Ce mercredi aura été une séance coincée entre deux GROS ÉVÈNEMENTS, ce qui fait qu’on n’avait pas trop envie de se lancer dans les grandes manœuvres. Au-delà du fait que les indices américains ont baissé pour la seconde fois consécutive – on avait surtout l’impression que les intervenants prenaient le temps de la réflexion. Le temps de se demander si les déclarations de Powell à propos de la cherté des actions était un message subliminal ou pas. Et puis il y avait aussi le fait que les chiffres du PCE qui sortiront demain faisait bouillir nos méninges avec des questions existentielles comme : « Et si ça faisait changer la FED d’avis ? »… Bref, ce fût une journée sans éclat.

L’Audio du 25 septembre 2025

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Have a break

Wall Street a décidé de lever le pied : deux séances de baisse consécutives, un Dow qui recule de 0.37% un Nasdaq qui se replie de 0,33 % et un S&P 500 qui fait la moue à –0,28 %. Rien de dramatique, mais assez pour rappeler à tout le monde que la Bourse n’est pas systématiquement une machine à cash et que même les rallyes les plus sexy finissent toujours par prendre ne serait qu’une petite pause, ne serait-ce que pour remettre les pendules à l’heure. Et dans le rôle du trouble-fête, on retrouve évidemment Jerome Powell. Le rappel à l’ordre du patron de la Fed qui a tout de même estimé que les valorisations sont “assez élevées” – un euphémisme de banquier central qui veut plus ou moins dire : “Hey, les gars, vous êtes en train de vous emballer”. Ce rappel à tout de même fait réfléchir un peu les intervenant qui ont pris le temps d’analyser la situation, de se poser des questions et de faire une pause dans la vague d’achat délirante dans laquelle nous sommes depuis des mois. Pas de quoi paniquer pour l’instant, mais suffisamment pour réveiller les vieux fantômes de l’“exubérance irrationnelle” d’Alan Greenspan en 1996.

AAAAHHH, l’exubérance irrationnelle d’Alan Greenspan en 1996. On est au milieu des années 90. L’économie américaine est en pleine bourre : croissance solide, inflation maîtrisée, chômage en baisse. Et surtout, un phénomène nouveau commence à exciter Wall Street : INTERNET ! À l’époque, tout ce qui touche de près ou de loin au “.com” ou à la tech, grimpe en flèche. Les valorisations des actions explosent, les investisseurs se jettent sur tout ce qui bouge. Bref, ça sent déjà un peu la bulle, mais en 1996 c’est encore trop tôt pour la nommer.

Le discours de Greenspan

Le 5 décembre 1996, Alan Greenspan – président de la FED de l’époque – prononce un discours à Washington. Et là, au détour d’un discours chiant et austère comme les banquiers centraux savent le faire, il lâche la bombe et il déclare :

« Mais comment savoir quand l’exubérance irrationnelle a exagérément gonflé la valeur des actifs, les rendant vulnérables à des corrections soudaines et prolongées ? »

En gros, Greenspan dit poliment : les gars, vous êtes peut-être en train de devenir complètement tarés…

Dans la foulée, les marchés se sont effondrés – très brièvement, mais effondrés quand même – perso j’étais long Microsoft et Intel à l’époque – et j’ai perdu 10 ans de salaire rien qu’à l’ouverture de New York (bon, j’étais très mal payé). Montant récupéré le lendemain. Mais ça a laissé des traces dans les esprits et le simple fait qu’un banquier central ose prononcer l’idée que le marché est trop cher a suffi à semer la panique pendant quelques heures.

Paradoxalement… rien n’a changé ! Après ce mini-coup de froid, la bulle Internet a continué de gonfler. Les années suivantes, le Nasdaq a explosé à la hausse, multipliant sa valeur jusqu’à l’an 2000. L’“exubérance irrationnelle” est devenue une blague entre traders : à chaque hausse absurde, on se rappelait la phrase de Greenspan, mais sans jamais arrêter d’acheter.

En résumé : en 1996, Alan Greenspan a inventé l’expression “exubérance irrationnelle” pour dire poliment que la Bourse était en train de délirer. Tout le monde a entendu le message, personne ne l’a vraiment écouté, et la bulle a gonflé encore trois ans avant d’exploser.

Alors je ne dis pas que la phrase que Powell a prononcé mardi soir à quoi que ce soit à voir avec les paroles de Greenspan. Déjà, le marché a à peine bronché sur les mots du patron de la FED. Mais les anciens s’en souviennent et c’est pour ça que j’en parle ce matin. Pour ça et aussi parce qu’il y a tellement rien à dire de sexy en attendant demain, qu’il faut bien vous garder éveillés.

Le retour du doute

Mais ce qui frappe surtout dans ces deux séances de repli, ce n’est pas l’ampleur des pertes – qui sont d’ailleurs franchement anecdotiques – mais le timing. On sortait d’une séquence où les trois indices majeurs, plus le Russell 2000, avaient tous inscrit des records historiques et ce pendant trois séances de suite, du jamais vu depuis des années. Et puis, Powell nous fout le doute et on est soudainement plus fébriles.

On s’est rendu compte, depuis deux jours, que le 10 ans est quand même à 4.15% et que si l’on prend le temps d’écouter Powell, on se rend rapidement compte que par la voix de son patron, la FED essaie aussi d’exprimer le fait qu’elle n’est pas là pour arroser le marché de liquidités sans réfléchir. Résultat : le marché actions perd un peu de sa superbe, le breadth s’érode, et soudain tout le monde redécouvre que les arbres ne peuvent pas monter au ciel et que le PCE de dans 24 heures va nous pousser à nouveau à réfléchir. Avec le pétrole qui monte et le coût de la vie qui monte chaque jour, on peut quand même difficilement imaginer qu’il soit « faiblard » et on peut largement commencer à se demander si le narratif que nous utilisons depuis des mois – à savoir le fameux : Oui, mais la FED elle va baisser les taux !!! – suffira pour absorber encore une fois le fait que l’inflation refuse obstinément de baisser et que si EN PLUS la FED baisse les taux pour STIMULER l’économie, on va forcément avoir un problème un jour.

Bref, hier les indices ont légèrement baissé pour la seconde fois de suite, l’Europe terminait légèrement en hausse et on s’est quand même légèrement emmerdés, au point de reparler de Greenspan qui aura quand même 100 ans quand Powell terminera son mandat l’an prochain.

En Asie

Les marchés asiatiques évoluent sans grand entrain ce jeudi matin. Les investisseurs restent en mode prudence avant une avalanche de statistiques américaines : chômage hebdo, PIB final du second trimestre et surtout le PCE-juge de paix pour la Fed. Malgré l’ombre américaine, l’Asie s’en sort moins mal : Nikkei +0,1 %, CSI 300 +0,8 %, Hang Seng +0,3 %. Côté Japon, les minutes de la BoJ ont révélé des dissensions internes : certains veulent préparer une hausse de taux, jusqu’à 0,75 %, signe que la banque centrale commence doucement à virer plus “hawkish”. Résultat : une Asie hésitante, entre fragilité globale et signaux de resserrement monétaire.

Du côté du pétrole, ça flambe à nouveau : +2,5 % en séance avec un Brent à 69,3 $ et un WTI à 65 $. Trois déclencheurs : menace de nouvelles sanctions européennes contre Moscou, frappes ukrainiennes sur des raffineries russes, et baisse surprise des stocks US. Résultat, le marché s’enflamme dès qu’on associe “Russie” et “sanctions”, et l’énergie devient le grand gagnant du S&P 500 et la grande inquiétude de l’inflation. La résistance sur le WTI est toujours autour des 66$. Pour le moment on a cassé la moyenne mobile des 50 jours. L’or est à 3’763$ et le Bitcoin est en mode croisière autour des 112’000$.

Les histoires du moment

Donald Trump a décidé de trancher : TikTok sera coupé en deux. D’un côté une version américaine, majoritairement contrôlée par des investisseurs locaux (Oracle et Silverlake qui sont inclus dans le casting), et de l’autre la version internationale pilotée par ByteDance, qui garde moins de 20 % du capital de l’entité US. Derrière le vernis juridique, on retrouve toujours la même musique : “sécurité nationale” et “contrôle des données”. Avec ses 66 millions d’utilisateurs quotidiens aux États-Unis, TikTok n’est pas juste un jouet pour ados : c’est un instrument d’influence massive. Trump veut montrer que c’est lui le patron. ByteDance sauve les meubles en gardant son algorithme magique, et tout le monde fait semblant que le deal est équilibré.

Et puis, chez Intel on continue la chasse aux investisseurs, c’est le feuilleton de l’automne : Intel cherche des copains riches pour l’aider à se refaire une santé. Après Nvidia (5 milliards), SoftBank (2 milliards) et même l’État américain (8,9 milliards !), voilà que des rumeurs circulent en disant qu’Intel aurait approché Apple pour une prise de participation. Résultat immédiat : Intel bondit de 6,4 %. Le deal est loin d’être fait, mais l’idée est claire : Intel a besoin de cash, Apple a besoin de sécuriser ses chaînes de semi-conducteurs, et la géopolitique américaine adore l’idée d’un champion local renforcé. Les investisseurs, eux, spéculent avec gourmandise. Et puis, pendant que Wall Street se demande si le marché est surévalué, certaines small caps offrent des montagnes russes à couper le souffle. UniQure s’est envolé de… 248 % après avoir annoncé que son traitement expérimental AMT-130 ralentissait la progression de la maladie de Huntington de 75 %. Une avancée médicale majeure, qui ouvre la voie à une commercialisation dès 2026. Dans la foulée, ClearPoint Neuro, son partenaire, prend 59 %. Les analystes parlent de “meilleure nouvelle de l’année” pour le secteur. Comme d’habitude, tout le monde rêve déjà de milliards de revenus alors qu’on n’a encore que des essais cliniques en poche. Mais pour le marché, ça suffit largement à déclencher l’euphorie.

Alibaba, le retour du phénix

Autre star du jour : Alibaba. Le géant chinois a bondi de près de 10 % à New York après avoir annoncé un plan massif d’investissement dans l’IA, avec à la clé l’ouverture de nouveaux data centers et le lancement de son modèle Qwen3-Max. Le timing est parfait : Jack Ma refait surface, Nvidia se joint à l’aventure, et tout le monde parie que Pékin est en train de redonner de l’air à ses champions technologiques. L’action a quasiment doublé depuis le début de l’année, retrouvant ses niveaux de 2021. Et si les analystes restent prudents (la moyenne des cibles de prix tourne encore sous les 167$ alors que le titre est déjà à 176$, la dynamique est telle que le marché n’attend qu’un prétexte pour pousser encore plus haut. On entend même à nouveau parler de Cathie Wood qui pousse le titre.

Et puis côté matières premières, Freeport-McMoran a donné l’alerte : cas de force majeure sur sa méga-mine de Grasberg en Indonésie, après un glissement de terrain meurtrier et des installations paralysées. Résultat : ventes de cuivre et d’or amputées pour le trimestre, production 2026 attendue 35 % plus basse, et une action qui dévisse de 17 %. Mais paradoxalement, la galère de Freeport a dopé le marché : le cuivre a bondi de plus de 3 % à Londres, touchant un plus haut de 15 mois, les analystes anticipant un resserrement de l’offre mondiale. Bref, Freeport chute, mais le cuivre, lui, brille comme jamais et Goldman Sachs downgrade le titre pour faire bon poids bonne mesure.

Le marché attend son juge de paix

En résumé, Wall Street fait une pause – même si ce matin les futures sont en hausse – le discours de Powell a laissé des cicatrices, on se pose des questions et ça rappelle des souvenirs. Mais la vraie star de la fin de semaine, ce n’est pas Trump, ni Jack Ma, ni le cuivre : c’est le PCE. Le thermomètre préféré de la Fed pour mesurer l’inflation sera publié vendredi.

Et c’est lui qui dira si Powell aura les mains libres pour baisser encore les taux ou si le marché devra ravaler ses espoirs de rallye sans fin. En attendant, on respire, on fait une pause. Un peu de volatilité, quelques signaux contradictoires, et toujours la même question : est-ce qu’on est en haut du cycle ou juste au milieu d’un bull market qui a encore de belles années devant lui ? Réponse, peut-être, dès demain, même si pour être très franc avec vous, je n’y crois pas du tout…

Demain je serai absent, il me reste donc à vous souhaiter une très belle journée et un excellent week-end !

À lundi !

Thomas Veillet
Investir.ch

« When you stop chasing the wrong things you give the right things a chance to catch you »