Vous avez remarqué ? Non, je dis : « Vous avez remarqué que depuis une semaine on ne parle PLUS DE DROITS DE DOUANE (ou presque) ? » Que depuis une semaine on est tous passés maître-expert sur le marché obligataire et que c’est en train de devenir une obsession ? Vous avez remarqué comme à chaque fois que les taux montent un peu trop, tout le monde commence à se mettre les mains sur les joues en hurlant : « oh my God, oh my God », tout ça parce que l’on vient de se rendre compte que la dette américaine – eh ben en fait elle ne fait que de monter…et que soudainement nous sommes choqués parce que les gouvernements, ils ne font pas mine de vouloir rembourser.

L’Audio du 23 mai 2025

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Mais comment ont-ils pu faire ça ?

J’avoue que je suis fasciné de voir comment on est passé de la guerre commerciale à l’explosion de la dette en moins de temps qu’il ne faut pour dire « DÉFAUT DE PAIEMENT ». Enfin, quand je dis « fasciné », c’est surtout pour faire joli et faire croire que ça me choque, mais disons que ce qu’il faut surtout retenir, c’est le fait que depuis que personne n’a voulu prêter aux Japonais en début de semaine et qu’on a remis ça sur le 20 ans US il y a deux jours, il y a une espèce de prise de conscience assez rarement vue dans le monde magique de l’économie mondiale. Une prise de conscience qui nous pousse SOUDAINEMENT à se demander comment on a pu en arriver là et comment on a fait pour ne RIEN VOIR VENIR !

Alors je vais tout de suite remettre l’auction des bons du Trésor au milieu du village ; ça fait hyper-longtemps que les dettes des pays sont en train d’exploser – bon pas chez nous en Suisse, parce qu’on veut pas déranger et qu’on est trop terrorisé de ne pas pouvoir rembourser – mais pour le reste du monde, c’est du délire. Et au milieu de ce délire, il y a le Japon et les USA. Oui, parce qu’on sait que Bruno Le Maire a foutu la merde avec l’endettement en France et que maintenant il donne des cours aux autres pour leur expliquer comment mettre l’économie russe à genoux, mais avec un ratio dette/PIB au-dessus des 113%, la France reste quand même un petit joueur par rapport aux USA ou auJapon – qui lui reste le champion du monde toutes catégories. Et puis alors, soudainement, pendant que nous étions en train de calculer l’impact des droits de douane sur l’inflation et ce que cela pourrait éventuellement donner sur les taux directeurs de Jerome Powell, tout en mettant à jour le nombre de jours qu’il reste sur le moratoire des 90 jours du « reste du monde » – et qu’on se rendait compte que le 9 juillet, c’est presque demain. Tout le monde s’est soudainement concentré sur LA DETTE, les AUCTIONS et le fait que plus personne ne veut rien prêter à personne.

Et puis alors, une question lancinante est BRUTALEMENT VENUE sur le devant de la scène : COMMENT LES POLITICIENS ont-ils fait pour laisser monter la dette à un niveau pareil et – question subsidiaire – POURQUOI ne font-ils rien pour la faire diminuer ???

Mais c’est surtout parce qu’ils s’en foutent !

La réponse est pourtant hyper-simple et surtout super-logique et rationnelle : « ILS N’EN ONT STRICTEMENT RIEN À FOUTRE !!! ». Ils s’en tapent comme de leur premier pot-de-vin et ça fait très longtemps que ça ne les empêche plus de dormir. Non, parce que soyons logique ; prenez Trump. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, la dette US était autour de 19’000 milliards. Lorsqu’il est parti – ou qu’on l’a viré (selon lui) – on était passé à 22’000 milliards. Aujourd’hui, après 4 ans d’un type grabataire qui était télécommandé par le staff de la Maison Blanche, nous voici donc à 36’883 milliards d’endettement. Et à la vitesse où ça monte sur la US DEBT CLOCK, je pense que les 37’000 milliards sont pour dans pas longtemps.

Tout ça pour dire dans moins de 4 ans, Trump sera parti et ça ne sera plus son problème. Et c’est le cas de tous les politiciens mondiaux : ils veulent le pouvoir et ils veulent que le peuple pense qu’ils sont brillants. Mais personne n’est jamais arrivé dans un gouvernement en disant : « Bon, on va commencer par se serrer la ceinture et couper dans le budget pour faire des économies ». Vous avouerez que c’est quand même vachement plus facile quand on a qu’à prendre la carte du crédit du contribuable et payer la tournée des Grands-Ducs à tous ses ministres. Donc il faut se faire une raison et arrêter de jouer les vierges effarouchées : « Les politiciens du monde entier n’en ont strictement rien à foutre de l’endettement de leur pays, ils savent que dans quelques mois ou années, ils seront dehors et que, si ça se trouve – en plus ils vont toucher une rente pour pouvoir ne rien foutre le reste de leurs vies »…

Ça, c’est fait

Voilà. Ceci étant dit, il faut reconnaître que SOUDAINEMENT, depuis une semaine, il semblerait que « Les Gens » qui prêtent de l’argent aux gouvernements se sont tous levés – non pas pour Danette – mais pour exprimer leur courroux et dire qu’ils en ont un peu marre de prêter du pognon à tout va et de ne pas voir le moindre effort pour que les choses changent. Et c’est tout à leur honneur. Mais malheureusement, ça n’est pas ce qui va faire changer les politiciens sur leurs méthodes de management de la dette. Je le répète encore une fois : « ILS S’EN FOUTENT » – s’il vous faut des preuves, regardez simplement ce qui vient de se passer aux USA. Mercredi soir les marchés se font défoncer parce que plus personne ne veut prêter à 20 ans à moins de 5% – en gros ça veut dire : « Faites quand même gaffe les mecs, vous faites n’importe quoi et ça commence à se voir » et hier soir – soit 24 heures plus tard – le Congrès approuve un projet de baisse d’impôts qui va coûter entre 2’000 et 4’000 milliards sur 10 ans – ILS NE SONT MÊMES PAS SÛRS DE COMBIEN ça va coûter…

Alors si après ça, vous pensez que le monde politique en a quelque chose à foutre de l’endettement, c’est que vous avez vraiment foi en ces « soi-disant élites qui nous dirigent ». Ceci étant dit, nous arrivons tout de même à un pivot – une sorte de zone où ça va devenir très compliqué. La fameuse zone « au-dessus des 5% sur le 20 ans » ou « au-dessus des 4.5% sur le 10 ans ». En gros, ce qu’il faut retenir c’est qu’à ces niveaux de rendement, les actions ont de plus en plus de peine à régater avec les obligations et c’est moins facile de faire monter le S&P500 de 1’000 points par mois ou le DAX de 5’000… La crainte légitime que nous devons gérer en ce moment, c’est de se rendre compte que si les rendements continuent de monter PARCE QUE PLUS PERSONNNE ne veut prêter de l’argent, ça va rapidement devenir compliqué pour les indices boursiers de performer. Ça ne veut pas dire que ça sera plus simple à gérer en faisant que de l’obligataire, ça veut surtout dire qu’il y a une partie du système qui est en train de dysfonctionner sérieusement et – si je peux me permettre de reprendre l’analogie du Premier Ministre Japonais l’autre jour, qui disait que la situation du Japon était pire que celle de la Grèce, je peux déjà vous dire que si l’on se reprend le même type de swings que lors de la crise de la dette grecque en 2011 mais sur le Japon, il va falloir anticiper la chose et faire un stock d’anti-vomitif…

Pas la panique, mais le doute

En résumé, nous sommes dans une situation assez complexe. Nous avons une guerre commerciale qui n’est DE LOIN PAS RÉGLÉE – même si l’on s’autorise à PENSER dans les milieux AUTORISÉS que les Chinois et les Américains se sont parlé par WhatsApp en SIGNE DE DÉTENTE – nous avons une économie qui n’est pas au top de sa forme, que ce soit aux USA ou en Europe. La croissance est anémique en Europe, les USA sont à risque de récession quand même et l’inflation n’est pas encore vraiment sous contrôle si l’on en croit Powell et les droits de douane – et puis là, au milieu de ces équations à 4 inconnues, voilà que l’on colle encore le concept de problématique obligataire et de gens qui ont de l’argent mais qui ne veulent pas le prêter, sauf si on leur donne des taux d’intérêts digne d’un usurier des bas-fonds new-yorkais qui viendra vous péter un bras si vous ne payez pas dans les délais…

Vous avouerez qu’il y a quand même de quoi se poser des questions – si ce n’est de s’inquiéter un poil. La bonne nouvelle au milieu de tout ça, c’est que les marchés ont l’air d’être incapables de gérer plusieurs problématiques en même temps. Pour l’instant on s’occupe de l’aspect obligataire et depuis hier « ça va mieux » puisque les rendements du 10 ans ont rebaissé un peu à 4.533% et que celui du 20 ans US, a arrêté de monter. Oui, je sais, on se contente de peu. Mais vu que nous avons une vision à 12 minutes et un horizon d’investissement long terme sur les 24 prochaines heures, il va falloir composer avec. Hier les bourses mondiales n’ont pas fait grand-chose. Surtout aux USA où on a péniblement réussi à terminer à l’équilibre. En Europe on a terminé en baisse parce qu’on avait raté la correction US de la veille et que – selon la TOTALITÉ des articles de ce matin – LES INTERVENANTS étaient préoccupés par les niveaux d’endettement et le déficit américain qui semble hors de contrôle. Bref, comme je vous le disais en ouverture de cette chronique : depuis 48 heures nous sommes devenus des spécialistes obligataires et soudainement, l’inflation, la récession et la guerre commerciale n’ont plus prise sur notre mental.

En Asie

Ce matin, l’Asie s’est réveillée avec le sourire, même si c’est un sourire crispé. Les marchés ont remonté la pente, notamment au Japon, malgré des chiffres d’inflation qui commence à faire peur, chiffres qui sont à 3.5% contre 3.4% attendus. Mais on était soulagé quand même parce que les rendements des Treasury US ont enfin arrêté de grimper comme des alpinistes sous stéroïdes, comme déjà mentionné – je vous dis, ce matin tout tourne autour de l’obligataire. Wall Street a fait une pause, mais reste dans le rouge cette semaine – fiscalité et dettes US dans le rétro, et ça clignote rouge. Le Japon, lui, s’en fiche (pour le moment) : le Nikkei monte de 0.46%, les salaires progressent, les consommateurs claquent de la thune et la BoJ pourrait durcir le ton (ou pas). La Chine s’offre une bonne semaine, portée par des rumeurs de détente commerciale avec les States et quelques coups de pouce de Pékin et l’indice est en hausse de 0.08%, pendant que Hong Kong prend la même direction avec une progression de 0.57%, même si les résultats des géants du net chinois ne font pas rêver.

Du côté du baril, le pétrole fait du rase-mottes : les tensions géopolitiques passent au second plan, et la menace d’un nouveau boost de production par l’OPEP+ pour juillet inquiète. Pour certains analystes, tout dépendra des négociations sur l’Iran (négociations qui reprennent ce vendredi à Rome) et de la guerre en Ukraine : ça peut flamber à 70 ou plonger dans les 50 – on est bien avancé, on dirait une prévision météo : « il peut faire beau ou pas, mais on ne peut pas exclure des précipitations ou même de la neige ». En attendant, ça glisse doucement : WTI à 61.20$, Brent à 64.44$. L’or est à 3’311$ et le Bitcoin est à 111’000$ et des poussières.

Dans les nouvelles du jour

Même si tout le monde s’en fout pour le moment et même si on avait parlé que de ça il y a un mois – la cour suprême américaine a parlé de Powell et de ce que Trump pouvait ou ne pouvait pas lui faire. La Cour a rappelé que la Fed, n’est pas une agence gouvernementale comme les autres : c’est une bête hybride, mi-publique, mi-privée, donc intouchable… ou presque. Trump grogne, veut virer Powell, mais légalement, c’est pas gagné, et les marchés respirent un peu. Entre soutien bipartisan et les officiels de la Fed qui montent au créneau, le message est clair : toucher à l’indépendance de la Fed, c’est jouer avec un cocktail Molotov au-dessus d’un baril de poudre. Pas sûr que Trump renonce aussi facilement, surtout qu’il a BESOIN de voir les taux baisser, mais le premier round est pour Powell – pour l’instant.

On retiendra encore que Snowflake a explosé de +14% après avoir passé la barre mythique du milliard de revenus trimestriels, avec des chiffres qui ont éclaté les attentes. Fannie Mae et Freddie Mac ont décollé de 47% et 43% après que Trump ait sorti du chapeau l’idée de les remettre en Bourse, 16 ans après la crise des subprimes. À l’inverse, les assureurs santé comme Humana et CVS ont pris une claque à cause d’un gros coup de vis réglementaire sur les audits Medicare. Dans le solaire, c’est la débandade : Sunrun s’écroule de 37% suite à une annonce sur la fin accélérée des crédits d’impôts. Nike rebondit en renouant avec Amazon après 5 ans de bouderie. Urban Outfitters grimpe de 23% grâce à des ventes en hausse sur toutes ses marques, tandis qu’Analog Devices se fait dégommer malgré des prévisions solides. Et enfin, Advance Auto Parts fait un rallye de +57% après un trimestre moins mauvais que prévu. Et puis, on notera quand même que Relief Therapeutics obtient de la FDA la désignation de maladie pédiatrique rare pour son spray anti-infectieux RLF-TD011, déjà reconnu comme traitement orphelin. Destiné aux patients atteints d’épidermolyse bulleuse, une maladie génétique ultra-rare causant des cloques, le traitement a montré une baisse de 25% des staphylocoques dorés en huit semaines. Une avancée notable pour la biotech genevoise, qui marque des points dans le domaine des maladies rares. Le titre prenait 50% hier, comme quoi en Suisse aussi on a des titres qui bougent comme des actions dans le Quantum Computing.

Les chiffres du jour

Du côté des chiffres du jour, nous terminons cette petite semaine économique avec encore moins que les autres jours. Il y aura bien le PIB allemand, mais tout le monde s’en tape parce qu’on sait que le nouveau gouvernement va claquer du pognon comme s’il en pleuvait et puis autrement, nous aurons les permis de construire et les ventes des nouvelles maisons aux USA. Pour le reste, il faudra retenir que les USA seront fermés lundi pour cause de Memorial Day et que tout le monde va se casser en week-end dès ce soir aux USA. Les volumes de lundi seront médiocres, mais nous en Europe on va faire croire que l’on peut vivre sans eux, même si on sait tous que c’est du pipeau…

Pour le moment les futures sont inchangés et tout le monde a les yeux fixés sur les rendements du 10 ans, du 20 ans et du 30 ans, parce qu’on est tous devenus experts sur le sujet. Même moi je fais semblant de m’y intéresser.

Très belle journée à tous et à lundi, passez un excellent week-end dans les caves ouvertes de Genève !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Most investors want to do today what they should have done yesterday.” Larry Summers