Je vous l’ai dit et je le répète : j’ai décidé d’être définitivement optimiste et de refléter la joie de vivre à chaque instant. Je vous ai promis de ne voir que le verre à moitié plein et la moitié pleine je n’y verrai plus que du champagne ou – à la limite des grands bordeaux ou peut-être un Meursault. Mais en tous les cas, je ne parlerais plus de ce qui ne va pas et des chiffres qui pourraient éventuellement peut-être nous laisser entendre que nous sommes dans une zone où l’on aurait tendance à dire que « c’est le calme avant la tempête »… Mais bon, c’est quand même pas moi qui décide du calendrier macro-économique et quand on voit les chiffres d’hier, ça va quand même pas être simple…
L’Audio du 5 juin 2025
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C’est pas ma faute !!!
Oui, ça va pas être simple de rester optimiste, mais c’est pas ma faute. C’est pas moi qui ai publié un Beige Book aussi merdique qui montre que ça ralentit un peu partout que si on regarde la carte de la météo économique, on se rend compte qu’en allant de l’Ouest à l’Est des États-Unis, on passe de la contraction économique de Los Angeles à Kansas City, puis du Texas au Tennessee, on a zéro croissance et le reste, à l’Est on est en « croissance molle ». Franchement quand on voit la gueule de cette carte publiée hier par la FED, ça donne pas envie de croire que tout est en train de bien se passer. Et c’est pas en rapatriant 3 usines et en créant 500 emplois qu’on va corriger le tir. Il va falloir faire mieux que ça. Peut-être en baissant les taux très très rapidement – mais encore une fois – Powell ne fera rien tant qu’il n’est pas certain que l’inflation est sous contrôle. Et tant qu’on ne sait pas à quelle sauce on va se faire manger par les droits douane, on voit mal comment ça pourrait fonctionner. Pourtant, malgré les doutes que les chiffres économiques pouvaient légitimement nous montrer hier, les marchés n’ont pas cédé et continuent de monter. Ou en tous les cas ; de ne pas baisser.
Alors est-ce qu’il faut dire que c’est le calme avant la claque ? Difficile à dire – surtout pour moi qui me suis auto-étiqueté « bullish forever » – certains vous diront cependant que nous sommes déjà en plein « merdier économique », mais que tout le monde regarde ailleurs en se disant : « Non mais ça va aller, c’est juste un petit coup de mou… ». L’économie américaine en mai, c’est un peu ça : un moteur qui tousse, un conducteur qui fait mine de rien, et tout le monde qui espère que la pente va aider la voiture à redémarrer. Sauf que quand t’as plus d’essence, t’as plus d’essence. Ton réservoir ne va pas se remplir par la magie du Saint Esprit ou Saint Mar-al-Lago. Et là force est de constater que les signes de panne d’essence sont en train de se faire plus insistants. Je ne devrais pas le dire (parce que je suis censé être OPTIMISTE POUR TOUJOURS), mais ce qu’on vu hier ne donne pas envie de se saouler au champagne et de tartiner du caviar sur des toast au saumon. Ou alors pour oublier.
Le beige n’est plus si beige
Le Beige Book de la Fed – ce recueil de sondages économiques annonce très clairement la couleur : 9 des 12 districts américains sont en mode « croissance molle », voire pas de croissance du tout. Les consommateurs dépensent moins, les entreprises freinent l’embauche, les prix des maisons stagnent, la construction s’essouffle, et les salaires commencent à se mettre debout sur les freins. L’ambiance est morose et franchement pas rose avec un parfum de « je panique pas, mais j’hésite quand même à paniquer en douceur »…. Ce ralentissement n’est pas qu’économique, il est aussi psychologique. Les incertitudes sur les tarifs douaniers, les revirements politiques et les perspectives brouillées forcent tout le monde à la prudence. On dirait une boîte de nuit vide à 1h du mat’ : les lumières sont là, la musique aussi, mais plus personne n’ose aller sur la piste. Les marchés font encore illusion, mais la réalité économique, qu’on le veuille ou non, est en train de nous rattraper. Et je vous jure que pour un OPTIMISTE convaincu comme moi, ça me coûte de le dire.
Et ce ne sont pas les chiffres de l’ADP qui vont nous remonter le moral. Alors oui, je sais bien ; c’est pas le chiffre qui va changer le monde et tout le monde a les yeux tournés en direction de son cousin des Non-Farm Payrolls, mais quand même. Hier on nous a annoncé seulement 37’000 créations d’emplois privés en mai, alors qu’on attendait trois fois plus. Du jamais vu depuis deux ans. Bon, quand je dis « du jamais vu depuis deux ans, je ne dis pas ça à cause de l’erreur monumentale des économistes par rapport aux attentes, ça on est habitué. Non, je dis ça parce que c’est vraiment faible. Ça faisait deux ans que ça n’avait pas été aussi faible. Pour les économistes, c’est un mauvais signe pour les chiffres des NFP’s de demain. On murmure 125’000 emplois au mieux, ce qui est bien en dessous du seuil de 153’000 nécessaires pour maintenir le taux de chômage à 4.2%. Et puis je vais vous le dire franchement – on en reparlera lundi prochain – mais si les NFP’s sont au-dessus des 150’000, ça sera la confirmation officielle que les données sont pipées et que ces chiffres ne sont que des mensonges vendus à prix d’or par le BLS. À voir la gueule du Beige Book et des chiffres ADP. À lire tout ce que l’on peut lire sur la méfiance des sociétés qui renâclent à engager massivement sans visibilité sur les droits de douane et aussi un peu à cause du ralentissement économique, JE NE PEUX PAS CROIRE QUE LES NFP’S FASSENT UN CARTON DEMAIN ! (même si je suis résolument optimiste et bullish sur les marchés pour le reste de mes jours, amen).
Wall Street : déni collectif ou délire haussier ?
Et pendant ce temps, Wall Street continue de faire la fête comme si de rien n’était. Le S&P 500 flirte avec ses records – alors d’accord c’est pas l’EUPHORIE TOTALE, mais ça monte gentiment et les techs ne se sont jamais portées aussi bien depuis quelques semaines. On constate quand même un glissement discret vers des valeurs plus défensives. Comme si les investisseurs dansaient sur le Titanic, mais en s’approchant doucement les canots de sauvetage, « au cas où ». Mais l’un dans l’autre ça continue à aller quand même pas mal et ça « donne l’impression d’être solide ». Un peu comme si, en ce moment, c’était bien plus dangereux et douloureux de rater la hausse, plutôt que de se faire prendre les mains dans la moissonneuse batteuse de la baisse. Quand ça commencera vraiment à baisser. Ce que je pourrais largement envisager si j’étais un tant soit peu pessimiste. Mais heureusement, je ne le suis pas.
Hier les Bourses mondiales ont terminé en hausse. Et si l’on se réfère aux diverses opinions sur la séance d’hier, la hausse était « soutenue » par – je cite : l’espoir d’une baisse des taux de la part de la FED « durant l’année » et ce, pour donner un coup de main à l’économie américaine. Tout ça parce que les chiffres économiques étaient plus faibles qu’attendu aux Etats-Unis. VOUS VOYEZ LE BIAIS PSYCHOLOGIQUE DANS LEQUEL NOUS SOMMES ??? C’est tellement flagrant. Regardez-moi ça : Les chiffres sont dégueulasses, ils nous montrent clairement que demain ça va être moche et que globalement, le temps est en train de tourner à l’orage et nous qu’est-ce qu’on fait ??? ON ACHÈTE LE MARCHÉ parce que du coup, on se dit que la FED n’aura pas d’autre choix que de baisser les taux ! Sérieusement ? À la clôture de New York, le S&P 500 grappillait 0,15%, le Nasdaq 0,24%, et le Dow Jones était pratiquement inchangé. En Europe, la Bourse de Paris a terminé en hausse de 0,53%, Francfort a avancé de 0,77% et Londres a pris 0,16%. A Zurich, le SMI a gagné 0,48%
Et tout ça parce que les chiffres économiques étaient merdiques et que l’on se dit que si c’est merdique, la FED (qui est toujours notre amie et qui nous a sorti de la merde à chaque fois qu’on plongeait dedans jusqu’au coup avec la délectation d’un golden retriever qui croise une flaque de boue), cette FED-là, ne va pas manquer de sortir les grands moyens pour nous sauver les miches. Non, sincèrement quand je vois ça je me dis que si le marché était un être humain il devrait entamer une thérapie et si – par le plus grand des hasards – il est DÉJÀ en thérapie : change de psy mon gars, le tient est complètement con. Ou alors il est sourd et aveugle.
La réalité qui court derrière
MAIS ALORS, attention au test de réalité : un mauvais rapport sur l’emploi demain pourrait casser l’ambiance, et pas qu’un peu. Car la consommation reste le pilier de l’économie US, et s’il se fissure, tout le château de cartes pourrait être mis à mal et puis, dans le sillage des chiffres, il ne faut pas non plus oublier qu’il y a quelqu’un qui n’a pas pu s’empêcher de venir souffler sur les braises (encore). Oui ! Vous avez bien compris, Donald Trump est revenu taper sur le clou et sur la tête de Powell – évidemment ! Après les chiffres ADP, il a repris sa croisade contre le patron de la FED en disant : « Hé, Trop tard ! Il faut baisser les taux ! ». – oui parce qu’il l’appelle carrément « too late » et n’utilise même plus son nom, ni même son prénom ou son titre. Non, il l’appelle : « Too Late ». Le Président insiste : il veut relancer l’économie à grands coups de taux bas, comme si la Fed était un distributeur automatique de croissance et une machine à créer des jobs.
Mais la Fed, elle, reste dans le flou artistique (toujours et encore). Oui, l’inflation ralentit, mais pas assez pour dégainer le pivot immédiat. Le prochain gros rendez-vous, c’est le 18 juin, avec potentiellement une mise à jour des projections de croissance et de taux. Et en attendant, il plus qu’improbable de voir Jerome Powell apparaître au fond de la salle de presse de la Maison Blanche en faisant « coucou, je viens baisser les taux ». Surtout, et encore une fois : parce que l’on ne sait pas à quelle sauce on sera mangé avec les tarifs. Et, pire ; selon une étude de l’Université de Chicago et de la Fed de New York, la première vague de tarifs mis en place par Trump a coûté environ 831 $ par an et par ménage. Et si une taxe de 10 % généralisée sur toutes les importations se mettait en place, on parle même d’un impact supplémentaire entre 500 et 800$ par an et par ménage. Il ne faut JAMAIS oublier que chaque tarif est une taxe cachée sur le panier de la ménagère. Bref, mettez-vous à la place de Powell : il ne peut pas baisser les taux tant qu’il n’a pas une vue claire sur l’inflation de dans 6 mois et il n’aura pas de vue sur l’inflation si les tarifs douaniers ne sont pas signés et les moratoires prennent fin le 9 juillet pour le « reste du monde » et mi-août pour la Chine… ça va être difficile de prendre des décisions avant. Ou alors il faudra le virer et le remplacer par quelqu’un de plus malléable. Mais Trump ne fera jamais ça.
À moins que ???
Et maintenant ? Que va-t-on faire ?
Donc voilà, moi je suis résolument optimiste, mais je suis quand même obligé d’être aussi réaliste. Les chiffres d’hier étaient donc merdiques et laissaient clairement supposer que l’économie US est en train de s’enfoncer dans le sable et c’est pas en accélérant des 4 roues comme un bourrin que l’on va s’en sortir. En revanche, histoire de faire des prévisions comme les stars de la finance, on peut quand même tenter d’ébaucher trois scénarios.
OPTION numéro 1 : le scénario optimiste : Les chiffres de demain sont moins moches que prévu, Powell temporise, Wall Street respire et continue son délire haussier. On sauve l’été.
OPTION numéro 2 : le scénario médian : Les chiffres déçoivent, la Fed reste prudente, les marchés prennent une claque, mais pas de panique. On attend septembre pour un pivot.
OPTION numéro 3 : le scénario tout pourri, Les chiffres sont catastrophiques, les taux ne bougent pas, et on se rend compte qu’on est en train de glisser vers une récession molle, déguisée en « ralentissement maîtrisé » et il ne reste plus qu’à espérer un miracle sur les tarifs pour permettre à Powell d’agir. Mais on sent que le mur se rapproche à toute vitesse.
Tout ça pour vous dire que c’est pas si facile que ça d’être OPTIMISTE, Bullish et remplit de joie de vivre.
Le reste de ce qu’il faut retenir
Pour le reste, l’Asie se cherche une direction, Wall Street envoie des signaux mous, et Trump est dans toutes les têtes. Hong Kong sauve la mise grâce aux techs, pendant que le Japon flippe sur les salaires trop faibles. Les marchés rêvent de nouveaux stimuli en Chine et d’un miracle téléphonique entre Xi et Trump. Et pendant ce temps, la Corée du Sud explose grâce à son nouveau président, qui rassure enfin après des mois de chaos politique. Le pétrole est à 62.61$, l’or est à 3’393$, le Bitcoin est à 105’000$ et le rendement du 10 ans continue de baisser à 4.37%, ce qui nous évite un autre problème, momentanément.
Dans les nouvelles à retenir, on notera qu’en plus des chiffres de l’emploi de demain, on annoncera aussi les nouveaux membres du S&P500. Robinhood, AppLovin, Cheniere et Interactive Brokers pourraient enfin passer à la table avec les grands. Avec leurs grosses valorisations (entre 54 et 135 milliards), ces boîtes cocheraient toutes les cases — Et il reste encore MicroStrategy qui pourrait venir troubler la fête, mais au regard de son business plan qui se résume à acheter du Bitcoin, emprunter de l’argent, et acheter encore plus de Bitcoin, puis emprunter à nouveau pour acheter du Bitcoin ; on peut se demander si les gars de S&P vont retenir sa candidature. Les candidats à l’exit seront probablement parmi ces noms : Caesars Entertainment – Le roi déchu du casino, Enphase Energy – Ex-star de la transition énergétique qui s’est fait rincer par la remontée des taux, Mohawk Industries – Spécialiste du revêtement de sol, Invesco éclipsé par les géants comme BlackRock ou Vanguard et APA Corp (ex-Apache), devenu trop petit pour jouer avec les grands.
Du côté des chiffres de la journée
Pour ce qui est des attentes de la séance qui nous attend, La BCE s’apprête à dégainer une 8ème baisse de taux, parce que le commerce mondial ressemble de plus en plus à un champ de mines. Merci qui ? Merci tonton Donald. Jeudi, on vise un -0,25%, pour atterrir à 2% pile sur le taux de dépôt. Et comme ça ne suffira sûrement pas, rebelote en septembre, une fois que les négociations avec les Ricains auront accouché… d’un désastre ou d’un miracle. En résumé : l’inflation ralentit, la croissance tousse, et la BCE sort les pansements pendant que Trump joue avec son lance-flammes.
Et puis, du côté des USA, on aura aussi les Jobless Claims, histoire de parler encore un peu de l’emploi avant la grande messe de demain. Notez aussi qu’au niveau des semiconducteurs, ce soir après la clôture, il y aura la publication des chiffres de Broadcom. Et au vu de la perf du titre – titre qui a tout de même repris 88% depuis le 8 avril, il ne va pas falloir décevoir ou montrer une guidance toute pourrie.
Pour le moment, les futures sont en légère baisse et on attend de voir ce que sera la prochaine mauvaise nouvelle, histoire de s’encourager à monter parce que les taux ils vont baisser. Passez une excellente journée et on nous on se voit demain pour boucler la semaine et voir comment se passe notre thérapie.
À demain !
Thomas Veillet
Investir.ch
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. »
— Mark Twain