Nous vivons définitivement une époque formidable. En quelques semaines, nous sommes passés de la panique des tarifs, de l’angoisse d’une inflation qui va exploser. À une certaine sérénité qui nous dit que, finalement, ça va bien se passer, parce que tout le monde se dit que c’est une question de temps ; mais Trump va trouver un deal avec la Chine. D’ici 85 jours. Et depuis, plus rien ne fait peur au marché. Le Président a ramené des milliards de cash Made in Moyen Orient, l’inflation semble vouloir marquer le pas et il ne reste plus qu’à survivre au downgrade de Moody’s – mais en même temps ; depuis quand un organisme de rating a été juste sur un downgrade de notation ? Mis à part jamais ?
L’Audio du 19 mai 2025
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La nouvelle du vendredi soir
Vendredi dernier, Moody’s a downgradé la dette américaine. Oui, encore. Et cette fois, c’est du sérieux : on passe de AAA à Aa1. Traduction : les États-Unis, selon la dernière des trois grandes agences à encore faire semblant d’y croire, ne sont plus le top du top en matière de dette souveraine. Vous avouerez que c’est moyennement surprenant – ce qui est surtout surprenant, c’était de se rappeler que les USA avaient encore un triple A quelque part. La plus grosse question que l’on a envie de se poser reste quand même : Mais Pourquoi cette décision maintenant ? Ben tout simplement Parce que les gars de Moody’s ont enfin fini par comprendre ce que tout le monde savait déjà depuis 2009 : l’Amérique dépense plus qu’elle ne gagne, et qu’en plus, Trump veut baisser les impôts. Si ça passe, ça rajouterait 4’000 milliards de dollars de déficit sur les 10 prochaines années. Le tout sans plan concret pour équilibrer les comptes, à part vendre des casquettes MAGA. Ou aller faire la manche à Doha.
Moody’s souligne que dans ces conditions, les États-Unis ne pourront plus maintenir un ratio de paiement d’intérêts comparable aux autres pays notés AAA. Bah oui, forcément, tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin elle se casse. Mais le plus intéressant dans tout ça – mis à part que les futures ont ouvert en baisse de près de 1% dimanche soir, c’est qu’on oublie généralement que ces organismes de rating comme Moody’s, S&P ou Fitch, ont la particularité de venir downgrader les dettes quand plus personne n’y croit depuis longtemps. Ces mecs-là viennent faire le constat d’une situation à l’instant « T » et n’ont absolument aucune prétention de vouloir prédire l’avenir. Il ne faut jamais prendre un « downgrade » de la dette comme étant une prévision de l’avenir, mais plutôt un constat du présent ou un message d’alerte comme quoi on commence à avoir les pieds dans l’eau. Et puis, lorsque l’on se plonge dans l’histoire de l’analyse financière et macro-économique de ces 150 dernières années, on se rend rapidement compte que CEUX QUI VEULENT OU QUI PRÉTENDENT faire des prévisions sur l’avenir sont à peu près juste une fois sur deux – soit aussi efficace que le gars qui joue son avenir à pile ou face – autant vous dire que ceux qui n’ont pas cette prétention et qui ne font que « constater » et tirer la sonnette d’alarme, sont largement aussi mauvais. Et dans le gouvernement de Trump, on l’a bien compris.
Que le spectacle commence.
On l’a bien compris parce si que Trump a déjà réagi en laissant entendre que les types de chez Moody’s ne l’aimaient simplement pas et que c’était personnel, Scott Bessent, le nouveau Secrétaire au Trésor (qui est quand même un ancien Hedge Fund Manager et qui sait à peu près de quoi il parle) est sorti du bois ce dimanche matin pendant que vous alliez chercher le pain et dans une dans une interview à sur NBC, le Monsieur nous a servi une punchline digne d’une soirée de stand-up dans les cafés branchés de New York en disant
“Les agences de notation sont des indicateurs retardés.”
Et BAM !!! Dans ta face Moody’s. Il faut donc comprendre qu’ils notent ce qu’on savait déjà, mais six mois plus tard. Et c’est VRAI, ça n’est pas la première fois que ce genre de cas se produit. Une époque on avait même commencé à se dire que quand un organisme de rating venait downgrader quelque chose, il fallait considérer ça comme un signal d’achat. Un signal comme quoi le pire est derrière nous. C’est comme appeler les pompiers quand la maison est déjà en cendres et venir dire qu’il faudrait peut-être vérifier le détecteur de fumée. On a donc passé le week-end à attendre l’ouverture des futures de dimanche soir, histoire de voir si le downgrade de Moody’s allait gâcher la fête des indices américains qui sont en pleine euphorie depuis que Trump a tendu la main aux Chinois et déverrouillé le problème des droits de douane. Oui, parce que pendant que Moody’s faisait ses calculs, la semaine dernière, on retiendra quand même que le S&P500 a terminé sa semaine 6.5% plus haut que la clôture du 2 avril, jour maudit où nous avions bêtement pensé qu’on allait tous mourir. Le SOX est 14% plus haut et Nvidia est 23% plus haut. Donc oui, je vous le confirme, dimanche soir les futures ont ouvert au fond du trou. À l’heure où j’écris ces mots – c’est-à-dire à 5h31 du matin – les futures sont en baisse de 0.96%. Ça sent la claque à l’ouverture. Mais en même temps, qu’y-a-t ’il de nouveau dans cette histoire ???
Est-ce que sincèrement vous êtes surpris ? Moody’s est le dernier des trois grosses agences à rendre le Triple A et vous pensez vraiment que personne ne s’y attendait ? Que c’est une surprise ??? Ce qui se passe aujourd’hui n’est rien d’autre qu’un gros effet d’annonce et dans 48 heures on sera passé à autre chose. Je ne suis pas un fan de Scott Bessent – pour être franc, avant qu’il ne rejoigne les rangs de la Team Trump, je ne savais même pas qu’il existait. Mais je dois dire que je suis assez d’accord avec lui : les agences de rating sont des indicateurs retardés et il faut leur donner le crédit qu’ils méritent. C’est-à-dire venir après la pluie nous dire que l’eau ça mouille et que le feu ça brûle. Alors oui, entre une dette qui explose, un déficit qui part à la dérive, une guerre commerciale qui n’est de loin pas encore réglée et un Président qui joue au Monopoly avec la fiscalité, ça commence à sentir fort le scénario instable. Mais, sans faire le pro-Trump, il faut quand même reconnaître que malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, ça n’est pas lui tout seul qui a mis les USA dans ce merdier, il va donc peut-être falloir lui donner le bénéfice du doute avant de crier au loup, mais en même temps, les organismes de rating ne savent faire que ça : crier au loup quand tout le monde sait depuis des mois que les loups sont parmi nous et que l’homme est un loup pour l’homme… Houlà, je m’emballe.
Mais alors on en est où ?
Et pendant que Moody’s fait sa cuisine, les marchés ont donc terminé une semaine en fanfare. Les marchés explosent à la hausse… et les raisons de s’inquiéter ont aussi commencé à exploser. Pour l’instant, ça monte, ça monte, ça monte (enfin, ça montait, ça montait jusqu’à vendredi soir). Et pendant que les bulls galopent à Wall Street comme si on avait découvert du pétrole sous la Maison Blanche, la bonne vieille question du “jusqu’où ça peut aller” revient frapper à la porte. Parce que derrière les sourires d’investisseurs et les déclarations de victoire des stratèges, les fondamentaux commencent à sérieusement à soulever quelques questions. On se lance donc dans une petite récapitulation de début de semaine…
• Le S&P 500 a effacé toutes ses pertes de 2025 et était en hausse de 1.3% sur l’année
• Pareil sur le Dow Jones et le Nasdaq
• Le DAX est en hause de 19% depuis le premier janvier – en fait 2025 c’était plutôt « Deutschland wieder groß machen » que Make America Great Again si l’on se base seulement sur les chiffres
• À propos de chiffres, on retiendra quand même que les chiffres du premier trimestre 2025 ne sont pas aussi moches que ça – alors oui, on sait que l’impact des droits de douane ne s’est pas encore faire sentir et nous allons donc devoir attendre le second trimestre, voire le troisième, néanmoins nous avons eu résultats trimestriels solides (92% des boîtes du S&P ont publié à ce jour et 78% d’entre elles ont battu les attentes sur les profits, 62% sur le chiffre d’affaires).
• Un délai de 90 jours sur les nouveaux tarifs douaniers a été négocié entre Washington et Pékin – et ça booste l’optimisme des investisseurs qui chantent haut et fort : « QUE PEUT-IL NOUS ARRIVER MAINTENANT ? »… On notera qu’à ce jour, il ne reste plus que 85 jours. Et pour ce qui est du reste du monde, il ne reste plus que 50 jours. De moratoire.
• Et puis, pour terminer, les chiffres de l’inflation que nous avons eu la semaine dernière, montrent que ça va un peu mieux (bon, là aussi, il faudra noter qu’on n’a pas encore des masses de recul par rapport à la mise en place des tarifs douaniers), mais ça calme un peu les marchés obligataires, pendant que Powell reste immobile et impassible.
Mais attention, le revers de la médaille de tout ça, c’est que la fête a un prix. Et ce prix, c’est que la Bourse commence à redevenir trop chère. Le P/E anticipé du S&P 500 est remonté à 21.5. Il était à 18.0 début avril. C’est au-dessus de la moyenne de 5 ans (20.25), et ça commence à sentir le « trop cher ». Parce qu’en parallèle, les attentes de bénéfices pour 2025 sont en baisse, avec un consensus désormais à 263$ par action, contre 271$ mi-mars. En gros, on paie plus pour des profits moindres. C’est pas non plus génial, non ? Après, on va temporiser parce qu’il ne faut pas non plus oublier que les analystes calculent leurs attentes de résultats en fonction de ce que leur donnent les sociétés et en ce moment, il faut tout de même retenir que les sociétés en question ont toutes plus ou moins annoncé qu’elles ne voyaient absolument rien et que l’avenir se résumait à un immense banc de brouillard opaque à couper au couteau.
Et ce n’est pas tout…
Les taux longs remontent : le 10 ans US a repassé les 4.50%, le 30 ans flirte avec les 5%. C’est comme t’endetter jusqu’aux dents avec des taux à zéro parce que la FED t’as dit que l’inflation était transitoire et sous contrôle.
Et ce n’est pas tout…
Les entreprises parlent de “tarifs” sans arrêt : sur les 500 boîtes du S&P, 411 ont prononcé le mot “tarifs” pendant leurs conf calls. Record absolu sur 10 ans – bon d’accord on ne parle de tarifs douaniers tous les trimestre depuis 10 ans, mais quand même… Preuve que, derrière les chiffres rassurants, ça s’inquiète sévèrement en coulisses.
Et ça n’est pas tout…
Ça n’est pas tout, parce que là tout de suite, plus personne n’imagine la moindre récession. Pendant un temps on y a cru, mais depuis que Trump fait copain/copain avec les Chinois, on n’envisage même pas d’y penser. Yardeni le disait l’autre jour : « Quand y a récession, les P/E plongent en dessous de 10. Là, on est à 21.5. Personne n’achète la thèse du krach »..
Et pourtant, par moment, on a l’impression que tout est en place pour que le rallye déraille :
• On a des valorisations qui sont tendues
• Une croissance des bénéfices qui ralentit
• De la tension sur les taux
• Le consommateur qui est sous pression ; on l’a encore vu vendredi avec les chiffres de la confiance du consommateur version Université du Michigan, puisqu’historiquement, c’est le second chiffre le plus moche jamais fourni… et pendant ce temps, même Walmart dit qu’il va augmenter les prix, car ses marges sont trop faibles.
• Et cette semaine, les « autres » retailers (Home Depot, Lowe’s, Target) vont nous dire s’ils sentent la même odeur de surchauffe ou pas.
Pour faire simple, Les marchés s’envolent sur de bonnes nouvelles et sur des espoirs… mais les fondations deviennent instables. C’est bien beau de danser sur le pont du navire, mais on n’a toujours pas vérifié s’il y a de l’eau dans la cale.
Alors à partir de cette semaine :
• Soit on continue à surfer la vague en priant que ça tienne,
• Soit on commence à se dire que ce rallye a besoin d’un petit reality check.
Et dans ce genre d’environnement… il suffit d’une étincelle pour faire tout sauter, mais par contre, je ne suis pas certain que cette étincelle s’appelle Moody’s.
L’Asie pour commencer la semaine
L’ambiance était morose à l’ouverture en Asie ce matin : la dégringolade des futures US a bien refroidi les marchés. Les chiffres de la Chine ? Mi-figue, mi-beton armé : une production industrielle au-dessus des attentes, mais des ventes au détail et des investissements à la peine. Résultat : les indices chinois sont dans le rouge, mais limitent la casse. L’Australie retient son souffle avant une probable baisse de taux de la RBA, pendant que le Japon continue de digérer un PIB catastrophique. Le Japon est en baisse de 0.7%, Hong Kong de 0.5% et la Chine de 0.10%. Le pétrole est à 61.68$ et continue de regarder en direction de Téhéran. L’or est à 3’216$ et le Bitcoin s’échange à 103’000$ et des poussières.
Du côté des news du matin, c’est pas la folie du tout. Tout le monde parle du FAMEUX DOWNGRADE et puis c’est tout. Ça devrait se calmer d’ici demain, voire même ce soir. Par contre, il y a une chose dont on va devoir parler, c’est le fait que les autorités américaines s’apprêtent à sabrer dans les exigences de fonds propres imposées aux banques. On va donc alléger la fameuse « Supplementary Leverage Ratio » – le SLR – ce truc mis en place après la crise de 2008 pour éviter, justement, que les conneries de 2008 ne se reproduisent pas. Sauf que là, avec la méthode Trump, on va déréguler en masse et les banques pourront prendre plus de risques, avec moins de sécurité. Les lobbyistes bancaires sabrent déjà le champagne : ils militent depuis des années contre cette règle qui, selon eux, les empêche de s’endetter comme en 2007 sous prétexte qu’ils détiennent trop de bons du Trésor.
The Wall
Et comme Trump adore les bons clients, il est en train de leur offrir une autoroute vers plus de trading, plus de dettes, et moins de contraintes. L’objectif caché ? Faire baisser le coût de la dette américaine. Et pour ça, rien de tel que des banques bien grasses qui rachètent des Treasuries comme si ça ne coûtait rien. Les esprits chagrins, eux, rappelleront que faire ça en plein chaos économique, avec des marchés aussi débiles et qui ont la stabilité mentale d’un labrador de 8 semaines, c’est peut-être pas l’idée du siècle. Mais bon… on n’est plus à une contradiction près.
En résumé, on est en train de retirer un des freins les plus importants mis en place après 2008, sous prétexte que “ça va mieux”, que “les marchés sont solides”, que “les banques savent se gérer” et surtout qu’elles ont APPRIS de leurs ERREURS !! Ne faites pas rire de si bon matin, parce qu’à chaque fois qu’on a relâché la bride aux banques, elles se sont précipitées vers l’abîme comme le labrador de 8 semaines précité qui court vers sa gamelle. Alors cette fois, faudra pas venir chialer si ça part en vrille parce qu’on a voulu monter des produits structurés hybrides sur la dette des clients de Tesla qui ont leur voiture en leasing, pendant que l’on se protège en vendant des contrats futures sur la quantité de neige qui va tomber à Verbier l’hiver prochain… Tout ça parce que ça rapporte du pognon et que ça fait des gros bonus…
En conclusion, Les marchés cartonnent, les agences notent avec six mois de retard, et Trump dérégule à tour de bras. On a déjà vu ce film et il me semble que ça ne finit jamais très bien. Mais bon… tant que la bourse monte et que l’or va à 5’000, qui a envie de lire les petites lignes en bas du contrat ?
Excellente journée à tous et à demain !
Thomas Veillet
Investir.ch
Buy when everyone else is selling and hold until everyone else is buying. That’s not just a catchy slogan. It’s the very essence of successful investing. –J. Paul Getty