Hier soir, tout le monde était suspendu aux lèvres de Jerome Powell. Enfin, suspendu… Façon de parler. Parce qu’en réalité, ça faisait déjà trois jours que tout le monde savait qu’il n’allait rien faire, rien dire, et surtout rien changer. Mais bon, on est des humains et en plus des humains qui veulent investir, devenir très riches et plus jamais travailler, alors on espère toujours que cette fois, il se passera quelque chose de décisif… Un truc qui va tout changer pour toujours et nous montrer la voie. Bon. Ben c’est pas encore pour cette fois.
L’Audio du 8 mai 2025
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Toujours pas de baisse, toujours pas de hausse, juste… le grand flou
La Fed a donc maintenu ses taux inchangés pour la troisième fois consécutive. Toujours entre 4,25 % et 4,5 %, ce bon vieux couloir monétaire dans lequel Powell promène ses collègues et nous promène. Un peu comme un chien en laisse, sans savoir trop où est-ce que nous allons. La question reste surtout de savoir si LUI, il sait où il va. Et après hier soir – si on avait encore le moindre doute – on est presque certain qu’il n’en sait pas plus que nous et qu’il attend un signe ferme et définitif de l’économie pour aller de l’avant. Sauf que l’économie, pour l’instant elle est en train d’encaisser les coups sans trop savoir où elle va aller, où elle doit aller.
Alors pourquoi est-ce que Powell n’a pas baissé les taux hier soir ? Une seule raison, toujours la même – sauf que là, elle est encore plus élevée : l’incertitude. Traduction : on n’a toujours pas compris ce que Trump est en train de foutre avec ses tarifs douaniers, mais il faut le dire de façon diplomatique, sinon le Monsieur y va se fâcher. Déjà qu’il n’est pas super-content du travail fourni, il serait idiot de le mettre encore plus en colère. Dans son communiqué, la Fed note que « les risques d’un retour de l’inflation ET d’un rebond du chômage ont augmenté ». Nous, on aurait tendance à dire que c’est de la stagflation potentielle. Mais ils sont plus diplomates et appellent ça : « une légère dégradation des perspectives économiques ». Visiblement ils ont le sens de l’euphémisme. Un truc que je n’ai pas.
Le coup de génie géopolitico-économique
Et là, entre en scène Donald Trump, le seul homme capable de plomber une économie en tweetant depuis n’importe où dans le monde et surtout ; n’importe quand. Powell l’a plus ou moins laissé entendre. Néanmoins on sait que ses nouvelles salves de tarifs douaniers – qui sont toujours aussi floues et incertaines, sont aussi potentiellement monstrueuses. Résultat : les boîtes américaines ont fait du panic buying à l’import, ce qui a fait gonfler le déficit commercial à +14 % — et plombé le PIB au premier trimestre. Bien joué. Ce n’est pas la seule raison de la NON-BAISSE des taux, mais c’est sûrement un des axes centraux.
Et pendant que tout ça se met en place, Powell fait quoi ? Il « attend de voir ». « Wait and see », version 2025. C’est plus du pilotage à vue, c’est de la navigation avec les étoiles, on s’autorise à penser que Powell se baladerait avec un sextant pour savoir quoi faire sur les taux, mais comme on est dans le brouillard, ça n’est pas simple de voir les étoiles.
Conférence de presse chargée de conditionnel
Dans sa conférence de presse, Powell a dit des trucs. Beaucoup de trucs. Trop de trucs. Mais si on doit résumer en gros, ce qu’il faut retenir c’est qu’il a dit «on ne sait pas. On verra. Et surtout, on ne veut pas faire de conneries ». Bon alors clairement il n’a pas dit ça. Enfin pas exactement avec ces mots-là, mais à la fin c’est plus ou moins ce que ça veut dire. Le mec est dans un tunnel et il n’y a plus de lumière dedans depuis plusieurs kilomètres et pas la moindre lueur d’un côté comme de l’autre. C’est bien simple, s’il voulait faire demi-tour, c’est même pas sûr qu’il retrouve la sortie.
En gros, les tarifs de Trump pourraient très bien « retarder la baisse de l’inflation d’un an ». Et donc – par effet mécanique – « retarder la baisse des taux d’un an aussi ». Mais c’est même pas sûr. Mais c’est possible. Mais faut voir. Mais peut-être que non. Oui je suis d’accord avec vous c’est pas hyper-clair comme communiqué de presse, mais ça démontre bien qu’il n’en sait foutrement rien, mais qu’il devait quand même dire un truc sans que ça donne l’impression qu’il est complètement largué.
On dirait un ado qui explique à ses parents pourquoi il n’a pas fait ses devoirs et que c’est en tous cas pas de sa faute. Et puis il a aussi sorti une phrase qui devait être directement adressée à ses parents – euh non, pardon – directement à Trump, parce qu’il a pris le temps d’expliquer que la FED ne peut pas être préemptive. Autrement dit : « on ne peut pas agir avant que ce soit trop tard – agir en anticipation – parce qu’on n’a aucune idée de ce qui se passe ». On n’a aucune idée d’où se dirige l’économie en général et l’inflation en particulier, on ne peut pas « tirer des plans » parce qu’on ne sait même pas à quelle sauce ladite économie va être mangée avec ce merdier total au niveau des tarifs.
Powell face à Trump : le duel silencieux
Ce qui est fascinant dans la comm’ d’hier soir, c’est que Powell n’a pas cité Trump une seule fois. Il a juste parlé de « l’incertitude liée à la politique commerciale », des « droits de douane » et des « conditions extérieures instables ». Le Président a dû adorer qu’on le considère comme une « condition extérieure instable ». Mais bon, même si Powell n’a pas cité Trump, tout le monde a bien compris le message – ne rien dire et ne citer personne est aussi une manière de bien démontrer que la FED reste indépendante et qu’elle ne fonctionne pas pour faire plaisir au Président hystérique qui est actuellement en place.
Trump harcèle Powell depuis des mois pour qu’il baisse les taux. Il l’a menacé (à demi-mots) de le virer. Il le traite de nul, de « perdant », de traître à la nation. Et Powell, stoïque, répond :
« Je ne vois pas pourquoi je demanderais à rencontrer un président. Ça ne fait pas partie de mon job »
Classe. Froid. Clinique. Et probablement en train de bouillir à l’intérieur. Et pendant ce temps-là, Trump doit être en train de « trasher » le mobilier du bureau ovale tellement ça le rend fou de rage.
Et maintenant ?
Et maintenant quoi ? Que faut-il retenir de tout ça ? Eh ben, la Fed prévoit encore deux baisses de taux cette année, si l’on croit le dot-plot. Mais ça, c’était avant le retour des surtaxes. Avant le déficit qui explose. Avant que la croissance ne tousse. Avant que l’inflation ne fasse semblant de ralentir tout en préparant son come-back en douce si on commence à doubler le prix des iPhones et faire payer les Barbies importées de Chine au prix du caviar Beluga.
Donc soyons clairs : ces deux baisses sont « très conditionnelles ». Si Trump continue à secouer l’économie comme une boule à neige, il y aura zéro baisse en 2025. Il y a même un économiste qui disait hier que s’il y avait la MOINDRE BAISSE en 2025, ceci devait être interprété comme un danger immédiat pour l’économie – en gros, si la FED n’a plus que ce seul choix-là, celui de baisser les taux au risque de faire repartir l’inflation à la hausse comme un bouchon de liège qu’on lâche au fond de la piscine, c’est qu’ils sont vraiment désespérés.
La tout de suite, tout le monde regarde les chiffres économiques en tremblant – un peu comme le gars qui était dans le poste de vigie en haut du Titanic, IL A VU que le bateau allait se fracasser sur l’iceberg – mais au fond de lui il espérait un miracle – nous c’est pareil, on voit que la croissance continue de baisser, que le chômage monte et que l’inflation s’installe. Et que potentiellement avec les tarifs, elle pourrait repartir à la hausse. Et on sait que si ça prend ce chemin-là,… alors là on entrerait en plein dans la case « mauvais remake des années 70 ». Stagflation, incertitude, blocage de la politique monétaire. Et rappelons pour mémoire qu’à cette époque-là, on avait dû remonter les taux à 15% pour stopper l’inflation une fois pour toute.
J’imagine assez bien Powell qui monte à la tribune dans six mois et qui annonce qu’il monte les taux de 10% pour commencer. Je crois que Trump donnerait l’ordre à la CIA de l’abattre immédiatement.
Conclusion : c’est l’économie de Schrödinger
La Fed est en pause. L’économie est en expansion mais aussi en contraction. L’inflation est haute mais peut-être pas tant que ça. Et les taux vont peut-être baisser. Ou pas. La politique monétaire de la Fed aujourd’hui, c’est comme le chat de Schrödinger : les taux sont à la fois en pause, en baisse potentielle, et complètement coincés… jusqu’à ce qu’on ouvre la boîte. Sauf que Powell a perdu la clé.
Et au milieu de tout ça, le patron de la FED reste impassible, nous dit :
« On est dans une bonne position pour ne rien faire, et attendre de voir »
En résumé : il ne se passe rien. Mais tout peut arriver. Bienvenue en 2025.
Et les marchés dans tout ça ?
Et d’ailleurs on l’a bien senti sur les marchés : tout le monde a attendu la FED en pensant que ça allait tout changer tout en sachant que ça ne changerait rien et les marchés US ont terminé légèrement en hausse en se disant que « pour l’instant, ça va ». Je reprends la métaphore du mec qui tombe du 50ème étage – le problème n’est pas de tomber de l’immeuble, le problème se présentera plus quand on va entrer en contact avec le sol. Comme disait Jeremy Clarkson : «La vitesse n’a jamais tué personne. C’est de s’arrêter brutalement qui te tue »…
Bref, en résumé, tout va bien pour les marchés tant que ça reste comme ça, c’est quand on prendra conscience de ce qui se passe ou de ce qui pourrait se passer que ça risque de poser problème. Et puis, pour l’instant, à l’heure où je vous parle, Trump n’a toujours pas réagit à l’immobilisme de la FED, mais en revanche il a déjà été très clair au sujet des droits de douane contre la Chine : il ne réduira pas les tarifs tant que les négociations n’ont pas abouti. Ce matin l’Asie est dans le vert parce que l’on espère des déblocages du côté des tarifs et puis Breaking News du matin :
Le Royaume-Uni serait sur le point de signer un deal commercial avec les États-Unis.
Et attention : ce serait le tout premier accord depuis que Trump a balancé ses tarifs « réciproques » à la tronçonneuse contre à peu près tout le monde… C’est le New York Times qui balance l’info, après que Trump ait teasé une « grosse annonce commerciale » hier soir, sans dire avec qui, ni pourquoi, ni s’il avait vraiment un deal ou juste une idée après avoir fini son burger.
Du côté de la Maison-Blanche et du 10 Downing Street, c’est encore silence radio. Mais du côté britannique, on a quand même sorti une phrase bien polie :
« Les discussions économiques entre les USA et le Royaume-Uni sont en cours. Les États-Unis sont un allié indispensable. »
Traduction : on veut bien faire copain-copain, mais on attend de voir s’il signe avec un stylo… ou une grenade. Affaire à suivre aujourd’hui, mais une chose est certaine, c’est que les futures sont en hausse de près de 1% à l’heure où je vous parle, il doit donc bien y avoir anguille sous roche.
Passez une excellente journée et nous on se revoit demain à la même heure pour de nouvelles aventures et je crois ne pas me tromper en disant que l’on devrait entendre parler de Trump – j’en suis presque à regretter Biden par moment…
À demain !
Thomas Veillet
Investir.ch
“Speed has never killed anyone. Suddenly becoming stationary, that’s what gets you.”
Jeremy Clarkson