Je dois vous avouer que depuis que je fais ce métier, j’ai toujours été bluffé par le fait que l’on soit capable de passer du rire aux larmes en l’espace de quelques minutes. D’habitude c’est le qualificatif que l’on donne à un acteur, mais là c’est carrément à un marché tout entier. Cette nuit – je suis tombé sur une phrase qui me donne envie de me rouler par terre de rire. Une phrase unique qui nous prouve que l’on a le QI d’une moule avariée et que nous sommes effectivement capables de passer du rire aux larmes en l’espace de 12 minutes. Cette phrase c’est : « Le S&P 500 clôture en hausse. Les investisseurs commencent à regarder au-delà du conflit entre Israël et l'Iran ».
L’Audio du 17 juin 2025
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C’est F-A-B-U-L-E-U-X
Vous reconnaitrez que c’est quand même fabuleux de voir qu’à peine 4 jours après le début des hostilités, les marchés boursiers ont déjà pris la mesure du conflit et sont déjà passés en mode « rien à foutre ». Le pétrole est de retour sur les 70$ ou pas loin, les titres de la défense se font défoncer et les pétrolières sont sous pression parce que TOUS LES EXPERTS LE DISENT : L’IRAN ne fermera pas le détroit d’Ormuz et donc le baril à 80, puis 120$ – voir même 150, c’est clairement surfait. Et puis en plus – nouvelle géniale et fabuleuse – l’Iran semble vouloir déjà être prêt à négocier. C’est en tous les cas ce qu’affirmait le Wall Street Journal hier, ce qui a été confirmé par Trump dans la foulée. Le Président pense que les Iraniens auraient dû y penser avant, mais il a quand même quitté le G7 pour aller chercher un deal pacifique entre les deux camps. C’est son porte-parole, Emmanuel Macron qui l’a annoncé à la presse hier…
Alors on en avait déjà parlé il y a quelques jours ; il est clair que chaque conflit armé amène son lot de crises de panique au début, mais ça finit toujours en Bull Market. De là à penser qu’on serait reparti si vite à la hausse, alors que l’armée iranienne promet un déluge de feu via ses « tweets » sur X, il y avait un monde. Mais quoi qu’il en soit, hier Wall Street et les autres places de bourses mondiales ont DÉJÀ retrouvé le sourire et le chemin de la hausse. Après avoir (brièvement) flippé à cause des frappes israéliennes sur l’Iran, les marchés se sont dit : « Bon, ça va peut-être pas partir en guerre mondiale tout de suite. » Résultat : le Dow Jones a pris 317 points, le S&P 500 a grimpé de 0,9 %, et le Nasdaq s’est envolé de 1,5 %. En Europe, le Dax grimpait de 0.78%, la France de 0.75% et la Suisse était en baisse de 0.45% – parce que finalement on n’aura pas besoin de refuge, vu que la guerre n’intéresse déjà plus personne. Mais attention quand même, l’ambiance reste tendue : il ne faut quand même pas oublier que les gens flippaient déjà avant la guerre à cause des tarifs douaniers, alors si le pétrole repart, l’inflation pourrait quand même rester un problème pesant ces prochains temps. La Fed se réunit dès aujourd’hui pour deux jours. Elle ne devrait pas toucher aux taux, mais tous les yeux seront rivés sur la conférence de Powell mercredi. Parce qu’en ce moment, un mot de travers… et c’est la panique générale.
La guerre pas finie pourtant
Mais en tous les cas, comme je vous le disais en ouverture de cette chronique, le marché a déjà pricé la guerre entre l’Iran et Israël et nous sommes déjà passé à autre chose. Par contre, on ne sait pas comment ça va continuer du côté conflit réel, mais disons que là tout de suite, tant que ça ne dégénère pas plus que ce que l’on sait déjà – il n’y a pas de raison de paniquer. Par contre, je voudrais quand même que l’on note une chose, c’est qu’hier l’armée iranienne a promis qu’ils allaient balancer tellement de missiles sur Tel-Aviv qu’on n’aurait jamais vu ça dans l’histoire. Et d’ailleurs, hier on pouvait même accéder au direct-live des bombardements via le site du SUN. On en est arrivé à fournir des directs live des bombardements. Si on se demandait si l’humain était capable d’aller plus bas dans sa bassesse et sa médiocrité, je crois qu’on a la réponse.
Donc, l’Iran veut négocier, Trump veut s’en mêler et pendant ce temps, Israël bombarde la télé nationale iranienne et les Iraniens déclarent avoir descendus 4 F-35, mais c’est une fake-news, selon Israël. Bref, encore une fois, je ne suis pas expert, mais ça n’a pas l’air de prendre la direction d’un cessez-le feu dans les 48 heures avec réouverture des ambassades dès la semaine prochaine. Mais vu que les marchés ont décidé de s’en foutre, on va passer à autre chose, puisque L’ÉVÈVENEMENT FINANCIER ET ÉCONOMIQUE DE LA SEMAINE, c’est quand même la FED qui commence sa réunion de deux jours dans quelques heures. Alors parlons de la FED et de Jerome « Too Late » Powell.
La FED
La Fed est donc en mode « wait and see » depuis un moment et on le sait. Et pourquoi est-ce que la FED est en train d’observer et de ne rien faire ? Eh bien parce que là dehors, c’est un sacré bordel et que si on me laissait le choix entre me péter les deux genoux à coups de marteau ou de prendre le job de Powell, je vous dirais : « MAIS OÙ EST-CE FOUTU MARTEAU !!! » Entre guerre commerciale pas vraiment finie et guerre tout court au Moyen-Orient (même si on s’en fout depuis 24 heures et que les investisseurs commencent à regarder au-delà du conflit entre Israël et l’Iran – comme dirait l’autre), l’économie américaine qui avance en boitillant. La croissance qui ralentit, les entreprises qui freinent les embauches et les consommateurs qui hésitent à sortir la carte bleue. Carte bleue qui est déjà passablement surendettée à des taux qui feraient pâlir de jalousie la famille Corleone. On se dit que le taf de Powell n’est pas simple, même si ça se résume à : « Bon. Je coupe maintenant ou je coupe plus tard ? » – avec une petite option : « et si je devais me préparer à monter les taux pour RE-freiner l’inflation ??? ».
L’équation est relativement complexe avec plein d’inconnues et une certitude, qui est qu’en cas de statu-quo, il se pourrait que Trump lance également une opération RISING LION, mais pas sur Téhéran, plutôt sur la FED en général et Powell en particulier. Donc la FED devrait laisser ses taux inchangés demain soir, tout en regardant attentivement le facteur inflation qui va faire beaucoup parler d’elle ces prochains temps. Pour l’instant, elle reste sage à autour des 2-2.5%, mais si elle repart un peu trop, bye-bye les baisses de taux tant espérées par Wall Street. Bref, le brouillard est épais… et tout le monde scrute les prévisions de la Fed comme si Powell avait le pouvoir de changer le monde. Mais une chose est certaine, c’est que ce conflit qui tombe à point nommé, ne va pas simplifier le travail de Powell, parce que même si Wall Street est passé au-dessus des tensions militaires, Powell lui, doit encore les intégrer dans ses réflexions.
Et en Asie aussi on est passé à autre chose
Ce mardi matin, la Banque du Japon a fait… ce que tout le monde attendait, c’est-à-dire : rien. Les taux restent à 0,5 %, pas de surprise. En revanche, elle a annoncé qu’elle allait ralentir progressivement ses achats de bons du Trésor japonais, histoire de sortir doucement de son ultralaxisme monétaire et de laisser les taux longs respirer un peu.
Le timing est délicat : l’économie japonaise est molle (le PIB s’est contracté au premier trimestre), l’inflation reste tenace (3,5 % en avril, au-dessus de l’objectif depuis 3 ans), et les prix du riz s’envolent à cause d’une pénurie. Bref, le combo parfait pour de gros maux de tête à la BOJ. Le Nikkei et le Topix ont salué la non-décision par une petite hausse, mais dans l’ensemble, les marchés asiatiques sont restés frileux. Normal : le conflit Iran-Israël pèse lourd, surtout après l’appel de Trump à évacuer Téhéran. Même si la Maison Blanche a tempéré, les nerfs sont à vif.
Ajoutons à ça une semaine de réunions de banques centrales (Fed, BNS, BoE, PBoC…) et on obtient un cocktail parfait pour des marchés en mode “ni chaud ni froid”. Surtout que les futures US ont rebaissé en séance asiatique histoire de calmer l’enthousiasme relatif de la veille. En Chine, les indices ont perdu 0,3 %, malgré une prévision de croissance à 5 % pour le premier semestre. À Singapour, les exportations plongent, à Sydney ça traîne, seul le KOSPI sud-coréen se la joue optimiste avec la tech et un soupçon de stabilité politique. En résumé : personne ne veut trop bouger avant la Fed demain, la BOJ joue la montre, les marchés sont sous tension géopolitique, et les traders regardent l’actualité comme si on allait obtenir toutes les réponses qui nous permettront d’investir sans risque et de gagner du fric à tous les coups. L’or est à 3’407$, le pétrole tourne autour des 70.70$, le Bitcoin est à 107’500$ et le rendement du 10 ans est à 4.44%.
Des news et de la réflexion
Pour le reste des nouvelles neuves qu’il faut retenir, on notera qu’AMD a bondi de 9 % hier, surfant sur l’enthousiasme autour de ses nouvelles puces IA Instinct MI350 et de son système Helios. Après un accueil un peu froid la semaine dernière, les investisseurs ont visiblement eu le déclic ce week-end. Le calme relatif au Moyen-Orient a permis aux marchés de se recentrer sur les fondamentaux, et AMD en a profité. Nvidia ne peut pas fournir tout le monde, et AMD pourrait bien gratter des parts de marché, notamment chez Amazon Web Services, selon plusieurs experts en finance qui arrivent aussi à parler d’autre chose que d’économie. Même si le MI355 reste un cran derrière Nvidia, le MI450, attendu d’ici un an, pourrait vraiment redistribuer les cartes. En attendant, le titre flambe… et Wall Street commence à y croire timidement. Et puis la nouvelle d’hier qui a fait un paquet de bruit en France, c’est le transfert qui a été officialisé durant la journée, puisque le patron de Renault, Luca de Meo s’en va et rejoint Kering pour essayer de sauver Gucci. Je ne sais pas s’il sera capable de rendre Gucci attractif comme il a su le faire avec la Renault 5 et Alpine, mais toujours est-il que Renault a perdu 9% pendant que Kering en prenait 12 ! ça doit quand même être gratifiant quand tu es transféré du point A au point B et que tu obtiens un score pareil ! Les meilleurs Hedge Funds n’auraient pas osé rêver d’une « pair-trade » pareille.
Hier soir Sarepta Therapeutics s’est effondré de 42% après l’annonce d’un deuxième décès lié à son traitement génique Elevidys contre la myopathie de Duchenne. Les deux patients étaient non ambulatoires et sont morts d’une insuffisance hépatique aiguë, un effet secondaire connu mais désormais au centre de toutes les inquiétudes. Sarepta a suspendu les livraisons du traitement pour ces patients, en attendant une évaluation avec les autorités et un protocole d’immunosuppression renforcé. Le partenaire de Sarepta en dehors des États-Unis, n’est autre que Roche, qui a lui aussi suspendu l’administration d’Elevidys aux patients non ambulatoires, ce qui fragilise la stratégie commerciale globale du produit. Les analystes deviennent très prudents : Piper Sandler divise par deux son objectif de cours, et Jefferies parle déjà de « perspectives commerciales très compromises ». L’approbation mondiale d’Elevidys pourrait désormais dépendre de nouvelles données de sécurité.
Du côté des bonds
Et puis, on notera que les États-Unis ont réussi à refourguer 13 milliards de dette à 20 ans à un taux de 4,942 %. Apparemment, c’est une “bonne nouvelle” : les investisseurs ont répondu présent, l’État a évité de devoir rajouter une couche pour rassurer leurs créanciers et les experts s’accordent pour dire que « tout va bien et qu’il n’y a pas de grève des acheteurs ».
Mais derrière les sourires polis du Trésor, la réalité est un peu plus… tendue. Parce que cette semaine, c’est le grand chelem de l’endettement américain, le gouvernement va venir emprunter :
• 58 milliards à 3 ans mardi,
• 39 milliards à 10 ans mercredi,
• 22 milliards à 30 ans jeudi.
Et là, on entre dans le dur. Parce qu’à 30 ans, ça commence à sentir le gros risque sans visibilité pour ceux qui signent le chèque. Peu d’acheteurs, de la durée, et un Trump qui souffle le chaud et le froid avec sa guerre commerciale : ça ne donne pas forcément envie d’acheter du papier américain les yeux fermés. Sans compter que selon les derniers chiffres, 25 % de tous les revenus fiscaux servent uniquement à payer les intérêts sur une dette publique de 37’000 milliards de dollars
Par an :
• Les revenus totaux du gouvernement américain sont d’environ environ 5’000 milliards de dollars
• Les intérêts sur la dette sont d’environ 1’200 milliards de dollars
• Et les dépenses totales du gouvernement sont d’environ 7’000 milliards de dollars
En regardant très vite les chiffres, on se dit que ça ne PEUT QUE BIEN SE TERMINER… Pas aujourd’hui, pas demain, mais un jour on va se le prendre ce mur.
Comme le disait un expert sur le sujet hier : « Oui, il y aura toujours des acheteurs… mais ils vont commencer à demander une sacrée prime pour continuer à financer l’Amérique de demain. » Autrement dit : on va te prêter, mais ce sera pas cadeau.
Et pendant ce temps, les taux grimpent, les autres pays rendent leurs dettes plus sexy, et l’économie US donne des signaux de fatigue. On est peut-être en train de glisser doucement vers une méfiance structurelle, pas encore une crise… mais on sent que ça commence à couiner discrètement. Alors oui, cette « auction » à 20 ans s’est bien passée. Mais ce n’était peut-être qu’un répit… avant les vraies questions qui arrivent dès mardi. Parce que le monde a encore envie de croire à l’Amérique — mais c’est pas cadeau de vouloir y croire, il y a un coût !
Les chiffres du jour
Côté chiffres de la journée, une fois la conférence de la BOJ passée, on se concentrera sur le ZEW en Allemagne et en Europe. Aux USA il y aura les Retail Sales, la Production Industrielle et les Business Inventories. En fin de journée, il y aura aussi un chiffre qui monte en puissance ces derniers temps : l’Atlanta Fed GDPNow, ce fameux chiffre qui donne des news de la croissance économique en (presque) direct. Ça va sûrement nous raconter des trucs. Pour l’instant la guerre est finie – en tous cas à Wall Street – et les grands de ce monde – ceux du G7 – nous ont lâché encore un communiqué de presse dont ils ont le secret – histoire de prouver encore une fois qu’ils ne servent à rien :
Dans un communiqué d’une originalité bouleversante, le G7 nous rappelle qu’Israël a le droit de se défendre, que l’Iran est méchant, et que surtout, il ne doit jamais avoir la bombe. Ils demandent aussi, dans un élan de lucidité tardive, un cessez-le-feu à Gaza et une résolution de la « crise iranienne », comme si c’était un truc d’une complexité inouïe et qu’EUX, ils avaient trouvé la solution de ce qu’il fallait faire en moins de 24 heures – choses à laquelle nous, pauvres mortels, n’avions jamais pensé auparavant parce qu’on est trop cons. À croire qu’on pourrait recycler les communiqués d’année en année sans que personne ne s’en aperçoive.
Ce matin les futures vont dans tous les sens au rythme des annonces et des tweets des uns et des autres. Quand je me suis levé à 4 heures, on était en baisse de 0.5% et là on est presque flat. Bref, pendant que les bombes pleuvent, le G7 dégaine des mots, Powell médite, Trump tweet, l’inflation est tapie dans l’ombre et le monde continue de tourner en boucle. Excellente journée à tous et à jeudi, parce que demain y a Swissquote Trading day et comme j’y officie comme Monsieur Loyal, je ne peux pas me démultiplier… et être partout à la fois ! À jeudi alors…
Thomas Veillet
Investir.ch
« L’humanité ne peut pas supporter trop de réalité. »
— T.S. Eliot
…Et Wall Street, encore moins.