Les marchés montent, l’économie ralentit, les taux hurlent au secours, et tout le monde s’en fout. Mais pourquoi est-ce que tout le monde s’en tape ? Ben parce que Trump a reporté ses tarifs de destruction massive sur l’Europe. On ne règle rien, mais par contre, on célèbre le délai – la grande classe et les champions du monde de la vision à court terme. En attendant Nvidia ce soir et l’inflation PCE vendredi, la Bourse vit sous perfusion narrative. Euphorie artificielle et espoirs fumeux d’un miracle économique mystérieux. Mais pendant que les indices font la fête, les obligations couinent, la dette déborde, et le Trésor US tente de bidouiller les lois pour calmer les taux longs.
L’Audio du 28 mai 2025
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Du stand-up, des mots et des espoirs
Bref, nous sommes dans une illusion de stabilité… avec Nvidia en juge final. Enfin, jusqu’à demain soir, quand il sera temps (déjà) de passer à autre chose. Pour le moment, je ne sais pas vous, mais on a l’impression que l’on vit dans une pièce de théâtre, que tout ça n’est pas vrai. Nous sommes dans un vaudeville boursier, géopolitique et monétaire. Sauf que le scénario est toujours le même et parfois, on a l’impression qu’on a déjà vu l’épisode et que l’on connait déjà la fin. Un peu comme si Netflix ne classait plus ses séries dans l’ordre et que l’on se retrouvait à se taper des saisons entières dans le désordre et essayer de tout remettre en place dans nos têtes au fur et à mesure. Dans l’épisode du moment – épisode qui n’en finit pas, d’ailleurs – Donald Trump menace, les marchés paniquent, Trump recule, les marchés exultent… Et hop, deux jours de rallye sur une non-nouvelle, un simple report de deadline qui ne règle absolument rien.
La Bourse fonctionne désormais à la dopamine tarifaire, shootée à l’imprévisible, accrochée au moindre tweet ou clin d’œil de Trump. Et cette semaine, le manège a recommencé : les 50% de droits de douane sur les produits européens, initialement prévus le 1er juin, sont repoussés au 9 juillet. Un simple « on verra plus tard » qui a suffi à déclencher une euphorie généralisée sur les marchés après le début d’une « love story » entre Trump et von der Pfizer. On ne célèbre plus les résultats économiques, on célèbre le fait que le chaos soit reporté à plus tard. Autant vous dire qu’on a vraiment l’impression de tourner en rond. J’ai l’impression de réécrire la chronique d’hier, sauf que cette fois c’est les Américains qui ont profité des annonces de dimanche soir. Vivement que l’on revienne sur du factuel et qu’on arrête de fonctionner en fonction des envolées lyriques du joueur de pipeau de la Maison Blanche.
Au tour de New York
Ce mardi, Wall Street s’est donc envolé. +741 points pour le Dow Jones, +2,05% pour le S&P 500, +2,47% pour le Nasdaq. Les investisseurs qui étaient encore bourrés après les barbecues du week-end prolongé du Memorial Day, se sont rués sur les actions comme si Trump venait de signer un traité de paix économique mondial et qu’il laissait finalement tomber la stratégie des droits de douane, qu’il ouvrait les frontières des États-Unis a tout le monde et qu’en plus, il avait trouvé un remède contre le cancer entre lundi soir et mardi matin. Mais attention, j’insiste : ce rebond est construit sur du sable. Non, parce qu’en réalité, rien n’a été réglé. Les négociations commerciales avec l’Europe restent au point mort. Trump a seulement offert un répit tactique, une carotte fiscale et donné l’impression qu’on était tous frères.
Pourtant, pendant ce temps, l’économie mondiale retient son souffle, car ce n’est pas une question de « si », mais de « quand » le prochain coup de massue tombera. On sait qu’il va nous en refaire une et probablement avec la Chine. On est parfaitement conscient du fait que le Président Américain ne va pas « comme par magie », oublier de revenir sur le sujet et passer à autre chose. IL VA FORCÉMENT s’en reprendre à quelqu’un, à quelque chose. Ou au deux en même temps. Et c’est là tout le paradoxe actuel : on a un marché qui célèbre des retards de sanction comme s’il s’agissait de relances économiques massives et de solutions pérennes, alors même que les fondamentaux macroéconomiques hurlent à l’instabilité. En ce moment, l’ensemble des indices vivent sous assistance respiratoire et on refuse de voir le risque pour célébrer un éventuel miracle. Tout est suspendu à l’attente. Attente de chiffres, attente de discours, attente d’un miracle politique ou technologique. Et c’est précisément cette accumulation d’attentes qui rend la situation tout aussi instable qu’hypnotique.
Le lendemain d’hier
On ne va pas se mentir, hier les States étaient en pleine bourre pour fêter le report des droits douane au 9 juillet. Ça n’est pas une garantie, c’est un su-sucre pour faire croire aux Européens qu’on est ses potes. Mais derrière, il a les doigts croisés dans le dos et à la première occasion, il va nous en remettre une dans les dents. Mais peu importe, maintenant que la séance d’hier est derrière nous, que les célébrations sont faites et que le S&P500 n’est plus qu’à 3.6% du plus haut de tous les temps, on peut se « RE-concentrer » sur nos attentes de la semaine. En ligne de mire : deux échéances cruciales – et quand je dis CRUCIALES, je le dis avec C majuscule et des caractères très très gras. Tout d’abord, les résultats de Nvidia ce soir. Ensuite, l’inflation PCE vendredi. Deux rendez-vous qui serviront de révélateur. Car malgré ce début de semaine en fanfare, le fond du tableau reste flou. Un peu comme mon écran le matin quand j’ai oublié mes lunettes au restaurant et que je suis obligé de mettre les caractères de Word en Arial 25 pour y voir quelque chose.
L’économie ralentit, les taux longs restent perchés – ils baissent un poil, ok, mais ils sont encore trop hauts – la dette explose, mais on continue à acheter. Parce qu’on espère que l’IA va tout régler. Parce qu’on espère que Trump négociera avec gentillesse et bienveillance. Et puis surtout, on achète parce qu’on n’a plus le choix. Il faut maintenir la hype avec de la hype, sinon c’est pas drôle. En Europe, comme on avait déjà salué les « accords du 9 juillet » durant la séance de lundi. On n’a rien fait en attendant d’en savoir plus. Normal. Paris a fait du surplace, histoire de digérer sa jolie hausse de lundi. Puis, toujours en salle d’attente, Francfort s’accroche à ses records, mais avec un volume d’échange anémique, un volume historiquement bas. C’est comme si tout le monde était sur pause, prêt à réagir, mais sans conviction aucune pour l’instant. En Suisse, le SMI grappille un +0,06%, porté par l’euphorie de Richemont (+1%) et grâce aux exportations horlogères vers les US en hausse de 149% – on espère d’ailleurs que Trump n’a pas vu passer le chiffre, il est capable de mettre une taxe spéciale contre les horlogers suisses qui ne fabriquent pas aux USA. En résumé, très belle journée de récupération du temps perdu à New York et grosse séance d’emmerdement maximum en Europe parce qu’on ne sait pas quoi faire et QU’EN PLUS, demain c’est l’Ascension.
L’étau se resserre
Mais pendant que les indices boursiers jouent à la chaise musicale, c’est dans les tranchées du marché obligataire que le vrai match se joue. Le Trésor américain prévoit d’émettre pour 183 milliards de dette cette semaine. Hier nous avons eu droit à la première salve : 69 milliards à 2 ans. Résultat correct avec un taux à 3,955%, avec une demande un peu meilleure qu’en avril. Les banques centrales étrangères, ont pris 63,3% de l’offre. Ce n’est pas génial, mais c’est moins pire que la dernière fois. On respirait un peu mieux, mais sans pour autant crier victoire. Le vrai moment de vérité, c’est au Japon. Ce mercredi, Tokyo émet l’équivalent de 3,5 milliards de dollars en dette à 40 ans. Et là, attention danger. Car la dernière vente à 20 ans a été un désastre. Personne n’en a voulu. Résultat : un mini-krach obligataire japonais qui a contaminé le reste du monde. Si cette vente à 40 ans se plante aussi, on aura la preuve qu’un palier a été franchi. Que la digestion de la dette devient indigeste. Que la fête est peut-être bien terminée.
Et c’est dans ce contexte que Scott Bessent, patron du Trésor US, veut jouer les pompiers. Son idée c’est de modifier le « Supplementary Leverage Ratio », alias SLR. Cette règle héritée de 2008 impose aux banques de conserver un coussin de capital même face aux actifs considérés comme sans risque, comme les bons du Trésor. L’idée de Bessent, c’est de desserrer cette contrainte, pour inciter les banques à revenir sur le marché de la dette publique. En théorie, cela devrait augmenter la demande de Treasuries, donc faire baisser les taux. En pratique, c’est un peu moins évident. Souvenez-vous de la Silicon Valley Bank. Une banque qui a explosé pour avoir misé trop lourdement sur des obligations longues sans se couvrir. Depuis, les banques se méfient. Et même si on leur donne plus de marge de manœuvre réglementaire, cela ne veut pas dire qu’elles iront se gaver de dettes à 30 ou 40 ans. Hier soir, il y avait un stratégiste qui le disait très bien : « Même si on assouplit le SLR, les banques ne bougeront pas. Et si elles ne bougent pas, qui devra intervenir ? Eh oui ; la Fed. Encore. » Et on repart pour un tour d’assouplissement monétaire déguisé, de marchés sous perfusion, et d’un système qui tient à coups de morphine réglementaire et qui est incapable de s’assumer sans l’aide de la banque centrale. Pas sûr que cette nouvelle solution miracle soit si miraculeuse que ça.
L’intelligence pas si artificielle
Et au milieu de tout ça, il y Nvidia. Le roi de l’IA. Le dernier des « Magnificent Seven » à publier. Celui qui peut faire ou défaire un trimestre entier à lui tout seul. Depuis avril, la tech a effacé ses pertes grâce à un rebond spectaculaire porté par l’IA – et hier soir, c’est eux encore qui tiraient le marché. Nvidia a repris 56% depuis les points bas extrêmes du mois d’avril. Mais ce soir, il va falloir délivrer. Le marché attend un chiffre d’affaires de 43,3 milliards, un bénéfice par action de 73 cents, et une croissance des revenus dans les data centers de +74% (contre +93% précédemment). Mais ce ne seront pas les chiffres bruts qui vont compter. C’est le message. Le storytelling. Est-ce que Nvidia peut survivre à la coupure avec la Chine ? Est-ce que le lancement imminent d’une puce Blackwell allégée, mais conforme, suffira à reprendre pied dans l’empire du Milieu ? Est-ce que les marges peuvent remonter après être tombées à 58% ? Bref : est-ce que Nvidia peut porter à lui seul le narratif IA qui justifie encore les multiples délirants sur certains papes de la tech US ? La question, elle sera vite répondue ce soir…
Parce que si Nvidia déçoit, le château de cartes risque bien de commencer à vaciller sérieusement. Et pas seulement pour les valeurs technologiques. Toute la logique actuelle des marchés – celle du « on investit dans l’avenir parce que le présent est trop moche » – pourrait être remise en question. En résumé, à l’heure actuelle nous vivons dans une illusion de stabilité. Une mise en scène parfaitement huilée où l’espoir prime sur les faits, où les taux montent pendant que les actions volent, et où l’économie réelle est oubliée sous une avalanche de puces, de narratifs et de tweets politiques. Ce soir, Nvidia n’est pas qu’un constructeur de semi-conducteurs. C’est le baromètre émotionnel d’un marché en état de dépendance avancée. Et si NVIDIA éternue, ce n’est pas juste le Nasdaq qui prendra un Doliprane. C’est tout le système qui devra aller chercher un nouveau dealer.
Pour le reste
Ce matin l’Asie a surfé sur l’euphorie post-Wall Street : Trump repousse ses tarifs, et tout le monde souffle. Les techs mènent la danse, dopées par Xiaomi et l’attente du grand oral de Nvidia. À Séoul, le KOSPI s’envole, porté par les fournisseurs de puces. Mais en Chine, c’est la soupe à la grimace : PDD déçoit, la consommation tousse, et la déflation rode. Même un Xiaomi au top n’arrive pas à compenser. Résultat : un marché asiatique à deux vitesses, suspendu à la magie IA… et aux humeurs de Washington. Le Nikkei est en hausse de 0.3%, le Hang Seng recule de 0.5% et la Chine est en hausse de 0.07%. Mais sans avoir le permis de tuer.
Du côté du baril, ça reprend un peu de poil de la bête : Trump interdit à Chevron d’exporter du brut vénézuélien, et hop, l’offre se resserre. Résultat : les prix remontent doucement -à 61.22$ – et pendant ce temps, l’OPEP+ fait semblant de réfléchir à une hausse de la production pour juillet. En parallèle, l’Iran et les US patinent dans leur tango nucléaire, et les raffineries, elles, commencent à transpirer. L’or est à 3’324$, le Bitcoin est à 109’000$ et le rendement du 10 ans américain est à 4.47%.
Encore du reste
Coté du news du jour, on notera que Salesforce lâche 8 milliards pour s’offrir Informatica, le roi des catalogues de données, histoire de muscler son jeu en IA. Les marchés applaudissent : +6% pour Informatica, +1% pour Salesforce. Derrière ce rachat, une promesse : des agents IA « vraiment autonomes », mais surtout une course à l’armement technologique qui ne fait que commencer. Et puis, Trump parle de nouvelles sanctions contre Poutine, il ne se passe plus un jour sans qu’il s’en prenne verbalement à son homologue russe. Mais au-delà de tout ça, je viens de faire le tour de la première page du Wall Street Journal, et c’est absolument dingue de voir que la moitié des articles qui sont mis en avant commencent par : Trump ou Donald Trump, ou le Président Trump. Je n’ai pas souvenir d’une telle omniprésence dans les médias lors de son premier mandat. Je ne sais pas si c’est inquiétant, mais chiant, sûrement.
Pour les chiffres du jour, vous savez déjà pour Nvidia, vous savez aussi pour les Minutes du FOMC Meeting qui sortiront ce soir et qui ne nous apprendrons rien de plus, mais par contre on ne parle pas assez du PIB français, ainsi que des dépenses du consommateur en France. Consommateur qui va consommer de moins en moins, vu les sacrifices que le « GÉNIE BAYROU » va leur demander de faire. Bref, tout ça pour dire qu’il y aura le PIB français, les dépenses de consommation et le chômage en Allemagne. Il y aura aussi plusieurs collègues de Powell qui vont parler pour dire que les taux ne vont pas baisser, mais celui que l’on écoutera le plus, c’est Jensen Huang, après la clôture.
Passez une excellente journée et un très bon jeudi de congé, on se retrouve vendredi pour faire le point. Ou peut-être demain si y a VRAIMENT un truc à dire, style Nvidia qui a perdu 35% after close et pendant que j’ai votre attention, je voudrais encore vous signaler que dorénavant, j’ai une « fonction de plus », puisque ZONEBOURSE m’a fait l’honneur de m’ouvrir les portes de leur chaîne YouTube et que, désormais je publierai une vidéo tous les vendredi – l’émission s’appelle « La Finance Décomplexée » et le premier épisode a été publié hier, voici le lien : LA FINANCE DÉCOMPLEXÉE – by Zonebourse
N’hésitez pas y faire un tour, tout comme sur le site Zonebourse.com…
Très belle journée à tous et à tout soudain !
Thomas Veillet
Investir.ch
“If you’re prepared to invest in a company, then you ought to be able to explain why in simple language that a fifth grader could understand, and quickly enough so the fifth grader won’t get bored.” Peter Lynch