C’est officiel : on ne raisonne plus. On lévite. Wall Street a explosé tous les compteurs cette semaine, comme un feu d’artifice du 4 juillet. Et ça tombe bien, on est le 4 juillet. Que les chiffres soient bons ou mauvais, peu importe. La machine est lancée, les indices volent d’un record à l’autre comme si on était dans une phase où les vendeurs avaient été déclarés comme illégaux. La seule voie qui compte (ou VOIX), c’est la hausse. Le Nasdaq ? Record. Le S&P 500 ? Record. Le Dow ? Presque record. La fête est totale et rien ne peut nous arrêter. Et au milieu de tout ça, le dieu de la techno – Nvidia - La boîte qui pèse bientôt 4'000 milliards de dollars…

L’Audio du 4 juillet 2025

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Rachat de la finance mondiale

À ce rythme, Nvidia va pouvoir racheter la totalité de la planète bourse d’ici deux trimestres. À croire que chaque fois qu’un analyste dit “valuation déconnectée”, Jensen Huang gagne un milliard de plus en market cap. Mais attention, ce n’est pas que Nvidia. Le tout est porté par une logique imparable : si tu n’achètes pas maintenant, tu vas payer plus cher demain. Et si tu vends ? Tu regrettes dès le lendemain. C’est ça, Wall Street en mode “piège à cons” : une spirale haussière qui broie tous ceux qui doutent. Le bilan de ces dernières semaines est sans équivoque : Huit séances de hausse sur neuf et plus de 6% de performance sur le S&P500 depuis le 23 juin.

Le plus drôle (ou flippant, c’est selon), c’est que les chiffres sont bons, objectivement.
Mais personne ne les regarde vraiment. Parce que ce n’est pas ça qui fait monter les indices. C’est l’absence de mauvaise nouvelle explosive. C’est l’idée que tout est sous contrôle. Même quand ce ne l’est pas. Hier on nous a publié les chiffres des NON FARM PAYROLLS ; 147’000 créations d’emplois en juin, contre 110’000 attendus. KABOOOM… Le taux de chômage ? Il baisse à 4,1% alors qu’il devait monter à 4.3% selon les experts. Re-Kaboom.
Les salaires sont en hausse de +3,7% sur un an. Ni trop chaud, ni trop froid. Et pourtant, la veille, on avait eu un rapport ADP qui montrait que le privé avait détruit des jobs. Une première depuis le Covid. Donc le marché a juste décidé… que c’était pas grave. On sélectionne les stats comme sur Tinder : à l’instinct, et selon l’humeur du jour. Et surtout selon ce qui nous arrange.

On nous prendrait pas pour des cons par hasard ?

Après, je voudrais quand même faire un tout petit encart – parce que quand je vois les chiffres des NFP’s d’hier, qui battent des records et qui font TOUT JUSTE dans tous les secteurs : Plus de créations d’emplois, chômage plus faible et hausse des salaires modérées ; j’ai un peu l’impression qu’on nous a montré l’appartement témoin et qu’en fait la réalité est un peu moins belle que la fiction. Non, parce que vous admettrez que c’est quand même assez perturbant de voir que toutes les institutions gouvernementales qui publient des chiffres macro – comme le Bureau of Labor Statistics – sont capables de nous sortir des chiffres corrects et des données encourageantes alors que toutes les données qui viennent du privé, nous disent que ça sent mauvais comme jamais.

Je vous avoue que quand on voit ce qu’on voit, qu’on entend ce qu’on entend – tout d’abord on a bien raison de penser ce qu’on pense, mais en plus faut arrêter de nous prendre pour des cons et nous dire que l’économie cartonne comme un dingue alors que la visibilité est nulle et la consommation est en berne. Mais bon, visiblement le marché est content et il prend ce qu’on lui donne sans poser de questions. Et dire que ma maman m’a toujours dit de ne JAMAIS accepter de friandises de la part des gens que je ne connais pas. Et voilà que je me retrouve dans un milieu où tout le monde fait confiance à n’importe qui, sur absolument tout et n’importe quoi. D’ailleurs ce qui est fou, dans les chiffres d’hier, c’est que le marché est SUPER CONTENT et bat des records, mais en même temps, il ne réalise pas que SI LE MARCHÉ de l’emploi va si bien que ça et en supposant qu’on ne nous raconte pas une montagne de conneries bien politisées, la baisse des taux, on n’est pas près de la voir arriver… Pourtant c’est un peu pour ça qu’on est monté la veille : parce que les chiffres de l’ADP étaient dégueulasses et que – du coup, Powell allait baisser les taux plus tôt…

Résumons

Donc si je résume : actuellement le marché monte. Peu importe l’information, peu importe si l’info en question est l’exact opposé de celle de la veille : LE MARCHÉ MONTE, ne cherchez pas plus loin. Il est inutile de réfléchir, d’analyser, de tergiverser, il suffit simplement d’agir et d’ACHETER et puis c’est tout ! C’est d’ailleurs EXACTEMENT ce qui s’est passé hier. Le S&P prenait 0.83%, le Nasdaq 1.02% et même le Dow Jones prenait le train avec 0.77%. Et en Europe, on suivait le mouvement même si du ce côté de l’Atlantique, on se montre un peu plus circonspect à cause des droits de douane. Et puis, la Suisse était en baisse hier… Parce qu’on peut pas faire comme les autres. Y en n’a point comme nous.

En fait en ce moment, ça n’est pas que tout va bien. Mais c’est plutôt que l’on est capable de ne regarder que ce qui va bien. Il n’y a qu’à voir : hier on a annoncé le déficit commercial, il s’est creusé à 71,5 milliards en mai. Une claque monumentale. Mais là encore, pas de réaction. Silence radio. Parce que les exportations chutent plus vite que les importations… mais bon, le dollar est faible, donc c’est peut-être bien, qui sait. On ne sait plus. On ne veut plus savoir. Et pendant que tout le monde célèbre la montée des indices, une petite bombe politique est tombée après la clôture : le Congrès a adopté le nouveau plan fiscal de Trump. Le fameux Big Beautiful Tax Bill. Des baisses d’impôts massives, un creusement de la dette de 3’400 milliards (oui, trois-mille-quatre-cents-milliards), et des millions d’Américains qui pourraient perdre leur assurance santé. Mais hey, si ça fait monter les actions… on signe où ?
Et la Fed, dans tout ça, elle, elle continue d’observer. Elle respire avec le ventre et elle attend.
Clairement, avec les chiffres de l’emploi d’hier, s’il y avait des gens qui croyaient encore à une baisse de taux en juillet, ils peuvent se l’accrocher derrière les oreilles – et encore, c’est pour rester sobre et poli. Donc : Pas de baisse de taux prévue en juillet – mais ça monte quand même parce que ça viendra plus tard. Peut-être en septembre. Si les étoiles sont alignées, et si Nvidia ne rachète pas la Fed d’ici là.

Exubérance rationnelle ou délire de fin de cycle ?

On l’a dit cent fois, mais là, c’est du concret : ce rallye est alimenté par l’euphorie.
Par l’argent des particuliers, qui veulent croire que ça peut continuer, que c’est différent cette fois, que les arbres montent jusqu’au ciel. Même si tous les signaux crient prudence (enfin sauf l’emploi selon le BLS, mais ça on sait tous que c’est du pipeau)… Hier, Tripadvisor s’est envolé de +16,7%, rien que parce qu’un activiste a pris 9% du capital et Datadog va intégrer le S&P500, là aussi : 15% de hausse pour fêter ça !!! On est clairement dans une phase où toute bonne nouvelle est surachetée, et toute mauvaise nouvelle est ignorée. C’est la définition même d’un marché qui surchauffe. Alors oui, on est encore en train de faire la fête. Mais la vraie question, c’est : que va-t-il se passer quand l’orchestre va arrêter de jouer ?

En attendant, nous allons avoir trois jours pour gamberger. Les USA sont fermés depuis hier à la mi-journée et ne rouvrirons pas avant lundi. Je ne suis pas certain que nous allons totalement changer d’orientation en l’espace d’un week-end prolongé, mais ça ne coûte rien de se poser dans un coin, face à la mer et de réfléchir à ce qui se passe en ce moment. D’ailleurs si l’on prend le temps de réfléchir – juste avant que je mette les voiles : Le dernier rapport sur l’emploi aux US est solide – on ne va pas revenir là-dessus – même très très solide, serais-je tenté de dire et c’est un camouflet pour Trump, qui hurle depuis des mois que les taux sont trop hauts, que Powell est un loser fini, et qu’il faudrait tout couper à 1% comme si on vivait une apocalypse déflationniste.

Reality check

Sauf que la réalité dit l’inverse : l’économie tourne à plein régime, le chômage reste bas, et l’inflation, même si elle ralentit, est encore bien au-dessus des 2%. Donc Powell avait raison. Enfin, toujours en supposant que les chiffres que l’on nous donne soit vrais. Mais Powell n’en a plus pour longtemps. Dès 2026, Trump nommera SON président de la Fed. Un vrai fidèle, pas un indépendant. Et c’est là que commencera l’histoire inquiétante : une Fed qui obéit à la Maison-Blanche. Bienvenue dans la « MAGA Monetary Policy ». Un cocktail prévisible mais explosif :

o Taux courts sous les 1%,
o Nouvelle vague de planche à billets (QE),
o Et inflation volontairement ignorée pour alléger la dette

Parce que oui, la dette américaine s’envole et va continuer à s’envoler. Avec son “One Big Beautiful Bill Act”, Trump promet de creuser un trou de 3’400 milliards de dollars de plus dans la dette américaine. Résultat : d’ici 2035, les intérêts de la dette boufferont 25% des impôts ! Plus que le budget de la défense ou Medicare. Et comme personne ne veut augmenter les taxes ni couper dans les retraites, l’inflation devient l’outil magique. On rembourse la dette avec des dollars dévalués. Du défaut de paiement déguisé, version 2.0. Conclusion : si Trump contrôle la Fed, préparez-vous à un monde de faibles taux et forte inflation. Et n’espérez pas que quelqu’un sonne l’alarme, parce que c’est en train de se passer sous nos yeux et personne ne la ramène…

En attendant

Ce matin, il y a une ambiance morose en Asie : la plupart des marchés boursiers piétinent, pendant que Hong Kong plonge avec la Corée du Sud. La raison c’est Donald Trump qui a décidé d’arrêter de faire semblant. Fini les négociations à rallonge : le président américain va envoyer des lettres officielles à plus de 170 pays, pour leur imposer unilatéralement des tarifs douaniers de 20 à 30%. Le genre de courrier qui ne fait jamais plaisir. Jusqu’ici, seuls le Royaume-Uni, le Vietnam et (un peu) la Chine ont signé un deal avec les États-Unis. On est donc loin du fantasme trumpien de « 90 deals en 90 jours ». Les marchés sont en train de comprendre qu’on est en train de revenir à une stratégie protectionniste hardcore, qui menace les chaînes d’approvisionnement mondiales et la croissance des économies exportatrices… en clair : l’Asie.

Du côté des matières premières, nous avons le baril qui tape les 67$, l’or qui vaut 3’350$, le Bitcoin qui est à 109’000$ et le rendement du 10 ans qui est à 4.32%. Aujourd’hui, il n’y aura pas de chiffres économiques, les Américains sont fermés et c’est une journée qui ne sert à rien. J’en profite donc pour mettre les voiles pendant deux semaines et je vous retrouverai ici-même le 21 juillet à la même heure. En attendant si vous ne pouvez absolument pas vous passer de moi, je vous recommande de vous abonner à la chaîne Swissquote en français sur YouTube, parce que – vacances ou pas – je vais quand même poster quelques vidéos estivales.

Autrement, ma nouvelle vidéo qui s’appelle « Qui perd gagne » est en ligne depuis ce matin 6h30 sur la chaîne ZONEBOURSE, là aussi, vous pouvez vous abonner, il y en aura une par semaine !

Excellent week-end et à très bientôt !

Thomas Veillet
Investir.ch

« Quand tout le monde pense pareil, plus personne ne pense. »
— Walter Lippmann