Hier il y avait un avant l’ouverture et après la clôture. Le sentiment optimiste du matin a clairement été douché. Entre les perspectives de baisses des taux à venir qui motivaient les investisseurs en Europe et aux USA en début de séance. Les Américains ont encore une fois profité que les Européens rentrent à la maison pour tourner la veste. À 16h tapantes, l’ISM des services a débarqué pour gâcher la fête : brutal et sans pitié. Le rêve de la poursuite d’un rebond s’est effondré en une publication, laissant place à une séance où l’enthousiasme s’est évaporé. Hier la star de la séance ça n’était même plus Palantir, ni Nvidia mais juste un chiffre. Ce 50.1 qui dérange.
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Un ISM tiède fait frissonner tout le monde
Mardi, Wall Street s’est offert un petit tour de montagnes russes. Mais des petites montagnes russes. Le truc pour les enfants qui coûte une blinde mais qui ne rapporte pas la moindre sensation d’adrénaline, histoire que le petit dernier ne vomisse pas sa gaufre tout de suite. Pas d’excitation. Juste un grand “bof” baigné de sueurs froides. À l’ouverture, tout allait bien. Les taux de Powell allaient baisser en septembre et on commençait à en faire notre raison de vivre et les marchés rêvassaient de soft landing et le Nasdaq flirtait avec les sommets. Mais à 16h, le couperet est tombé : l’indice ISM des services s’est affiché à 50,1, contre 50,8 en juin et bien loin des 51,5 attendus. À quelques centimètres de la contraction pure et dure. Et là, tout le monde a compris, mais sans vraiment oser le dire : la stagflation n’est plus scénario de science-fiction, ça devient gentiment une probabilité que l’on n’a pas envie de voir, mais avec laquelle il va quand même bien falloir composer un jour.
Alors soit, la baisse est tout de même loin de celle du 19 octobre 87, le Dow Jones termine en léger repli de 0,14%, le S&P 500 cède 0,49% et le Nasdaq abandonne 0,73%. Pas vraiment un krach, mais quand même un petit malaise. Comme quand tu te rends compte que le flash qui vient de te prendre en photo sur l’autoroute, c’est pas des paparazzis et que tu ne sais plus si t’était à 120 ou à 210 au moment de la photo. Et puis c’était pas tout. Il y avait aussi le déficit commercial US. Lui était en chute libre à 60,2 milliards, son plus bas depuis 2023. Bonne nouvelle ? Pas vraiment. Parce que si le déficit baisse, c’est surtout parce que les importations s’écroulent, signe que la machine économique américaine commence à toussoter. Et avec un secteur des services qui pèse plus de 70% du PIB, ça sent le sapin de Noël un peu plus tôt que prévu. Et puis, autant vous dire que les gesticulations du Président Trump n’aident pas à trouver le calme et la zen attitude pour se montrer confiant sur l’avenir.
Le président réélu a encore une fois (à lire avec le ton du désespoir dans la voix) menacé de balancer des tarifs douaniers à 150%, voire 250%, sur la pharma, les semi-conducteurs et les génériques indiens. Par contre, les chaînes de télé n’ont pas encore interviewé ces patients américains qui ont besoin des médicaments étranger.
On Air
Et puis hier soir, Trump a donné une interview sur CNBC. Et rien que là-dessus, il y avait de quoi s’exciter dans tous les sens. Et d’ailleurs, pour ceux qui pensaient que la deadline du 1er août allait nous permettre de « passer à autre chose » du côté des droits de douane, je crois qu’il est temps pour vous de ressortir le doigt que vous avez dans l’œil, parce que j’ai le sentiment que Trump est complètement accroc aux droits de douane et qu’il ne peut plus prononcer une phrase sans menacer un pays quelconque de monter les tarifs. Hier il a même réussi à RE-menacer l’Europe de nouvelles taxes, alors qu’il y a deux semaines, il a déclenché un rallye boursier en annonçant le plus grand deal de l’Univers avec l’Europe. Ça fait DEUX semaines, pas deux ans. Et l’autre schizophrène bipolaire est déjà de retour sur le sujet. C’est épuisant.
Néanmoins, pendant que les marchés US terminaient légèrement en baisse que Palantir faisait office de miraculé du jour avec ses presque 8% de hausse alors que tout le monde hurle à la mort en disant que c’est trop cher. Pendant que l’Europe terminait de façon dispersée et que la Suisse terminait en hausse en espérant que KKS allait réaliser un miracle en allant à Washington pour discuter avec Trump. Et surtout que les pharmas suisses avaient l’air de totalement se foutre de ces méga-taxes sur les médicaments – annonce qui devrait être faite dans les jours à venir – pendant tout ce temps, Trump déroulait une interview sur CNBC :
• Il accuse toujours l’ex-patronne du BLS de manipuler les chiffres de l’emploi. C’est du réchauffé.
• Il affirme être au top des sondages… mais il oublie que c’est seulement chez les Républicains.
• Il pense que les banques JPM et BofA auraient fermé certains de ses comptes, par pression politique. Biden, même avec un cancer est toujours un méchant.
• Il promet de nouveau tarifs douaniers sur la pharma, comme on vient de le voir et les semi-conducteurs dès la semaine prochaine.
• Au sujet de la Chine, un accord commercial serait « très proche », et une rencontre avec Xi serait possible.
• Il menace les Européens de 35% de taxes si les 600 milliards promis ne sont pas investis.
• Il veut punir l’Inde sur les droits de douane parce qu’ils achètent du pétrole aux Russes.
• Il estime que faire baisser le pétrole de 10$ ferait plier Poutine et plierait la guerre.
• Powell sera bientôt remplacé et son successeur annoncé, mais ça ne sera pas Bessent qui a décliné le double-mandat.
• Et au sujet d’un éventuel troisième mandat, Trump pense que ça se fera “probablement pas”… mais qu’il aimerait bien. Conclusion, on ne sera jamais à l’abri.
Pendant ce temps, les rendements obligataires restent calmes : le 10 ans US campe autour de 4,20%, comme s’il n’avait pas encore compris que la fête pourrait peut-être virer au drame. En résumé, la journée aurait pu être belle. Mais entre un ISM en berne, un déficit qui clignote en rouge, et un Trump en mode “folies douanières”, les marchés ont préféré garder leur énergie pour une autre séance. À ce stade, le vrai moteur, c’est l’attente. Attente des baisses de taux. Attente d’un apaisement commercial. Attente d’un signe que l’économie ne plonge pas tout droit dans une mare stagflationniste. Bref, la Bourse respire encore, mais avec un petit sifflement inquiétant dans les poumons.
L’Asie attend aussi
Ce matin l’Asie est tout aussi attentiste que le reste. Mis à part le Nikkei qui monte de 0.6%, le reste est plutôt calme. Le pétrole est à 65.55$ en attendant de voir si Trump peut le faire baisser de 10$, l’or est à 3’430$ et le Bitcoin est à 113’400$. Mais le plus important hier, c’était les chiffres qui sont sortis after close. Et il y avait deux-trois trucs sympas. À commencer par AMD.
Les chiffres d’AMD pourraient être résumés par : c’était bon, mais pas assez sexy. Le chiffre d’affaires dépasse les attentes avec 7.7 milliards contre 7.42 attendus, les bénéfices sont en ligne, mais les investisseurs – dopés à l’IA – voulaient un feu d’artifice, pas un feu de Bengale. Résultat : le titre monte… puis redescend, parce que “déception post-orgasme”. La CEO, Lisa Su, vendait du rêve pour le second semestre avec une guidance à 8.7 milliards, tout en jouant la carte “demande explosive en IA”. Côté data centers : +14% sur un an, c’est solide. Mais après +73% sur le titre en 3 mois, fallait plus que ça pour continuer la fête.
La vraie bataille, c’est contre Nvidia. AMD a lancé en juin ses MI350 pour chatouiller les RTX, et tease déjà le MI400 qui ferait saliver les clients comme un buffet à volonté. Conclusion : c’est prometteur, mais pas encore assez pour détrôner le roi Nvidia. Pour l’instant, AMD chauffe, mais n’explose pas et le titre perdait 6.3% after close.
Et puis il y avait Super Micro
Il y a une publication qui devient super fun chaque trimestre, c’est Super Micro. Super Micro c’est la boîte qui, quand elle publie, tu sais qu’elle a truc que t’as pas vu venir, un cadavre dans le placard ou le CEO qui s’est fâché avec son cousin. SMCI c’est le SNAP moderne. D’ailleurs SNAP a également publié des chiffres tous pourris hier soir et le titre se faisait déglinguer de 16%. Ils ont annoncé une croissance trimestrielle au plus bas depuis un an, plombée par un bug publicitaire et la fuite des annonceurs vers Meta. Personnellement je pense que les réseaux sociaux sont de la daube, mais alors SNAP, c’est au-dessus de la daube. Vivement la disparition de ce réseau toxique. Mais là n’est pas le sujet. Hier Super Micro a aussi publié son trimestre et s’est AUSSI pris une claque.
Résultats trimestriels sous les attentes : 41 cents par action au lieu de 45, chiffre d’affaires à 5.8 milliards au lieu des 6 milliards espérés. Résultat : -16% en after-hours – comme SNAP – Le soufflé IA se dégonfle un peu. La marge brute fait pitié : 9.6%, alors qu’en 2022 on flirtait encore avec les 18%. Autant dire que Super Micro est en train de devenir le Lidl de l’assemblage de serveurs IA : prix cassés, marges écrasées. Le CEO pleurniche sur le manque de cash pour produire plus vite. Il a donc sorti l’aspirateur à dettes : 2.3 milliards levés en juin, après 700 millions en février. Quand faut y aller, faut emprunter. Guidance Q1 : bof. Mais pour 2026, ils visent la lune avec 33 milliards de ventes (vs 20 attendus). En clair : « ça va venir, mais pas tout de suite les gars. » Un discours qui devient récurrent chez SMCI.
Mais y’a aussi des casseroles. Deux clients pèsent 64% du chiffre d’affaires, y’a des failles comptables non résolues, des procès, et des deals un peu douteux avec le frère du CEO. Conclusion : Super Micro est sur la vague IA… mais sur une planche en carton qui commence à devenir très humide.
News of the day
Dans les nouvelles du jour, La banque centrale indienne a maintenu son taux directeur à 5,5 %, comme prévu, dans un climat tendu marqué par les menaces tarifaires de Donald Trump. Ce dernier, on l’a vu, critique les achats indiens de pétrole et d’armes russes, et promet des sanctions économiques. Le patron de la RBI a parlé d’une décision unanime, notant un léger apaisement géopolitique malgré les défis commerciaux persistants. Après une forte baisse des taux en juin, la RBI joue la prudence. Lucid a revu à la baisse sa prévision de production annuelle, tablant désormais sur 18’000 à 20’000 véhicules, contre un objectif initial de 20’000. Les résultats du deuxième trimestre ont déçu : perte ajustée de 24 cents par action contre 21 attendus, et chiffre d’affaires de 259 millions de dollars au lieu des 280 millions espérés. Le constructeur a enregistré une perte nette de 855 millions, avec des coûts en hausse de 7,5 % sur un an. Le titre perdait 7% after close. C’est pas mieux chez Rivian, ils ont publié une perte nette de 0,97 $ par action au deuxième trimestre, plus lourde que les 0,78 $ attendus, mais en amélioration par rapport à l’an dernier. Le chiffre d’affaires atteint 1,3 milliard, légèrement au-dessus des attentes qui étaient de 1,29 milliard) et en hausse par rapport aux 1,16 milliard $ de 2024. Le constructeur a confirmé son objectif de livraisons 2025 entre 40’000 et 46’000 véhicules, en ligne avec les prévisions des analystes. Une publication mitigée : mieux que prévu sur les ventes, mais toujours plombée par les pertes et le titre plongeait de 6% – 2% en séance et 4% de plus after close.
Et on termine cette chronique avec une interrogation qui devient parfois obsédante dans certains médias américains Pourquoi est-ce que Nvidia pourrait bien être un plus gros risque que les droits de douane, la récession ou même l’inflation. Pendant que tout le monde panique sur les droits de douane et les tensions commerciales, le vrai danger s’appellerait Nvidia. En tous les cas dans la tête de certains analystes. Pas parce qu’ils font des mauvais chips, mais parce que tout le marché est devenu accro à l’IA… et que Nvidia en est la principale seringue pour s’injecter notre dose quotidienne. Depuis l’avènement de ChatGPT, le marché US a pris 23’000 milliards de capitalisation, soit plus que le Japon, l’Europe et le Royaume-Uni réunis. Et devinez qui a tout aspiré au passage ? Nvidia, Microsoft, Meta et Alphabet, bien sûr… Certains stratèges ont commencé à tirer la sonnette d’alarme : on vit peut-être une nouvelle bulle dotcom version IA. Les capex explosent, mais si la promesse de productivité IA se dégonfle, ça pourrait faire très mal. Pour l’instant, tout va bien chez Nvidia. Mais dès que ça commencera à coincer, ça pourrait faire très mal. Il faut le savoir, le titre a déjà perdu 50% de sa valeur dans son histoire. Sept fois depuis son IPO. Et avec 4’200 milliards de market cap, le moindre faux pas ferait un joli trou dans le Nasdaq, risquant d’entraîner tout le monde avec l’eau du bain. Pour l’instant, rien à craindre, mais les signaux s’accumulent : ralentissement hors AI, fléchissement des ventes de smartphones et PC, capex en berne en Asie, incertitudes liées aux droits de douane… mais tout le monde regarde ailleurs, parce que c’est plus joli. Et si Nvidia déçoit à la fin du mois ? Que se passera-t-il ? Je dis ça, je dis rien, bien évidemment.
Chiffres du jour
Côté chiffres du jour, on aura UBER, Shopify, McDo, Novo Nordisk, Disney, AppLovin, Fortinet, Siemens Energy, Zalando et Bayer, entre autres. Côté macro, c’est plutôt calme, il n’y aura que les factory orders en Allemagne et les inventaires pétroliers aux USA.
En résumé, la séance d’hier nous rappelle que l’euphorie boursière tient parfois à un chiffre… Entre l’ISM qui sent la stagflation, Trump qui menace tout ce qui bouge, et des publications d’entreprises qui déçoivent plus qu’elles ne rassurent, les marchés avancent à l’aveugle. L’attente est devenue le principal centre d’intérêt. Mais derrière le calme apparent, ça grince. Et quand ça grince, c’est jamais bon signe. Passez une excellente journée on se revoit lundi prochain pour une nouvelle chronique estivale, vendredi je serais absent parce que je compense le 1er août déprimant de la semaine dernière !
Profitez du reste de la semaine et du week-end aussi, à lundi !
Thomas Veillet
Investir.ch
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