Hier matin, lorsque j’écrivais cette même chronique, je me disais que ce marché avait la capacité absolument inouïe d’oublier ce qui ne va pas ou ce qui pourrait avoir des conséquences sur le long terme, pour relativiser absolument toutes les mauvaises nouvelles et racheter à la première occasion. Je me disais que les 1.37% de baisse que nous avons eu mardi soir étaient pratiquement ce que l’on pouvait espérer de « mieux » comme « sell-off ». Et ça n’a pas manqué de se confirmer, puisqu’en l’espace de quelques heures, les chiffres de l’inflation qui étaient bien dégueulasses mardi soir, ne sont devenus qu’un petit détail que l’on met de côté sur l’autel de la baisse des taux à venir.

L’Audio du 15 février 2024

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Le rebond

Nous n’avons donc pas perdu de temps pour racheter les indices et saluer la bonne santé de l’économie et l’excellent travail de la FED qui ne se précipite pas bêtement pour baisser les taux alors qu’il n’y en n’a pas besoin. Nous avons totalement oublié que la hausse de ces 14 dernières semaines avait été induite par notre certitude de voir baisser les taux en mars. À l’heure actuelle, on a vraiment l’impression que nous nous faisons violence pour réécrire le narratif haussier toutes les 24 heures et ce, en fonction de ce qui nous arrange le mieux pour expliquer et justifier pleinement la hausse permanente (ou presque) de la plupart de indices mondiaux.

À l’heure actuelle, nous sommes donc hyper-heureux de savoir que l’économie va bien et que la FED puisse se donner le temps de calmement trouver le bon moment pour baisser les taux. Comme disait un stratégiste encore hier soir : « ça n’est pas important de savoir quand est-ce que les taux vont baisser, tant que l’on sait que l’intention est là !!! ». Oui, c’est vrai, à quoi bon se fixer des échéances, on peut tout à fait attendre tranquillement que ça soit le moment et acheter du Nvidia, du Super-Micro et du Bitcoin en attendant. On pourrait d’ailleurs faire la même chose pour les impôts – ça n’est pas VRAIMENT important de les payer, tant qu’on àa L’INTENTION DE LE FAIRE… Un jour…

Tout va bien

On ne va donc pas perdre notre temps à réfléchir plus longtemps, il suffit de savoir que la FED fait un SUPER-BOULOT et qu’elle a TOUT À FAIT raison de ne pas se précipiter de baisser les taux. Et puis, de toutes façons, économiquement tout va bien, ça cartonne et c’est toujours très compliqué de baisser les taux dans un environnement qui va si bien. La plupart des experts sont donc en train de revoir leur copie et la stratégie qui disait que l’on anticipait la baisse des taux pour justifier la hausse de 21% de ces trois derniers mois a été totalement effacée des tabelles et nous nous tapons dans le dos pour se féliciter du fait que tout va tellement bien que cela nous permet tranquillement d’attendre que la FED baisse les taux au moment qui lui paraîtra le plus opportun.

Aujourd’hui, on rivalise même de statistiques et de calculs savants pour s’auto-convaincre du monde parfait dans lequel nous vivons. Ce matin je lisais que 90% des « experts » pensent que la FED ne baissera pas les taux en mars ! NON ????? SANS BLAGUE ????? Et le pire, c’est que les gars viennent te dire ça comme si c’était le fruit d’une immense réflexion et du fait qu’ils ont bossé trois jours et deux nuits pour en arriver à cette conclusion. Il y a 2 semaines, la moitié de ces mecs pensaient que la FED allait baisser les taux en mars et là on nous explique par A+B qu’en fonction de la situation actuelle et de l’état de santé merveilleux de l’économie américaine, ON CONSEILLERAIT quand même à Powell d’attendre un peu, mais de ne pas fermer la porte à la baisse des taux. C’est important de laisser de l’espoir aux gueux.

Je retourne ma veste

Bref, tout ça pour vous dire que ce marché ne veut pas baisser et qu’il ne baissera pas tant qu’il ne se passera pas un truc pour faire tourner la veste à tout le monde. À l’heure actuelle nous sommes tellement convaincus du fait que nous vivons dans un monde parfait que je m’attends à croiser Casimir et les Bisounours sur le plateau de CNBC d’un instant à l’autre… Les taux ne baisseront pas et c’est pas grave, même si c’est un peu là-dessus que l’on comptait pour justifier la hausse stratosphérique des marchés, mais c’est pas grave, parce que maintenant on sait que les marchés montent parce que l’économie elle va TROP BIEN et que l’on sait que la monétisation de l’Intelligence Artificielle va compenser tout ça et faire pleuvoir du pognon sur les USA, rembourser la dette du gouvernement et permettre à monsieur-tout-le-monde de rembourser ses cartes de crédits avec les gains en bourse que l’on fait chaque jour sur Super-Micro Computer.

La baisse de mardi a été pratiquement effacée par l’enthousiasme général sur les taux d’intérêt et sur l’intelligence artificielle. Et tout le monde a retrouvé le sourire, sauf les 4’200 employés de Cisco qui vont se retrouver à pied après l’annonce d’hier soir. Après que la boîte de networking a annoncé une guidance en baisse et un nettoyage à l’interne pour baisser les coûts. C’est pas forcément une bonne nouvelle, mais 4’200 salaires de moins, ça devrait améliorer les états financier sur le moyen terme, Cisco perdait quand même 5% after close, mais ça va bien se passer – une fois que les taux baisseront – un jour, maintenant que l’on sait que la date n’est pas importante et que c’est l’intention qui compte !

Tout ça pour vous dire

Tout ça pour vous dire que les marchés vont bien, que l’optimisme est de mise et que chaque baisse – même minime – doit être utilisée comme une opportunité d’achat. Et puis alors, ceux qui pensent que les valorisations sont « un poil étendues », la Société Générale estime que « ça n’est pas si cher » argumentant sur le fait que si l’on veut comparer les prix actuels à la bulle internet de l’an 2000, il y a encore 25% de potentiel de hausse avant que l’on puisse reparler « d’exubérance irrationnelle » et ressortir Greenspan de la naphtaline.

Après, d’aucuns pensent tout de même que l’hyper-concentration des titres « qui font monter le marché » est un risque non négligeable et que si la FED attend trop longtemps pour baisser les taux, il y a un risque de laisser partir l’économie en récession. Mais pour l’instant, le camp des Bears est toujours au fond d’une grotte et ils sont visiblement bloqués par un éboulement et pas près de ressortir. En conclusion, le marché a rebondi, le S&P500 a repassé au-dessus des 5’000 et la vie est belle tant que tu fais de l’intelligence artificielle et que t’es pas employé chez Cisco ou chez Morgan Stanley, parce que eux aussi, ils sont en train de licencier massivement dans le domaine du « Wealth Management ».

En Asie

Alors que les Chinois sont toujours en vacances, le Japon repart à la hausse après la séance des Américains et ce, même si les chiffres de leur PIB étaient médiocres – puisque selon les dernières indications, le Japon est en récession. D’où la hausse du Nikkei qui est au-dessus des 38’000 et atteint des niveaux plus vus depuis 35 ans. Le Bitcoin est à 52’000$ et l’euphorie est de retour. Quant au pétrole, il est à 76$ et des poussières pendant que l’or est à 2004$.

Dans les nouvelles du jour, on commence à voir que certains fonds de pension publics aux USA, sont en train d’augmenter leurs expositions au risque via des stratégies de leviers relativement risquées. Alors que les marchés sont au plus haut de tous les temps, ça paraît assez logique. Je me rappelle qu’en l’an 2000, 2 mois avant que tout parte en vrille, l’AVS était venue acheter massivement des actions technologiques. Il y aussi Poutine qui a déclaré qu’il préférerait voir Biden rempiler pour un second mandat, plutôt que Trump revienne. Il faut dire que c’est beaucoup plus drôle de voir Biden se ridiculiser pendant 4 ans de plus.

Le reste

Autrement, il y a Fastly qui a publié des revenus inférieurs aux attentes, le titre se faisait exploser de 20% after close. Et puis on notera que la folie de l’IA continue, Taïwan Semi’s a été upgradé par Morgan Stanley À CAUSE des perspectives de l’IA et le titre a explosé de 10% et Super-Micro est en hausse de 190% depuis le 19 janvier. Tout est normal et il n’y a aucune surchauffe ! Aucune survalorisation, tout est paisible.

Côté chiffres du jour, il va y avoir du monde, puisqu’il y aura le PPI en Suisse, le Trade Balance en Europe et aux USA, les Jobless Claims aux States, le New York Empire State Manufacturing Index, le Philly FED, la production industrielle et les ventes de détail. Il y aura aussi Lagarde et Waller qui parleront. Pour le moment, les futures ne font rien, mais le plus important c’est de se souvenir que plus rien ne peut nous faire du mal et que les marchés n’arrêteront plus de monter. Pour le moment en tous les cas.

Excellente journée à tous et on se voit demain pour la suite des aventures merveilleuses du monde merveilleux de la finance au pays des Bisounours.

À demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Thousands of experts study overbought indicators, head-and-shoulder patterns, put-call ratios, the Fed’s policy on money supply…and they can’t predict markets with any useful consistency, any more than the gizzard squeezers could tell the Roman emperors when the Huns would attack.”

Peter Lynch