Fondamentalement, techniquement et psychologiquement, rien n’a changé entre la séance de mercredi et celle de jeudi. Les intervenants sont toujours « contents parce que les taux, ils vont baisser un jour » et pour le reste, soit on se pâme de joie devant les chiffres du trimestre qui battent les attentes et qui nous sortent des commentaires avec plein de superlatifs dedans. Et on massacre les boîtes qui sont plus méfiantes sur l’avenir et qui ont l’outrecuidance d’oser dire que l’avenir ne sera pas simple. On regarde un peu les chiffres économiques et on fait comme si chacun d’entre eux pouvait changer la ligne directrice de la FED, mais au fond, on se demande tous si tout ça peut durer…

L’Audio du 9 février 2024

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Les 5’000 comme obsession

Oui, on se demande tous si cette hausse permanente peut encore durer longtemps et si, après 20% de hausse, le S&P500 n’aurait pas « BESOIN » d’une pause. Je ne parle même pas d’un krach ou d’un « Bear Market », mais juste d’une petite baisse de 10% histoire de nous laisser souffler et reprendre nos esprits. Dans les écoles de finance on nous dit tout le temps que les arbres ne peuvent pas monter au ciel. Pourtant, depuis quelques mois, c’est quand même ce qu’ils sont en train de faire. Néanmoins, lorsque l’on regarde les indicateurs contrariants comme la volatilité ou le put-call ratio (qui devrait bientôt être renommé le CALL-CALL Ratio), on voit que l’optimisme et la confiance reste omniprésentes.

Pourtant, pour ceux qui ont vécu autre chose que la hausse des marchés boostés par l’intelligence artificielle, il est difficile de croire que cette tendance puisse durer sur le long terme. Alors soit, je veux bien croire que l’IA est une révolution et que le monde tel que nous les connaissons est en train de changer. D’ailleurs quand je vois des débiles qui se baladent dans la rue avec des casques Vision Pro sur la tronche en faisant mine de brasser de l’air devant eux pour faire bouger des écrans que personne ne voit, je me dis clairement que je ne veux même pas savoir comment sera le monde de demain. Mais de là à croire qu’une boîte qui se lance dans le business de l’IA et qui ne sait pas encore vraiment comment ils vont monétiser la chose, soit multipliée par 4, 5, 6 ou 10 en l’espace de quelques mois, je me pose tout de même des questions. À tort, sûrement, mais je m’en pose quand même.

Peu importe flacon…

Mais peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. En ce moment, si vous annoncez des chiffres au-dessus des attentes et que vous donnez une conférence de presse pour annoncer que vous êtes les meilleurs du monde et que votre technologie va changer le monde, il y a bien des chances que vos investisseurs disjonctent dans la minute et achètent tout et n’importe quoi, mais surtout : n’importe comment. S’il vous faut un exemple, on peut parler de ce qui s’est passé sur ARM hier.

La société a donc publié des chiffres meilleurs que les attentes et annoncé que leur technologie est la meilleure de l’histoire du monde. On voit tout de suite l’ambiance que ça peut donner. Depuis l’IPO de la société, tout le monde nous dit que c’est trop cher à 70$ et que c’est surévalué et hier, sur l’annonce délirante de la société, le titre terminait sa séance en hausse de 47%, avec des pics à +64%. La capitalisation boursière frise dorénavant les 80 milliards. La plupart des analystes ont révisé leurs objectifs hier matin avant l’ouverture et leurs objectifs à 12 mois étaient atteints à 9h00 du matin. Certains ont même dû modifier leurs objectifs deux fois dans la journée. Je ne suis pas sûr que l’on soit complètement rationnels dans nos prises de décisions à l’heure actuelle, mais disons que la dernière fois que j’ai vu des paniques à l’achat comme hier, c’était au mois de mars de l’an 2000. Alors oui, oui, je sais : « on ne peut pas comparer, parce que cette fois ; c’est différent ».

…pourvu qu’on ait l’ivresse

Alors admettons : cette fois c’est différent. Sir Templeton disait exactement le contraire et expliquait que les mots les plus dangereux que l’on pouvait entendre dans une salle de trading étaient justement : « CETTE FOIS C’EST DIFFÉRENT » – mais on va dire que pour cette fois, il s’est gouré, qu’en plus il est mort et que si ça se trouve, les marchés ne sont plus les mêmes et les traders, les investisseurs et la psychologie humaine n’est plus la même.

On se souviendra que Templeton a aussi dit que « Les Bull Markets naissent dans le pessimisme, croissant dans scepticisme, deviennent matures dans l’optimisme et meurent dans l’euphorie ». Mais là encore, on s’en fout. On s’en fout parce que l’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE est la solution à tous les maux, qu’elle va résoudre les problèmes géopolitiques, contrôler l’inflation, faire ralentir l’emploi (mais pas trop), relancer la croissance (mais pas trop), remplacer Jerome Powell et Christine Lagarde, faire disparaître les trottinettes électriques de nos rues et nous faire tous gagner à l’Euromillions pour que nous puissions tous regarder nos robots personnels tondre le gazon de nos maison depuis le bord de la piscine pendant que l’on surfe sur le net avec notre casque Vision Pro amphibie.

On se calme

Bon, là je m’emballe. Comme le marché d’ailleurs. En tous les cas, ARM a fait disjoncter les marchés technos encore une fois, sans compter que tout ce qui pouvait collaborer ou être connecté à la réussite d’Arm Holding, montait dans son sillage. Il y a une boîte qui s’appelle Monolitic Power qui a explosé de 17% hier parce qu’un analyste a augmenté son price target a 789$ en ajoutant un argument en béton : « Achetez MPWR pour une croissance supérieure et une exposition croissante à l’intelligence artificielle ».

Pour moi, c’est pas une recommandation, c’est un slogan publicitaire. Mais passons. Il faut aussi retenir que Monolitic Power est en hausse de 95% depuis le 1er novembre et que son Price/Earning frise les 100. Nous voici donc arrivés à la phase des « argumentaires de vendeurs de voitures », en gros ; tout est bon pour vous faire acheter des actions. Je m’attends à tout moment qu’un analyste viennent nous dire d’acheter Super-Micro, parce qu’un « micro super, c’est mieux qu’un micro tout court ».

Le doute m’assaille mais je vais me taire

Bref, tout ça pour vous dire que je ne sais pas si nous sommes en pleine euphorie ou si elle commence à peine, ou qu’elle va nous péter à la figure dans quelques jours, mais il y a des signes qui ne trompent pas. Je ne remets pas en question le potentiel de l’intelligence artificielle – bien que je me demande comment on va monétiser tout cela alors que de plus en plus d’Américains ont besoin de deux jobs pour s’en sortir et que bientôt la moitié de l’Europe sera en récession, mais peu importe. Admettons que l’intelligence artificielle est une révolution plus révolutionnaire que la roue ou l’invention du train à vapeur ou mieux ; que c’est même mieux que la voiture électrique. Je ne suis pas complètement certain que survaloriser une action en pariant sur ce qu’elle va gagner dans les 10 prochaines années soit une bonne idée sur le long terme.

Quoi qu’il en soit, hier le S&P500 a tapé les 5’000 dans la dernière minute de trading avant de clôturer juste en-dessous. On fait durer plaisir. Pour le reste, on s’est emballé sur les publications de Kering, puisqu’il n’y pas que le luxe de Bernard Arnault qui plaît aux Chinois qui ont ENCORE du pognon, Kering était en hausse de 5% et sauvait la journée du CAC. On saluait les chiffres de Disney parce que tout le monde est en train de se dire que le pire est derrière et puis Ralph Lauren a explosé de 16%. Non pas parce qu’ils vont mettre de l’IA dans leurs chemises avec le petit joueur de polo, mais parce qu’ils ont publié des chiffres nettement au-dessus des attentes, que la saison de Noël a été géniale et que les ventes sont en hausse de 30% en Chine. En gros, les Chinois achètent des Ferrari’s, des sacs Vuitton moches en plastique et des polos Ralph Lauren de toutes les couleurs. On notera quand même que le titre est en hausse de 110% sur 18 mois et que la plupart des vêtements achetés chez eux sont achetés à crédit et n’ont pas encore été payés par leur nouveau propriétaire qui va payer 27% d’intérêt sur sa carte de crédit.

En Asie

Ce matin le Nikkei est en hausse de 0.5% et au plus haut depuis plus de 34 ans – les records ne sont plus qu’à 5%, Hong Kong recule de 0.84% mais fermera à 12h00, quant à la Chine, ils sont fermés pour cause de Nouvel An chinois. Le pétrole repart à la hausse parce qu’un Ministre Indien a dit que si les Indiens ne traiteraient pas avec les Russes, le baril serait DEUX FOIS plus haut et aussi parce que les Israéliens ont refusé le cessez-le feu avec le Hamas. On ne va pas faire de commentaires sur le sujet, même si Biden a estimé que la réponse des Israéliens face aux attaques du Hamas était un peu « Over the top ». Il va encore se faire des amis. Mais c’est pas grave, il aura oublié demain. Le baril est donc à 76.29$. L’or est à 2048$ et le Bitcoin casse les 45’000$ et se traite à 46’000$. Au plus haut depuis l’approbation des ETF’s…

Dans les nouvelles du jour on retiendra que le procureur qui a enquêté sur Biden dans l’affaire de la rétention des documents concernant son fils, a estimé qu’il n’était pas nécessaire de poursuivre le Président en justice. Et il a ajouté que « le Président Biden était un vieil homme sympathique qui avait des problèmes de mémoire ». Le Président a moyennement apprécié la remarque et il a expliqué lors d’une conférence de presse que sa mémoire était parfaite – et qu’hier encore il en parlait encore avec Elvis Presley qui lui confirmait que tout allait bien – dans la foulée, il a confondu le Président Égyptien et Mexicain. Bon, sur ce coup-là, je ne peux pas lui en vouloir mon non plus je ne sais pas qui est qui.

À noter encore

Autrement, Trump a remporté les primaires dans le Nevada, sans surprise. Le cacao est ENCORE une fois au plus haut de tous les temps, il est temps de passer à autre chose que le chocolat chaud ou le café le matin, tellement ça augmente. Je crois que les prix du Jack Daniels ont moins augmenté, ça pourrait être une alternative. Et puis il y a aussi Jeremy Siegel de la Wharton School – l’homme qui passe plus de temps sur CNBC que dans une salle de classe – qui estime que même si le S&P500 passe les 5’000, il n’est de loin pas encore surévalué. Ah bon ? Les PE’s sont au plus haut de tous les temps, mais c’est pas cher.

Côté chiffres économiques, nous aurons le CPI en Allemagne et le patron de la Bundesbank qui parlera. Et puis il sera temps de partir en week-end. Pour le moment, les futures sont en très légère baisse, mais pas suffisamment pour nous empêcher de clôturer au-dessus des 5’000 ce soir !

Passez une très bonne journée et un excellent week-end !

À lundi pour compter les jours avant le DOW 40’000 !!!

Thomas Veillet
Investir.ch

“The function of economic forecasting is to make astrology look respectable.”

John Kenneth Galbraith