Le titre de cette chronique aurait aussi bien pu être : « ta couleur, c’est le rouge », parce qu’on a connu des jours meilleurs. Cependant, la bonne nouvelle reste quand même qu’hier, ça n’était pas le pire 19 octobre de l’histoire. Néanmoins, faire parler Jerome Powell un 19 octobre, trois jours après avoir vu les Retail Sales crever le plafond et le tout avec le 10 ans américain qui frisait les 5% de rendement, il fallait oser. On aurait presque préféré apprendre que la Chine annexait Taïwan ou lire un communiqué de presse qui annonce que Biden à en fait quatre clones et que celui qui parlait depuis Air Force One était bourré!

L’Audio du 20 octobre 2023

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Petite claque et grosses baisses

Quoi qu’il en soit, la journée d’hier aura été principalement rouge et les seuls trucs qui montaient, c’était l’or, le pétrole, le rendement du 10 ans et Netflix. Et celui qui faisait le plus de bruit, c’était quand même le 10 ans. Alors moi ça fait pas loin de 18 ans que j’écris des chroniques boursières tous les matins. Oui, il y en qui font du « cross fit » à 7h30 le matin, moi j’ai déjà publié ma chronique à cette heure-là et je suis trop crevé pour aller faire du « cross fit » en plus. Mais toujours est-il qu’au cours de ces 18 ans, je peux vous dire qu’il a existé de longues, de très longues périodes où l’on n’a pas mentionné UNE SEULE fois le rendement du 10 ans. Sauf que là, en ce moment, on ne parle que de ça. Comme si le fait qu’il passe enfin les 5% de rendement allait nous changer la vie et arrêter de nous faire rêver sur le price target de Nvidia ou de Tesla.

Toujours est-il qu’hier, le rendement du 10 ans est passé au-dessus des 5%. Brièvement. Mais suffisamment longtemps pour que certains aient le temps de courir dans tous les sens en levant les mains en l’air et en criant : « Oh my GOD, oh my GOD », un peu comme un poulet qui vient d’être décapité dans une basse-cour, mais sans les mains. Parce que les poulets n’ont pas de mains et ils ne courent jamais les ailes en l’air. Même décapités. Si le rendement du 10 ans est passé au-dessus des 5% c’est aussi parce que Jerome il a parlé et que des fois, c’est quand même mieux quand il se tait… Jerome.

Économie trop forte et taux qui montent encore

Je voudrais tout d’abord commencer par dire une chose : « GOD BLESS AMERICA ». Je dois vous avouer que les USA sont tellement forts que je suis à la limite de me lever, de mettre la main sur le cœur et de chanter le « The Star-Spangled Banner », mais je me dis que comme il fait moche ça ne serait pas sympa que vous deviez m’imaginer, debout dans le salon en train de chanter « ÔôÔÔ Can you seeeeeeeeeeeee » – ce qui devrait inévitablement vous faire saigner les oreilles. Donc je ne chanterai pas l’hymne national américain, mais le cœur y est.

Le cœur y est parce qu’hier soir, Jerome l’a dit lui-même : « l’économie américaine, elle était trop forte et que l’emploi, il était trop fort aussi ». On est dans une période économiquement plutôt compliquée, le logement devient hyper-cher, la bouffe coûte un bras et on doit faire un choix entre faire le plein de la voiture et acheter de la viande, mais aux USA ; ça continue de cartonner dans tous les sens. Parfois même on pourrait se dire que l’on nous mentirait à l’insu de notre plein gré, mais en fait non. L’ultra-capitalisme américain semble faire absolument tout juste. En tous cas du point de vue de la FED.

Mais c’est pas tout

Alors Jerome Powell il a dit que l’économie elle était trop balaise, mais il n’a pas que dit ça. Il a aussi dit que COMME L’ÉCONOMIE ÉTAIT TROP FORTE, il se pourrait (éventuellement peut-être), qu’il soit obligé de monter les taux. Ou en tous les cas de les garder très très hauts pendant très très longtemps. Et c’est donc à cet instant très précis que le rendement du dix ans est passé au-dessus des 5% – tout en envoyant les bourses mondiales à la cave. Je schématise un peu et c’est peut-être un poil réducteur, mais le principe des vases communicants a encore une fois bien fonctionné : lorsque le 10 ans monte la bourse baisse. C’est un principe physique.

L’idée même de voir les taux monter encore n’a donc pas vraiment plus aux intervenants, même si ça n’est que spéculation et projections ésotériques, et les indices mondiaux ont fini au plus bas depuis une grosse semaine. Le S&P500 s’est arrêté sur la moyenne mobile des 200 jours et le CAC40 est retourné tester les bas du mois de mars, lorsque le système bancaire était en train de partir en vrille. Et puis, au-delà des indices boursiers qui donnaient brièvement l’impression de capituler – ou de « s’effondrer » comme j’ai pu le lire dans certains médias – bien que 0.8% de baisse ne ressemble pas un EFFONDREMENT de mon point de vue – nous avons également dû composer avec le pétrole qui monte, les tensions au Moyen Orient qui justifient toujours le besoin d’avoir une position short quelque part dans nos portefeuilles, Netflix qui s’envole et Tesla qui s’effondrait – parce que OUI, 15% en deux séances, ça c’est un effondrement !

L’or noir qui n’est pas d’or

Commençons la suite du reste de cette chronique par le sujet récurrent du moment : « quand est-ce que le pétrole sera à 100$ ? Cette semaine ou celle d’après ? ». J’ironise, bien sûr, mais il faut tout de même noter qu’hier le baril a tapé les 89.44$ sur le WTI, alors que le Brent est actuellement à 92.10$. Entre les tensions du Moyen Orient qui ne baissent pas et les parties qui ne sont pas foutues de savoir qui a détruit cet hôpital et QUI a commis un crime de guerre, sans compter l’Iran qui chauffe la salle, ça n’est pas simple. Mais en plus, hier nous avons eu les Américains qui ont annoncé leur intention de re-remplir leurs réserves stratégiques.

Alors bon, perso je ne suis pas expert en pétrole, ni un expert en finance, ni un expert en rien d’ailleurs. Mais la seule chose dont je me souviens, c’est que lors des élections de mi-mandat les Américains avaient liquidé leurs réserves stratégiques pour maintenir le prix du gallon d’essence sur « pas trop » cher. Le baril était pas loin de ces niveaux – un peu plus bas peut-être – ils sont donc en train de perdre du fric. Mais bon, ça c’est pas grave, parce qu’il n’y a plus de plafond de la dette. Non. Ce qui me surprend le plus c’est quand tu dis au marché : « Et les gars, attention, ces prochains jours je vais acheter du pétrole en masse !!! ». Sérieusement ? Mais qui fait ça ? Non parce que c’est un peu comme si au poker tu posais tes cartes sur la table pour que tout le monde sache que tu as 4 as dans ton jeu. Ça ne fait aucun sens, autant se tirer une balle dans le pied. En même connaissant Biden, je ne lui donnerais pas un flingue en ce moment, il est capable d’abattre son chien en direct sur CNN.

La magie des nouveaux abonnés

Donc, le pétrole monte, l’or est une valeur refuge qui frise les 2’000$ de nouveau et Netflix s’envole grâce à ses nouveaux abonnés. On l’a dit hier, mais pour être franc je ne pensais pas que 8.7 millions de nouveaux abonnés pourraient faire monter la capitalisation boursière de 21 milliards en une journée. 21 milliards, c’est la capitalisation de la Société Générale, additionnée à celle de Renault. En une journée. Pour 8.7 millions de nouveaux abonnés. Je dois dire que je reste songeur. Netflix aurait trouvé le remède contre le cancer, j’aurais compris, mais là… Alors pour vérifier je suis allé me vautrer dans le canapé et comme j’ai rien trouvé à regarder sur Netflix, je suis allé me coucher. Bref, Netflix est montée de 16%.

Par contre – toujours dans le concept des vases communicants ; puisque Netflix prenait l’ascenseur, il fallait qu’un autre se fasse défoncer et hier, c’était Tesla. Alors Tesla, on en a déjà parlé hier : les chiffres n’étaient top, le futur pas très brillant et Musk pas super-confiant. Ça, on le sait. Ce que l’on n’a pas trop supporté hier, c’est que pour la première fois depuis des années, les commentaires des analystes post-publication, étaient très noirs, très négatifs et l’on sait déjà que ces prochaines semaines on va avoir droit à une vague de révisions sur Tesla qui pourrait ne pas plaire. L’analyste de JP Morgan a même déclaré que la valorisation actuelle de Tesla était INTENABLE avec les chiffres qui ont été annoncés hier. Reste à espérer que les airbags fonctionnent.

Bain de sang en Suisse

Et puis, pendant que les Ricains s’excitaient sur LEURS chiffres, Nestlé et Roche ont publié leurs résultats trimestriels et ça ne s’est pas bien passé. Nestlé a déclaré avoir eu les 9 premiers mois de l’année qui ont été « difficiles » et Roche était en ligne, mais selon les médias ; les « experts » attendaient mieux. Nestlé a pris plus de 3% dans les dents et Roche, plus de 4%. Dans la foulée Novartis a suivi le mouvement et quand tu as Roche, Nestlé et Novartis qui se font défoncer, le SMI est au bord de l’apoplexie et le chart de l’indice suisse est – ce matin – le parfait exemple du « never catch a falling knife » – manquerait plus que la BNS monte les taux. On notera au passage qu’il est tout de même extraordinaire – encore une fois qu’une société comme Roche – publie des chiffres en ligne avec les attentes des analystes et que ces mêmes analystes, se pointent trois minutes plus tard pour te dire « Oui, bon d’accord, j’avais dit que j’attendais 3% de croissance, mais en fait en secret j’attendais 5%, alors forcément : je suis déçu »… Pauvre tache.

Graphique du SMI « Like a falling knife » – Source : Tradingview.com

Ce matin l’Asie est dans le rouge un peu partout, mais légèrement. On s’angoisse toujours sur le pétrole et sur le Moyen Orient et franchement, la photo actuelle n’est pas top et si je ne partais pas en vacances ce soir, je serais plutôt convaincu qu’on va se péter la gueule encore un peu plus, mais comme quand je suis en vacances, les marchés montent toujours, ça va bien se passer. Le pétrole est à 89.31$, l’or est à 1989$ et le Bitcoin attend toujours que la SEC se bouge pour son ETF made in BlackRock – il s’échange à 29’000$. Pour le reste, AT&T a publié de bons chiffres avec une amélioration de ses cash-flows et le titre bondissait de joie. Et puis autrement, Biden (ou l’un de ses doubles) est en train de demander 100 milliards au Congrès pour soutenir l’Ukraine et Israël. Encore une fois, c’est pas grave parce que le plafond de la dette, il n’existe plus.

Chiffres du jour

Côté chiffres du jour, ça sera la misère aujourd’hui. Il y a bien le PPI en Allemagne et deux ou trois banquiers centraux américains qui vont parler, mais ça sera à peu près tout. On va donc se concentrer sur les TENSIONS AU MOYEN ORIENT et sur le rendement du 10 ans et ce que l’on pourrait faire s’il venait à passer durablement la barre des 5% et ce qui pourrait se passer si on allait à 6% d’ici la fin de l’année. Oui, moi aussi j’ai le droit de dire n’importe quoi, ça n’est pas un droit réservé aux politiciens et aux analystes financiers.

Passez une excellente journée et comme je vous l’ai dit ; je suis en vacances la semaine prochaine et je vous retrouverai le 30 octobre pour parler du meeting de la FED, histoire de se poser encore une fois la question : les taux iront-ils plus haut et le pétrole cassera-t-il les 100$ avant Noël.

Excellente semaine à tous et à dans 10 jours !

Thomas Veillet
Investir.ch

« Don’t judge each day by the harvest you reap but by the seeds that you plant. » – Robert Louis Stevenson