Wall Street vient de terminer officiellement sa pire séance de l’année. Les indices ont globalement perdu 1.3% sur la séance d’hier. Il n’y a donc pas de quoi se rouler par terre en signe de protestation. Cependant, cela démontre que nous sommes de moins en moins immunisés contre des mots qui pourraient ne pas plaire ou des baisses de taux qui pourraient ne pas venir. Et puis il y a la volatilité. Hier, lorsque les choses ont tourné vinaigre, soudainement tout le monde a voulu acheter de la protection et le VIX s’est envolé brutalement. De 13% en début de séance, nous avons terminé la journée à 16.34%. À quelques heures des cruciaux chiffres de l’emploi, on sent un peu de fébrilité.

L’Audio du 5 avril 2024

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Une conjonction de choses qui ne font pas plaisir

La raison de la baisse subite d’hier aura été causée par une multitude d’évènements qui ont eu la fâcheuse tendance à se produire tous plus ou moins au même moment. Pourtant la journée avait bien commencé. D’ailleurs les marchés européens ont tous terminé la séance proche de l’équilibre et à l’heure où nous, les gens du vieux continent, rentrions à la maison, rien ne laissait supposer que la séance américaine aller se terminer dans ce que l’on peut qualifier comme étant « la pire journée de l’année – pour l’instant ».

La réaction en chaîne aura donc commencé par une « prise de conscience ». Une prise de conscience comme quoi le pétrole est trop cher et, alors que le Brent franchissait la barrière psychologique des 90$, les intervenants commençaient soudainement à se demander si cela pourrait être supportable longtemps et si cela ne pourrait pas avoir des conséquences négatives pour le reste de l’économie en général et pour l’inflation en particulier. Il faut tout de même reconnaître que notre perception à propos du baril est tout simplement fabuleuse. Nous avons le pétrole qui est en hausse depuis le 13 décembre 2023 – une « golden cross » qui se dessine le 25 mars et tout le monde s’en fout parce que l’Intelligence Artificielle, c’est trop cool et que la FED, elle va baisser les taux en juin, c’est une certitude.

Et puis, pour une raison que j’ignore, soudainement, pratiquement du jour au lendemain, on s’aperçoit « QUE C’EST QUAND MÊME BEAUCOUP MONTÉ !!!» Un peu comme si le prix du baril était passé de 72.50$ à 86.50$ en l’espace de quelques minutes. Comme si nous avions fait un « black out », personne ne l’a vu monter. Et tout d’un coup, hier soir le réveil était difficile. On parle d’un WTI à 95$ pour l’été et de conséquences lourdes à porter pour l’économie. Bref, pas besoin de vous faire un dessin.

Et puis il y avait la raison de la hausse

Pendant que certains regardaient les cours du brut prendre l’ascenseur, d’autres cherchaient la raison de cet engouement subit pour l’or noir. Là aussi, les raisons étaient diverses et variées. On parlait des coupes de production en provenance de l’Arabie Saoudite, on parlait de l’augmentation de consommation à venir avec la « driving season » cet été aux USA et puis on prenait surtout note de l’escalade des tensions au Moyen Orient. Ce que l’on craignait depuis un moment semble être en train de se cristalliser et on a un peu l’impression que le pilonnage systématique de la bande de Gaza et le bombardement de l’Ambassade Iranienne à Damas, pourrait déclencher une nouvelle escalade qui prendrait forme d’une attaque iranienne sur Israël. C’est en tous les cas ce que laisse à penser les mots du Premier Ministre Israélien. Le problème, c’est justement les craintes d’escalade. Si l’Iran attaque Israël, les Américains ne peuvent pas laisser faire, ils vont donc devoir intervenir.

Et si les Américains interviennent, ils ne pourront plus trop s’occuper ni la ramener au sujet de l’Ukraine et vont devoir laisser la Chine s’occuper de Taïwan sans trop hurler au scandale. Hier Biden a demandé à Netanyahou de se bouger en direction d’un cessez-le-feu pour calmer les choses, mais on a un peu l’impression que ça fait bien longtemps que plus personne n’écoute Biden. Même lui, il ne s’écoute plus. Enfin, lui il ne s’entend plus, c’est pas pareil. Toujours est-il que ces bruits de bottes n’arrangent rien à la dynamique du baril qui verrait d’un assez mauvais œil un embrasement de la région.

Les taux et l’inflation

Et puis, pendant que l’on faisait des calculs et que l’on prenait de selfies avec le cours du BRENT en arrière-plan pour pouvoir montrer à nos petits-enfants qu’on a vu ça une fois dans notre vie, un troupeau de banquiers centraux a été lâché sur Broadway, il n’y avait pas autant de monde que durant la gay-pride, mais les mots des uns et des autres se sont transformés en maux pour les bourses mondiales. Alors que depuis 24 heures nous étions à la chasse aux arguments qui pourraient justifier une baisse des taux en juin, soudainement les gars de la FED nous ont noyés sous une avalanche de doutes qui a tout remis en question.

Hier soir, Kashkari a parlé. Et dans son discours il a dit qu’il s’attendait « toujours à deux baisses de taux en 2024, mais qu’il n’excluait pas la possibilité qu’il n’y en ait aucune ». Autant vous dire que le marché n’a pas retenu la première partie de la phrase qui disait : « JE M’ATTENDS TOUJOURS À DEUX BAISSES DE TAUX ». Mais en revanche, il a été TRÈS réceptif à la seconde partie qui disait : « IL EST POSSIBLE QUE LES TAUX NE BAISSENT PAS EN 2024 ». Encore une fois nous sommes revenus aux espoirs de baisse des taux en juin qui sont (ou qui pourraient) être repoussés à plus tard. Et le marché n’a pas aimé. Il n’a pas aimé, parce qu’en plus de Kashkari, il y a aussi Thomas Barkin de la FED de Richmond qui lui, a carrément plaidé pour laisser les taux là où ils sont pour le reste de l’année… Vous rajoutez à cela le fait que dans quelques heures il y aura les chiffres de l’emploi qui – selon les croyances du marchés – s’ils sortaient trop élevés, auraient le pouvoir d’enterrer définitivement la baisse des taux du mois de juin et vous aviez un cocktail explosif pour la « pire séance » de l’année.

Pour faire simple

Tout ça pour dire que si l’on simplifie ; les banquiers centraux qui étaient devenus DOVISHS sont en train de RE-tourner la veste, le pétrole est trop cher, la guerre au Moyen Orient est trop proche et le marché est quand même vachement haut, manquerait plus que l’emploi soit trop fort et ça serait trop moche. La question que tout le monde se pose est donc de savoir si quelque chose a été cassé dans le Bull Market ou si la puissance du taureau est toujours avec nous. Si l’on regarde la performance des titres qui ont été les stars de ce premier trimestre sur la séance d’hier, on a quand même un peu l’impression que nous sommes sur le Titanic et que l’on vient de se rendre compte qu’il n’y aura pas assez de chaloupes pour tout le monde. Sauf que dans la finance, c’est pas les femmes et les enfants d’abord et c’est chacun pour soi.

Notez tout de même les claques dans le secteur tech : Nvidia plongeait de 3.8% et est en baisse de 11% sur deux semaines, Super Micro était en baisse de 5.6% et recule de 22% depuis mi-mars. AMD perdait 8% hier et est en baisse de 27% depuis le 8 mars, la séance d’hier était d’ailleurs sa pire séance de l’année à elle aussi. Tout ça pour dire qu’il ne manquerait plus que les chiffres des NFP’s sortent en-dessus des 230’000 créations d’emplois et la baisse des taux en juin ne sera qu’un fantasme de plus en 2024.

Pour le reste, on attend 14h30

Ce matin le Japon se prend 2% dans les dents pour les mêmes raisons que les USA se sont plantés hier. Hong Kong baisse de 0.7% et les Chinois sont toujours en vacances. Le WTI est à 86.81$ et le BRENT est à 91.03$. Mon conseil du jour : ne faites pas le plein pour le moment, vous n’allez pas aimer. L’or est à 2296$ et le Bitcoin frise le 68’000$.

Dans les nouvelles qu’il faudra retenir, il y a Yellen qui est en pleine tournée en Chine, on ne sait jamais ce qui pourrait en sortir. Il y a aussi Biden qui déclare que l’économie américaine est la meilleure du monde. Samsung qui annonce un profit en hausse de 900% parce que le prix des semiconducteurs remonte – en même temps 900% de rien, ça fait toujours pas grand-chose. Apple licencie 600 personnes après avoir terminé son projet de voitures électrique. À propos de voitures électriques, Ford est en train de botter en touche et de repousser la production de certains modèles électriques pour se concentrer sur l’hybride – j’ai le sentiment que le vent est en train de tourner à une vitesse, c’est inouï.

Pour le reste ce vendredi sera le « vendredi de l’emploi ». Les stars de l’économie s’attendent en moyenne à ce que les NFP’s augmentent de 212’000 en mars et à que le taux de chômage baisse de 3,9 % à 3,8 %. La croissance des salaires horaires devrait ralentir pour atteindre un taux de 4,1 % contre 4,3 % en février. Les attentes de 212’000 sont assez élastiques, étant donné qu’il y a eu pas mal de révisions hier – un peu comme si certaines personnes étaient déjà au courant des vrais chiffres. Toujours est-il que si les données sont au-dessus des 225’000, ça risque d’être difficile pour les espoirs de baisse des taux, même si l’on sait que la fiabilité des chiffres des non-farm payrolls est à peu près aussi bonne que la fiabilité d’une Traban avant la chute du mur de Berlin.

Autrement

La semaine se termine donc un peu en queue de poisson, la dernière séance pourra peut-être jouer le rôle de juge de paix si l’emploi nous retourne la situation, mais à voir la réaction du marché hier, on peut avoir des doutes. En tous les cas, une chose est sûre – c’est beaucoup moins drôle que la semaine dernière, quand les records tombaient comme des mouches.

En ce qui me concerne, il me reste à vous souhaiter un excellent week-end et on se retrouve lundi pour une vraie semaine complète où l’on va s’éclater avec plein de banquiers centraux, le CPI et le PPI pour mettre l’ambiance et la BCE qui annoncera ce qu’elle va faire de ses taux pour couronner le tout. Ça va être très chaud (encore).

Bref : bon week-end et à lundi !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Wealth is when small efforts produce big results. Poverty is when big efforts produce small results.” – Unknown