflation n’est plus un problème, la hausse des taux non plus, puisqu’il n’y en aura plus, quant à la récession… euh… c’est pas le moment d’en parler là tout de suite, on va déjà gérer le problème des banques. Et la guerre en Ukraine ?? Oui, non, mais ça suffit ou bien ??? On a dit qu’on parlait des banques et de tout le bien que ça faisait pour l’inflation !!! Bon d’accord.
Donc les banques en faillites qui sont en faillites à cause de la rapide hausse des taux ont soudainement fait réagir les intervenants qui se sont dit que la FED ne pouvait plus décemment monter les taux au risque de mettre en faillite d’autres banques et de mettre en péril les épargnants. Même si Biden a assuré que tout allait bien se passer. En général quand il y a une merde quelque part et que 36 heures après, les politiques s’en mêlent, c’est que c’est très grave, mais passons. Tout ça pour dire qu’hier les investisseurs ont changé de vision d’avenir.
Vision d’avenir 2.0 pour 2023
Le calcul et la réflexion sont assez simples. Les taux ne peuvent plus monter au risque de démonter d’autres banques, la probabilité de voir une hausse de taux de 0.5% lors du prochain FOMC Meeting est donc passée de 40% à…zéro en 36 heures. La probabilité de voir une hausse de 0.25% a chuté de 30% et on estime que près de la moitié des intervenants parient sur un statuquo dans une semaine. Sans compte que l’on parle déjà de 75 points de base de baisse d’ici la fin de l’année. Voilà. Tous les arguments nécessaires sont là pour limiter la casse aux USA. Du coup, les rendements se sont effondrés, les bons du trésor à un an sont passés de 5.3% à 4.4% en trois jours, soit 17% de baisse. Sur le 2 ans avons chuté de 18% et le 10 ans est revenu à 3.56% alors qu’il caracolait à plus de 4% la semaine dernière.
En conclusion de cette journée de folie, il faudra donc retenir que la volatilité prend l’ascenseur – la VIX a tapé les 30% hier – que les banques s’effondrent sans distinction de pays, de région ou de taille, mais qu’à côté de cela, on est en train de se dire que l’inflation n’est plus un problème et que c’est bien plus important de sauver le cul de certaines banques qui ont été gérée comme des manches. On retiendra aussi que l’on commence à dire que le système bancaire américain a été carrément privatisé par le gouvernement pour éviter la contagion et que là tout de suite, on n’est pas encore complètement rassuré sur le fait que contagion, il n’y aura pas. Pour le moment, c’est mieux de sortir avec un masque et de respecter les distances sociales.
En Asie
Si l’on avait un doute sur le fait que la confiance soit retrouvée, on peut regarder l’Asie ce matin. L’ensemble des indices sont dans le rouge foncé. Le Japon est en chute de près de 2%, tout comme Hong Kong, pendant que la Chine recule de 1%. Le pétrole s’est également fait allumer hier. Nous avons appliqué la logique implacable du : « si les banques s’effondrent, il n’y aura plus de pognon, d’économie, ni de gens qui font le plein ». Et, selon cette logique, on a tiré à balles réelles sur le baril qui se traite à 73.92$ à l’heure où je vous parle. Et puis, la valeur refuge du moment, l’or se traite à 1908$ parce qu’évidemment, quand il n’y aura plus de banques, ça sera tellement cool d’aller acheter le pain avec un lingot d’un kilo et une râpe à fromage pour payer la boulangère.
Et puis, dans les news du jour, autant vous dire que l’on ne parle que de « ça » – que des banques et dans les articles plus lus du FT, les 5 premiers contiennent SVB dans le titre. Les autres articles parlent de l’intérêt de monter les taux pour que la FED puisse montrer sa « crédibilité » et du fait qu’il ne faudrait pas le faire et pour terminer, on parle de l’inflation qui devrait s’être calmée en février. Comme d’habitude, on va faire ce qu’il faut pour trouver le bon chiffre qui ne va pas trop déranger. Surtout que ça n’est pas trop le moment de déranger, manquerait plus que l’inflation soit à 7% pour février. Là, ça serait drôle… On va donc se concentrer sur la suite de la contagion ou de la non-contagion. Ce matin les futures sont en hausse de 0.5% – ce qui ne veut absolument rien dire en ce moment, puisqu’hier on montait de 2% avant l’ouverture pour perdre 3% dans la foulée avant de rebondir.
Chiffres du jour
Pour ce qui est des chiffres du jour, nous aurons le PPI en Suisse. Le PPI en Suisse qui devrait surtout intéresser les Suisses. Et puis ensuite, à 14h30, il y aura le CPI américain. CPI qui est évidemment sous contrôle depuis la faillite de SVB. On attend 6% pour le mois de février, mais autant vous dire que depuis trois jours, ce chiffre a perdu une bonne partie de sa saveur.
Il me reste à vous souhaiter une excellente journée, c’est étrange se sentiment de se retrouver en septembre 2008, juste avant que Lehman ne s’effondre. À cette époque où l’on nous disait que tout était sous contrôle. Juste avant que Lehman ne s’effondre. Manquerait plus que le marché immobilier américain se pète la gueule.
J’en étais où moi ? Ah oui : Excellente journée à tous et à demain !!!
Thomas Veillet
Investir.ch
“The secret of change is to focus all of your energy, not on fighting the old, but on building the new” – Socrates