On sait que les marchés boursiers mondiaux ont la faculté de changer d’avis à la vitesse de la lumière. Mais depuis quelques jours j’ai l’impression que l’on est passé à une vitesse quantique que l’on n’arrive même plus à mesurer. On change d’avis dans tous les sens et la même nouvelle à quelques heures d’intervalle peut être interprétée de manière totalement différente, pour ne pas dire complètement à l’opposé. S’il fallait des exemples, je crois que la séance d’hier est symptomatique d’un marché bipolaire qui est devenu complètement cinglé. La question n’est plus de savoir si on va dans le mur, mais plutôt : « à quelle vitesse on y va » ...
L’Audio du 12 septembre 2024
Télécharger le podcast
35 ans d’interrogations
Je vous jure, ça fait bientôt 19 ans que j’essaie de synthétiser les nouvelles de la veille pour créer une bouillie à peu près digeste, que j’essaie de trouver les mots pour expliquer ce qu’il peut bien y avoir dans la tête des intervenants. Ça n’est pas toujours simple, mais je crois pouvoir dire que je m’en suis à peu près bien sorti ces dernières années. Et pourtant ça n’a pas toujours été facile et je me suis souvent retrouvé devant une page blanche à me dire « mais putain, comment je vais expliquer ça sans que ça donne l’impression que le marché est complètement taré ». Bon. Ben là on ne va même plus essayer de se cacher : il y a un moment, ça va mal se finir…
Je ne sais même plus par quoi commencer pour résumer ce qui s’est produit hier. Encore une fois, tout passe par la macro, par l’interprétation que l’on en fait et les conséquences que cela peut avoir ou pourrait avoir au sujet des taux d’intérêts de la semaine prochaine. Au cas où vous ne seriez pas au courant, hier il y avait les chiffres du CPI – de l’inflation américaine – et l’ensemble du marché, les experts en finance et les investisseurs « long terme » qui tiennent leurs positions pendant 20 minutes, étaient encore une fois obsédés par ces chiffres, puisqu’il était difficile d’ouvrir un journal sans que l’on y apprenne que « selon les publications de ce mercredi 11 septembre », la FED pourrait baisser les taux de plus de 0.25%. L’objectif de 0.5% était en ligne de mire. Sous le manteau, les plus optimistes s’attendaient à un CPI annualisé à 2% alors que le mois dernier nous étions à 2.9%. Le chiffre « officiel » attendu était de 2.6%. Cependant nous savons tous très bien qu’avec les années, nous sommes passé à 2 consensus, vu qu’un seul ça n’était pas suffisant.
L’officiel et le « pas officiel »
En gros, de nos jours quand vous demandez à un expert en finance quelles sont ses attentes sur tel ou tel chiffre, il vous donnera un premier chiffre, tout en vous faisant un clin d’œil pour vous dire qu’en fait ça n’est pas ce qu’il pense. Bref, hier le marché s’attendait un CPI à 2.6% qui en fait était attendu à 2% « en secret ». Si ce chiffre de 2% était atteint, cela voulait dire que la FED avait atteint son objectif et qu’elle allait pouvoir se détendre et baisser les taux d’un MASSIF 0.5%. Ce qui aurait fait très plaisir au marché et ce même si cela pouvait AUSSI vouloir dire que la FED craigne une récession. Mais là n’était pas le sujet.
Hier le CPI est sorti à 2.5%. C’était en-dessous des attentes. Mais en-dessus des VRAIES ATTENTES SECRÈTES. C’était donc une vraie déception. Et ça n’était pas tout. Ça n’était pas tout, parce qu’en réalité, il existe plusieurs CPI qui sortent le même jour. Il y a le CPI annualisé dont je vous parle depuis le début de cette chronique, puis il y a aussi le CORE CPI annualisé – lui il fait abstraction des choses qui dérangent – comme le pétrole, la bouffe et les loyers. Lui il était attendu à 3.2% et c’est sorti à 3.2% – en revanche je ne connais pas les attentes « réelles » du marché. Les attentes secrètes. Ensuite vous aviez encore les deux versions mensuelles. Dans ce cas précis, le Core CPI mensuel est sorti à 0.3% avec des attentes à 0.2% et l’autre était parfaitement en ligne avec les attentes.
L’interprétation
Il ne restait ensuite plus qu’à interpréter la chose. Le marché s’est concentré sur deux choses :
1) Le CPI qui n’était pas « assez bas » pour que la FED baisse les taux de 0.5%
2) Le CORE CPI mensuel qui montrait que l’inflation n’était pas encore morte et pouvait encore montrer des signes de vie.
En se basant sur ces deux chiffres nous en sommes arrivés à la conclusion suivante :
« Sachant que l’inflation ne baisse pas assez fort et montre encore des signes de résistance, ça serait complètement con de la part de la FED de trop baisser les taux pour sauver l’économie tout en prenant le risque de faire un massage cardiaque à l’inflation et la faire repartir de plus belle »
Prenons du recul
Si l’on se base sur ce que l’on entend dans les marchés depuis deux semaines, on retiendra quand même que l’on a eu des chiffres de l’emploi tout pourris, mais pas assez pour forcer la FED à baisser les taux de 50 bp – chose qui aurait été considéré comme un aveu de faiblesse et une crainte non-avouée de voir la récession arriver sur son cheval noir. Et puis quelques jours plus tard, on espérait que la FED vienne baisser les taux de 50 points de base pour montrer à l’économie qu’elle était aussi là pour la soutenir par tous les moyens. Vous avez très bien compris, à une semaine d’intervalle, une baisse de 50 bp aurait tué le marché et la semaine suivante, aurait soulagé le marché !
Bon. Personnellement, quand j’entends ce genre de trucs, j’ai assez envie de prendre ce que l’on appelle « le marché », lui mettre une camisole de force et l’envoyer en cellule d’isolement capitonnée pour que l’on puisse lui passer « vol au-dessus d’un nid de coucou » en boucle. Après, il faut reconnaître que cette « légère déception » a déclenché une rapide correction parfaitement justifiée, puisque nous avons compris que nous n’aurions pas notre baisse des taux de 50bp… Même si la semaine dernière nous étions remontés parce que les taux ne BAISSERAIENT pas de 0.5% et ne laisseraient pas poindre la panique derrière la décision de la FED… Pour être franc, à ce stade, je ne sais pas si vous me suivez encore, mais moi j’ai la tête qui tourne tellement la réflexion est complètement con. UN peu comme « le marché » d’ailleurs.
Et pourtant la tech a sauvé le monde
Si l’on résume ce que je viens de vous dire. Avant que je parte vomir à cause des vertiges : la FED ne baissera pas les taux de plus de 0.25% la semaine prochaine, l’inflation ralentit – mais pas assez – et l’emploi est complètement sclérosé, mais pas assez. Résultat : 84% des « gens » pensent que la FED ne baissera les taux « QUE » de 0.25% et plus de 70% pensent que d’ici la fin de l’année nous aurons baissé les taux de 1%. Même si ce second pari est tout de même un peu osé, puisqu’à l’heure actuelle, avoir une vision à plus de 24 heures, est presque devenu une excuse pour vous faire interner.
Pourtant, une fois que l’ensemble des indices eurent ouvert au fond bac et que nous eûmes l’impression que le « sell off » reprenait, la tech a décidé de repartir à la hausse, emmené par Nvidia. Le fabricant de puces et – accessoirement – le Roi de l’IA a donc bénéficié de l’alignement des planètes qui aura permis au titre de rebondir de plus de 8% et d’entraîner le marché avec lui. Il y avait trois raisons pour que NVIDIA soit en hausse hier soir :
1) Oracle a fait des commentaires positifs sur la demande de semiconducteurs pour l’IA.
2) On s’autorise à penser que le gouvernement Biden va permettre à Nvidia d’exporter en direction l’Arabie Saoudite.
3) Le CEO de Nvidia, Jensen Huang, était invité à la conférence de Goldman Sachs hier – la conférence sous le signe des semiconducteurs et il s’est montré « optimiste ».
Tout est donc reparti à la hausse en attendant les infos du PPI – des prix à la production – qui sortiront tout à l’heure. Le marché a donc terminé en boulet de canon, les 5400 ont fait office de support et le S&P500 termine au-dessus de la moyenne mobile des 50 jours alors que l’environnement est globalement immonde et que les signes de ralentissement se font sentir tous azimuts. C’est donc un autre mois et une autre déception légère sur l’inflation. Mais la déception a été de courte durée avec le retour fulgurant de Nvidia qui nous a gratifié de sa quatrième meilleure séance de l’année. Finalement, je me dis que si on se concentrait sur Nividia et la Macro, ça suffi amplement, pas besoin de chercher plus loin pour traiter dans la journée. Une journée qui dure 6 heures et 30 minutes, et qui s’apparente déjà à du très très long terme…
En Asie
La plupart des actions asiatiques étaient en hausse ce matin. La tech suit la hausse de Nvidia, la (nouvelle) coqueluche du marché, tandis que les marchés japonais grimpaient en flèche de 3%, puisque l’inflation japonaise était plus faible que prévu, réduisant à néant les plans de hausse des taux imaginés par la BOJ. Pendant ce temps, la Chine est en baisse de 0.05% et Hong Kong grimpe de 1%. Et puis, au passage, on notera que Kim Jong Un Dos Tres a envoyé plusieurs missiles balistiques en Mer de Chine pour « rigoler » et pour rappeler qu’il était toujours là et qu’il n’en était pas moins complètement givré. Entre lui et les places boursières mondiales, je ne sais pas qui est le plus secouén des deux.
Côté pétrole nous sommes à 67.69$. L’or est à 2543$ et le Bitcoin vaut environ 58’500$. Dans les nouvelles du jour, on retiendra que le président de FED d’Atlanta, Raphael Bostic, a enfreint les règles en matière de transactions et d’investissements. Selon les autorités,
M. Bostic a donné « l’impression d’agir sur la base d’informations confidentielles » en violation du code de conduite de la Fed d’Atlanta. Par contre et c’est là que c’est magique ; le rapport indique que les enquêteurs n’ont trouvé aucune preuve que Bostic ait en réalité utilisé des informations privilégiées sur les délibérations de la Fed ou qu’il ait eu des conflits d’intérêts financiers. En résumé, on sait qu’il a éventuellement su quelque chose et qu’il AURAIT PU l’utiliser, mais qu’il semble ne pas l’avoir fait. En gros, quand les autorités en savent aussi peu, ça serait pas mal qu’ils ferment leur gueule.
Autres nouvelles
Autrement, on notera qu’Open AI vient de lever 5 milliards, ce qui valorise la société à 150 milliards. Il y a aussi Commerzbank qui a bondi de 20% hier en Allemagne, parce qu’Unicredito a pris une participation de 4.5%. Si les banques italiennes commencent à acheter les Allemands, c’est qu’il y a un truc qui coince quelque part. Je ne sais pas quoi, mais il y un changement de pouvoir. Et puis le sujet du jour, ça sera le meeting de la BCE et les chiffres du PPI. La BCE devrait logiquement baisser les taux de 0.25% et si ce n’est pas le cas, il faudra que l’on m’explique calmement l’explication rationnelle.
Pour conclure, alors que le monde entier saute de joie parce que l’inflation ralenti, on notera quand même que si l’on prend le prix des assurances voitures aux USA, ils sont en hausse de 16.5%, les transports publics sont en hausse de 7.9% sur 12 mois, les services hospitaliers montent de 5.8% sur la même période je vous passe les autres postes qui sont tous en hausse de plus de 3.9% comme l’électricité, les réparations automobiles et la nourriture en dehors de la maison. En gros, OUI, l’inflation baisse, mais c’est encore une fois une question d’interprétation et de quels postes on regarde dans quelle proportionnalité.
Bref, le marché doit avoir la tête qui tourne, mais les futures sont à nouveau en hausse et tout à l’air de bien se passer. Je vais vous laisser vaquer à vos occupations et on se retrouve demain pour parler de la BCE !
Belle journée à tous
Thomas Veillet
Investir.ch
“Wide diversification is only required when investors do not understand what they are doing.” Warren Buffett