Bienvenue dans ce monde merveilleux où Nvidia sauve l'humanité à coups de semiconducteurs. Où Trump se fait remettre en place par des juges en colère, où Powell médite au fond de sa grotte en priant pour que l'inflation se calme. Et où, les marchés montent malgré l’incertitude sur à peu près tout. Aujourd’hui, on aurait pu ne parler QUE de Nvidia – parce que balancer 44 milliards de dollars de chiffre d’affaires au Q1, c’est quand même pas mal – mais l’actualité nous a servi un menu complet. Entre guerre commerciale, procès tarifaires, Minutes de la Fed, duel Trump-Powell, et publications d’entreprises, on n’a pas eu le temps de s’ennuyer ce jeudi de l’Ascension.

L’Audio du 30 mai 2025

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Vous faites le pont ?

Wall Street a frôlé les sommets hier. On n’y est pas encore, mais disons que si on m’avait dit que le 2 avril, le S&P flirterait avec les 6’000 points le 29 mai et tout ça soutenu par Nvidia et la team AI. Je n’y aurais pas cru. Pendant ce temps, le Dow Jones prenait 0,3 %, le Nasdaq 0,4 %. Mais attention, derrière cette montée tranquille se cache tout de même une nervosité grandissante. L’incertitude est toujours tapie dans l’ombre prête à bondir et heureusement, les taux ont donné d un petit coup de pouce : la vente des bons du Trésor à 7 ans a cartonné, attirant un max d’investisseurs pour un rendement à 4,19 %. Résultat : le 10 ans redescend à 4,41 %, et Wall Street respire.

Bon. Là je fais une toute petite pause sur le sujet. Déjà on parle du 7 ans. QUI S’INTÉRESSE vraiment au 7 ans ??? Non, je veux bien croire que les EXPERTS en bons du Trésor sont habitués à en parler autour de la machine à café, mais le reste du monde s’en fout complètement. Mais c’est pas grave. C’est pas grave, parce qu’en ce moment on a tellement besoin d’être rassurés sur le sujet des taux et de la demande sur les émissions de la dette US, que l’on prendrait n’importe quoi pour se rassurer. N’importe quoi comme le 7 ans. Bref, hier c’était « un soulagement technique » – mais je ne parierais pas sur un rallye sincère avec plein de conviction dedans. En Europe, c’était très calme. Le CAC 40 reculait légèrement tout comme le DAX – il faut dire que l’Europe fait le pont et moi aussi. La nervosité post-décision judiciaire sur les droits de douane US était palpable (on va y revenir). Et on prenait le temps de se souvenir que depuis le début de l’année l’Europe profite d’un afflux de capitaux, mais que le moindre cafouillage américain peut redistribuer les cartes en une nuit – peut-être pendant le déjeuner.

Nvidia, le messie réincarné

Si vous n’étiez pas là hier, si vous n’avez rien vu et lu hier (même pas la vidéo que j’ai publié sur le site), je vous fais rapide BACK TO THE FUTURE… à moins que ça soit dans le passé.

Alors oui, Nvidia a publié ses chiffres trimestriels mercredi soir, voici ce qu’il faut en retenir :

• Chiffre d’affaires : 44,1 milliards (+69 % sur un an)
• Bénéfice ajusté : 96 cents/action (mieux que les 93 cents attendus)
• Marge brute ajustée hors Chine : 71,3 %
• Division Data Center : +73 % à 39,1 milliards
• Gaming : 3,8 milliards, en hausse de 33 %

Au niveau de la guidance, Wall Street espérait 45,9 milliards pour le trimestre prochain. Ils n’auront eu « que » 45. Résultat : les plus grincheux ont tiqué… mais le titre a quand même pris +3 % sur la séance d’hier. Parce qu’on parle quand même d’une entreprise qui imprime du cash plus vite que la FED et ça, même sans la Chine. Oui, parce que la Chine, c’est un problème. Interdiction d’exporter les puces H20 = -2,5 milliards au Q1 et -8 milliards prévus au Q2. Jensen Huang n’a pas mâché ses mots : « Ignorer le plus gros vivier de chercheurs en IA, c’est suicidaire. Si ce n’est pas nous, ce sera Huawei. » Heureusement, il y a Blackwell. La nouvelle puce miracle. Une bête de calcul capable de transformer n’importe quelle usine en « AI Factory ». Les premières unités sont déjà en test, et la demande reste massive à l’échelle mondiale. Même sans la Chine, Nvidia reste un rouleau compresseur. Et avec un PE de 28, on commence presque à trouver ça raisonnable. Eux qui avaient un PE historique de 40.

Le feuilleton des droits de douane devient juridique

Le mercredi 28 mai, la Cour du commerce international US a fracassé les tarifs douaniers de Trump. Les juges ont estimé que l’IEEPA (la loi d’urgence économique) ne peut pas être utilisée pour balancer des surtaxes à tout-va.

Résultat :

• Les droits de 10 à 30 % sur des milliers de produits étrangers doivent être supprimés sous 10 jours.
• Des remboursements d’importation pourraient même être exigés.
• Wall Street a explosé en préouverture : +600 points pour le Dow, +1,75 % pour le S&P… avant de se calmer.

La Maison Blanche a fait appel – ce qui – pour l’instant – a un effet suspensif. Et balance : « Ce n’est pas aux juges NON élus de décider ce qu’est une urgence nationale. » Traduction : Trump est furax, prépare la riposte, et les marchés attendent le prochain épisode. Ce jugement remet en question le financement du « One Big Beautiful Bill Act » à 3’800 milliards. Sans les taxes, la dette explose (encore un peu plus) et les gars se sont rués sur le 7 ans hier. J’avoue que parfois, je peine à comprendre. À l’international, on se frotte les mains. Pourquoi signer des accords avec les US si les tarifs tombent d’eux-mêmes ? Les deals commerciaux sont suspendus, le dollar reprend des couleurs, et l’incertitude monte en flèche. Et les capitaines sur les cargos en plein milieu de l’Océan ne savent pas trop à quelle sauce ils vont se faire dévorer à quai. Et je ne vous parle même plus des douaniers, qui passent plus de temps à changer de formulaire qu’à traquer les descendant d’Escobar.

Powell au front

Mercredi soir, il y avait aussi les Minutes du dernier FOMC Meeting qui révélaient une ambiance pesante. La Fed s’inquiète : croissance molle, inflation persistante, chômage en embuscade. On parle de stagflation et les tarifs de Trump pourraient prolonger le chaos jusqu’en 2027.
Powell hésite. Il ne veut pas baisser les taux sans avoir plus de « data » et pour être franc, il est terrorisé par un rebond éventuel de l’inflation – bien plus que par l’arrivée de la récession ou de la stagflation. Et pendant ce temps, la pression monte. D’autant plus que…
Jeudi, Trump et Powell se sont vus. Enfin « vus »… Disons qu’ils se sont assis dans le même bureau façon duel de western, le premier qui bouge est mort.

• Trump a déclaré : « Baisse tes taux, Jerome ! On est à la traîne par rapport au reste du monde et il n’y pas d’inflation! »
• Powell a retorqué : « Je décide selon la data, pas tes tweets. Et la data me dit que si tu fous le bordel avec tes tarifs, l’inflation va repartir. Et ça, je VEUX PAS !!! »

Vous l’aurez compris, l’ambiance est à son top. Powell garde la ligne, Trump râle et fait la gueule, tout le monde semble vouloir lui résister et il vrai que depuis quelques jours il est bien plus silencieux. Je ne sais pas si c’est bon signe, mais j’ai peur que la riposte ou le retour au premier plan, soit relativement spectaculaire. Et les marchés pendant ce temps-là ? Ils stressent. Parce que si la Fed devient un outil politique, c’est la crédibilité du système qui s’effondre. Mais pour l’instant, statu quo. Les taux restent entre 4,25 % et 4,5 %, et on attend la suite du feuilleton. Et jusqu’à ce matin, Powell était encore en place. Pas de faute grave, pas de disparation inexpliquée, pas de vol en direction de Guantanamo prévu sur CIA airlines ces prochaines heures…

Et ce matin quoi ?

En Asie on parle de… droits de douane. Trump a ressorti ses droits de douane du tiroir, thématique qui est relancée par la cour d’appel. Résultat : panique en Asie. On aime pas trop le doute. La Chine dévisse : négos commerciales à l’arrêt selon Bessent, Hong Kong plonge de 1.5 % et Shanghai de 0.3%. Mais que l’on se rassure, Scott Bessent nous a sorti le classique : « Ça va reprendre », façon ex qui croit encore à son couple. En même temps, si Trump a pas le droit de mettre des droits de douane selon les juges, pourquoi les Chinois s’embêteraient à négocier. Bon, pour l’instant l’appel de la Maison Blanche a un effet suspensif sur la voix des juges, on verra donc ce qui va se passer. Pendant ce temps, Pékin continue de râler sur les restrictions américaines sur les semi-conducteurs, et Washington en rajoute une couche en bloquant encore plus d’exportations. Au Japon, l’inflation est plus chaude que prévu (encore une fois) et on reparle de hausse des taux en juillet. Le Nikkei est en baisse de 1.4%.

Du côté du baril, on revient tester les 60$ – rien de neuf sous le soleil. L’or est à 3’315$, le Bitcoin se replie à 106’000$ et le rendement du 10 ans US est à 4.41, c’est presque que du bonheur.

Du côté des nouvelles neuves

Quelques sociétés qui comptent un peu (moins que Nvidia) ont publié leurs chiffres hier. DELL a fait Carton plein. Backlog AI monstrueux de 14,4 milliards. Ils explosent la guidance : 29,5 milliards attendus au Q2 contre 25,3 prévus. Résultat : l’action s’envole. Mais le CFO prévient : les commandes IA, c’est lourd, mais irrégulier. Le titre revient et pour l’instant, il est en hausse de 1.85%. Chez MARVELL les chiffres étaient OK, mais le doute s’installe. Le partenariat avec Amazon sur les puces Trainium fait jaser, et les rumeurs de perte de contrats vers Taïwan n’aident pas. Résultat : -3 % après la clôture. Du côté de GAP les résultats étaient au-dessus des attentes grâce au lifting de ses marques. Mais l’annonce d’un impact de 250 à 300 millions de dollars à cause des droits de douane a fait plonger le titre de 15 % post-clôture. Même avec seulement 10 % de produits made in China, le protectionnisme coûte cher. Et dans un monde où les tribunaux bloquent les tarifs le mercredi et les réactivent le jeudi, difficile de planifier quoi que ce soit.

Pour le reste des news, Trump pourrait demander à la cour suprême la suppression du blocage des tarifs dès ce soir. Et je connais des juges qui risquent de devoir regarder derrière eux pendant un moment. Voilà où on en est : Nvidia porte la planète à bout de bras, Trump repart en guerre avec ses tarifs, il force les avocats à bosser jour et nuit et je prends les paris, il n’attendra pas la fin des moratoires pour secouer le cocotier. Pendant ce temps, Powell médite dans son coin et les entreprises jonglent avec les incertitudes. Les marchés montent, mais sans trop y croire. On marche sur un fil, sans filet, au-dessus d’un océan d’incertitudes juridiques, politiques, géopolitiques, et économiques. 2025 est une grande année.

Les chiffres du jour ou plutôt devrais-je dire LE CHIFFRE DU JOUR

Du côté chiffres économiques, nous aurons les ventes de détail en Allemagne, le KOF en Suisse, le CPI en Espagne. Puis aux USA nous aurons le Chicago PMI et les chiffres de l’Université du Michigan sur la confiance du consommateur. Mais pour être franc, si l’ensemble de la planète finance est venue au bureau aujourd’hui – enfin, pour ceux qui y sont – c’est pour voir les chiffres du PCE – LE CHIFFRE préféré en termes d’inflation pour la FED. Alors on va attendre, surveiller et en tirer des conclusions. On aura l’occasion d’en reparler la semaine prochaine. Dès lundi. Tout en sachant qu’il peut se passer des milliers de trucs pendant le week-end, puisque visiblement, en politique et en géopolitique, on ne dort jamais.

Passez un excellent week-end et à lundi !

Thomas Veillet
Investir.ch

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