«Je pense que les BRICS et les pays amis peuvent travailler ensemble pour renforcer un monde multipolaire.» Narendra Modi, Premier ministre de l'Inde. Un monde multipolaire nécessite un alignement sur la Chine et la Russie et un non-alignement sur les États-Unis: situation kafkaïenne!

Lors de leur sommet du mois d’août, les BRICS ont invité six nouveaux pays à rejoindre le bloc. Ce n’est pas la première fois que les économies émergentes tentent d’acquérir un pouvoir de négociation sur la scène internationale; le G20 – fondé en 1999 – est l’exemple d’une première tentative ratée.

Le plan d’extension des BRICS diffère du G20 à plusieurs égards. Tout d’abord, le G20 était censé être une version plus «inclusive» du G7, mais le G7 a conservé une voix prédominante dans ses décisions. Le déséquilibre des pouvoirs au sein du G20 est source de frustration pour les pays non-membres du G7. Deuxièmement, le choix des nouveaux membres des BRICS – à savoir les principaux producteurs de pétrole du monde – est stratégique: les BRICS+ offriront aux pays les plus gourmands en énergie une plateforme intégrée pour coopérer avec les principaux producteurs de pétrole et, à terme, utiliser leurs monnaies locales pour régler les transactions pétrolières, ainsi que pour mettre en place des alternatives au FMI et à la Banque mondiale. Il est peu probable qu’une hypothétique monnaie adossée à l’or se concrétise rapidement, mais le yuan, la roupie, le rouble ou le dirham des Émirats arabes unis – rattaché au dollar américain – sont des candidats pour les échanges de pétrole entre les BRICS+. Depuis le début de l’année, les raffineurs indiens payent la plupart de leur pétrole russe en dirhams plutôt qu’en dollars. L’Arabie saoudite et la Chine discutent d’échanger du pétrole en yuans. Contrôler les flux de pétro-capitaux permettrait aux BRICS de faire contrepoids au G7… ou pas.

D’ici 2050, le PIB des BRICS+ devrait approcher les 50%, alors que celui du G7 devrait être inférieur à 20%. Les BRICS+ pourraient donc acquérir un poids significatif dans les affaires mondiales. Pourtant, le bloc est déchiré entre une myriade de contradictions politiques, géopolitiques et géoéconomiques. Outre leurs vastes économies/populations et leur désir d’être entendus, ils partagent peu de choses pour former une union financièrement/géopolitiquement cohésive.

2023.09.08.BRICS± Is Forecast to dominate the World's GDP
Source : Bloomberg Economics analysis using International Monetary Fund data

La Chine, la Russie et l’Iran s’opposent à tout prix à la domination du G7 dirigé par les États-Unis. La Russie n’a plus grand-chose à perdre d’une nouvelle escalade des tensions et se comportera progressivement comme une itération mondiale de l’Iran, son allié significatif le plus proche à l’heure actuelle. L’Iran a considérablement développé son programme nucléaire et a réduit à néant toute chance de conclure un accord nucléaire avec les États-Unis. La Chine peut-elle se permettre de couper ses liens avec les États-Unis, son principal partenaire commercial?

Les Saoudiens, les Émirats et les Égyptiens voient dans la nouvelle alliance une occasion d’accroître leur puissance régionale. Aucun d’entre eux, cependant, n’a intérêt à abandonner son partenariat stratégique de sécurité avec les États-Unis. En outre, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont rivaux depuis l’indépendance des Émirats arabes unis, le schisme religieux entre l’Arabie saoudite sunnite et l’Iran chiite est pratiquement impossible à surmonter. Il existe des tensions géopolitiques entre l’Égypte et l’Iran, et entre l’Égypte et l’Éthiopie.

L’Inde et l’Afrique du Sud souhaitent une coopération sud-sud efficace pour réduire le fossé de pouvoir entre le G7 et le reste du monde, mais elles ne peuvent pas sacrifier leurs relations avec les États-Unis et l’Europe. Les multinationales américaines et européennes déplacent leur production de la Chine vers l’Inde. L’Inde – également membre du Commonwealth – aurait beaucoup à perdre si elle souhaite faire partie d’un bloc méridional dominé par la Chine. D’autant plus que le différend frontalier avec la Chine reste d’actualité; des images satellites confirment une présence militaire chinoise de plus en plus affirmée à la frontière tibétaine.

Il est intéressant de noter que la Turquie ne s’est pas jointe à l’initiative, préférant mettre le cap – pour l’instant – sur l’Europe. L’Indonésie a préféré retarder son adhésion. D’ailleurs, aucun pays de l’ASEAN ne fait partie de l’extension des BRICS, ce qui soulève la question de savoir si les BRICS défieront explicitement le QUAD dans la mer de Chine méridionale.

Les BRICS+ pourraient défier le G7 par leur taille, leur potentiel de croissance et la maîtrise d’une partie des grandes routes maritimes commerciales mondiales, mais des agendas politiques/géopolitiques divergents font de ce bloc un rival imparfait du G7, uni par des valeurs démocratiques et des liens géopolitiques renforcés (OTAN). L’UE envisage d’étendre son influence mondiale en guise de réponse. Le Japon renforce sa puissance militaire. Le statut du pétrodollar, le rôle du FMI et de la Banque mondiale pourraient s’affaiblir lentement, sans être remplacés par une alternative dirigée par les pays émergents – soumise à une gouvernance douteuse et opaque et à des politiques autocratiques. Les investisseurs sont réticents à détenir de la dette non libellée en USD.

L’initiative BRICS+ ne déclenche pas pour le moment d’opportunités d’investissement sur certains marchés d’actifs financiers émergents. Néanmoins, elle renforce l’attractivité sur les énergies fossiles. Le renforcement du pôle du «Sud Global» va progressivement modifier les grands flux de capitaux, ce qui compliquera le refinancement des déficits pays occidentaux prodigues, notamment des Etats-Unis.

 

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