Lors de la publication du PIB américain, il y a 10 jours de cela, le monde merveilleux de la finance s’était vu obligé de se replonger dans les livres d’économie pour potasser la définition d’un mot que l’on pensait enterré à jamais. La définition était la suivante : « une période de croissance molle avec une inflation forte s’appelle une stagflation ». Nous avions alors plongé dans une sorte de spirale angoissante et nous n'avons eu droit à notre salut que grâce aux six magnificent seven ont réussi à publier des chiffres trimestriels globalement bons. Et puis vendredi dernier il y a eu les chiffres de l’emploi américain qui nous ont sauvé la mise en étant ni trop forts, ni trop faibles.

L’Audio du 6 mai 2024

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Juste au milieu

La semaine dernière aura donc été passionnante. Entre les chiffres d’Apple, ceux d’Amazon, le FOMC Meeting et les chiffres de l’emploi, on ne pouvait pas demander mieux. Autant on pouvait espérer beaucoup de la part d’Apple ou d’Amazon, ça n’est pas franchement les chiffres de l’emploi sur qui j’aurais parié en début de semaine si l’on m’avait demandé qui serait décisif à la fin de semaine. Je n’aurais pas mis dix balles dessus, parce que l’on sait parfaitement que depuis des mois, les attentes sont systématiquement à côté de la plaque et que le mois prochain, les données seraient corrigées rendant ipso-facto les chiffres qui devaient sortir vendredi dernier, obsolètes et sans intérêt. C’est en tous cas ce que j’avais pensé, parce que je croyais que nous, investisseurs avisés, nous aurions déjà compris que ces chiffres étaient bidons depuis des mois et que ça ne faisait plus aucun sens de compter sur eux pour prendre des décisions d’investissement.

Mais visiblement c’est comme la blague des deux hommes qui vont voir un film de guerre au cinéma. Et à un moment du film, l’un des deux gars chuchote à son ami : « je te parie 100 francs que le gars de droite va partir en courant dans le champ devant lui et qu’il va sauter sur une mine et mourir ». Son ami le regarde, lui tend la main et accepte le pari. Quelques secondes plus tard, le soldat cours à travers le champ, saute sur une mine et meurt. Le type sort 100 francs de son portefeuille et les tend à son ami. Lequel lui repousse la main en disant : « Non, mais c’est pas juste, j’avais déjà vu le film, je ne vais te prendre ton argent ». Et l’autre lui répond : « Mais moi aussi j’avais déjà vu le film, mais je ne pensais pas que le mec serait aussi con pour sauter deux fois sur la MÊME MINE !!! »…

Comme au cinéma

Eh bien les chiffres de l’emploi, c’est pareil, je n’aurais pas pensé que l’on serait suffisamment idiots pour y croire encore. Mais force est de constater que c’est le cas. Vendredi nous attendions 240’000 créations d’emploi et c’est sorti à 175’000. Alors vous me direz que 65’000 emplois créés de moins dans un pays de 380 millions d’habitants, c’est pas non plus la fin du monde et la récession qui s’annonce, mais le marché a ADORÉ parce que Powell a dit que si le ralentissement de l’emploi était trop fort, la FED n’hésiterait pas à baisser les taux. Là encore, je ne suis pas certain que 65’000 emplois de moins vont pousser Powell à baisser les taux en juin. Mais peu importe, nous sommes tellement obsédés par cette thématique et on l’a tellement mauvaise de ne pas avoir eu de baisse des taux comme prévu, que l’on se raccroche à tout et n’importe quoi.

Donc on était content parce que l’emploi était faible et que la FED va donc – je cite – pouvoir envisager de bientôt baisser les taux. Je résume donc, il y a une semaine on commençait tout juste à admettre que la baisse des taux on allait pouvoir se l’accrocher derrière les oreilles et là, sur le coup d’un chiffre – l’espoir renaissait à la vitesse de la lumière au carré. Et puis ça n’est pas tout ; souvenez-vous, après les chiffres du PIB, on s’était dit que potentiellement nous pourrions nous trouver à l’aube d’une stagflation et que la croissance molle couplée à l’inflation forte, ça n’était jamais terrible. SAUF QUE LÀ, avec « seulement » 175’000 créations d’emplois, on était content que parce que chiffre faible est égale emploi faible, donc inflation faible, donc la FED pouvait baisser les taux. Mais chiffres « pas trop faible » veut dire aussi que la croissance est encore pas trop mal, DONC : PAS de STAGFLATION.

#Onvituneépoqueformidable

Ne cherchez pas plus loin, #Onvituneépoqueformidable. Parce que tenez-vous bien, il paraît qu’il y avait un chiffre à la baisse à ne pas franchir : celui de 125’000. Si les NFP avaient été en-dessous de 125’000 LÀ, on aurait commencé à parler de STAGFLATION et on serait retourné chercher Paul Volcker, seul président de la FED à avoir vaincu la Stagflation. En résumé, 50’000 emplois nous séparent de la STAGFLATION et du bonheur absolu de voir les marchés retourner au plus haut de tous les temps. Imaginez ; le mois prochain on corrige les chiffres à la baisse et on nous dit qu’en fait c’était 125’000 et pas 175’000… Eh ben, non, ne cherchez pas : il ne se passera rien parce ça fait un mois et on sera passés à autre chose.

Vous l’aurez compris, en se basant sur un chiffre économique qui est souvent faux et souvent recorrigé dans un sens ou dans l’autre le mois suivant et le mois d’après, le marché s’est soudainement sentit pousser des ailes, on a oublié l’inflation, oublié la stagflation et on s’est emparé du bull market qui nous a ramené là où nous étions quand Nvidia prenait 12% par jour. Tout le monde s’est dit que « finalement » ils vont peut-être baisser les taux parce que l’économie montre des signes de faiblesse mais pas trop et qu’elle montre aussi des signes de force, mais pas trop. En gros, si l’économie était un parti politique ça serait le centre. Le genre de partis qui ne servent à rien parce qu’ils sont consensuels et ne prennent jamais de risques – un peu comme François Bayrou – mais peu importe, les intervenants étaient contents et il ne restait plus qu’à savoir quel jour nous allions atteindre les plus hauts de tous les temps.

Fin de semaine explosive et début de semaine, on va voir…

Les chiffres de l’emploi ont donc réussi à eu tout seuls être capables de rendre la motivation aux indices et depuis vendredi à 1430, on s’est dit que « finalement, peut-être bien que le taux vont baisser à la fin ». La semaine qui nous attend sera donc une semaine de digestion, on va écouter les membres de la FED qui vont parler, on va regarder les « autres chiffres du trimestre » qui vont sortir et puis on se regardera en se disant : « c’est quand même beau un bull market au mois d’octobre ».

Il reste donc à préciser une chose : rien n’a changé, l’économie n’est pas meilleure ou moins bonne, l’emploi n’a pas drastiquement changé et que la FED monte ou baisse les taux de 0.25% ne va pas changer la face du monde. Actuellement nous sommes en train d’interpréter chiffre après chiffre pour essayer d’en tirer des conclusions définitives. Et pourtant aucun de ces chiffres n’a le pouvoir de changer quoi que ce soit dans l’économie actuelle – surtout s’ils ne sont pas correctement calculés. Mais le marché n’en a cure, il reste persuadé au fond de lui, qu’il suffit de 50’000 emplois de plus ou de moins pour que l’on puisse passer de la stagflation au bull market et que si Powell nous dit qu’il ne montera PROBABLEMENT pas les taux, c’est qu’il ne les montera PLUS JAMAIS. Tout reste une question de sémantique et d’à partir de quand nous avons envie de réfléchir rationnellement. Une chose est certaine, ça n’est pas cette semaine !!!

L’Asie et le pétrole

En ce début de semaine, l’Asie ne fait strictement rien. Le Japon est fermé et la Chine vient de sortir un de ses PMI en ligne avec les attentes. On attend de voir comment Wall Street va se comporter quand AUCUN des Magnificent Seven ne publient de chiffres trimestriels et quand il n’y a pas un chiffre économique important qui est prévu à la publication. Le pétrole et toujours dans la zone des 78$ mais il semble enfin décidé à remonter un poil, parce que les pourparlers entre Israël et le Hamas semblent de retour à la case départ. Quelle grosse surprise. Mais tant que les Iraniens ne reviennent pas dans le jeu, le baril semble voué à s’effriter lentement et sans grand intérêt.

L’or est à 2315$ et le Bitcoin est de retour à 65’000$. Dans les petites nouvelles de ce lundi matin absolument merdique et pluvieux, il faudra noter que Berkshire Hathaway possède dorénavant 189 milliards de dollars de cash, le monstre de Warren Buffett continuant à se débarrasser de ses actions, notamment d’Apple, l’une de ses plus grosses positions. Ce chiffre et cette situation souligne les difficultés rencontrées par le mythe Warren Buffet et son équipe à trouver des investissements intéressants. Sous-entendu : pas complétement délirant en termes de valorisation. Autrement l’assemblée générale de Berkshire Hathaway était très émotionnelle avec l’absence de Charlie Munger et le fait que Warren Buffet ait déclaré « je ne sais pas si je serai là l’an prochain ».

Pour le reste des nouvelles, ce matin c’est Waterloo, morne plaine et quand je regarde dehors, c’est pire que morne plaine. Le Président Chinois est en France pour faire ami-ami avec Macron et ses amis, il va manger du fromage français et régler le problème de la guerre en Ukraine. Autrement, pour le reste, tout le monde est en train d’essayer de trouver le moyen de prendre le plus de vacances possibles en posant le moins de jours de congés. Cette semaine sera tronquée par l’Ascension et en ce qui me concerne, je ne vais travailler qu’un jour sur deux. Les futures sont donc en hausse de 0.13% et il n’y aura pas de chiffre économique aujourd’hui et pour ce qui est des chiffres trimestriels, nous aurons des noms comme Palantir, Lucid, Spirit Airlines ou encore Biontech.

Passez une excellente journée dans un monde où le verre est à moitié plein et on se reparle mercredi matin, à la même heure et au même endroit ! Excellent début de semaine.

Thomas Veillet
Investir.ch

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