Alors que nous sommes toujours en mode « attente » avec un calendrier économique qui est aussi épais que du papier à cigarette, les intervenants sont passés en phase d’allégement et ont trouvé toutes les excuses possibles et imaginables pour « réduire le risque » et se planquer dans les valeurs qui sont plus défensives. À l’aube du début du symposium de Jackson Hole, nous sommes officiellement en mode « risk off » et les vedettes de ces derniers mois ont été les victimes désignées des ventes de ce mardi. Les “Magnificent Seven” ont tout spécifiquement cotisé plus que les autres. Ce carnage sélectif était justifié, parce que vendredi Powell parlera et on a trop peur qu’il gâche la fête.

L’Audio du 20 août 2025

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Sauve qui peut

La séance d’hier ressemblait à un enfant qui balance ses jouets préférés par la fenêtre parce qu’il en a marre : les stars de l’année, les Magnificent Seven, se sont fait nettoyer durant la séance, Nvidia en tête. Le Nasdaq lui-même reculait de 1.5%. Le seul qui s’en sortait encore pas trop mal, c’est ce bon vieux Dow Jones qui a même tenté le record historique avant d’abandonner et de terminer inchangé. Le plus ironique dans tout ça, c’est que plus de la moitié des valeurs étaient en hausse… Donc, c’est pas la Bourse qui panique, c’est juste un carnage sélectif sur les stars : Nvidia reculait de 3,5%, affichant même sa pire séance depuis quatre mois, Microsoft –1,2%, Tesla, Amazon, Alphabet, Apple, Meta…toute la bande a fini dans le rouge et forcément, quand 37% de l’indice finit dans le rouge, c’est impossible de contrer le raz-de-marée. Le sujet – même si hier ça n’était que des « ajustements de portefeuille à l’approche d’une grosse échéance – devient de plus en plus récurrent. L’hyperconcentration dans le secteur technologique commence à stresser le marché. Que se passerait-il si Nvidia ou Microsoft faisaient un profit warning ces prochains mois ? La surreprésentation de ces valeurs dans les indices et les portefeuilles ne pourrait-il pas engendrer des corrections tragiques ? Le mini sell-off d’hier a donnée quelques éléments de réponse : oui, ça pourrait faire mal si tout le monde se précipite en même temps aux canots de sauvetage.

Pourtant, hier le problème n’était pas là. Hier les intervenants ont juste voulu réduire un peu la voilure parce que les échéances de ces prochains jours ne sont quand même pas mineures. Ce soir les Minutes du FOMC Meeting pourraient nous donner un avant-goût de ce que Powell va nous dire vendredi, mais aussi montrer que les dissensions à l’intérieur même de la FED sont de plus en plus flagrantes – ce qui n’est pas rassurant – le discours de Powell agendé pour vendredi, ne rassure personne non-plus, sans oublier que le 27 août au soir, Nvidia viendra nous prêcher la bonne parole avec ses chiffres trimestriels qui auront le pouvoir de nous emmener au plus haut de tous les temps, ou de nous faire comprendre que si l’été a été très chaud, l’automne pourrait l’être encore plus. Cette fin de mois d’août promet d’être complexe à gérer et les échéances auxquelles nous allons devoir faire face, ne sont pas simple à appréhender. Résultat, on réduit la voilure sur les grands noms qui nous ont fait la performance jusque-là. Et on ne peut en vouloir à personne, 1.5% de baisse sur le Nasdaq c’est pas cher payé si l’on se base sur un indice qui est en hausse de 42% depuis le 7 avril, emmené par une Nvidia qui a doublé sur la même période. Ça donne une idée ce que ça pourrait coûter au cas où la thématique d’hier devenait virale…

Jackson Hole : le Davos du Wyoming

Bref, hier on se protégeait contre Jackson Hole et les éventuels écarts de langage de Jerome Powell. Cette année, tout le monde attend Powell au tournant – j’aurais tendance à dire « comme toutes les années », mais là c’est quand même un peu plus que d’habitude. Le marché est monté parce qu’il croit à la baisse des taux de septembre, il y croit à 85%, et c’est presque un « coup sûr ». Le seul problème, c’est que Powell ne rigole pas trop ces derniers temps. Entre l’inflation qui colle au panier à cause des tarifs de Trump, la croissance qui ralentit, et les pressions politiques (à cause de Trump). Aujourd’hui, personne ne voudrait sa place. Et tout le monde a peur que le patron de la FED gâche la fête. Résultat : la séance d’hier. Une séance banale de prises de profits, histoire de ne pas se faire cueillir vendredi par un discours trop sec.

Ce qui s’est passé hier, c’était pas juste “la tech qui baissait”, c’était un vrai jeu de chaises musicales et on a assisté à une vraie rotation de secteur. Cette fabuleuse technique de gestion des portefeuilles qui nous permet de sortir ce qui fait peur : les actions avec du momentum (celles qui montent depuis des mois, les « chouchous » du marché) et les valeurs à dividendes, avec une volatilité faible, celles que l’on appelle les « values » qui étaient has been jusqu’à hier matin et qui sont devenues celles qui nous feront supporter la fin de semaine sans se faire trop secouer par les communiqués de presse en provenance de Jackson Hole. Hier c’était un peu comme si les investisseurs avaient dit : « bon, on a fait la fête sur la tech pendant tout l’été, mais maintenant on va se mettre au vert histoire de ne pas se faire secouer inutilement pendant l’automne ». Reste encore à voir si la réduction de voilure se prolonge plusieurs jours, sachant que la moindre « bonne nouvelle » pourrait nous faire oublier nos bonnes résolutions basées sur la prudence. De nos jours, l’investisseur peut avoir des convictions qui varient à la vitesse de la lumière.

En Europe c’est Champagne pour le CAC et enterrement pour la défense

Pendant ce temps, de nôtre côté de l’Atlantique, c’était champagne sur les indices européens : CAC +1,2%, DAX +0,5%, EuroStoxx +0,9%. Tout ça parce que Trump joue les entremetteurs entre Poutine et Zelensky. À voir comment l’Europe était contente des négociations de paix qui avancent, on est en train de se dire que si Trump finit prix Nobel de la Paix, ça ne sera même pas une surprise. Oui, on vit dans ce monde-là… En Europe hier, les investisseurs se sont mis à rêver d’une rencontre Poutine–Zelensky d’ici deux semaines et si ça se trouve, ça va encore se passer dans la circulation genevoise. Résultat : les marchés montent. Mais attention, Macron est arrivé en mode rabat-joie, en expliquant que Poutine reste “un ogre à nos portes”. Forcément, vu que Macron a absolument besoin de « sa » guerre pour continuer à faire diversion dans son propre pays qui part en lambeaux, on aurait été étonné du contraire. En plus de la bonne parole portée par la marionnette de Brigitte, les marchés ont également tenu compte du fait que dans l’accord discuté entre Zelensky et Trump, il fallait noter des investissements massifs dans l’armement AMÉRICAIN.

Ce qui revient à dire : « des milliards de budget qui ne rentreront pas les sociétés d’armement européennes »… Donc oui, les indices européens étaient en hausse parce qu’on espère la paix. Mais le secteur de l’armement européen a moyennement bien vécu les propositions du Président Trump. Leonardo plongeait de 10%, Rheinmetall de 5%, Dassault –abandonnait 3% et Thales –4%. Déjà la paix, ça ne fait pas plaisir au secteur, mais si EN PLUS, le business du « maintient de la paix » est payé par les Européens mais avec des armes américaines, ça frustre encore plus. Mais peu importe, l’armement, le reste montait. Et puis pour l’armement, que le secteur se rassure, vu l’état du monde, ils vont bien nous trouver une nouvelle guerre ailleurs d’ici la fin de l’année. Le CAC sort de son range latéral par le haut et le DAX est à quelques encablures de ses records historiques. Le SMI, quant à lui, il casse les 12’200 et toutes les résistances qui s’offraient à lui et on assistait même à une hausse généralisée des poids lourds du SMI… Forcément, quand on cherche du défensif pour survivre à Jackson Hole, quoi de mieux que de revenir sur la Suisse, même avec 39% de taxes.

En Asie

Ce mercredi matin, les Bourses asiatiques ont suivi la mauvaise vibe de Wall Street : ça baisse, surtout dans la techno. Le Japon et la Corée du Sud ont pris la plus grosse claque, avec le Nikkei –1,7% et le KOSPI –1,8%, plombés par la chute des stars américaines comme Nvidia. Côté Japon, la gueule de bois est double : non seulement la Bourse corrige depuis ses records, mais en plus les chiffres du commerce sont pourris. Le pays retombe en déficit commercial, ses exportations vers la Chine s’essoufflent, et les tarifs US continuent de faire mal, même si Washington a un peu desserré la vis en août. C’est drôle parce que c’est exactement le discours inverse d’il y a une semaine… Pendant ce temps, en Chine on joue la carte de l’immobilisme. La banque centrale a gardé ses taux inchangés, Résultat : Shanghai +0,4% et Hong Kong qui fait la moue à cause de la tech.

Du côté du reste, le pétrole a perdu du terrain mardi, plombé par l’idée que si Trump arrive à organiser un tête-à-tête Poutine–Zelensky, on risque moins de nouvelles sanctions sur le brut russe à court terme. En clair : moins de tension géopolitique, équivaudrait à plus d’offre potentielle sur le marché. Résultat, le WTI est à 61.89$. Comme le disait un analyste hier : « la paix en Ukraine sauverait des vies – ce qui est une bonne chose – mais ça casserait aussi un peu la spéculation sur les matières premières. Avec plus de pétrole dispo et des céréales plus faciles à expédier, les prix mondiaux pourraient se détendre ». Autrement dit, pour les marchés, une paix éventuelle c’est cool pour l’humanité, mais beaucoup moins sexy pour les traders commodities. Entre eux et l’armement européen, ce mardi n’était pas simple. Finalement l’or est 3’360$ et le Bitcoin souffre également de la stratégie « risk-off » du moment et se traite à 113’500$. Le rendement du 10 ans est à 4.31%.

La suite du feuilleton : Powell + les retailers

Aujourd’hui, tout le monde attend deux choses :

1. Les minutes de la Fed (pour savoir ce que les gouverneurs se racontent vraiment quand ils ne sont pas devant les caméras). On sait déjà qu’il y a des dissensions, certains veulent aller vite sur les baisses de taux, d’autres pas. Mais la question est de savoir quel est le niveau de gravité de ces dissensions.

2. Et puis, il y aura les résultats des géants de la distribution : Lowe’s, Target, TJX aujourd’hui, Walmart demain. Parce qu’au fond, ce qui tient l’économie américaine, ce n’est pas la Fed, c’est la carte bancaire des consommateurs. Et vu que les ménages commencent à flipper avec les tarifs de Trump, ces publications vont être scrutées à la loupe.

On notera qu’hier Home Depot a publié ses résultats du Q2. Résultats qui étaient en ligne avec les attentes, malgré la météo défavorable et des taux d’intérêt élevés. Les ventes se sont accélérées en fin de trimestre, permettant ainsi de vivre un troisième trimestre consécutif de croissance aux USA. Les marges sont solides et proches des attentes et le bénéfice par action était légèrement en-dessous des attentes. Mais ce qui a SURTOUT fait plaisir au marché, c’est qu’Home Depot confirme ses objectifs annuels. Le titre gagnait plus de 3 %. Comme quoi des fois, c’est dans les détails que l’on trouve les raisons d’acheter.

Où on est là ?

À la veille de Jackson Hole et à quelques minutes des Minutes, faisons rapidement le point. Depuis Liberation Day, Wall Street est tout feu tout flammes : le S&P 500 a enchaîné 17 records et s’est envolé de 30 % depuis avril. La recette se base sur trois ingrédients magiques : des bénéfices dopés aux amphétamines avec un Q2 qui montre une progression de 12.7%, l’espoir de baisses de taux en septembre, et surtout… l’addiction à l’IA, cette nouvelle poudre blanche des marchés. Deux valeurs, Nvidia et Microsoft, ont fait à elles seules près de 40 % de la hausse annuelle, comme si la Bourse entière reposait sur deux serveurs dans un data center et trois sacs de semiconducteurs ultra-performants. Mais voilà : derrière l’euphorie de l’IA – si on ne se voile pas la face – deux talons d’Achille apparaissent. Le premier s’appelle stagflation : si les tarifs de Trump ou les prix producteurs trop élevés cassent la dynamique, le marché va vite déchanter. Le second, c’est l’IA elle-même : si l’enthousiasme retombe, ou si les hyperscalers freinent leurs investissements, toute la machine se grippe.

Car oui, la moitié des gains du S&P vient d’une poignée de méga-caps, ce qui rend l’indice aussi équilibré qu’un tabouret à une seule jambe. Et pourtant, les chiffres donnent le vertige : Morgan Stanley estime que l’IA pourrait générer 920 milliards de dollars de bénéfices annuels supplémentaires, soit jusqu’à 16’000 milliards de capitalisation boursière en plus. Un jackpot qui justifie, selon les optimistes, des valorisations délirantes comme les 58 fois les bénéfices de Nvidia. En attendant, tous les regards se tournent vers Jackson Hole. Powell doit parler vendredi et il pourrait bien doucher l’ambiance s’il préfère la prudence aux baisses de taux promises par les marchés. Résultat : Wall Street est coincée entre un rêve – un futur à 16’000 milliards boosté par l’IA – et deux cauchemars : la stagflation et un Powell trop prudent. Bref, on aimerait bien que la fête continue… mais avec l’extincteur pas loin, d’où la prudence d’hier.

Des chiffres et des minutes

En plus des Minutes du FOMC Meeting de juillet, il y aura aussi le CPI en Europe, le PPI en Allemagne et Lagarde qui devrait parler. Et puis, aux States, c’est Waller qui parlera, juste après les inventaires pétroliers. En gros, ce soir on va éplucher un rapport de 30 pages pour savoir que les membres de la FED ne sont plus aussi unis qu’ils ne l’avaient montré ces dernières années, reste à voir comment le marché et ses experts vont le prendre…

Excellente journée à tous et on se voit vendredi pour décortiquer tout ça ! Que la force soit avec vous !

Thomas Veillet
Investir.ch

“The problem with doing nothing is that you never know when you’re finished” – Groucho Marx