Il y a bientôt deux ans, Jerome Powell avait « pivoté ». Enfin, pas complètement pivoté puisqu’il était passé de « JE MONTE LES TAUX POUR FREINER L’INFLATION » à « Y A PLUS BESOIN DE MONTER LES TAUX POUR FREINER L’INFLATION, J’AI REPRIS LE CONTRÔLE ». À l’époque il n’était pas encore en mode je baisse les taux à fond (et il ne l’est toujours pas, d’ailleurs), mais son attitude et l’espoir qu’il nous laissait poindre à l’horizon a suffi à déclencher un bull market de folie basé uniquement sur les PERSPECTIVES de voir baisser les taux un jour (et aussi un peu sur l’IA). Eh bien figurez-vous que même après deux ans, rien n’a changé : on monte toujours pour les mêmes raisons : l’espoir !

L’Audio du 13 août 2025

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Le CPI dans les clous (plus ou moins)

On peut donc résumer la journée assez simplement : on a attendu de voir les chiffres de l’inflation et comme ils n’ont pas « explosés » à la hausse, on s’est dit ipso-facto que Powell n’avait absolument aucun argument pour ne pas baisser les taux. Donc si on n’a pas de raison de ne PAS baisser les taux, on a toutes les raisons du monde pour les baisser. Les chiffres de l’emploi sont immondes. Le ralentissement américain est avéré et si maintenant en plus l’inflation « ne monte pas vraiment » et que les tarifs douaniers n’ont pas d’impacts sur les prix à la consommation, il faudrait être fou pour ne pas le voir.

C’est en tous cas le message que voulait faire passer le marché hier soir. : « le CPI de juillet reste dans les clous et il n’y a pas de quoi paniquer ! »

En résumé ; l’inflation globale est stable à 2,7 % sur un an. Comme le mois dernier alors que l’on attendait une légère hausse à 2.8% – c’est même mieux que les attentes. Sur une base mensuelle, on attendait +0.3%, c’est sorti à +0.3%. Il n’y a rien à dire. Le CORE CPI lui grimpe à 3.1% contre 2.9% en juin et c’est légèrement au-dessus des attentes qui étaient à 3%. Mais c’est pas grave, parce qu’on regarde surtout ce qui nous intéresse. Le CORE CPI n’a de valeur que quand il montre un truc de positif. Là, on pourrait logiquement se poser des questions, mais on préfère se concentrer sur ce qui va bien. En clair, les chiffres d’hier ne montraient rien d’assez violent pour empêcher la Fed de baisser les taux en septembre… à condition que le marché de l’emploi continue de se tasser. Mais ça on le saura en septembre.

Les tarifs douaniers sont discrets

Après il y a les tarifs douaniers qui commencent à se voir dans les chiffres, mais le passage dans les prix à la consommation reste encore “gérable” et personne n’ose aborder le sujet qui laisserait entendre que ça pourrait être plus violent le mois prochain (parce que tu comprends, faut pas fâcher les gens et pas déranger, alors chuuuut)… Bon, je vais quand même le dire parce que ça m’énerve. Il faut quand même noter que même si ces chiffres de l’inflation montrent que « tout est sous contrôle », notez quand même que l’inflation des biens est en hausse de 1.2% sur un an – en mars c’était négatif – faut pas me dire que ça s’est fait par la magie du Saint-Esprit, j’ai arrêté d’aller bouffer des chips en polystyrène expansé depuis trop longtemps. Les voitures d’occasion sont en hausse de 5% sur un an. Les voitures d’occasion PRENNENT de la valeur !!! On vit dans quel monde-là ? Les services ont pris 0.4% sur mois et grimpent de 3.6% sur un an. Et l’inflation SUPERCORE qui nous avait servi d’argumentaire pour ne pas baisser il y a quelques mois, elle, est de 4% sur an…

Mais bon, la bonne nouvelle c’est que l’ENSEMBLE DES TRAVAILLEURS AMÉRICAINS ont touché une augmentation de salaire de plus de 5% ces six derniers mois. Parce que les employeurs sont sympas. Oui, c’est de l’ironie. En coulisses, les entreprises US ont payé 28,4 milliards de dollars de droits de douane en juillet, un record (+273 % sur un an). Pour l’instant, ça ne se voit pas trop dans les prix finaux… mais ça va venir. Pour le moment, les boîtes encaissent le choc en rognant sur leurs marges, mais ça a une limite ; derrière, ça pourrait vouloir dire moins d’embauches, moins d’investissements… ou des hausses de prix plus tard. Non parce que si vous croyez que dans l’empire du capitalisme, les sociétés vont continuer à faire des cadeaux aux clients au détriment de leurs actionnaires, il faut absolument annuler votre abonnement à Disney + et arrêter de regarder des dessins animés des années 60 qui finissent systématiquement par « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants »…

Les lunettes roses

En attendant, le marché ne regarde que le côté rose : 94 % de probabilité d’une baisse des taux en septembre, et des chances qui montent aussi pour octobre et décembre. Taux plus bas = argent moins cher = plus facile de financer croissance, embauches et profits. Seule ombre au tableau : si les baisses arrivent pile au moment où l’inflation des tarifs commence à se réveiller, ça pourrait remettre en question pas mal de choses. Mais bon, encore une fois, on a enfilé nos lunettes roses sponsorisées par le BLS et on s’est dit que même si l’inflation reste au-dessus des 2 % visés par la Fed, elle n’est pas assez « HOT » pour casser l’envie de Powell de couper les taux. Après, il faut faire la différence entre envie de baisser les taux parce que tu y crois vraiment et envie de baisser les taux parce que ton patron de la Maison Blanche te massacre tellement sur X que t’en a marre qu’on te traite comme de la bouse.

Et puis alors il y a un truc dont PERSONNE NE PARLE, mais qui me saute quand même aux yeux. Vous voyez où je veux en venir ? Non ? Bon, je me lance : qui est-ce qui a calculé les chiffres du CPI durant le mois de juillet ? Qui a compilé les données pour en arriver à un résultat satisfaisant pour la Maison Blanche ??? Hein ?? QUI ??? Non, parce que le premier qui a sauté sur son Smartphone pour commenter les chiffres, c’est quand même Trump qui a déclaré tout simplement que « La Fed devait baisser les taux ». Classique. Sauf qu’il a laissé le suspense sur l’ampleur, non sans oublier de menacer Powell de poursuites en justice S’IL NE BAISSE PAS LES TAUX – il ne va pas le poursuivre pour ça, mais pour les travaux mis en place à la FED qui dépasseraient l’enveloppe. Mais vous voyez l’idée et l’ambiance. Et puis, en fin de journée, Scott Bessent, est allé sur Fox et a lâché le morceau : « La vraie question maintenant, c’est : est-ce qu’on baisse de 50 points de base en septembre ? ».

Le truc dont PERSONNE NE PARLE

Ce qui me ramène quand même à ma question précédente : « Qui est-ce qui a calculé les chiffres du CPI durant le mois de juillet ? Eh ouiiiiiiii !!!! C’est le BLS, le fameux Bureau of Labor Statistics… Vous savez le truc gouvernemental qui avait magouillé les chiffres de l’emploi pour déplaire à Trump parce que la boss du BLS était pro-Kamala Harris. Eh bien c’est encore eux qui ont publié les chiffres du CPI. Mais bien sûr, cette fois il ne sont pas magouillés, les chiffres, puisque ça nous arrange. Parfois je me dis qu’on nous prend quand même pour des cons. Et Je dois dire qu’au-delà de la publication des chiffres de l’inflation d’hier, il est admirable de voir comment nous sommes capables de ne regarder que ce qui nous fait plaisir, pourvu que la bourse monte. Et d’ailleurs elle monte, la bourse. Wall Street a même sorti le champagne : le S&P 500 prenait +1,1 %, record historique (16ème de l’année). Le Nasdaq avnançait de +1,4 %, record historique et 19ème de l’année), quand à notre bon vieux Dow Jones, il ne battait pas de record, mais il avançait quand même de 1.1%.

Le reste du monde s’est également montré fort satisfait de cette inflation parfaitement maitrisée qui nous mène tout droit à la baisse des taux, puisque c’est la SEULE chose qui nous intéresse. Le CAC40 terminait en hausse À CAUSE de la baisse des taux à venir. Le SMI a terminé en hausse à cause de la baisse des taux à venir et a carrément oublié que Trump est en train de lui mettre la misère. Et le DAX a fini… en baisse de 0.23% parce que SAP s’est fait déglinguer sous prétexte que l’action a cassé la moyenne mobile des 200 jours et que c’était des ventes « techniques ». Le pétrole est à 63$, plus personne ne veut le toucher avant le meeting de vendredi entre Laurel et Hardy qui aura lieu en Alaska et puis, l’EIA pense que le baril ira sous les 60$ avant la fin de l’année.

Bon, les prévisions d’un organisme comme l’EIA ça a presque autant de valeur que quand la Banque Mondiale vient nous donner des price target sur le S&P500, mais peu importe, en ce moment la réflexion n’a que peu d’importance tant que ça aide l’inflation à ne pas monter et que cela permet à notre stratégie d’investissement basée sur l’espoir de fonctionner. Pendant ce temps, le Nikkei bat des records tellement ça va être facile avec les droits de douane qu’ils ont négociés, le Hang Seng monte de 1.45% et la Chine est au plus haut depuis bien longtemps. Je crois qu’en ce moment, même le mot EUPHORIE n’a plus de sens. La VIX est sous les 15% et l’indice Greed and Fear est toujours dans le « GREED », mais même pas dans l’extrême GREED, c’est pas possible. Les mecs qui calculent l’indice chez CNN ont dû recevoir des consignes.

La tech en folie

Deux grosses actus techno-bourse en ce milieu de semaine, tout d’abord l’affaire Perplexity-Chrome. Perplexity, petite pépite de l’IA valorisée à 18 milliards, s’offre un coup de com’ XXL : une offre à 34,5 milliards pour racheter Chrome à Google. Le timing est parfaitement calé sur le procès antitrust où le juge Mehta pourrait, dans un scénario extrême, forcer Google à vendre son navigateur. Mais Alphabet n’a aucune envie de lâcher son bijou : 3,5 milliards d’utilisateurs, plus de 60 % du marché, et un outil clé pour son business. Et qui est accessoirement valorisé par pas mal de monde quelques part autour des 100 milliards. Perplexity, elle, promet de garder Google en moteur par défaut et de continuer à bichonner Chromium. Reste que la probabilité d’un vrai deal est faible. Mais avouez quand même que de voir Google se faire dépouiller de Chrome, ce serait un spectacle. Ou pas.

Deuxième épisode : CoreWeave, star montante du cloud IA, flambe sur la demande mais dérape sur les pertes. Deuxième trimestre : 1,2 milliard de revenus (+200 % sur un an) pour un carnet de commandes de 30 milliards. Mais aussi 291 millions de pertes, bien au-dessus des attentes, à cause des investissements massifs pour suivre le rythme. Résultat : -10 % après Bourse, malgré des prévisions solides pour le trimestre à venir et une guidance annuelle relevée. Les patrons rassurent, mais admettent que l’approvisionnement en GPU et la mise en service des data centers, c’est un parcours d’obstacles. Et pour corser le tout : le lock-up des actionnaires expire ce jeudi. Si ça vend en masse, la volatilité promet d’être au rendez-vous. Moralité : Perplexity rêve de piquer les bijoux de la couronne de Google, CoreWeave imprime des ventes comme Nvidia imprime des billets… mais les deux savent que, sur les marchés, le rêve et la réalité se croisent rarement longtemps.

Conclusion

Nous sommes donc à de nouveaux plus hauts historiques sur le S&P500 et le Nasdaq, le SOX devrait suivre dans quelques jours. Tout ça pour un CPI de juillet un poil plus cool que prévu et tout le monde se met à rêver d’une baisse des taux par la Fed en septembre pour amortir les dégâts des tarifs douaniers de Trump. Sauf que… derrière le feu d’artifice boursier, il y a des bombes à retardement. Les prix des gros travaux — refaire un toit, rénover une cuisine — n’ont pas encore vraiment été intégré les surcoûts des tarifs. Les gros entrepreneurs les absorbent pour l’instant en rognant sur leurs marges. Mais selon certains experts, les consommateurs vont sentir la note passer en 2026. Et là, ça risque de raconter une autre histoire. Le problème c’est que les boîtes tiennent grâce à leurs stocks pré-tarifs et à des marges plus fines, voir extra-light dans certains cas. Les bas revenus, eux, sont déjà à sec côté consommation, alors que les hauts revenus continuent de dépenser comme si de rien n’était. Mais quand les “tampons” anti-tarifs vont sauter, l’inflation pourrait remonter vers 3,2 % d’ici la fin de l’année.

En clair : aujourd’hui, on paie peut-être un dollar de plus pour des bananes, demain ce sera 500 balles de plus pour un frigo ou une bagnole. Et quand ça arrivera, le consommateur moyen pourrait enfin sentir la patate chaude des tarifs dans son portefeuille. Moralité : la Bourse fête la baisse des taux avant même qu’elle ait lieu, mais la vraie facture des tarifs douaniers, elle, n’est pas encore arrivée. Et quand elle tombera, ça risque de casser un peu l’ambiance. Et je dis tout ça sans aucune intention de gâcher la fête de la fin de l’été, c’est juste des faits qui ont tendance à être un peu trop vite effacés avec un joli narratif bien poli et des lunettes roses. En résumé : inflation qui monte, des marchés qui montent, et Trump qui veut que Powell appuie sur le bouton “easy money” en plein milieu de la guerre commerciale. On dirait un film qu’on a déjà vu mais dont les scénaristes n’arrivent pas à se décider pour écrire l’épisode suivant. On tourne en rond avec les mêmes histoires et on a une capacité ne regarder que le bout de nos chaussures, ça me dépasse. Pour le marché, la boussole est claire : tout va se jouer sur les prochains chiffres de l’emploi et du CPI d’août, juste avant la réunion du 16-17 septembre. De quoi attendre encore un peu, c’est pas comme si on n’avait pas l’habitude d’attendre…

Les chiffres et la macro

Côté chiffres du trimestre, on aura trois chiffres qui valent le coup, EON en Allemagne, Tencent en Chine et Cisco aux USA. Pour ce qui est de la macro, nous aurons le CPI en Allemagne et en Espagne, les inventaires pétroliers et Bostic de la FED qui parlera. Mais pour être franc, la prochaine étape ça sera surtout le PPI de demain, histoire de voir si le tsunami des tarifs douaniers apparaît quand même au loin dans les chiffres des prix à la production.

Pour le moment, les futures sont inchangés, il me reste à remettre mes lunettes roses et à vous donner rendez-vous vendredi pour parler du PPI, justement. Passez une excellente journée et profitez bien de la chaleur écrasante du moment, puisque c’est LE SUJET principal de la plupart des médias – même avant l’inflation – parce que oui, aussi fou que ça puisse paraître, en été il fait chaud et en hiver des fois il fait froid et y a même de la neige de temps en temps…

À vendredi !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Time is your Friend, Impulse is your Enemy.” John Bogle