Trente points. 30 points, c’est tout ce qu’un PPI nettement plus fort que prévu, nettement au-dessus des attentes, aura eu comme impact sur les marchés. Le S&P500 a plongé de 30 points en 6 minutes. Puis, moins de 2 heures plus tard, tout était effacé, pour finalement terminer au plus haut de tous les temps. Je crois qu’aujourd’hui, en 2025, il faut commencer à admettre que les marchés, les investisseurs, les traders, les économistes, le monde merveilleux de la finance dans son intégralité, sont devenus imperméables à la moindre mauvaise nouvelle. LA SEULE ET UNIQUE CHOSE qui nous intéresse ; c’est la baisse des taux, c’est le Graal et ça nous donne l’immunité collective contre la baisse.
L’Audio du 15 août 2025
Le sketch du jour
Le PPI de juillet nous a collé une claque monumentale. Attendu à +0,2%, il sort à +0,9%. Soit la plus forte hausse de prix depuis juin 2022. Même en enlevant la bouffe et l’énergie, ça reste +0,9% – trois fois plus que prévu. Bref : l’inflation, qu’on croyait planquée sous le tapis… était bien restée en embuscade. Sur 12 mois, on grimpe à +3,3%, bien au-dessus de l’objectif à 2% de la Fed. Et derrière cette flambée ? Les services. +1,1% en un mois, avec un joli +2% sur les marges commerciales. Le tout dopé par des hausses de prix dans les machines, les frais de gestion de portefeuilles (+5,4% !), et même les billets d’avion. Moralité : la vie coûte plus cher… partout. Et quand on sait que le PPI est un indicateur avancé par rapport au CPI et que les droits de douane viennent seulement de prendre vie effectivement, nous n’en sommes qu’au début.
Conséquence immédiate sur la nouvelle, les futures se vautrent, les taux courts remontent. Les marchés qui pariaient sur une baisse « garantie » des taux en septembre commencent à douter : la probabilité reste haute pour -25 points, mais les rêves de trois baisses d’ici la fin de l’année viennent de se prendre une balle dans chaque genou. Pour l’instant, ce sont les entreprises qui supportent les coûts des tarifs douaniers de Trump. Mais elles ne vont pas pouvoir tenir éternellement – tôt ou tard, elles refileront la facture aux consommateurs et elles vont arrêter de rogner sur leurs marges. Et là, le CPI se mettra à ressembler au PPI, ce qui sous-entend que le consommateur n’a pas fini de subir les conséquences des tarifs de tonton Donald. À l’heure où je vous parle, on ne sait pas encore si Trump compte virer le nouveau patron du BLS, puisque LUI AUSSI, il a sorti des chiffres tous pourris. Mais une chose est sûre, le plan qui devait se dérouler sans accroc jusqu’à Noël commence à avoir un goût d’huîtres qui auraient passé un peu trop de temps sous la canicule.
Mais on s’en fout…
Par contre la BONNE NOUVELLE de la journée c’est que même si le PPI est immonde et que l’on peut commencer à se dire que le CPI d’août va être horrible et que l’on est en train de se rendre compte par les chiffres que les TARIFS DOUANIERS, C’EST QUAND MÊME UN PEU INFLATIONNISTE et qu’il ne suffit pas de virer des hauts fonctionnaires qui ne donnent pas les bons chiffres pour que ça s’arrange et que tout soit planqué sous le tapis. La bonne nouvelle c’est que le marché n’en a rien – mais alors STRICTEMENT rien à foutre ! Je ne sais pas à quoi on carbure en ce moment, mais une chose est certaine, ça doit être de la très très bonne, puisque peu importe la nouvelle, le marché monte quand même. Si l’on avait encore besoin de preuves, je crois que la séance d’hier en est clairement une.
Alors oui, il faut reconnaître qu’il y a quand même eu deux ou trois conséquences. Le Russell 2000 s’est pris -1,2% dans les dents et soudainement le narratif « si les taux baissent pendant les 8 prochains mois le capital sera moins cher et ça va être du velours pour les Small Caps » est passé à la trappe et si les EXPERTS s’attendent quand même à que Powell baisse les taux en septembre, ne serait-ce que pour calmer Trump qui commence à baver tellement il est fou de rage, les scénarios avec une vision à plus de 6 semaines deviennent très compliqués à gérer, à moins d’avoir un don pour la lecture dans les tarifs douaniers. En résumé, hier si t’étais petit, tu t’es fait laminer parce que les chiffres sont pas bons, mais si t’était Netflix ou Amazon, tu sauvais la baraque et encore une fois, s’il était nécessaire de le prouver, la Big Tech est devenu l’Alka Selzer contre le mal de tête des marchés et le « MARS » des investisseurs, puisqu’un MARS et ça repart. Bref, le PPI était pourri, mais le marché s’en fout d’une force c’est assez sidérant. J’insiste peut-être un peu lourdement, mais normalement, ce genre de nouvelles flingue les marchés. Et pourtant, le S&P 500 a signé un nouveau record, en fin de séance et le Nasdaq a fait du surplace. Nous sommes soit indestructibles, soit nous vivons dans une autre dimension où le pessimisme et les marchés qui baissent sont interdit sous peine d’emprisonnement et de devoir écouter du Aya Nakamura pendant les 10 prochaines années.
Nous sommes le 15 août 2025, il fait très chaud et le S&P500 est au plus haut de tous les temps alors que l’on vient d’apprendre que l’automne des consommateurs va être très très dur.
Berkshire : le shopping de Warren
Pendant ce temps, Berkshire Hathaway qui jouait à cache-cache avec la SEC depuis un moment pour ne pas divulguer ses derniers achats, les fameux “mystery stocks” de Buffett ne sont plus un mystère. La société de Warren Buffet a donc acheté UnitedHealth, Lennar, D.R. Horton et Nucor. Pas exactement du rêve technologique, mais plutôt du solide, du middle America : des maisons, de l’acier, de l’assurance santé qui s’est faite déglinguer depuis plusieurs mois, comme quoi, Buffett préfère parier sur l’Américain moyen qui construit, se soigne et boit de la bière devant le foot, plutôt que sur la dernière avancée technologique que personne ne comprends vraiment – un peu comme il l’avait fait en 1999 quand tout le monde se foutait de lui parce qu’il n’avait pas chargé son fonds en Télécoms et Internet, parce qu’il n’y comprenait rien. Et attention, l’Oracle a aussi vendu un gros bout d’Apple et de Bank of America. Traduction : Buffett lui aussi fait son ménage de printemps, même en août.
Et puis on a eu l’affaire Intel. Alors ça c’est absolument mythique et un terrain de jeu absolument fabuleux pour ceux qui ont envie de se lancer dans le complotisme et les opérations d’initiés initiées par le gouvernement. Intel a pris +7,4% hier sur une rumeur que le gouvernement US pourrait entrer au capital. Oui, vous avez bien lu. Après les nationalisations des banques en 2008, voilà venir la nationalisation des semi-conducteurs. Le projet c’est de faire de l’Ohio le nouveau centre du monde pour les puces, histoire de ne plus dépendre de Taïwan. Et comme Trump adore les grands projets patriotiques (et les caméras), ça sent le deal “Make Chips Great Again”. Imaginez le tableau : Intel sponsorisé par la Maison-Blanche. Prochaine étape : des CPU vendus avec une casquette rouge MAGA en cadeau dans le carton d’expédition. Mais là où ça devient super-drôle, c’est quand on se rend compte qu’il y a une semaine, Trump traite le CEO d’Intel de communiste et estime qu’il collabore avec la Chine : le titre se fait démonter et touche les 18.55$. Puis, quelques jours plus tard, Trump invite le CEO d’Intel à la Maison Blanche, le titre remonte et maintenant on parle de participation du gouvernement… Hier soir le titre a clôturé à 23.86$ – 25% en une semaine sur de la manipulation boursière et médiatique… Mais bien sûr, ça ne choque personne et tout est normal. Hier c’était encore une journée parfaitement normale à Wall Street, normale pour un marché qui marche sur la tête et qui semble avoir mis sa rationalité et sa logique de côté.
L’Asie
Ce matin en Asie, c’est la foire d’empoigne. Le Japon caracole en tête : le Nikkei a repris 1% et flirte encore avec ses records historiques, porté par un PIB qui surprend tout le monde. Un PIB qui s’affiche quand même en hausse de 1%, alors qu’on attendait péniblement +0,4%. Moralité : malgré les coups de massue tarifaires venus des USA, les Japonais exportent encore comme des fous et investissent comme s’ils imprimaient des yens dans leur salon à volonté. Résultat : la Banque du Japon pourrait se sentir pousser des ailes pour resserrer un peu la vis. Du côté de la Chine, c’est la gueule de bois : production industrielle molle, ventes au détail qui traînent la patte et, du coup, le Hang Seng dégringole de 1,3%. Shanghai s’en sort un peu mieux (+0,5%), mais ça sent quand même la consommation en berne et le ralentissement industriel. Ce qui, entre nous soit dit ; n’est pas nouveau en Chine.
Du côté du pétrole, on serre les fesses en attendant les résultats du match de catch dans la boue de la journée. Trump et Poutine on le destin de la planète entre leurs mains et vont essayer de la rendre un peu plus pacifiste. Même si je me rends compte en écrivant cette phrase qu’elle n’a strictement aucun sens. Néanmoins les conclusions de la rencontre pourraient avoir une influence sur le prix du baril qui oscille toujours autour des 63-64$. L’or est à 3’390$, le Bitcoin se traite à 118’000$ et des poussières, en repli après ses records au-delà des 124’000$. La faute à Bessent qui a déclaré que l’État ne comptait pas faire ses courses en Bitcoin… du moins, pas pour l’instant. Il a quand même rappelé que l’Oncle Sam possède déjà sa petite tirelire sous le matelas : une réserve stratégique de bitcoins — uniquement composée de tokens saisis dans des affaires judiciaires et qui pèse entre 15 et 20 milliards de dollars. Du côté des rendements, le 10 ans US se trouve à 4.27%.
Les nouvelles qu’il faut retenir
Côté politique monétaire, on parle toujours du duel Trump–Powell qui ressemble à un match de catch truqué. Trump veut des taux bas pour financer ses rêves (et accessoirement ses déficits), Powell fait mine de résister mais on sait déjà qu’il pliera en septembre. Une baisse de 25 points de base est quasi-certaine, les marchés la veulent, Trump la réclame, et Powell va lâcher du lest. Le problème, c’est qu’avec un chômage encore bas et une inflation qui repart, couper les taux, c’est comme arroser le barbecue avec de l’essence pour essayer de l’éteindre. Mais bon, qui a dit que la logique avait encore sa place à Wall Street ? En tous cas pas moi. D’ailleurs, si vous ne savez pas quoi faire, vous pouvez toujours aller voir la vidéo de ce matin sur Zonebourse ; on y parle de la Fed et de son agent infiltré.
Et puis, au milieu de tout ça, ce matin on parle des Magnificent Seven. Howard Marks – célèbre fund manager américain estime que NON, ces sept-là ne sont pas surévalués. Apple, Microsoft, Alphabet, Amazon, Meta, Nvidia, Tesla : ça vaut cher, mais c’est mérité. Des marges de fou, des produits que tout le monde utilise tous les jours, et une domination mondiale. Le vrai problème selon lui, c’est les 493 autres boîtes du S&P qui se payent en moyenne 22 fois leurs bénéfices sans avoir le quart du « flow » des MAG7. En clair : les stars ne sont pas chères, c’est la figuration qui l’est. En gros, c’est pas de bulle des “dot-com de l’an 2000”, mais une bulle de “tout-le-reste”, si on l’écoute.
Et puis, pour terminer on notera qu’Applied Materials a tiré la sonnette d’alarme hier soir. Les prévisions du chiffre d’affaires pour le 4ème trimestre seront bien en dessous des attentes, autour de 6,7 milliards de dollars contre les 7,33 milliards espérés par les stars de la finance. Le résultat aura été immédiat : l’action s’est pris une claque de -11% after close.
Le problème vient surtout d’une demande complètement erratique, coincée entre restrictions US vers la Chine et clients qui digèrent leurs capacités. Le CFO parle même de « demande non linéaire » – il faut comprendre : ça va, ça vient. Et en ce moment ça vient pas. Ironie du sort : au troisième trimestre, le groupe avait encore sorti une croissance de +8% à 7,3 milliards, au-dessus des prévisions. Mais l’euphorie a disparu, et tout le secteur est sous tension : ASML avait déjà prévenu que 2026 pourrait être une année blanche, faute d’investissements clairs aux US et avec la guerre commerciale en toile de fond. En clair : le boom des semi-conducteurs n’est pas mort, mais pour l’instant c’est pas encore la rentrée scolaire.
Et qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
Et qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Ben c’est assez simple. D’ici fin août, tout le monde attend Nvidia et Broadcom comme le Messie. Powell joue sa survie politique, Trump veut sa victoire médiatique (et il l’aura) et le marché continue de grimper en fermant les yeux sur la logique économique. On vit dans un marché où l’inflation revient, où Trump rêve d’être PDG d’Intel, où Buffett se cache pour acheter des actions, et où le S&P bat des records en ignorant 70% des entreprises qui se traînent.
Elle est pas belle la vie dans le monde merveilleux de la finance ??? Pour le reste aujourd’hui nous aurons le PIB en Suisse – PIB qui sera calculé par le Bureau of Labor Statistics américain AVANT les droits de douane de 39% (oui, c’est toujours en vigueur) et il y aura aussi les ventes de détails aux USA – les « Retail Sales » comme on dit, histoire de voir si la consommation se fait AUSSI laminer par les droits de douane. Il y aura aussi la Production Industrielle, les Business Inventories et le New York Empire State Manufacturing Index. Je vous préviens d’ailleurs d’avance : aucune mauvaise nouvelle ne sera acceptée par le marché, on ne prend QUE LES BONNES et les autres, on s’en fout… C’est la nouvelle norme. Et puis n’oubliez pas, dans quelques heures, il y aura le sommet d’Anchorage et ça, ça va être drôle. Ça fera de toutes façons monter le marché, mais ça va être drôle.
Passez une belle journée, un très très bon week-end et pour ceux qui veulent se faire un « récap » de la semaine, demain il y aura le Swiss Bliss sur la chaîne Swissquote qui sera publié vers 12h30… Et pour le reste, on se voit lundi !
Thomas Veillet
Investir.ch
“Investing is an activity of forecasting the yield over the life of the asset; speculation is the activity of forecasting the psychology of the market.” John Maynard Keynes