Aujourd’hui c’est Labor Day aux USA. Autant vous dire que là-bas, ils ont mis les Bloomberg au garage pendant une journée de plus. Aujourd’hui c’est régime Burger et Bud Light et on rend hommage au travail, sans travailler. Ce qui semble assez logique finalement. Wall Street est donc fermé et l’Europe et le reste du monde va devoir donner l’impression qu’ils peuvent quand même travailler quand les Ricains sont pas là. Les volumes seront maigres, mais ça nous donnera le temps de méditer sur ce qui nous attend. Ces deux prochaines semaines seront énormes en termes d’attentes et nous commencerons ce vendredi avec l’emploi pour nous mener au 17 septembre pour les taux.

L’Audio du 1er septembre 2025

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Le calme avant la tempête ou le calme avant la hausse

Derrière le calme apparent de ce lundi de rentrée, on sent bien que le mois de septembre s’annonce comme un mauvais film d’action : trop de suspense, des acteurs totalement ingérables et un scénario où tout le monde attend les chiffres de l’emploi de vendredi comme si c’était la dernière chose qui pouvait encore changer les choses. Ce qui d’ailleurs peut-être bien le cas. Août a été un mois correct. Les trois indices principaux ont battu des records, la performance a été correcte et même les chiffres qui auraient pu nous laisser un arrière-goût désagréable – comme le PPI par exemple – ont été balayé du revers de la main, puisque finalement, et c’est certainement le résumé de ce mois d’août : Powell va baisser les taux le 17 septembre et c’est à peu près la seule chose qui compte en ce moment.

Sauf qu’il y a un problème : ce n’est pas bon marché. Alors oui, je sais, à l’heure actuelle c’est très très mal vu d’avoir un discours « prudent » (pour ne pas dire négatif ou pire, BEARISH). Mais force est de constater que les signaux d’alarme ne manquent pas. Si l’on compare avec les phases noires de l’histoire boursière, le comportement de certains indicateurs – comme les Leading Economis Indicators, ou les spreads entre le 2 ans et le 30 ans – des indicateurs qui nous disent de nous méfier, mais qui ne veulent pas non plus dire que le krach, c’est demain. Mais quand même. On n’est pas dans la situation la plus idéale pour investir, on ne peut pas le nier, il y a des fissures qui apparaissent. Même si les chiffres de vendredi sont excellents. Et ils le seront parce qu’aucun responsable économique n’osera publier le moindre chiffre qui pourraient déplaire au leader maximo américain. Trop dangereux. Nous sommes quand même dans des zones de valorisation qui font peur, sans compter que même Jensen Huang a déclaré que la croissance serait moins « verticale »..

Des valorisations qui font peur

En tous les cas, si l’on se base sur les derniers articles du Wall Street Journal, selon les chiffres, le marché US est aujourd’hui plus cher que lors de la bulle internet. Oui, vous avez bien entendu, c’est plus cher qu’en l’an 2000, quand tout le monde croyait qu’on pouvait devenir milliardaire en vendant des chaussettes via un modem 56k qui faisait crouik-crouik-crouik et où il fallait 25 minutes pour downloader le dernier rapport des NFP en couleurs. Le Price-to-Sales du S&P 500 est de 3,23 – c’est un record absolu. Le Price-to-Earnings est de 22,5 fois les bénéfices attendus. La moyenne historique, c’est 16,8. Alors bien sûr, on nous dit que « cette fois, c’est différent » – mantra préféré des bull markets. Différent parce que l’IA va tout changer, différent parce que les profits sont costauds, différent parce que la Fed va baisser les taux. Peut-être. Mais à force de répéter que « c’est différent », on finit souvent par découvrir que c’est exactement pareil : trop cher, trop concentré, trop fragile.

Le calendrier de l’angoisse : 14 séances pour changer le monde

Enfin bref, nous sommes lundi matin, les Américains sont fermés et on sait déjà que la journée ne sera pas délirante. C’est donc un très bon moment pour faire une petite introspection et voir ce qui nous attend. Parce que le chiffre qu’il faudra retenir c’est le chiffre 14. Quatorze, parce que les 14 séances qui s’offrent à nous dès demain seront des séances qui vous nous amener à la baisse des taux tant attendue et qui – ensuite nous permettront de savoir si ça valait bien la peine de monter autant en attendant 25 bp de baisse taux, sans avoir aucune certitude que ça va continuer.

Dans le calendrier immédiat à venir, nous aurons :

• mercredi : job openings, histoire de savoir si les entreprises embauchent encore ;
• jeudi : ADP et jobless claims ;
• vendredi : le rapport mensuel sur l’emploi, le vrai juge de paix.

Et ce n’est que la première salve. Ensuite, le 11 septembre : CPI, le 16-17 : réunion de la Fed, conférence de presse de Powell, projections économiques. Le 19 : triple witching (expiration massive d’options). En résumé : une rentrée boursière qui ressemble à une visite chez le dentiste : on sait qu’on va souffrir mais on ne sait pas encore à quel moment. Historiquement, septembre est le pire mois de l’année pour les actions. Et comme par hasard, on y arrive avec des marchés qui n’ont pas corrigé de plus de 2% depuis 91 séances. Une tranquillité presque surnaturelle, entretenue par des hedge funds qui shortent la volatilité comme si de rien n’était. La dernière fois qu’on a vu une telle complaisance, c’était juste avant que le carry trade sur le yen n’explose et fasse trembler tout le monde à l’été 2024…

Powell, sauveur malgré lui

À Jackson Hole, Powell a entrouvert la porte : « Oui, peut-être qu’on va couper les taux. » Depuis, tout le monde attend ça comme le messie. Aujourd’hui, les marchés pricent près de 90% de chances pour une baisse de 25 points de base le 17 septembre. Mais la Fed joue un jeu dangereux. Si elle coupe parce que l’économie ralentit vraiment, ça veut dire que la récession pointe son nez. Si elle coupe juste pour faire plaisir à Trump et calmer les marchés, ça met en doute son indépendance. Et dans les deux cas, ça sent quand même le couteau sous la gorge et le fait qu’ils agissent parce qu’ils n’ont pas le choix. N’oublions pas non plus que l’inflation est toujours tenace et que même si le PCE de vendredi dernier donnait l’impression que « tout était sous contrôle », l’inflation n’est pas en train de baisser et le prix des œufs brouillés reste prohibitif. La FED se trouve dans une position très inconfortable pour agir, puisque d’un côté l’inflation reste un problème et baisser les taux, pourrait lui redonner de la vigueur. Et de l’autre côté, elle a la Maison Blanche qui lui tape dessus pour baisser les taux au plus vite.

Oui, parce que Trump, de son côté, continue à traiter Powell de « trop tard » et menace de virer la moitié de la Fed – et d’ailleurs, il ne fait pas que menacer, puisqu’en virant Lisa Cook la semaine dernière, il a encore une fois démontré qu’il voulait prendre le pouvoir à la FED par tous les moyens et qu’après avoir déjà limogé le patron du Bureau of Labor Statistics parce que les chiffres ne lui plaisaient pas, il est maintenant en guerre judiciaire avec ses propres banquiers centraux. Imaginez un pilote de ligne qui commence à insulter le copilote et à le virer du cockpit en plein vol : ça rassure moyennement les passagers pour la suite du vol.

Batailles juridiques en série

Et puis, puisque l’on avait encore un peu besoin d’incertitude, Trump s’est encore pris une claque juridique : la Cour d’appel a déclaré ses tarifs « réciproques » et ses surtaxes anti-fentanyl sur Chine, Canada et Mexique… illégaux. Mais, même illégaux, ils restent en place jusqu’au 14 octobre, histoire de laisser le temps à l’administration d’aller pleurer devant la Cour suprême. Et c’est là que ça devient intéressant, puisque à l’heure actuelle, de plus en plus de monde estime que Trump outrepasse ses pouvoirs, mais en haut lieu, la majorité conservatrice pourrait bien lui donner raison au nom de l’« executive power ».

Entre-temps, les marchés se retrouvent à jongler entre « les tarifs sont là » / « les tarifs ne sont plus là », ce qui est pire que de simplement les subir. Les boîtes ne savent plus comment planifier, et les investisseurs risquent de passer de l’euphorie d’août à la gueule de bois de septembre. Bref, on entre dans un automne qui sent la volatilité à plein nez : une pincée de droit constitutionnel, un soupçon de trade war, un gros bol d’impro made in Trump et la FED qui continue de se faire infiltrer de l’intérieur. On n’a pas fini de rire.

L’Asie : la Chine fabrique du storytelling, Alibaba fait le show

Côté Asie, la Chine joue toujours au chat et à la souris avec ses chiffres économiques. Le PMI qui n’est PAS calculé par l’état repasse au-dessus de 50, signe de reprise. L’officiel reste sous 50, signe de contraction. Traduction : selon la source, la Chine est à la fois en expansion et en récession. Reste plus qu’à choisir son camp. Mais le vrai feu d’artifice de la journée, c’est Alibaba. Le titre a pris près de 19% à Hong Kong après des résultats dopés par son cloud et l’IA. Sa division cloud a crû de 26% – exactement le type news qui excite tout le monde en ce moment. Comme partout ailleurs, l’IA sert de baguette magique : tu dis « IA », ton action monte. Moralité : la Chine essaie de montrer qu’elle reste dans la course. Mais entre storytelling macro et show Alibaba, on sent bien que la reprise n’est pas encore solide et qu’il y a encore quelques doutes.

Du côté Japon, le Nikkei se fait laminer ce matin. Apparemment on est tendu après la sale journée de vendredi qui avait vu les techs américaines terminer au fond du bac dans la foulée des chiffres de Nvidia. Le Japon commence donc avec des doutes plein la tête et en revenant demain, ils ne seront pas plus avancés qu’avant. Puisque New York est fermé. Le pétrole est à 63.75$, l’or est à 3’543$, le Bitcoin est à 107’600$ et le rendement du 10 ans est à 4.24%. Et puis puisque tout le monde a les yeux rivés sur les USA qui sont fermés, on peut faire un petit détour par un marché qui est ouvert : la France. C’est la rentrée scolaire dans l’Hexagone et les politiques sont déjà de retour depuis 10 jours. Bayrou a donc enclenché son suicide politique agendé pour le 8 septembre. En attendant, le pays est en pleine instabilité et plus personne n’a confiance. Aucun côté de l’échiquier politique semble capable de gérer le pays à lui tout seul et les tocards qui sont en place se prennent tous pour le Messie. Entre Bayrou qui accuse les Français d’avoir endetté le pays, parce que BIEN SÛR, c’est pas la faute du gouvernement, Faure qui pense qu’il est la solution alors que tout le monde le déteste et que personne ne veut de lui, Hollande qui pense déjà à 2027 et Mélenchon qui n’a jamais bossé de sa vie qui veut expliquer comment faire à tout le monde, le cirque de septembre ne fait que commencer…

Incertitude et jours fériés

En gros, nous commençons la semaine sur une jambe en l’absence des Américains. En ce lundi férié à Wall Street, on pourrait croire à une journée de calme plat. Mais c’est l’illusion parfaite : derrière le barbecue, c’est une cocotte-minute. Le marché est obsédé par vendredi. Obsédé par Powell. Obsédé par Trump. Obsédé par la Chine. Obsédé par tout, sauf par les valorisations qui, elles, sont déjà dans la stratosphère. Le S&P 500 n’a jamais été aussi cher. Jamais aussi concentré. Jamais aussi dépendant d’une poignée de géants technologiques. Et tout le monde se dit : « Tant que ça monte, pourquoi s’inquiéter ? »

Eh bien justement : parce que l’histoire nous apprend que quand tout le monde est du même côté du bateau, il suffit d’une vague pour que ça chavire. Est-ce que ça viendra des chiffres de l’emploi vendredi ? De l’inflation la semaine prochaine ? D’un coup de sang de Trump contre Powell ? On n’en sait rien. Mais une chose est sûre : le calme actuel est trompeur. Aujourd’hui, c’est Labor Day. Demain on retourne au charbon et on remet l’ouvrage sur le métier.

Excellent début de semaine et on se voit demain « pour de vrai », avec des vraies news et des vrais marchés qui sont ouverts !

À demain.

Thomas Veillet
Investir.ch

“If you really want to do something, you’ll find a way. If you don’t, you’ll find an excuse.” Jim Rohn