Dans le monde merveilleux de la finance, il y a généralement deux camps. Ceux qui sont hyper-optimistes et qui se disent que rien ne peut arriver et que tout va bien se passer et qu’en plus, ça va aller plus haut ; « tiens je reprendrais bien un peu de Nvidia ». Et ceux qui pensent que ça va mal se finir et qu’on va tous mourir dans d’atroces souffrances et que quand le marché va baisser, il ne va pas juste baisser, il va s’EFFONDRER. En gros, les BULLS et les BEARS. En ce qui me concerne – la plupart de ma vie de trader – j’ai été BULL. Définitivement bull. Plus par conviction qu’autre chose. Mais là, on arrive à des niveaux de « bullish attitude » qui commencent à me faire super peur…

L’Audio du 3 juin 2025

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Pas encore en mode on va tous mourir

Alors attention, je ne suis pas encore en mode « on va tous mourir », mais je dois dire que (par moment), j’ai quand même de la peine à croire que tout va bien et que les prochains mois ne vont être que du bonheur, de la joie, du champagne et du caviar à la louche. Pourtant, c’est franchement la direction que ça prend. Et pas seulement au niveau des espoirs sur l’avenir. Non, parce que je peux largement admettre que certains d’entre-nous vont parier sur le fait que la croissance de tel ou tel business va devenir tellement énorme que ça commence VRAIMENT à valoir la peine de vendre la grand-mère pour aller acheter des actions sur le Quantum Computing. Mais là où je commence à avoir de la peine à admettre une telle résilience, un tel optimisme exacerbé – exacerbé à un point tel que l’on se fabrique des œillères plus rigides et plus monumentales que celles des chevaux qui tirent les calèches dans Central Park, un optimisme tellement impressionnant que l’on est incapable d’avoir peur, incapable de croire ou même d’imaginer que TOUT CE QUI SE PASSE va forcément mal se finir.

Vous comprendrez bien que si je vous dis tout ça, c’est pour faire le parallèle avec ce qui s’est passé hier. Mais aussi ce qui s’est passé depuis deux semaines. Vous je ne sais pas, mais lorsque je mets bout à bout : les craintes obligataires après l’auction des bonds japonais ET des bons du trésor US à 20 ans, le downgrade de la dette US chez Moody’s, la volatilité extrême de Trump qui distribue des tarifs douaniers presque aussi facilement que les osties à la messe du dimanche (même si je ne sais même pas ce que c’est), Trump toujours qui change d’avis comme de chemise à peu près toutes les 24 heures. Le déficit américain qui prend l’ascenseur et qui s’aggrave de minute en minute. Les juges américains qui interdisent à Trump d’utiliser l’arme des tarifs douaniers, les appels de la Maison Blanche, le risque que tout ça finisse à la cour suprême, les Ukrainiens qui attaquent la Russie au cœur de la Russie avec – l’OTAN qui en rajoute une couche en disant que l’UKRAINE va faire partie de l’OTAN. Et les tensions entre la Chine et les USA qui dégénèrent au niveau commercial, mais qui se tendent également au niveau militaire. Quand je vois ça, je vous avoue que j’ai plus envie de me jeter parterre et de me mettre en position fœtale pour attendre que ça passe, plutôt que de courir aller emprunter de l’argent à la mafia russe pour aller l’investir dans les actions américaines sur le principe de base que TOUT VA BIEN SE PASSER et que l’IA, c’est quand même super, de bleu !

Et pourtant

Pourtant, c’est exactement ce que fait le marché, ce que font les investisseurs : MÊME PAS PEUR, ou devrais-je dire : STRICTEMENT RIEN À FOUTRE… Non, je vous avoue que je me pose des questions. Rien qu’hier matin, quand on commence la semaine et le mois avec Trump qui est plus ou moins en train d’insulter les Chinois et que les Chinois, font de même. J’ai quand même de la peine à me dire : « Oh ben tiens, j’achèterais bien le marché, ça me paraît pas cher et c’est une bonne opportunité vu qu’ils vont probablement baisser les taux pour empêcher les USA de tomber en récession »… Et pourtant, c’est exactement ce qui s’est passé. ON N’A PLUS PEUR. Depuis la claque indécente du 2 avril, date où tout le monde voulait liquider son fonds de pension pour partir faire pousser des chèvres en Ardèche ou dans le Cantal, mais surtout LOIN DE TRUMP, depuis ce temps-là ; on n’ose plus NE PAS ACHETER, la hausse appelle la hausse et même la pire des nouvelles ou mieux : le cumul d’une avalanche de nouvelles de merde, nous permet quand même à chaque fois de racheter le marché comme si ça ne coûtait rien. Comme s’il n’y avait plus de problème. Et comme si les quelques problèmes auxquels nous faisons face, seront de toutes façons réglés bientôt. J’en arriver presque à me dire que tout le monde a pris au sérieux cette nouvelle stratégie du TACO trade.

En tous les cas, hier matin à la même heure on n’était pas encore au bord du suicide. Loin de moi l’idée d’aller jusque-là, mais entre les histoires de la Chine, de Trump, de Trump et de la Chine, des Ukrainiens qui vont chercher Poutine et du marché obligataire qui est au bord de la rupture. On pouvait largement comprendre que les indices pointaient vers le Sud et personne. Je dis bien PERSONNE n’aurait reproché quoi que ce soit aux marchés et aux intervenants si le S&P avait terminé en baisse de 1.7%. Personne. Par contre, imaginer que le même S&P puisse EN PLUS terminer la séance dans le vert, que le Nasdaq boucle la séance en hausse de 0.67% et que le SOX bondisse de 1.57% pour aller titiller sa moyenne mobile des 200 jours, là je crois que l’on atteint des sommets dans l’optimisme et dans la conviction que le marché ira toujours plus haut, c’est proprement impressionnant. Alors je ne vous dis pas que ça me fait du mal ou que ça me fait peur. Je ne dis pas non plus que ça m’énerve parce que je suis short comme une truie et que je me fais démonter. NON. Ça me fait juste « un poil peur » parce que j’ai l’impression que nous sommes tellement convaincus que la hausse appelle la hausse et que QUOI QU’IL ARRIVE, Trump va trouver une solution, que ça me fout les jetons. Tout simplement.

Il y a du bon, mais quand même

Alors oui, on a bien compris le mécanisme de la hausse. On sait aujourd’hui que Trump aime aller chercher très loin ses adversaires avant de faire volte-face et de devenir le gentil Président qui fait des faveurs et qui adorerait manger avec Madame Ursula von der Pfizer. Et tout le monde se dit que d’ici 24 ou 48 heures, il va nous annoncer qu’il a parlé avec Xi-Jinping et qu’ils sont devenus « Best Friends forever » et que tout va bien se passer. On a bien compris que c’est ce que Wall Street joue comme stratégie. D’ailleurs les équipes de Trump sont déjà en train d’inonder les médias pour dire que le Président cherche par tous les moyens à parler à Xi-Jinping. Ça ne peut donc QUE BIEN SE TERMINER ! Admettons que ça se termine bien. Admettons que d’ici le 9 juillet, toute l’Europe se soit soumise aux droits de douane, admettons que Trump aille jouer au golf une semaine sur deux avec Xi-Jinping et que ça rigole pour les 27 prochaines années au niveau des droits de douane. Admettons. MAIS SI, hypothétiquement parlant – au milieu de tout ça, la mise en place de certains droits de douane créée quand même un peu d’inflation, que le nombre de créations d’emplois fondent comme neige au soleil, que les prix à la consommation repartent à la hausse, que la FED ne puisse pas baisser les taux. Ou pire, se voit contrainte de les remonter.

Que se passera-t-il si les tarifs douaniers ne rapportent pas assez et que le déficit se creuse encore un peu plus, que les rendements des bons du trésor partent en direction des 6% et que les anciennes obligations commencent à coûter tellement cher dans le bilan des banques, que l’on voie arrive les premiers « writedown » dans le courant de l’automne ? Regardez le Japon, les obligations d’État à 30 ans ont perdu 45% de leur valeur depuis 2019. Pas 4,5%. Quarante-cinq. C’est pas un drawdown, c’est un massacre. Et ça c’est tout simplement parce que le rendement de ces obligations à 30 ans a explosé de +275 points de base (donc +2,75%). Résultat : les prix se sont effondrés, logique. Et on est quasiment au plus haut depuis leur lancement en 2007. Rien que sur les 12 derniers mois, le rendement a pris 1% dans la tronche. Je vous laisse imaginer le carnage pour ceux qui les détiennent en portefeuille… Les 4 plus grosses compagnies d’assurance-vie du Japon sont en train de découvrir les joies des pertes latentes massives. Elles ont quadruplé en un an, atteignant un record de 60 milliards de dollars au premier trimestre 2025. Oui, 60 milliards.
Et c’est pas des pertes sur des cryptos, c’est sur des obligations d’État japonaises. Celles qui sont censées être « ultra-sûres ». Sauf que quand les taux montent, bah les prix des vieilles obligations à taux bas plongent. Et au Japon, ça faisait 30 ans qu’on vivait dans un monde à taux zéro.

Ça vacille, ça perd l’équilibre

Le marché obligataire japonais est donc en train de vaciller.
Et vu le poids du Japon dans le système financier mondial, si ça dégénère, ça pourrait très bien faire trembler d’autres coins du globe. Surtout ceux bourrés de dettes longues.

• Le Japon a misé sur des taux à zéro pendant trop longtemps.
• Maintenant que les taux montent, la facture arrive.
• Et c’est pas une addition, c’est un tsunami.

Et si je vous raconte ça, c’est aussi pour vous expliquer que le problème pourrait bien se présenter aux USA aussi – peut-être pas aussi vite et de la même ampleur, mais il y a quand même deux-trois cadavres qui commencent à sentir mauvais. Alors oui, il suffirait que les taux baissent. Massivement. Ça ne tient qu’à Powell de sauver le monde. Mais en même temps, le peut-il ? Combien les tarifs vont-ils coûter sur le CPI ou le PCE ? Que se passerait-il s’il baissait les taux trop vite ? Bon, entre vous et moi, on en va pas creuser plus loin pour aujourd’hui, mais c’était juste pour vous dire qu’il est quand même assez phénoménal de voir que les marchés US ne veulent plus baisser, alors qu’il y a quand même de quoi avoir la trouille – sans même chercher trop loin – et je ne suis pas certain que sur le papier, au niveau de la réalité fondamentale des marchés et de l’économie qui gravite autour, la stratégie du TACO Trade suffise à régler tous les problèmes auxquels nous devons faire face.

Et puis n’oubliez pas que le terme Taco Trade n’a pas été inventé par Trump et pour Trump. Le Président n’a pas DU TOUT apprécié la référence et le fait qu’on lui reproche de se dégonfler à chaque fois. Imaginez un seul instant si la prochaine fois – face à la Chine, par exemple – il décide de ne rien céder. Est-ce que vous êtes certains que c’est EUX, les Chinois qui vont se mettre à genoux et supplier Trump de leur faire une faveur ? J’en sais rien mais je ne suis pas sûr. Enfin, toujours est-il qu’hier les marchés européens légèrement en baisse « à cause des craintes sur les tarifs douaniers et les tensions avec la Chine ». En même temps, si ces craintes se traduisent par 0.19% de baisse à Paris et 0.28% à Francfort, c’est qu’on n’a pas si peur que ça. Pendant ce temps les USA étaient dans le vert en partant du principe que « ça va bien se passer et que Trump il va « chicken out » et qu’ensuite, on ira plus haut ». Pourvu que ça fonctionne.

En Asie et ailleurs

Les marchés asiatiques ont commencé la journée en mode « j’y vais mais j’ai peur ». Oui, les indices montent, surtout du côté des technos – Hong Kong prend +1.1%, le Nikkei +0.2% – dans le sillage du rebond inattendu de Wall Street et de la résilience impressionnante des marchés US qui donnent le sentiment d’être aussi forts que les Avengers réunis. Mais en même temps, l’ambiance est loin d’être euphorique, parce que l’épée de Damoclès s’appelle toujours “Trump et ses tarifs douaniers”. Les valeurs technos locale respirent un peu grâce à une petite détente des taux US – même si faut le dire vite, puisque le rendement est toujours au-dessus des 4.42% et les puces électroniques profitent encore de l’effet IA : TSMC grimpe de 1%, malgré les déclarations de son CEO qui reconnaît que les tarifs auront un impact… Mais que « heureusement » l’IA sauve le tout grâce à sa croissance verticale et met les douaniers à genoux. Côté autos chinoises, BYD rebondit de 2% après six jours de claques, grâce à de bonnes ventes à l’étranger. En Chine, on reprend la cotation après un long week-end, mais sans enthousiasme. Le CSI 300 et le Shanghai Composite stagnent, à cause des tensions commerciales qui reprennent de plus belle. Et puis, en Chine on notera aussi que l’indice Caixin du secteur manufacturier chinois est tombé à 48.3, son plus bas niveau depuis septembre 2022. Les commandes à l’export plongent, pénalisées par les tarifs US. La demande intérieure cale, l’emploi recule, et les stocks s’accumulent. Le tout alors que même l’indice officiel confirme la deuxième contraction mensuelle consécutive. Bref, l’usine du monde tousse, et ce n’est pas juste un petit rhume.

Du côté des matières premières, le pétrole est à 62.82$. L’or est à 3385$ et le Bitcoin est à 105’300$. Rendement du 10 ans est à 4.432%. Dans les choses à se souvenir en ce moment – même si ça n’est pas LA préoccupation du marché, on notera que Moderna a eu le feu vert de la FDA pour un nouveau vaccin Covid destiné aux personnes à risque. Oui, je sais c’est un peu démodé, mais il paraît qu’il y a un nouveau super-variant qui arrive pour cet été, alors sur un malentendu… Médecine encore, BioNTech a décroché le jackpot ! Un accord à 1,5 milliard cash avec Bristol Myers sur un traitement anticancer, avec jusqu’à 7,6 milliards à la clé en fonction des évolutions. Médecine toujours, ça c’était hier, Blueprint Medicines se fait bouffer par Sanofi qui sort le chéquier. 9,5 milliards pour racheter la biotech spécialisée en immunologie. Et puis Boeing est en train de devenir le nouveau chouchou de la cote, Bank of America upgrade et voit le titre à 260. L’avionneur est devenu également un outil de négociation commerciale pour Trump. Soudainement, tout le monde aime Boeing. On n’aurait pas parié là-dessus y a 6 mois. Et puis du côté des jeux d’argent, l’Illinois impose une taxe sur les paris sportifs, ça fait mal chez le Bookmakers et chez Draftking.

Pour finir

La vedette du jour hier c’était Applied Digital qui s’est envolée de +52% après avoir annoncé deux contrats béton de 15 ans avec CoreWeave, le spécialiste du cloud dopé à l’IA. L’idée c’est d’héberger 250 MW d’infrastructures IA dans leurs data centers à Ellendale dans le Dakota du Nord. Chiffre d’affaires attendu sur 15 ans : 7 milliards de dollars. Le premier centre (100 MW) sera prêt fin 2025, le deuxième (150 MW) mi-2026, et un troisième est déjà dans les cartons pour 2027. L’IA continue de faire chauffer les serveurs… Applied Digital valait 3.30$ le 21 avril. Clôture hier soir : 10.14$.

On passe du coq à l’âne et on attaque les chiffres du jour, il y aura le CPI en Suisse et en Europe. Hier on a également appris que le PIB helvétique a progressé de 0,8% au premier trimestre, après une hausse de 0,6% au trimestre précédent et une estimation rapide de 0,7%, grâce à une expansion supérieure à la moyenne dans les industries chimiques et pharmaceutiques. En plus des CPI’s, ce soir il y aura les JOLTS aux USA, histoire de fêter l’ouverture de la saison des chiffres de l’emploi. Pour ceux qui aiment les chiffres, on attend 7.1 millions d’offres d’emploi. Pour le moment les futures sont en baisse de 0.3% – comme si le marché regrettait sa clôture d’hier.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. Entre marchés en apesanteur, investisseurs en mode “rien à foutre” et volatilité politique, on avance dans une ambiance aussi stable qu’un Mikado en pleine tempête. Je vous souhaite une excellente journée, ne vendez pas tout de suite votre grand-mère pour acheter de l’IA et on se retrouve demain, même heure, même mauvaise foi. À demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

« L’esprit ne peut remplacer le tact ; le tact peut suppléer à beaucoup d’esprit. » — La Rochefoucauld