Il faut se rendre à l’évidence : les marchés ne veulent pas baisser. On peut présenter tout ce qu’on veut comme arguments pour expliquer ce ne va pas ou ce qui « pourrait » ne pas aller, l’effet magique du Bull Market ne renoncera pas et la hausse sera toujours la hausse. Depuis le meeting de la FED du 31 octobre et 1er novembre 2023, le marché monte parce que les taux ne vont plus monter, puis ensuite parce que les taux allaient baisser en juin et puis ensuite en mars, histoire de chauffer la fin de l’année. L’ensemble du monde fabuleux de la finance mondiale qui sait où l’on va s’est donc convaincu que ça n’arrêtera jamais de monter. Et le pire, c’est qu’ils vont avoir raison.

L’Audio du 12 janvier 2024

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Rien à foutre

Personnellement, je suis le mec le plus bullish de la terre depuis que j’ai commencé dans ce métier. Comme j’ai pas fait de trop longues études, je me suis surtout concentré sur la logique des choses. En me basant simplement sur le fait que ce qui était évident, finissait quand même tout de même par se réaliser et que lorsque tout le monde pensait la même chose avec une conviction absolue, ça finissait toujours dans un mur. J’ai aussi appris que les « coups sûrs », c’est souvent aussi ceux qui coûtent le plus cher.

Il y avait aussi un vieux truc que l’on disait tout le temps dans les salles de trading, c’est que les bourses sont le reflet de l’économie. À l’heure actuelle, force est de constater que cette théorie à deux balles ne vaut plus rien. Bien au contraire, on dirait plutôt que les bourses sont dans leur propre délire, dirigées par des forces où on n’y est pas du tout et elles font principalement ce qu’elles veulent. De son côté, l’économie réelle – ou Main Street – comme on l’appelle affectueusement, eh ben ils font ce qu’ils peuvent pour regarder le soleil briller et, si possible participer au jeu en achetant aussi des actions, parce qu’il n’y a pas de raison de ne pas participer à la tombola.

Des chiffres pourris – mais on s’en fout tellement – ou alors on sait les interpréter

Depuis le début de la semaine, le marché ne foutait pas grand-chose parce qu’on nous disait que les chiffres de l’inflation qui allaient sortir jeudi après-midi seront LES CHIFFRES clé qui nous montreraient la voie. Donc les chiffres sont sortis. Et il faudra tout de même reconnaître que l’on a connu des jours meilleurs. Bien meilleurs. Le plan de marche était pourtant prévu depuis des mois : une inflation qui baisse, une économie qui ralentit, un emploi qui se calme et la FED qui se retrouve sans autre choix que de devoir baisser les taux…

Sauf qu’hier on s’est rendu compte que l’inflation était quand même repartie à la hausse. Aux USA aussi. Hier nous attendions donc 3.8% sur le Core CPI et c’est sorti 3.9% et le CPI « tout court » est sorti à 3.4% contre 3.2% attendu et 3.1% le mois dernier. Peu importe comment on le prend, peu importe comment on veut être optimiste et convaincu que la FED fait tout juste et que l’inflation est sous contrôle, on est clairement très très loin des objectifs 2% que la FED nous vend depuis deux ans. La question que l’on doit se poser MAINTENANT, c’est quand même de savoir si la FED va attendre que l’inflation – que le CPI « tout court » atteigne les 2% AVANT de baisser les taux. Ou alors est-ce qu’ils vont prendre le risque de baisser les taux en anticipant que l’inflation va continuer de baisser toute seule par l’effet magique de je-ne-sais-quel-miracle-économique mis en place par le gouvernement Biden.

Le mois de mars en question

Non, parce que je ne suis pas expert, mais d’après mes calculs, le mois de mars c’est dans 47 jours, le meeting de la FED où ils devraient baisser les taux, c’est dans 67 jours et l’inflation est à 3.4%. Si on veut aller à 2% en 67 jours, c’est pas un miracle qu’il va falloir mais carrément une intervention divine. Après, forcément on peut se dire que la FED va anticiper et baisser les taux avant qu’ils soient à 2%, mais depuis le premier janvier, 100% des membres de la FED qui ont parlé, ont déclaré – je cite : « qu’il est probablement encore un peu tôt pour baisser les taux » – qu’une éventuelle baisse POURRAIT éventuellement se produire dans la seconde partie de l’année. Ils sont unanimes. IL NE FAUT PAS CONFONDRE vitesse et précipitation.

Alors que le marché, lui, il est plutôt en mode précipitation et se fout pas mal des considérations des banquiers centraux au sujet des taux. Nous ce qu’on veut ; c’est que le taux baisse. Alors vous faites comme vous voulez. Mais faites-les baisser et qu’on passe à autre chose, mais en attendant, on achète. La réaction des marchés hier était symptomatique de ce que nous vivons : vous avez des chiffres économiques qui sont dégueulasses, que ça soit au niveau de l’inflation qui non seulement ne baisse plus MAIS QUI EN PLUS, repart à la hausse, mais PAR-DESSUS TOUT ça, on a en plus les Jobless Claims qui étaient nettement plus faibles que les attentes et qui disent que l’emploi est fort et que tout va bien de ce côté-là. Ça n’est pas DU TOUT CE QUE LA FED VEUT VOIR en ce mois de janvier.

On s’accroche au pinceau

Mais peu importe. L’inflation ne correspond pas du tout à ce que l’on attendait pour que nos prévisions « fonctionnent » – on ne va pas se prendre la tête pour autant. Wall Street a bien montré quelques signes de faiblesse après les publications économiques, mais il ne nous aura fallu que quelques heures pour digérer la déception et se dire : « oui, mais comme les taux sont hauts et que ça va bien finir par ralentir, ils baisseront tout de même les taux – un jour – DONC IL FAUT acheter, acheter et acheter encore ».

En fin de journée les indices américains avaient carrément renoué avec le vert et le S&P500 était toujours à quelques mètres de battre ses plus hauts historiques. J’ai quand même un peu l’impression que nous sommes l’âne que l’on fait avancer avec une carotte, mais ça n’engage que moi. Ou alors je ne sais pas, c’est peut-être parce que Gabriel Attal a eu une idée de génie pour son gouvernement et il s’est dit : « Tiens, si je mettais Bruno Le Maire à l’économie et aux finances ??? » – comme personne n’y avait pensé auparavant, ça a peut-être boosté les marchés financiers. Non, parce que rien qu’à l’idée d’avoir un visionnaire comme Bruno à ce poste (enfin, quand il n’écrit pas de bouquins de cul) , ça doit remotiver les marchés, relancer les économies et faire reculer l’inflation. C’est quand même lui qui avait vu l’effondrement de l’économie russe rien qu’en regardant Poutine avec mépris ou qui a annoncé la fin de l’inflation il y a trois semaines, juste avant qu’elle reparte à la hausse.

Il y a la théorie et la pratique

Bref, vous l’aurez compris ; en finance il y a la théorie et il y a la pratique. En théorie, avec les chiffres qui sont sortis hier et au vu de l’état des économies et de Main Street, sans même parler des problèmes qui menacent de nous péter à la gueule, le marché aurait dû se faire défenestrer. Ou en tous les cas reculer de 1.5%. Mais en fait non. Il faut peut-être simplement admettre que tant que les bourses mondiales sont sous amphétamines et que les vendeurs sont dans le coma, il faut peut-être arrêter de pisser contre le vent. Déjà parce que ça mouille les chaussures, mais aussi parce que l’euphorie est le truc le plus compliqué à mesurer dans le monde merveilleux de la finance, je dirais même le plus « impossible à mesurer ». Alors un jour on se fera un retour de chez retour, mais ça sera probablement le jour où j’aurais acheté des calls et où je me serais fait enlever le tatouage d’ours que j’ai sur l’avant-bras.

Ce matin l’Asie monte. Le Japon monte, comme tous les jours et à l’heure actuelle, le Nikkei est à 35’577, c’est un nouveau plus haut depuis 34 ans. Le reste ne fait rien et c’est très calme. En revanche, du côté du pétrole, le baril reprend l’ascenseur et se traite autour des 74$. Globalement tout le monde semble se foutre totalement de ce qui se passe dans la région de la Mer Rouge. La guéguerre entre les Houthis et les cargos qui se font hijacker continue. Hier un tanker a été pris en otage et emmené dans les eaux iraniennes, les Américains sont chauds-patate et doivent avoir les Navy Seals sur le pont et le Premier Ministre Britannique a donné le feu vert pour aller faire un carton dans la région. Les SAS vont pouvoir se lâcher et tout ça au bord des eaux territoriales iraniennes. Va juste falloir ne pas tirer au hasard et déraper en choisissant son cap maritime. Du coup, la tension sur le baril est de retour, ce qui va bien aider l’inflation à se calmer. L’or est à 2040$ et l’ETF Bitcoin n’a pas encore déclenché le rallye en direction des 100’000$, mais ça ne saurait tarder. Le Bitcoin est à 46’000$ et des poussières ce matin.

Nouvelles du jour

Hier pendant la séance, Microsoft est devenue la plus grosse capitalisation boursière US, mais ça n’a pas duré. Apple a repris son bien en clôture. Autrement, les titres de Tesla et de Hertz étaient en baisse hier. Telsa reculait de près de 3% et Hertz de plus de 4%. La raison ? Eh bien, en 2021, Hertz avait annoncé à grand renfort de marketing qu’ils allaient acheter 100’000 Tesla. Tesla avait d’ailleurs explosé sur la nouvelle. Mais à l’heure actuelle, Hertz est en train de pédaler en arrière, ils ne veulent plus de ce contrat, sont en train de vendre les voitures électriques qu’ils ont dans leur parc et veulent acheter des vrais moteurs à la place. Quand je pense tout le pataquès qu’on avait fait à l’époque pour en arriver là, ça donne envie de sourire.

Il y a aussi Lucid qui atteint un nouveau plus bas après avoir annoncé après une nouvelle déception sur leurs ventes. Le titre est en baisse de 95% depuis les tops de novembre 2021. Le mieux qui puisse leur arriver, c’est de mettre des V8 sous le capot. Boeing s’est encore un fois fait décalquer hier, parce que la FAA va lancer une vraie enquête sur le 737-max. Là aussi, j’ai une suggestion : on leur coupe les ailes ont les peint en jaune et on fait des bus scolaires avec. Même s’ils perdent une porte en roulant à 30 à l’heure, ça devrait aller. Et puis plus j’écris des trucs, plus les Anglais et les Ricains publient des news comme quoi ils sont en train de bombarder le Yemen en représailles des attaques des Houthis. Ça va sûrement aider à calmer le jeu dans la région. J’en suis certain. Ah oui, et puis dans les nouvelles dont on ne parle pas trop, il n’y a presque plus d’eau dans le canal de Panama. Entre le canal de Suez qui ne fonctionne plus à cause des rebelles et celui de Panama qui ne fonctionne plus à cause de la sécheresse, je suis convaincu que les détours occasionnés par ces menus problèmes, vont clairement aider l’inflation à se calmer.

Chiffres du jour

Côté chiffres du jour, il y aura le PPI dans le sillage du CPI et puis on va essayer de se changer les idées avec les chiffres du trimestre qui vont officiellement commencer en ce 12 janvier. Comme d’habitude, c’est les financières qui vont essuyer les plâtres. On attend JP Morgan, Citi, Bank of America et Wells Fargo dès la fin de matinée. C’est bien, comme ça on va pouvoir parler d’autre chose que d’inflation et de baisse des taux. Ça commençait à m’épuiser. Surtout parce que le marché s’en cogne.

Il me reste donc à vous souhaiter une très belle journée et un excellent week-end – on se revoit lundi pour des nouvelles aventures !

Soyez forts et que la force soit avec vous. Ou alors au moins Gabriel Attal.

À lundi !

Thomas Veillet
Investir.ch

“The greater damage for most of us is not that our aim is too high and we miss it, but that it it too low and we reach it.” —Michelangelo