Parfois le comportement des bourses mondiales, me font penser à ces couples qui se disputent devant tout le monde au resto, mais qui, en rentrant à la maison, regardent un film ensemble comme si de rien n’était. Cette semaine, les marchés ont joué au même jeu : ils ont hulré un peu, se sont plaint beaucoup, fait semblant de s'inquiéter pour l'inflation, les taux, les résultats d'entreprises… puis ont terminé la semaine bras-dessus, bras-dessous avec les indices presque au plus haut, du genre “mais vous savez, on s’aime fort, quand même”. Bon, moi je suis de retour de vacances et je peux vous dire : c’est comme si j’étais jamais parti !!! Allez, on y retourne !!!

L’Audio du 21 juillet 2025

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Les Résultats, la Vie, la Mort

Vendredi dernier, on a eu ce qu’on appelle à Wall Street une “séance de digestion optimiste”. Traduction : les traders étaient fatigués de faire semblant de comprendre ce qu’il se passe, alors ils ont décidé de tout acheter comme si de rien n’était en se disant que ça ne servait à rien de pisser contre le vent. Le monde la finance achetait, alors on a acheté. C’est un peu comme dire “allez, je prends ENCORE un dessert » alors qu’on a déjà fait entrée et plat avec supplément mayonnaise et frites.

Et en guise de dessert, on avait Netflix. Aaaaah, Netflix. L’enfant prodige du streaming est arrivé avec ses résultats sous le bras comme un gamin qui rentre de l’école avec un bulletin presque parfait. Plus d’abonnés, plus de marge, une croissance du chiffre d’affaires plus que correcte, une guidance optimiste et un discours bien calibré…ou plutôt bien scénarisé, devrais-je dire. La totale. Même les analystes de chez Goldman ont hoché la tête en ayant l’air satisfait. Encore une fois, Netflix avait fait tout juste et on ne pouvait rien leur reprocher. C’était mal connaître les capacités de créativité du monde merveilleux de la finance puisque le twist du scénario de vendredi soir a pris tout le monde a contrepied, puisque le titre reculait de près de 5%. Oui, 5% parce qu’en 2025, faire “mieux que prévu” ne suffit pas. Ou ne suffit PLUS. Il faut faire mieux que les fantasmes les plus tordus du dernier analyste le plus exigeant de Wall Street. Il faut faire mieux que les attentes des meilleurs attentes, voire un peu plus. Et si tu as l’outrecuidance de livrer des résultats simplement solides, tu te fais défoncer par la critique. Netflix s’est donc retrouvé à être ce gars qui organise une super soirée gratuite surprise pour tout le monde … et à qui on reproche de ne pas avoir mis assez de ballons ou pas assez de champagne. Comme disait Caliméro : « c’est trop injuste ».

La fin du monde peut attendre

Mais malgré la « déception Netflix », vendredi était un jour parfait pour glisser un petit rebond du marché, histoire de faire croire que tout va bien avant de partir en week-end. Le S&P500 a frôlé un record, le Nasdaq a fait son show, le Dow Jones a fait ce qu’il fait de mieux : rien. En gros ; un bon vendredi qui montouille alors qu’on sait qu’on ne le mérite pas vraiment au fond de nous. Tout au fond de nous. Derrière ce calme apparent, c’est un véritable théâtre de marionnettes, du grand guignol. Parce que tout le monde sait que le marché ne monte pas parce que tout va bien. Il monte parce qu’il doit monter. Parce que c’est ce que tout le monde attend de lui. Parce qu’avec une IA qui génère des bénéfices à la chaîne, des banques centrales qui hésitent entre le coma et le parjure, et des consommateurs qui achètent des iPhones à crédit à 18 % d’intérêt, le narratif tient encore debout. Juste assez pour que le grand public y croie encore. Oui, je sais, je suis revenu de vacances et je ne suis pas plus optimiste qu’avant.

Ce qui est fascinant, c’est cette ambiance permanente de schizophrénie. Un jour, on flippe à cause de l’inflation. Le lendemain, on célèbre la résilience de l’économie. Le surlendemain, on se remet à flipper parce que trop de résilience pourrait empêcher la Fed de baisser les taux. Et le vendredi, on achète tout ce qui bouge parce que “hey, on est vendredi quand même”. Même les IA de trading commencent à buguer. Elles savent plus si elles doivent vendre à l’annonce d’une bonne nouvelle ou acheter à la publication d’un mauvais chiffre parce que ça pourrait permettre à la FED de baisser les taux, mais en même temps : est-ce une bonne idée de baisser les taux avant que l’inflation soit vaincue. À ce stade, les algos font du freestyle, en espérant que ça passe.

L’amour vache version politique monétaire

Et puis y’a le feuilleton de l’été : Donald & Jerome Powell. Powell, l’homme le plus stoïque des États-Unis et probablement du monde entier. Il fait face à Trump, qui a décidé qu’un Président de la Fed ne devait pas être indépendant. Pas indépendant mais surtout obéissant. Genre très obéissant. Genre : “Si je te dis de baisser les taux à -2 %, tu dis chef oui chef !!!” Sauf que Powell, pour l’instant, il résiste. Il ne baisse pas les taux. Il ne démissionne pas non plus. Il serre les dents, il dit “nous restons data-dépendants”, il fait de la méditation transcendantale sur son bureau, et il espère secrètement que Trump se déconcentre avec ses problèmes veineux et qu’il passe à autre chose. Mais la tension est là. Trump veut sa reprise. Il veut sa croissance. Il veut ses records boursiers. Et si Powell ne livre pas, il pourrait bien devenir le premier président de la Fed à se faire dégager par un tweet — en majuscules, évidemment.

Et puis y a l’économie. Vue de loin, l’économie mondiale a l’air de se porter pas trop mal : les marchés montent, les boîtes publient des résultats corrects, le chômage reste bas. Mais si on s’approche un peu, on réalise que tout ça tient avec du scotch, deux rustines fiscales et beaucoup de bonne volonté. Aux États-Unis, la croissance ralentit tranquillement. Pas d’accident de parcours, mais une perte de souffle évidente. L’inflation recule, certes, mais sa version “core” — celle qui fait mal — reste bien accrochée. Et dans ce contexte déjà tendu, Trump est toujours en pleine guerre des tarifs douaniers. Résultat : les prix grimpent, les marges se tendent, et les entreprises hésitent à investir. Et si l’on en croit les « experts », l’impact réel des droits de douane devrait commencer à se faire sentir dans le courant du mois d’août. Le dilemme est total : relancer l’économie ou ne pas allumer un feu inflationniste de plus. L’économie tient, mais elle grince. Elle avance, mais les clignotants clignotent de plus en plus vite. Les marchés veulent encore y croire. Mais derrière le vernis, on sent bien que tout ça reste fragile. Très fragile. Les rendements obligataires ont baissé la semaine dernière. Pas beaucoup, mais juste assez pour que tout le monde respire un peu mieux en pleine canicule. Mais attention, ça n’est pas toujours une invitation à faire la fête. Parfois, c’est un signal. Une alerte silencieuse. Le genre de truc que les grands gérants savent lire entre les lignes. En gros, les marchés obligataires commencent à sentir que l’économie pourrait fatiguer plus vite que prévu. Qu’on pourrait glisser lentement mais sûrement vers quelque chose de… pas forcément génial.

Et ce, malgré les discours rassurants de tout le monde.

Ce matin en Asie

Les marchés asiatiques ont digéré les élections japonaises comme un sushi pas très frais. Il fait mal au ventre, mais c’est pas pire que prévu. À Tokyo, le gouvernement perd le contrôle du Sénat, Ishiba s’accroche à son siège comme un politicien à ses privilèges, et le yen se renforce un poil. La Bourse s’en fout un peu : mais surtout parce que c’est jour férié là-bas. Alors on fait semblant de ne pas voir la crise politique qui couve. Résultat : pas de panique, mais les hausses de taux par la BOJ, On va oublier, c’est reporté à… plus tard. Plus tard, comme toujours. La Chine n’a pas bougé ses taux et Shanghai, tout comme Hong Kong, sont en hausse de 0.3%. Pendant ce temps, les futures américains sont légèrement en hausse en attendant le bal des résultats.

Et Pendant ce temps, Trump continue son numéro de marchand de tapis : un accord commercial avec l’UE serait « possible », selon son secrétaire au commerce. Avec la Chine, il joue la montre : peut-être un tête-à-tête avec Xi… en octobre. Peut-être. Peut-être pas. Les marchés espèrent un miracle, mais les deadlines tarifaires du 1er août approchent et le suspense devient ridicule. En attendant c’est calme plat sur le baril à 66.17$. Il reste planté là, pendant que tout le monde scrute le moindre frémissement. D’un côté, l’Europe balance des sanctions sur la Russie (et on sait que ça marche super-bien), de l’autre, les pays du Golfe tournent les robinets à fond. Résultat : l’offre s’agite, mais la demande, elle, fait la sieste — plombée par les droits de douane et une croissance mondiale qui tire la langue. Bref, entre les tensions géopolitiques et les doutes économiques, le baril joue à l’équilibriste – un peu comme Powell le fait entre Trump et les taux – Mais devinez qui continue de payer plein pot à la pompe ? (un indice, c’est pas Poutine). L’or est à 3’362$ et le Bitcoin est à 117’000$, pendant que le rendement du 10 ans est à 4.42%.

Les nouvelles du matin

La semaine commence donc tout en douceur, mais nous devrions quand même parler droits de douane avec la riposte attendue des Européens. Macron et les autres devraient se rencontrer ou tout au moins se parler, mais le génialissime homme politique qui gère la France d’une main de maître, va pousser pour sortir le « gros bazooka ». Le « bazooka » dont Macron (et plus largement l’Union européenne) parle en coulisses pour riposter à l’escalade tarifaire américaine, c’est l’outil anti-coercition, aussi appelé ACI (Anti-Coercion Instrument). Et ce n’est pas juste un pistolet à bouchon : c’est une vraie arme juridique et commerciale qui permettrait rapidement de :

o Taxer massivement des produits américains ciblés comme le bourbon, les Harley’s ou le soja…).
o Restreindre l’accès des entreprises américaines aux marchés publics européens
o Limiter les investissements américains dans certains secteurs stratégiques
o Appliquer des taxes spéciales aux GAFAM, qui sont des cibles toutes trouvées.
o Bloquer des exportations européennes stratégiques vers les US, si ça permet de faire pression.

Reste à voir comment l’agent orange va le prendre à Washington. Et puis l’autre sujet qui va préoccuper les traders dans les jours qui viennent, ça sera sûrement quelques données macro, deux ou trois chiffres de ventes de maisons, un PMI allemand, une déclaration molle de la BCE, et peut-être un petit coup de pression sur la Chine. C’est tout. Et c’est là que ça devient dangereux. Parce qu’un marché sans actualité, c’est un marché qui s’invente des histoires. Qui fait du bruit pour exister. Qui transforme une rumeur en tendance et un silence en signal de vente. C’est souvent dans ces moments-là que naissent les retournements. Pas violents, non. Mais insidieux. Invisibles.

Il y aura cependant un début d’avalanche de publications trimestrielles, des noms comme Verizon, NXP, Coca-Cola, GM, Northrop, SAP, Texas Instruments, AT&T, Tesla, Alphabet, IBM, ServiceNow, Nokia, American Airlines, Intel, Newmont, Givaudan, Dassault Aviation, Julius Baer, Thales, LVMH, Roche, Nestlé, Total, BNP, Deutsche Bank, Dassault Systems, Volkswagen et Eni.. Et encore, c’est les plus connus. La toute grosse semaine sera la semaine suivante, puisque la plupart des Mag7 seront de sortie.

Conclusion

On vit une époque où les fondamentaux importent moins que le storytelling. Où les analystes financiers sont devenus des scénaristes. Où les prévisions sont des fanfictions. Où les marchés font semblant de tout comprendre alors qu’ils réagissent à l’émotion pure.
La vérité, c’est que plus personne n’a de certitudes. On nage en pleine illusion. Une illusion où les actions montent quand tout va mal. Où les bons chiffres sont mal accueillis et vice et versa. Un monde où les taux ne reflètent plus l’économie réelle, mais juste la peur d’un président en colère. Et tant que ça tient ? Tant que les indices montent ? Tout le monde ferme les yeux. On encaisse. On sourit. On fait semblant d’y croire. Mais un jour, faudra bien se réveiller.

Voilà, pour le reste – je suis de retour – je ne suis pas certain que mon absence ait servi à grand-chose, tout comme mon retour d’ailleurs. Mais c’est pas grave, je vais recommencer à surnager dans l’actualité du monde merveilleux de la finance et vous fournir un maximum de contenu – d’ailleurs, pour ceux qui veulent ; je vous ai publié un article ce week-end qui parle du tsunami obligataire japonais qui menace et il y a aussi une vidéo sur le combat des chefs entre Trump et Powell.. La vidéo est là-dessous et il vous suffit de cliquer sur le lien en couleur pour vous faire peur sur le Japon.

Passez une excellente journée et un très bon début de semaine. On se revoit mercredi pour une nouvelle chronique matinale estivale et si je vous manque trop, vous pouvez aussi me retrouver en vidéo sur la chaîne Swissquote en français, tous les matins y compris le samedi pour la récap hebdomadaire !

À mercredi !

Thomas Veillet
Investir.ch

« La finance, c’est l’art de faire passer l’argent de main en main jusqu’à ce qu’il disparaisse. »
— Robert W. Sarnoff