Après un week-end de trois jours c’est toujours un peu l’instant de la réflexion. Surtout quand on sait que le reste du monde était plus ou moins ouvert, on a un peu l’impression d’avoir raté un truc. Pourtant les marchés américains et européens ont continué à vivre sans nous. Ce qui du coup, nous permet ce matin de revenir frais et dispos pour analyser tout ce qui s’est dit pendant ces trois jours. Et pour être franc, on retiendra que les marchés sont indestructibles, et que et tant qu’on n’aura pas plus de détails sur les résultats des négociation sino-américaines et sur l’inflation et l’impact des droits de douanes sur l’inflation, on n’aura pas d’autre solution que de monter.

L’Audio du 10 juin 2025

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La réflexion du lundi

Avant d’aller dans les détails des chiffres récemment publiés, je crois qu’il faut aussi essayer de prendre un peu de recul sur ce qui se passe actuellement. Commençons donc par les indices américains qui sont à quelques points du plus haut de tous les temps. Indépendamment de ce qui se passe économiquement aux USA, le marché se concentre sur l’aspect géopolitique – comprenez : les droits de douane et les multiples sketchs que Trump nous fait à la télé, le dernier en date étant le déploiement de la garde nationale à Los Angeles pour calmer les émeutiers ou démarrer une vraie guerre civile. À l’heure actuelle, Wall Street semble peu concerné par la chose. Mais on ne peut pas exclure que les choses puissent dégénérer rapidement si les membres du Congrès ou du Sénat commençaient à se sentir concernés. Cela pouvant rapidement dériver sur un autre problème de lutte de pouvoir : le plafond de la dette. En effet, si Trump continue à se fâcher avec tout le monde, même ses soutiens les plus fervents pourraient avoir envie de lui demander de se calmer via les négociations sur le plafond de la dette. Je rappelle au passage qu’une solution doit être trouvée avant cet automne au risque de faire défaut.

Un autre sujet qui tient tout le monde en haleine en ce début de semaine, c’est les négociations entre la Chine et les USA. Négociations qui ont commencé hier et qui doivent reprendre ce matin. Pour l’instant, pas la moindre nouvelle, pas un coup de fil, pas une carte postale. Pour l’instant, on se raccroche au fait que « tant qu’ils parlent, c’est bon signe ». Mais on ne va pas se mentir : on a besoin de savoir et on aurait même idéalement besoin d’autre chose que d’une nouvelle prolongation du moratoire – on préfèrerait un vrai deal, une vraie clarté dans les relations entre les deux pays. Parce qu’en attendant, la Chine est quasiment à l’arrêt et chaque semaine qui passe complique un peu plus la situation. Les derniers chiffres publiés montrent que les exports chinois vers les US sont en baisse de 34% en mai. C’est la plus grosse claque depuis février 2020. Mais c’est aussi le deuxième mois de baisse consécutive, la demande des produits chinois s’écroule littéralement. Moratoire ou pas moratoire. N’oublions pas que les taxes douanières sont tout de même de 30%. À l’heure actuelle, on notera que la Chine exporte massivement vers le Vietnam, espérant passer par la porte dérobée pour accéder au marché US. Pour faire simple, le commerce mondial n’est pas au mieux de sa forme à cause de l’incertitude tarifaire et les méthodes de Trump commencent à faire des dégâts visibles – pas encore forcément aux USA, mais pour combien de temps encore ?

L’inflation et les tarifs

Nous sommes donc en mode attentiste au sujet des négociations tarifaires avec la Chine et on n’en sait toujours pas plus sur ce qui se passe avec l’Europe. Depuis que Trump a fait les yeux doux à Ursula, on n’a plus rien entendu. Alors ont peu dire « pas de nouvelle, bonnes nouvelles », mais en même temps on a un peu l’impression de naviguer à vue dans un océan déchainé avec des animaux hostiles qui peuvent nous sauter dessus à chaque instant. On dit toujours que les bourses mondiales n’aiment pas l’incertitude, je crois que là on est servi. Et puis ça n’est pas tout, parce qu’au milieu de tout ça, il y a aussi l’inflation qui nous guette au coin de la rue. Alors là c’est encore autre chose, parce que l’on ne regarde plus UNIQUEMENT l’inflation, mais en plus on surveille également le chiffre pour voir à « quel moment les tarifs douaniers vont avoir de l’impact sur ladite inflation ». Et j’en profite pour faire un bref retour en arrière, puisque globalement, depuis que l’on parle de taxes douanières, les EXPERTS EN FINANCE ET EN TAXES DOUANIÈRES (qui d’ailleurs peuvent aussi faire fonction d’experts sur à peu près n’importe quel sujet qui fait le buzz dans les médias) – donc les experts en question nous disaient que l’impact se ferait sentir en mai – ou au pire en juin.

Sauf tous les derniers chiffres de l’inflation qui sont sortis ces derniers temps, pointaient plus en direction d’une inflation plutôt docile qui revenait en direction des 2%. Mais à chaque publication, les mêmes experts reviennent à chaque fois pour nous dire : « Ah non mais attendez, c’est pas encore cette fois que l’on verra l’impact des tarifs, mais attendez, vous verrez le mois prochain ». Et puis ce matin je suis tombé sur un article qui disait que l’impact se ferait plutôt sur la fin de l’été. Et puis si ça se trouve, avant la fin de l’été, ils auront trouvé un deal et il n’y aura jamais d’impact. Finalement, peut-être que Trump a raison quand il dit qu’il n’y a pas inflation et que Powell est complètement con de ne pas baisser les taux d’au moins 100 bp… En tous les cas, une chose est sûre ; on aura l’occasion d’en rediscuter cette semaine, puisque le CPI américain sortira demain. Toujours est-il qu’en ce moment, si l’on doit se poser la question sur l’état d’esprit des marchés, on a l’impression que rien ne peut nous faire changer d’avis dans la hausse. La peur qui s’est emparée de nous lors du LIBERATION DAY du 2 avril est dorénavant maitrisée – ou en tous les cas, enfouie au fond de nous. Un peu comme le monstre qui était sous nos lits d’enfants. Et on se dit que même si l’inflation repartait à la hausse, c’était attendu et que Trump va sûrement trouver un moyen de calmer le jeu, les records historiques sur le S&P500 ne devraient donc être qu’une formalité cette semaine.

Une formalité

Une formalité, parce que les choses qui « pourraient » nous faire douter sont déjà dans les prix et plus personne ne veut croire à un NON-ACCORD avec la Chine ou à un retour explosif de l’inflation. Parce que sans accord avec Trump, la Chine peut mettre la clé sous la porte et je ne suis pas certain qu’une Chine en récession serait quelque chose de positif pour l’économie mondiale. Quant à l’inflation, on veut tous croire que ça va bien se passer et qu’un miracle va se produire. Même si nous sommes tous conscient qu’un redémarrage de l’inflation à l’heure actuelle, ne serait pas de bon augure pour l’économie. Et encore moins pour Powell qui fait tout pour la calmer depuis 4 ans et depuis qu’il s’est rendu compte qu’elle n’était pas vraiment sous contrôle et encore moins transitoire. Alors après, on peut prendre les choses comme on veut – mais si l’on se penche dans les livres d’histoire, à chaque fois que l’on a tenté de sortir la carte des droits de douane pour faire du protectionnisme, ça ne s’est pas bien terminé pour le consommateur. Autrement dit : pour vous et moi.

Et donc, si l’on se base sur le fait que les tarifs ne sont qu’un truc purement inflationniste ; il n’y a pas de miracle : l’INFLATION VA revenir. Et POWELL NE PEUT PAS, NE DOIT PAS, baisser les taux, sinon ça sera pire. On se retrouve donc dans une situation kafkaïenne, Powell ne PEUT pas et ne VEUT pas baisser les taux parce que relancer l’économie au moment où logiquement il va y avoir des tensions inflationnistes, c’est jeter de l’essence sur le feu pour l’éteindre et TRUMP exige une baisse des taux pour relancer l’économie. Mais si tu baisses les taux : tu relances la demande. Si tu augmentes les tarifs douaniers : tu augmentes les prix et si tu relances l’économie alors que l’inflation s’apprête à rebondir, ça ne PEUT PAS BIEN se terminer…

Ou alors : Magouille

Donc, lorsque le mardi matin je me fais ce genre de réflexion, j’en arrive à la conclusion qu’il y a quelque chose qui ne joue pas. D’un côté la semaine dernière on nous balance des chiffres de l’emploi qui semble en pleine forme et de l’autre on nous dit que l’inflation n’existe pas. Ou presque. Comment est-ce que l’on peut raconter que l’économie est en plein eforme et que l’emploi, ça rigole et qu’en même temps l’inflation ralenti gentiment ? Dans quel genre de narratif est-ce que cela fonctionne ? À moins que les chiffres que l’on publie soient soigneusement épurés pour ne pas faire état de ce qui dérange ou alors que le marché est tellement résilient qu’il fait le tri lui-même !!! Et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé vendredi dernier avec les NFP. Alors que tout le monde s’attendait à un mois tout pourri, le BLS a sorti un chiffre un poil meilleur que prévu : +139’000 jobs en mai, contre 125’000 attendus. Le chômage reste scotché à 4,2%. Rien ne bouge. De manière assez suspecte d’ailleurs.

Les salaires ? En hausse de +0,4% sur le mois et +3,9% sur un an. Mais attention, derrière les bons chiffres se cache quand même un truc qui ne va pas. Le chiffre d’avril a été révisé à la baisse : –30’000. Mars aussi – 65’000. D’un côté, les NFP’s annoncent +139’000 nouveaux emplois créés – soit 14’000 de plus que les attentes. Et le marché est content, sans se préoccuper une seconde des 95’000 qui ont été mis sur les chiffres du mois précédent mais qui n’existaient pas. Ça s’appelle une analyse sélective ou je n’y connais rien. Et puis il y a un autre chiffre qui est sorti dont personne ne parle : l’enquête auprès des ménages. Cette enquête donne un tout autre chiffre : 696’000 personnes auraient perdu leur job en mai – soit la deuxième pire chute depuis 2020. D’ailleurs cette enquête est souvent jugée plus précise car elle ne compte chaque travailleur qu’une seule fois, même s’il cumule plusieurs jobs. En plus de ça on apprend EN PLUS que 625’000 personnes ont quitté la population active le mois dernier. Bref : les chiffres ne collent pas. Et ça commence à vraiment se voir.

Abyssal

Voilà. Vendredi dernier l’Amérique nous annonce en fanfare avoir « créé » 139’000 emplois, mais sur un autre chiffre, on nous dit que 696’000 personnes auraient perdu leurs jobs. Ne cherchez pas, ça fait 835’000 emplois. C’est un abysse, un trou noir statistique. À ce stade, même un stagiaire chez Lehman en 2008 aurait dit : ‘euh, Les gars, c’est pas un peu bizarre là, non ?’”… Pourtant, sur ces chiffres, les indices terminaient en hausse et ils continuaient de monter ce lundi de Pentecôte et probablement encore aujourd’hui parce qu’aucun négociateur chinois ou américain n’a claqué la porte des pourparlers et que ça, c’est quand même une bonne nouvelle. Il ne reste plus qu’à espérer que le CPI soit en baisse demain et comme ça Trump pourra tirer à boulets rouge sur Powell parce qu’il est le traître à la patrie et s’il ne baisse pas les taux il va le passer par les armes. Et puis oui, bien sûr, les pessimistes vous diront : « oui mais les tarifs vont faire remonter l’inflation à la fin de l’été !!! » Ce à quoi le marché leur répondra : « Pffff, la fin de l’été c’est dans tellement longtemps… »…

C’est où nous en sommes ce matin : on se prépare déjà à trouver les bonnes excuses pour continuer à voir le verre à moitié plein, à trouver les arguments pour continuer à monter. Et je vais même vous dire une chose : je suis convaincu que ça va encore aller plus haut. Tant que l’on vivra dans ce foutoir géopolitique qui est le nôtre, tant que les choses ne se stabiliseront pas et que l’incertitude régnera, il y a bien des chances que l’on continue à vouloir croire que demain, ça ira mieux. De toutes façons, aujourd’hui il n’y a plus AUCUNE CONNEXION entre Wall Street et Main Street. Et tant que Main Street ne bouge pas, ne se plaint pas et ne descend pas dans la rue, Wall Street continue de faire fonctionner son écran de fumée, sa machine à illusion qui donne à penser que tout va bien. Et tout va bien ! Pour l’instant et comme on le sait tous, lorsque l’on tombe depuis le haut d’une tour de 80 étages, c’est pas la chute qui nous fait du mal, c’est l’impact avec le sol. Mais jusque-là, ça va. Même si l’on commence à bien distinguer le trottoir. Manquerait plus que l’on apprenne que les chiffres qui sont publiés sont bidons. Mais bien sûr, c’est pas possible.

Pour le reste

Les marchés asiatiques sont en mode optimiste ce mardi, portés par l’espoir d’un apaisement dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Grand classique du début de semaine. Trump envisagerait de lever certaines restrictions sur les exportations de puces électroniques vers Pékin, ce qui a dopé la confiance. Forcément, un « tweet » et tout est résolu. Le président américain aurait également donné carte blanche à son équipe (menée par Scott Bessent) pour alléger les restrictions sur la tech, espérant en échange que la Chine lâche du lest sur les exportations de terres rares. La Chine est en hausse de 0.11%, Hong Kong de 0.32% et le Japon progresse de 1%. L’enthousiasme en Chine est tout de même freiné par des stats économiques décevantes : faibles exportations en mai et inflation qui ralentit – des chiffres merdiques qui sont sortis hier et qui donnent encore une fois l’impression que la Chine est dans une telle situation qu’elle n’aura pas d’autre choix que de trouver une solution dans les négociations. L’or est à 3’328$, le pétrole n’arrête plus de monter – il est à 65.60$ – et pourtant tout ce qui sort devrait le faire baisser – Trump veut reparler aux Iraniens, l’OPEP veut augmenter la production et ça continue de monter. Le Bitcoin est à 109’650$ et le rendement du 10 ans américain est 4.49% – lui aussi il remonte…

Dans les autres nouvelles, on retiendra que Tesla rebondit, mais la semaine reste noire, hier le titre a repris encore 4.5% Mais la semaine passée s’est soldée par une chute de 15%, la pire semaine depuis octobre 2023. Principal coupable ? La baston médiatique Musk vs Trump. Cependant, Tesla n’est pas que Musk et les marchés gardent un œil sur le lancement des robo-taxi annoncé à Austin pour ce jeudi… mais Tesla ne confirme rien officiellement. Apple a déçu à sa conférence développeurs, le titre a perdu 1.2% sur la séance et c’est tout de la faute de ce qui s’est dit au WWDC – puisqu’il ne s’est rien dit de bien ; l’update IA de Siri prend du retard. Apple explique que l’update « a besoin de plus de temps », sans donner de date. Et un analyste déclarait hier soir que si Steve Jobs avait vu la conférence d’hier il aurait été « dégoûté » par autant de vide dans le pipeline. Apple est toujours en baisse de près de 20% sur l’année. Il y aussi Robinhood et AppLovin qui ont recalés pour leur entrée dans le S&P 500, d’autres candidats comme Cheniere Energy ou Interactive Brokers aussi été recalés. Finalement, le S&P500 va rester comme il est. Beaucoup de bruit pour rien. Et pendant ce temps, Nvidia continue sa tournée de séduction spéciale Intelligence Artificielle. Jensen Huang a reçu un accueil de Rock Star, il paraît que même les Beatles n’avaient pas eu droit à ça. Huang a ouvert le London Tech Week main dans la main avec le Premier Ministre.

Mais encore

Du côté de la santé US, Robert F. Kennedy Jr., a limogé tous les membres du comité d’experts chargé de conseiller le CDC sur les vaccins, sans préavis et via une tribune dans le Wall Street Journal. Ce geste brise sa promesse faite au Sénat de respecter les procédures existantes. Kennedy dénonce des conflits d’intérêts anciens. La communauté scientifique s’inquiète fortement des futurs remplaçants, et du virage idéologique possible. Le comité doit se réunir dans deux semaines, mais personne ne sait encore qui fera partie du comité en question. Casimir n’est pas libre et Bozo le clown non plus. Il paraît qu’Olivier Véran et Agnès Buzyn auraient postulé au vu de leur expérience.

Autrement, OpenAI a atteint les 10 milliards de dollars de revenus annuels récurrents, selon un porte-parole. Ce chiffre impressionnant arrive à peine 2 ans et demi après le lancement de ChatGPT. Les revenus proviennent des offres grand public, professionnelles et de l’API. Et puis, au chapitre de Los Angeles, Trump vient d’envoyer des Marines. Après la garde nationale, le Président envoie l’armée. Je suis pas sûr que ça prenne la bonne direction, mais dans le doute, on a va se concentrer sur le CPI de demain et vérifier si nos œillères sont solidement attachées. Et on terminera avec Qualcomm qui a bondi de 4,1% après avoir annoncé le rachat du britannique Alphawave IP pour 2,4 milliards de dollars. L’objectif est de renforcer ses capacités dans les puces à haute vitesse et à faible consommation, essentielles pour le transfert rapide de données. Voilà, je suis certain que vous vous sentez mieux avec ça…

Les chiffres du jour

Du côté des chiffres du jour, il n’y aura rien. Enfin, rien sauf le SECO en Suisse qui donnera une idée du climat de consommation en Suisse. Pas sûr que ça prenne le pas sur les négociations de Londres. Ce soir after close, si ça intéresse encore quelqu’un, il y aura les publications trimestrielles de Game Stop. Pour le moment les futures sont en hausse de 0.42% parce que tout le monde est sûr que tout va bien se passer à Londres et partout ailleurs, d’ailleurs.

Tout monte, tout va bien, personne ne comprend rien mais tout le monde fait semblant que c’est normal. Tant que Trump tweete, que Powell ne panique pas et que la Chine ne claque pas la porte, on continue la fête. Et si l’inflation revient ? Pas grave, on la remet sous le tapis avec un grand sourire et un graphique bidouillé. Bref : tout va bien. Jusqu’au jour où. Mais ce jour-là, on dira qu’on ne l’avait pas vu venir. Comme d’hab.

Passez une excellente journée et on se revoit demain pour une explosion d’optimisme !

Thomas Veillet
Investir.ch

« Les marchés peuvent rester irrationnels plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable. » – John Maynard Keynes