Hier matin à la même heure, il était pratiquement impossible de deviner ce qui allait se passer dans les heures qui suivirent. On savait que Tesla allait se faire déglinguer, on savait que ça n’était pas Google qui nous sauverait, mais de là à penser que l’on allait (ENFIN) avoir une séance de plus de 2% de baisse sur le S&P500, bien malin qui aurait pu le dire – ou le prédire. En tous les cas, une fois encore, nous avons assisté à une prise de conscience ultra-rapide de la part de certains intervenants qui sont passé de « FOMO » à « laissez-moi sortir, les femmes et les enfants après mon portefeuille de (un peu moins) Magnificent Seven.

L’Audio du 25 juillet 2024

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Bain de sang

Donc, pour la première fois depuis 361 jours, le S&P500 a vécu une séance de baisse de plus de 2%. L’indice de référence américain est revenu pile-poil sur sa moyenne mobile des 50 jours et reste dans sa tendance haussière à 12 mois. C’est un peu moins évident pour le Nasdaq qui ne ressemble plus à grand-chose après la claque d’hier, mais aussi la claque de ces dernières deux semaines. Il faut dire qu’en DEUX semaines nous avons effacé 1’700 milliards de valorisation sur les Magnificent Seven et si l’on en croit la performance de l’ETF MAGS (MAGS), celui qui représente un portefeuille constitué uniquement des 7 vedettes de la technologie, le groupe est entré en phase de correction. À savoir une baisse de plus de 10% depuis les plus hauts. Plus hauts qui avaient été affichés le 11 juillet de cette année.

Mais au-delà des chiffres, on peut quand même se demander à quel moment nous sommes passés de « je suis prêt à vendre ma grand-mère pour acheter des actions » à « Brace, Brace, Brace, l’économie part en sucette ». Non, parce qu’il faut bien savoir que chaque fois que le marché se fait déglinguer comme il s’est fait déglinguer hier soir ; le lendemain nous avons besoin d’avoir un narratif pour expliquer pourquoi ça a baissé aussi violemment afin de pouvoir expliquer rationnellement que les décisions de vendre qui ont été prises hier soir étaient posées et réfléchies et qu’à AUCUN MOMENT, il n’y a eu le moindre vent de panique qui aurait poussé le marché à tout vendre avant de se précipiter sur la première sortie de secours qui se présente.

La panique (un peu quand même)

Malheureusement, j’ai quand même un tout petit peu l’impression qu’hier soir les marchés se sont vautrés la peur au ventre et que toutes nos belles convictions basées sur la croissance de l’intelligence artificielle qui va « to the moon » ou encore sur le fait que la baisse des taux de dans deux mois va nous booster l’économie comme jamais, toutes ces certitudes se sont soudainement envolées lorsque l’on s’est rendu compte que Tesla et même Google n’étaient pas forcément au top de leur forme et que nos attentes d’experts en analyse financières étaient un peu trop élevées – peut-être. Pour la première fois hier, nous avons donc pu assister à un massacre en règle de l’Intelligence Artificielle, c’est la première fois depuis l’avènement de Chat GPT que l’on a commencé à se demander si « par hasard », on n’avait pas poussé le bouchon un peu loin. Alors ça n’est peut-être pas (encore) de la panique, mais ça a quand même un peu l’odeur de la panique et le goût de la panique sur le secteur – même si ça n’est pas encore officiel.

Hier soir, Nvidia a pris 6.8% dans les dents et je vous déconseille de regarder le graphique si vous n’avez pas encore pris vos médicaments pour le mal des transports. Super Micro a plongé de près de 10% et est en baisse de 42% depuis les tops du mois de mars. TSM se prenait 6% dans le cornet durant la séance d’hier et tous les ETF’s sur le secteur étaient en berne. Pourtant, il ne s’est rien passé de spécial, il n’y a pas eu d’annonce spécifique, si ce n’est Tesla qui a foiré son trimestre et qui aura effacé 13% de valorisation en quelques heures et qui a également retracé 50% du rallye qui avait commencé fin avril. Alors y-a-t ’il un lien de cause à effet ? On peut se demander si soudainement, les intervenants ne se sont pas rendus compte que l’on avait signé un peu trop de chèques en blanc à certaines sociétés et que la réalité de la croissance était en train de nous rattraper à toute vitesse.

Pas si grave. Ou pas.

Ce qui est assez troublant dans la baisse d’hier, c’est que les commentaires des experts ne sont pas du tout stressants ou inquiétants. Tout le monde voit ça comme une opportunité d’achat et comme l’occasion de faire un max de pognon en rachetant maintenant pour jouer les résultats des À LA HAUSSE des 5 autres Magnificent Seven qui restent. Le prochain à passer à la moulinette sera Microsoft qui publiera le 30 juillet, suivi de Meta le lendemain et d’Amazon et Apple le 1er août. Nvidia – comme d’habitude – viendra bien plus tard, puisqu’ils ont agendé le 28 août comme date butoir pour leurs publications trimestrielles. On va donc dire que « pour l’instant » nous avons commencé à « pricer » le fait que nos attentes sont peut-être un poil élevées pour le trimestre qui nous occupe.

J’avais déjà eu l’occasion de le mentionner il y a quelques semaines : le plus gros problème de cette saison de publication réside dans le fait que nos attentes sont très élevées – la cause étant l’optimisme exacerbé que nous avons chevillé au corps depuis des semaines – et que pour « battre les attentes », les sociétés qui sont sous le microscope n’ont pas droit à l’erreur. Si vous prenez le cas de Google hier. Ils ont annoncé un chiffre d’affaires trimestriel meilleur qu’attendu mais les traders se sont focalisés sur « le ralentissement de la croissance de ses ventes publicitaires » et sur les doutes qui pesaient sur la suite de l’exercice au niveau de marges. En gros, Google va hyper-bien, mais la croissance n’est plus aussi parabolique qu’auparavant et on vient de l’admettre. Le titre se prend donc 5% dans les dents pour fêter ça.

À la rescousse

Pourtant, au milieu du bain de sang d’hier soir, les analystes étaient tous sur le pied de guerre pour venir sauver le soldat Google ou sauver le soldat Tesla ; Goldman Sachs a révisé son objectif à la hausse sur Google et Dan Ives, l’analyste star est revenu se chauffer sur Tesla en disant que la magic touch d’Elon Musk était de retour et que tout allait bien se passer quand les robotaxis vont arriver. Reste juste à espérer qu’ils arrivent. Mais peu importe, malgré ces tentatives de sauvetage, les marchés n’ont rien voulu savoir et ont terminé au fond du bac. On peut donc tergiverser longuement sur la « prise de profit » de la tech et se dire que c’est « juste temporaire » et que c’est « l’opportunité d’une vie de pouvoir racheter à bas prix » et c’est sûrement vrai… Reste à savoir ce que l’on appelle « bas » et combien de temps nous sommes prêts à attendre pour revoir les prix actuels en cas de changement de tendance.

D’autant plus que je veux bien admettre le fait que les intervenants prennent les profits sur la tech et que nous avions « peut-être » tiré un peu sur la corde ces derniers mois, mais au-delà de tout ça, hier il y a quand même eu deux-trois signes supplémentaires comme quoi la faiblesse économique s’intensifiait quand même un peu et que même si la baisse des taux est actée pour le mois de septembre, il y a des problèmes que l’on ne va pas pouvoir cacher plus longtemps. Prenez le luxe. LVMH a publié des chiffres pas terribles – en-dessous des attentes et moins bons que le dernier trimestre. On nous reparle du ralentissement chinois sans donner de chiffres réels, mais on sent bien que ça picote un peu plus fort que d’habitude. D’ailleurs, dans la foulée, hier soir Kering a averti que ça allait être la merde et que la Chine (encore elle), allait peser sur leurs ventes. Le dernier trimestre c’était Gucci qui avait les pieds collés dans le béton et là, c’est la Chine qui leur coûte cher. On ne peut pas nier que les signes de faiblesse économique sont de plus en plus présents et il devient difficile de faire comme si de rien n’était. Hier j’ai même entendu un analyste qui déclarait : « avec la hausse du chômage qui persiste un peu partout, il fallait bien s’attendre à que cela se ressente dans les chiffres trimestriels ». Et croyez-moi, ce genre de déclaration n’étaient pas monnaie courante il y a encore un mois. Le vent est en train de tourner.

Le doute s’immisce

Si l’on avait encore besoin de preuves, intéressez-vous à Lamb Weston. J’imagine que la plupart d’entre vous ne connaissent pas, mais Lamb Weston fait des produits congelés, type pommes de terre congelées, à destination des restaurants américains. Hier, ils ont annoncé un bénéfice de 76 cents par action alors que le marché attendait 1.26 cents par action et que l’an dernier à la même période, ils avaient annoncé 1.22 cents par action. Autant dire que le titre n’a pas aimé et il s’est kraché en flammes affichant la pire journée de son histoire avec une baisse de 28%. Mais au-delà de la performance du titre sur la séance d’hier, il faudra se souvenir des paroles du CEO qui est venu dire à la presse que la demande « pour la pomme de terre congelée » s’est littéralement effondrée depuis quelques mois. Les restaurants commandent moins parce qu’ils en vendent moins et que les gens ne vont plus au restaurant. Je vous donne un indice : le plus gros client de Lamb Weston c’est un vendeur de hamburgers qui a un grand « M » jaune comme logo… Et même eux, commandent moins de pommes de terre. Je crois que ça donne une bonne idée de l’état de l’économie sous-jacente aux USA, loin des bling-bling de l’intelligence artificielle et des comptes en banque qui débordent de cash dans la Silicon Valley.

On peut donc le tourner comme on veut, mais les résultats de ce trimestre ne laissent aucune place à l’erreur et ne pardonnent rien. Mais en plus, l’économie semble quand même lancer des signaux d’alarme. Alors vous me direz : « mais tant mieux, comme ça la FED n’aura pas d’autre choix que de baisser les taux ». Et c’est vrai. Sauf que la baisse des taux est largement dans les prix depuis 8 mois et que l’on sait qu’à chaque cycle de baisse des taux qui commence, les marchés fêtent ça par une phase de correction. Sommes-nous déjà dedans ? Est-ce les prémices de la première baisse des taux qui arrive à grand-pas ? Nous en saurons probablement un peu plus lors du meeting de la FED agendé de la semaine prochaine, mais il est dorénavant certain que l’économie est en train de patiner dans la semoule et qu’il n’est pas impossible que l’investisseur lambda soit en train de se demander s’il n’est pas temps de s’inquiéter d’une éventuelle récession à venir, plutôt que de s’exciter sur la prochaine baisse des taux. Il est bien évidemment « un peu » tôt pour commencer à paniquer, mais force est de constater qu’hier, il s’est quand même passé un truc que l’on n’avait plus vu depuis des mois – soudainement le doute était parmi nous.

Le reste

Ce matin les bourses asiatiques ont acté le fait qu’il y avait quelque chose de pourri au royaume de la tech et en signe de ralliement, le Nikkei plonge de près de 3%, le Hang Seng abandonne 1.4% et la Chine recule de 0.4%. Le pétrole est à 77$, l’or est à 2370$ et le Bitcoin n’a plus la force d’aller en avant et même si les sondages donnent toujours Trump vainqueur, l’arrivée de Kamala Harris dans l’arène a remis une certaine pression sur la crypto (pour autant que ça soit la raison). Le Bitcoin est à 64’200$.

Dans le reste des publications, on notera que les nouveaux abonnés chez At&t on fait monter le titre de 5% hier, les chiffres moins pires que prévu et les attentes révisées à la hausse ont permis à Enphase de bondir de 13%. IBM a fait mieux que les attentes et montait de 3% after close alors que Ford a complètement foiré son trimestre et plongeait de 12%. Par contre, Chipolte reste visiblement le seul restaurant qui a encore des clients qui font la queue pour acheter des Burritos, les résultats étaient excellents et Chipolte bondissait de 15% hier soir. Comme quoi tout n’est pas mauvais et tout ne va pas si mal partout, mais hier nous avons surtout pris conscience que les arbres ne pouvaient pas monter au ciel – même si on s’appelle Nvidia ou Microsoft.

Conclusion

En conclusion de tout cela, il va falloir être prudent ces prochaines semaines, tout en se souvenant que la pire période historique de l’année commence en général mi-juillet pour se terminer fin octobre – c’est même pire (statistiquement parlant) que le Sell in May and Go Away !!! Aujourd’hui, nous allons revenir nous concentrer sur la macro avec les chiffres du PIB américain et les traditionnels « jobless claims ». Et puis côté chiffres, ça continue à être spectaculaire, en Suisse nous aurons deux poids lourds avec Roche et Nestlé, en France il y aura Total, Accor, Sanofi, Renault et Stellantis et puis aux USA, nous aurons American Airlines, Hasbro, ABBvie, AstraZeneca et Valero.

Pour le moment, les futures pointent en direction de la hausse, mais après la claque d’hier, c’est presque assez logique… En ce qui me concerne, je vais vous laisser vaquer à vos occupations du jeudi matin. Je vous annonce que je serai en vacances ces prochaines semaines et qu’il n’y aura pas de chronique matinale. Mon retour est agendé au 1er septembre, mais en fonction de l’actualité, il n’est pas exclu que je fasse quelques interventions ponctuelles, pour autant que le Wifi me permette de le faire… Entre deux, le site Investir.ch va prendre son rythme de publication estival, alors n’oubliez pas de vous abonner à la newsletter pour ne rien rater !

Excellent été à tous et on se voit à la rentrée scolaire en pleine forme – enfin, j’espère !

Thomas Veillet
Investir.ch

“All intelligent investing is value investing. Acquiring more that you are paying for. You must value the business in order to value the stock.” Charlie Munger