Ce milieu de semaine n’aura pas été la séance la plus sexy de l’année. On attend d’avoir des vrais chiffres à se mettre sous la dent pour en tirer des conclusions à deux balles qui seront oubliées dans la demi-heure et même si l’on n’ose pas le dire, on attend Powell ce soir, histoire de voir s’il ne nous sort pas une petite phrase que l’on pourrait envisager de devenir une phrase culte du monde de l’investissement. L’injection d’hormones du bonheur que nous avons subi avec l’histoire de la Chine semble perdre un peu son effet, mais une chose est quasi certaine, la phase maniaque de début avril est classée dans les archives et tout est oublié, c’est le retour du FOMO et de l’IA.
L’Audio du 15 mai 2025
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Pas une performance de fou
Si l’on se base strictement sur la performance des marchés, il n’y a vraiment pas de quoi se relever la nuit. En Europe, les marchés étaient en mode pause pour des raisons de perte de motivation et d’absence de catalyseurs. L’effet « trêve tarifaire » avec la Chine semble avoir tout donné pour le moment et comme, EN PLUS la saison des trimestriels se termine, on cherche clairement des raisons pour rester motivés. Le CAC 40 recule de 0,47 %, le DAX fait pareil et la Suisse glisse doucement de 0,27 %. Visiblement si l’on veut retrouver la « niaque », il va falloir qu’on nous donne quelque chose du côté des accords commerciaux, et surtout avec l’Europe. Le luxe dévisse, parce qu’on n’en sait toujours pas plus du côté de la Chine et des USA et que le moratoire prend fin dans 87 jours. L’Oréal, Kering et LVMH en prennent pour leur grade. En Suisse, les pharmas continuent de cotiser dans la foulée des déclarations de Trump, Geberit cartonne dans la foulée d’un upgrade. Sanofi investi des milliards aux States, espérant adoucir tonton Donald et en Allemagne, Bayer s’écroule sur fond de polémique sanitaire US, pendant qu’Eon surnagent et que Porsche confirme ses objectifs. En clair : les marchés européens sont en mode attente, à la recherche d’une bonne nouvelle qui ne vient pas (pour l’instant).
Aux USA on a fini en ordre dispersé avec le Dow Jones en légère baisse à cause de United Health Care encore une fois. Le S&P500 est mode hausse homéopathique avec une clôture en progression de 0,1% et le Nasdaq est officiellement de retour avec bond de 0.7%, une sixième séance de hausse consécutive et une explosion interne au niveau de l’intelligence artificielle. Oui, vous savez le truc dont on n’a plus parlé depuis le mois de février parce que nous étions trop préoccupés par la fin du monde via les droits de douane qui arrivaient. Le truc pour lequel on était prêt à vendre sa grand-mère pour acheter du Nvidia le 8 janvier à 155 dollars sans se poser de question. Et sur lequel on était au bord du suicide le 7 avril 2025 à 86.65$. Eh ben l’intelligence artificielle est de retour et PLUS PERSONNE n’a peur de rien ! Si l’on parle d’indice, le Nasdaq est en hausse de 28% en 5 semaines. 5 semaines c’est 35 jours, c’est presque 1% par jour, autant dire que le FOMO est de retour et les semiconducteurs sont en folie, on dirait presque qu’ils viennent de découvrir un vaccin contre toutes les maladies du monde en même temps.
Le top 50
Le secteur de l’IA et des semiconducteurs aura clairement été la vedette du jour à New York, pendant que Trump fait sortir les chéquiers au Moyen Orient, les boîtes de tech sont en folie et continuent de surfer sur la vague, une vague qui semble prendre toujours un peu plus d’ampleur. Dans le top du jour, on retiendra que Super Micro Computer flambait de +16% après un méga-deal à 20 milliards avec les Saoudiens de DataVolt. Encore une fois les Saoudiens. Je vous passe les détails du deal, mais disons que SMCI va accélérer la livraison de tout ce qu’il faut pour booster l’IA de MBS. La performance du titre sur deux séances et dorénavant de 34%, entre upgrade et deal délirant, Super Micro est de retour. En tous les cas, on dirait. Il y avait aussi AMD qui annonçait un rachat d’actions de 6 milliards et puis tout le reste suivait dans la foulée, Nvidia bondissait de plus de 4%, ARM de plus de 5%, Applied Digital grimpait de 6.6% et Intel se prenait un râteau de 4.6%, comme s’ils avaient raté le train, mais en fait c’est juste parce que leurs nouvelles puces ne se vendent pas assez bien !
En parallèle, on s’est rendu compte que le S&P500, le Nasdaq et le SOX sont tous au-dessus de la moyenne mobile des 200 jours et que le Dow Jones y serait aussi si UNH ne foutait pas la merde dans la pondération de l’indice. Le fait d’être au-dessus de cette tendance de fond rassure encore un peu plus les investisseurs, même si Goldman Sachs fait preuve de prudence et reste un peu cash en attendant que la guerre tarifaire s’éclaircisse vraiment, avec des vrais accords et pas du pipeau généré par un moratoire. Pendant ce temps, la Fed continue de brouiller les pistes. Le vice-président Jefferson a lâché que « l’inflation pourrait repartir à la hausse à cause des tarifs », et qu’il y a encore « beaucoup d’incertitudes » sur la trajectoire – en gros, il n’en sait rien et il ne peut donc rien dire, il ne devrait rien dire, pourtant, ce que l’on peut lire entre les lignes, c’est qu’on ne baissera pas les taux demain matin. Ni même ce soir pendant le « speech » tant attendu de Powell.
L’étau
Et puis, il y a un truc dont on parle moins, c’est les taux américains qui sont en pleine ébullition, et ce n’est pas juste une question de chiffres : c’est le reflet d’un marché qui doute, d’une Fed qui temporise et d’un environnement économique sous haute tension. Si la volatilité est revenue à la raison, si le FOMO a repris ses droits et si le « Greed and Fear » est de retour mode « Gordon Gekko », parce que « Greed is good » ; les taux ne nous communiquent pas le même message. Actuellement, le rendement du 10 ans US flirte avec les 4,54 %, le 2 ans dépasse les 4 %, et le 30 ans tutoie les 4,94 % . Cette courbe des taux, plus pentue que la montée de l’Alpe d’Huez, démontre que les investisseurs exigent une prime pour prêter à long terme. Ce qui aurait tendance à dire qu’ils anticipent du même coup une inflation persistante et des incertitudes économiques. Pas vraiment le même message qu’envoie la VIX.
Quoique l’on veuille bien en dire, l’inflation reste une préoccupation majeure et ce, même si elle est redescendue à 2,3 %. La raison de ces préoccupations ? Encore une fois, je vous le donne en mille, c’est les tarifs douaniers qui font peur et qui pourraient rendre le boulot de la FED un peu plus complexe – visiblement, la perception sur les obligations n’est pas la même que sur les actions ou sur les Cryptos – et on l’a vu encore hier avec les commentaires de Jefferson, face à cette situation, la Fed adopte une posture attentiste. Le taux directeur est maintenu entre 4,25 % et 4,5 %. Les EXPERTS, eux, oscillent entre espoir et prudence. Les attentes de baisses de taux sont repoussées, probablement vers la fin de l’année et c’est en fonction de l’évolution de l’inflation et de la croissance économique que l’on pourra (peut-être affiner les prévisions). En résumé, les taux américains reflètent un climat d’incertitude, où chaque décision politique ou économique peut avoir des répercussions majeures. Les investisseurs doivent rester vigilants, d’ailleurs ils le sont et l’expriment clairement sur le marché obligataire. Il ne faut donc pas vendre la peau de la VIX avant de l’avoir butée une fois pour toute.
En conclusion, si l’on devait résumer la séance d’hier, on pourrait dire que le marché est euphorique sur l’IA, schizophrène sur les taux, prudent sur l’inflation, confus sur les tarifs et qu’on continue de voler à vue dans une mer de brouillard avec un altimètre qui donne de fausses indications.
Et l’Asie…
Ce matin l’Asie met la pédale douce, après quatre jours de rallye tech, les investisseurs prennent le temps de respirer un peu en attendant les résultats d’Alibaba qui doivent sortir aujourd’hui. Comme on l’a déjà dit plus tôt, l’euphorie liée à la trêve commerciale USA-Chine retombe un peu : les tarifs douaniers sont encore là, et le vrai deal se fait toujours attendre. Le Japon dévisse de 1.1% avant des chiffres de croissance attendus en contraction. Hong Kong et la Corée font du surplace. En Chine, le CSI 300 recule mais reste en hausse sur la semaine. Alibaba et Tencent grattent +0,5% et sont portées par l’IA et la consommation locale. L’Australie fait bande à part en montant de 0.1% grâce à un marché de l’emploi qui reste solide, tellement solide que ça fout le doute sur une éventuelle baisse des taux.
En ce moment, Le pétrole recule brutalement et revient sur les 61.75$, plombé par les rumeurs d’un accord nucléaire entre les USA et l’Iran qui pourrait faire sauter les sanctions et remettre du brut iranien sur le marché. En parallèle, les stocks de pétrole US explosent à la hausse, +3,5 millions de barils alors que les stocks étaient attendus en baisse. On reparle donc de surabondance. Même l’OPEP commence à revoir ses prévisions d’offre mondiale à la baisse. Bref : trop de pétrole, trop d’incertitude, et pas assez de tension géopolitique pour soutenir les prix. Pendant ce temps, côté or, c’est la soupe à la grimace avec une once qui retombe vers 3 150 $. Pourquoi ? Parce que les taux américains montent en flèche, avec un 10 ans qui dépasse les 4,54 %. Et parce que quand les rendements montent, l’or devient tout de suite beaucoup moins sexy. En résumé : le pétrole perd du carburant et l’or perd son éclat. Le Bitcoin, quant à lui, est en embuscade sur les 103’000$.
Dans les nouvelles du jour on repart dans le passé
On pensait Cisco rangé au placard avec ses vieux routeurs… Mais surprise : la boîte surfe la vague de l’IA comme Keanu Reeves dans Point Break. Résultat, plus de 14 milliards de chiffre d’affaires (+11% sur un an) et un bénéfice qui explose les attentes lors des publications trimestrielles d’hier soir. Mais il y a surtout un vrai coup de boost, c’est les commandes dans l’IA qui dépassent déjà le milliard avec un trimestre d’avance. L’action grimpe de +3% après la cloche, et Cisco vise entre 14.5 et 14.7 milliards pour le prochain trimestre. Ça fait du bien de voir des boîtes qui ont une vision. Le patron sabre le champagne en remerciant leur réseau sécurisé dans le monde entier. Côté coulisses, le CFO se barre en juillet, remplacé par le stratège interne — ambiance Game of Thrones. Les analystes applaudissent : marges solides, tarifs déjà pricés, et rebond des réseaux en vue. Et pour montrer qu’ils ne comptent pas s’arrêter là, Cisco planche déjà sur des « puces pour réseaux quantiques ». Oui, carrément. Alors pour ceux qui pensaient que Cisco était mort ; pas vraiment…
L’autre nouvelle de la nuit c’est chez Boeing que ça se passe. Boeing reprend de l’altitude, et c’est Qatar Airways qui pousse à fond la manette des gaz. Énorme commande des Qataris, puisque l’on parle de 210 long-courriers – des Dreamliners et 777X, pour un contrat potentiel de 96 milliards de dollars, moteurs compris. L’action prend +0,8% pendant que le reste du marché dort encore, La Maison Blanche exulte, Boeing respire : avec 5’700 avions dans le carnet de commande, ils ont de quoi bosser jusqu’en 2035. En avril, ils ont livré 45 avions — mieux qu’en 2024, mais pas encore la fête. Mais ils ont un objectif de 560 livraisons en 2025 et 800 par an d’ici 2028, avec un cash-flow qui redeviendrait enfin sexy. Boeing c’est le retour des morts-vivants boosté par Trump en First Class version géopolitique.
Le reste
Dans les autres infos à retenir, Dick’s Sporting Goods est en discussions avancées pour racheter Foot Locker pour 2,3 milliards de dollars, soit 24$ par action. Pour ceux qui ne suivent pas Foot Locker, le titre a clôturé à 12.87$. L’accord pourrait être finalisé dès aujourd’hui selon le Wall Street Journal. Et puis actuellement, il a une grosse conférence de Hedge Funds à New York et il y a Jim Chanos qui a parlé. Chanos est spécialiste pour shorter le marché et il vient de sortir un trade qui sent la poudre : il parie contre MicroStrategy… tout en achetant du bitcoin. Pour lui, détenir du bitcoin directement coûte « 1 dollar », alors que passer par MicroStrategy revient à le payer 2 dollars et demi. Belle prime pour pas grand-chose de plus. MicroStrategy détient plus de 500’000 bitcoins, mais a emprunté lourdement pour constituer cette montagne. Et surtout, elle est devenue une sorte de proxy boursier du bitcoin, avec une valorisation qui dépasse largement la valeur réelle de ses cryptos. Pire encore selon Chanos : d’autres boîtes commencent à copier ce modèle, en mode “achetez notre action, on achète du bitcoin derrière, et valorisez-nous comme MicroStrategy”. Une arnaque intellectuelle qu’il qualifie très sobrement de “ridicule”. Sa stratégie est simple : vendre l’action qui flambe artificiellement… et acheter le sous-jacent, le vrai, le brut : le bitcoin lui-même. Un arbitrage à l’ancienne, mais version crypto.
Pour finir
Pour conclure, on retiendra que le marché est au plus haut depuis un bon moment, mais que la fatigue se fait sentir momentanément. Reste à voir ce que Powell va nous offrir ce soir, même si j’ai l’impression que ça risque d’être plus que maigre. Restera à voir comment nous allons l’interpréter. En revanche, ce qui est assez fascinant c’est l’attitude des intervenants. Je suis totalement scotché de voir le nombre de stars de la finance qui sont redevenus méga-bullishs depuis trois jours alors qu’ils étaient portés disparus au début du mois d’avril. Tout le monde est redevenu optimiste, plus rien ne peut nous arriver et il suffit juste d’attendre les détails des deals tarifaires, ce n’est finalement qu’une question de temps. Les doutes du mois d’avril sont envolés et le Bull Market est de retour. Pourtant, en voyant les taux, on peut se dire que tout n’est pas encore gagné et qu’un retour de manivelle n’es pas ENCORE totalement exclu.
Bref, on va faire comme si le mois d’avril n’existait pas et nous allons continuer à nous laisser porter par la vague d’optimisme pendant que Trump signe des deals à coup de milliards pour les entreprises américaines au Moyen Orient. Le Président est définitivement devenu le meilleur vendeur de savonnettes des États-Unis. Pour ce qui est des chiffres du jour, nous aurons le PIB en Europe, le PPI aux USA, mais aussi le Philly Fed, le NY Empire State Manufacturing Index, les Jobless Claims, les Retail Sales et bien sûr, Powell qui va parler. Côté publications trimestrielles, il y a Ali Baba, Walmart, John Deere et Applied Materials qu’il faudra surveiller – pour le moment, les futures sont en baisse de 0.2%
Passez une excellente journée et on se voit demain pour boucler la semaine !
À demain !
Thomas Veillet
Investir.ch
An investment in knowledge pays the best interest. –Benjamin Franklin