Le 5 décembre 1996, Alan Greenspan prononçait son célèbre discours sur la surévaluation des marchés et utilisait ces deux mots : Exubérance irrationnelle – et moi, dans la seconde qui suivait, je comprenais mieux ce que ça fait de perdre 10 ans de salaire en 15 minutes. Même si mon salaire de l’époque n’était pas très représentatif. Toujours est-il qu’avec les années, le terme « Exubérance irrationnelle » est devenu un synonyme de « tout grand n’importe quoi » ou de : c’est un sacré bordel. Et ce matin, lorsque je regarde ce qui se passe dans les marchés financiers, je crois que c’est la dernière suggestion qui prédomine.
L’Audio du 15 mars 2023
Le sauvetage des banques, l’inflation et ce que DOIT faire la FED
Pour ne pas perdre de temps, on va rapidement faire le tour des marchés qui ont massivement rebondit hier. Ça ne sert pas à grand-chose d’aller creuser très loin, pour savoir quoi faire dans ces marchés complètement délirants, il suffit de se concentrer sur l’inflation et d’essayer d’imaginer ce que va faire la FED compte tenu de tout ce qui se passe autour de nous. Il y a un mois, tout le monde parlait de la vision de la FED à 12 mois, tout le monde ANTICIPAIT les agissements de Powell sur les 5 prochains meetings de la FED et essayait de calculer la date exacte de la baisse des taux de dans 12-13 mois. Il y a un mois, pendant un bref instant nous étions devenus des investisseurs long terme qui prenaient des décisions pour ce qui allait éventuellement peut-être se passer dans un peu plus d’un an. Et pour être sincère, ça n’était même pas du conditionnel, c’était plutôt des certitudes.
Sauf que soudainement tout a changé. Tout d’abord l’inflation n’était plus vraiment sous contrôle en janvier, puis on a commencé à remettre en question notre beau scénario du mois de janvier ET notre vision à long terme. Puis l’on a commencé à avoir des doutes sur ce qu’allait faire Powell – alors que trois jours avant nous étions carrément dans sa tête et nous étions noyés sous notre grand savoir – et puis, plus récemment on a commencé à croire que la FED était capable de monter les taux de 0.5% lors du meeting de mars. Et finalement, toutes nos belles intentions de devenir un investisseur long terme se sont soudainement envolées comme une nuée de faucons au coucher du soleil et dorénavant, on est redevenu des bêtes traders avec une vision à 12 secondes. Et encore, quand on a une vision. Tout ça pour dire qu’hier, les marchés ont rebondit massivement parce que finalement l’inflation a fait ce qu’on avait prévu, que le gouvernement US s’est transformé en chevalier blanc pour sauver les banques – ce qui commence à devenir une habitude et que toutes les prédictions sont dans la nature pour le meeting de la FED de la semaine prochaine. Quand je prends une photo instantanée de ce qui se passe dans les marchés et dans l’économie actuellement, j’ai soudainement l’impression d’être au cirque Knie à attendre le prochain numéro de clowns, sachant que ça sera sûrement plus sérieux que les bourses mondiales en ce moment.
Pas être Powell
En tous les cas, il y a une chose que je n’aimerais pas être en ce moment, c’est Jerome Powell. Ni même n’importe quel membre de la FED. Non, parce qu’au-delà de la performance des indices hier – maintenant il va falloir gérer la décision de la semaine prochaine. Parce que si j’ai bien tout compris, ce que vont devoir faire les membres de la FED, c’est faire un choix, mais cette fois c’est différent. C’est différent parce que ça ne sera pas pareil, dans le sens où – quoi qu’ils fassent, il y a un truc qui ne va pas plaire et une partie du marché qui pourrait potentiellement partir en vrille.
En effet, le problème actuel c’est qu’il n’y a pas vraiment moyen de satisfaire tout le monde. La bonne nouvelle c’est que du côté des banques, Biden et ses amis ont offert un parachute et leur ont donné une carte « sortie de prison sans payer d’amende » (comme à chaque fois que les banques font de la merde, d’ailleurs) – et cela même si l’on peut se demander jusqu’à quand l’État pourra s’endetter pour corriger les erreurs d’un système qui semble partir dans tous les sens. Mais mis à part le cas des banques qui semble en passe de se régler selon les autorités et qui semble être au début de l’implosion selon les Hedge Funds Managers qui étaient de sortie hier, la tâche semble bien complexe et – comme dirait l’autre : « Je préfèrerais me couper les ongles à la tronçonneuse que d’être dans le costard de Powell ».
Scénarisons
Ce matin j’ai donc tenté de me mettre à la place de la FED et de me demander ce que je pourrais bien faire la semaine prochaine et ce qui pourrait se passer en fonction de mes décisions. Sachant de toutes façons que je vais forcément oublier le scénario qui va se produire parce que selon la loi de Murphy, ce qui ne devrait JAMAIS se passer, va forcément se produire un jour.
Scénario numéro un : Les taux reste inchangés
Le scénario numéro un, c’est le scénario privilégié par Goldman Sachs. Selon la banque d’affaires américaine, Powell ne va rien faire. Si ce n’est gagner du temps et essayer de ne pas mettre les banques régionales un peu plus dans la merde parce que leurs investissements en bons du trésor vont continuer à valoir pas grand-chose, mais qu’au moins ça ne sera pas pire. Cette non-action ne résoudra pas le problème de l’inflation, cependant en ne faisant rien pendant plusieurs mois, on verra si l’inflation continue de baisser d’elle-même par l’effet du Saint-Esprit et des incantations vaudou ou est-ce qu’elle va en profiter pour s’échapper et redevenir hors de contrôle (pour autant qu’elle soit sous contrôle). De toutes manières, il sera toujours temps de paniquer lors du prochain meeting et on pourra tous dire que Powell a été nul… si ça ne marche pas.
Scénario numéro deux : les taux montent de 0.25%
Le scénario numéro deux, c’est le scénario où l’on ne se mouille pas. C’est le scénario du consensus. Cela montrerait que la FED n’a même pas peur de la crise des banques et que 0.25% ça ne va pas changer la face du monde pour les banques qui sont en pertes – on n’est plus à un ou deux milliards près – mais en même temps, ça permet (hypothétiquement) de grader le contrôle sur l’inflation et de montrer qu’il n’est pas question de se laisser détourner sa mission, quitte à détruire le système bancaire américain qui est un peu sclérosé et qui semble un peu hors de contrôle au niveau « risk management ». En revanche, si la FED monte les taux de 0.25% et que le système bancaire implose aux USA, on aura au moins notre bouc-émissaire, puisque la faillite du système sera intégralement mise sur le dos de la FED. Pas des banquiers qui ont fait n’importe quoi – NON !!! – Eux ils retrouveront un job ailleurs pour aller mettre une autre banque en faillite dans 10 ans, tout sera mis sur le dos de Powell. D’ailleurs que les taux montent de 0.25%, de 0.5% ou de 2% – la sanction sera la même en cas de faillite bancaire.
Scénario numéro trois : les taux baissent de 0.25%
C’est le scénario de Nomura qui est passé en 24 heures d’une hausse de 0.5% à une BAISSE de 0.25% ce qui représente assez bien la volatilité du marché obligataire en ce moment. Actuellement, quand tu regardes la courbe des rendements du 1 an ou du 2 ans ou même du 10 ans, tu as l’impression que tu regardes un « MEME stock », puisque le comportement de GameStop semble soudainement plus rationnel que les obligations du gouvernement US. Toujours est-il que si Powell fait ça, on va l’encenser pour son soutien sans faille au système bancaire, mais ça sera pendant 2 semaines. Ensuite on se rendra compte qu’il a baissé son pantalon face à l’inflation qui en aura profité pour se barrer dans le champ du voisin. Et à ce moment très précis, tout le monde dira que la FED est incompétente et qu’elle a perdu de vue son objectif principal et Powell devra démissionner pour être remplacé par un militant LGBTQQIP2SAA afin de respecter les quotas.
Et c’est pas tout
Après, il y a bien un scénario numéro quatre qui envisagerait une hausse de 0.5%, mais je crois que personne n’est assez cinglé pour envisager ça la semaine prochaine, surtout étant donné l’état physique et psychologique des banques. Il faut cependant retenir que nous vivons une période de marché qui est un bordel sans nom et que je ne sais sincèrement pas comment nous allons retrouver une vie normale et quelle est la voie de sortie la plus simple pour retrouver une économie saine, une inflation sous contrôle, une croissance correcte sans être ingérable et des banques centrales qui sont nos amies, sans que les gouvernements doivent injecter des centaines de milliards qu’ils n’ont pas, dans une économie qui est en train de partir en vrille avec des disparités monstrueuses qui ne cessent de grandir. Oh mon Dieu, je deviens de gauche !!!
Tout ça pour dire
Tout ça pour dire qu’hier tout est remonté parce que les banques sont sauvées, même si c’est pas encore complètement sûr, que Meta a licencié ENCORE 10’000 personnes, ce qui fait 25% du staff à la porte en 2 mois et que le marché a trouvé ça SUPER !!! Du coup le titre a explosé de 7% et repasse la barre des 500 milliards de capitalisation boursière. Il y avait aussi Moody’s qui a placé le secteur bancaire US sur « surveillance négative » – ce qui a sûrement aidé le rebond, puisque lorsque Moody’s vient faire des commentaires négatifs, c’est souvent le fond du trou. Et je tiens à préciser que ça n’est pas une particularité de Moody’s, puisque S&P et Fitch sont tout aussi capable d’être aussi nuls. Bref, hier les supports ont tenu, même si le patron du Hedge Funds Citadel est venu nous dire que le capitalisme était en train de s’effondrer sous nos yeux, pendant que Bill Ackman venait nous dire que le gouvernement avait fait tout juste. L’avenir nous dira qui a raison, si on s’en souvient encore.
L’Asie
Du côté de l’Asie tout est en vert après le rebond de l’Occident et tout va bien dans le meilleur des mondes. Le Japon bondit de 0.1%, Hong Kong frise l’euphorie en hausse de 1.19% et la Chine grimpe de 0.6%. On notera quand même que le CPI américain est sorti hier après-midi et que c’était étonnement PARFAITEMENT dans les attentes. Le CPI sur un an est donc en hausse 6%, mais lorsque l’on regarde les chiffres en détail, il y a certes des améliorations, mais il y a pas mal de postes qui laissent à penser que le consommateur ne s’y retrouve pas vraiment et que certaines tensions pourraient se faire ressentir à terme. Mais on s’en fout, parce que le consommateur, c’est Main Street et nous c’est Wall Street et on sait tous qu’à la fin c’est Wall Street qui compte.
Ailleurs le pétrole continue de s’enfoncer et se traite à 72.38$ – c’est probablement dû aux efforts du gouvernement français pour favoriser la construction de voitures électriques en France, puisqu’après trois ans d’injection de pognon qu’ils n’ont pas, on apprend qu’en 2020 on a fabriqué 125’000 voitures électriques en France, qu’en 2021 on a en fabriqué….125’000 aussi et qu’en 2022, il y a un net progrès puisque nous étions toujours à 125’000 voitures… En 2023, on devrait tenter d’atteindre les 126’000 voitures, parce C’EST SON PROJET !!! Du côté de l’or nous sommes à 1904$ et si l’or est LA VALEUR refuge en cas de crise, le Bitcoin est LA VALEUR refuge en cas de crise bancaire. Hier le Bitcoin a passé la barre des 26’500$ avant de replonger et ce matin on traite à 25’000$ et c’est quand même nettement mieux d’avoir un Bitcoin que 25’000$ déposés dans une banque américaine, même si c’est backé par un gouvernement qui n’a D’AILLEURS TOUJOURS PAS TROUVÉ UN ACCORD SUR LE PLAFOND DE LA DETTE….
Nouvelles du jour
Dans les nouvelles du jour, on notera que la FED voudrait mettre en place des règles plus « strictes » pour les banques de taille moyenne. C’est ce que l’on appelle de l’anticipation. Et on notera que même si les autorités se mêlent de la crise bancaire – comme à chaque fois – il y a tout de même pas mal de voix qui s’élèvent pour dire que « c’est pas encore terminé ». Le suspense est à son comble. Autrement, l’Argentine vient de voir son inflation taper les 100% – comme quoi on a quand même le beau rôle en couinant dès que l’inflation passe les 9%. Et puis il y a les Américains et les Russes qui jouent à la guerre des étoiles au-dessus de la Mer Noire, les Russes ont trouvé moyen de rentrer en collision avec un drone américain, le Sukhoi s’en est sorti, mais pas le « Reaper » et du coup les Américains (pourtant assez habitués à perdre des guerres) sont en train de se plaindre au gouvernement russe parce que les pilotes volaient de manière non-professionnelle. Ça va sûrement bien se finir ce genre de provocations.
Et puis dans les autres petits mots qui font plaisir, il y a Carl Icahn qui estime que l’économie US est en train de se kracher à cause de l’inflation et d’un manque de « leadership » et pendant ce temps, Danny Moses un des « autres » traders du « Big Short », estime que l’affaire SVB n’est que le début de quelque chose de plus gros. Michael Burry pense au contraire que ça va rapidement se calmer et moi je crois que je vais retourner me coucher.
Chiffres du jour
Il y aura un wagon de publications économiques ce mercredi entre CPI en France, Production industrielle en Europe, PPI aux USA ainsi que Retail Sales, business inventories et inventaires pétroliers. Pour le moment les futures sont légèrement en baisse et le Crédit Suisse n’est pas en faillite, mais les managers sont en train de couper leurs salaires. On apprend que Lehmann, le Chairman du Crédit Suisse ne va toucher que 3.8 millions cette année, à la place des 4.5 prévus à l’origine. Si jamais, je vais mettre en place une cagnotte Leetchi pour l’aider, dites-moi si vous voulez participer. Et puis au fait : Lehmann comme nom de famille pour le Chairman d’une banque ? C’est pas un peu de la provoc aussi ???
En ce qui me concerne, je crois qu’il me reste à vous souhaiter une bonne journée et on se revoit demain pour voir si toutes les banques sont toujours là….
À demain.
Thomas Veillet
Investir.ch
“You can’t turn back the clock. But you can wind it up again.” —Bonnie Prudden