Au début de la semaine, nous étions en mode « angoissé » parce que les rendements étaient trop hauts et les justifications pour cette hausse était évidentes. Et puis, plus les jours passaient plus nous nous sommes rappelés notre stratégie d’investissement qui est principalement basée sur le concept de la baisse des taux. Et ça tombait bien, parce qu’hier il y avait les chiffres de l’emploi version ADP et qu’ils étaient tous pourris. Et qui dit chiffres tous pourris dit économie qui ralenti. Ce qui laisse de moins en moins de place à Powell pour ne PAS baisser les taux. Les marchés ont donc immédiatement réagi : nouvelle de merde est égale à record historique sur le S&P500.
L’Audio du 5 septembre 2025
Powell, ce dealer malgré lui
À New York, c’était soirée mousse. Le Dow Jones +0,77%, le S&P 500 +0,83%, et le Nasdaq +0,98%. Pas énorme dans l’absolu, mais suffisant pour marquer un nouveau record du S&P 500 – le 21ᵉ de l’année – sauf erreur – et encore, on n’a même pas commencé à baisser les taux !!! On n’est plus dans une simple tendance haussière, on est dans un marathon dopé aux stéroïdes : à chaque fois qu’un chiffre d’emploi sort mauvais, les traders se frottent les mains et se confortent dans l’idée que la FED va venir baisser les taux et que plus l’économie sera pourrie, plus la FED va baisser les taux. Et quand l’économie ira mieux, le marché montera parce que l’économie ira mieux. Il suffit finalement de se concentrer sur le bon côté de la pièce. Actuellement, en finance, le principe est simple : « tu joues à pile ou face, si c’est face, tu gagnes et si c’est pile ; tu perds pas ».
Donc hier les nouvelles étaient mauvaises et nous avons sagement appliqué la méthode de se dire que si c’est mauvais, c’est quand même vachement bien, ça marche plutôt pas mal. Hier, l’ADP annonçait seulement 54’000 nouveaux jobs privés, bien en-dessous des attentes qui étaient de 75’000. Et comme ça ne suffisait pas et que c’était pas assez pourri, on a également rajouté les inscriptions hebdomadaire au chômage qui montaient. En résumé, on crée moins d’emplois et de plus en plus de personnes se retrouvent au chômage. L’ambiance est bien pourrie et ça fait très plaisir au monde merveilleux de la finance, parce que ça ralentit, oui, mais c’est pas encore le carnage. C’est le scénario (presque) parfait : assez faible pour forcer la Fed à couper, mais pas assez catastrophique pour crier récession. Et le marché adore ce genre de scénario ni trop chaud, ni trop froid, juste assez tiède pour maintenir et entretenir les bulles gonflées sans qu’elles explosent.
Du mieux sur les taux
Dans cet environnement, les taux ont pu se détendre : le 2 ans à 3,59%, le 10 ans à 4,18%, le 30 ans à 4,87%. Et là, tout le monde a recommencé à respirer surtout, tout le monde a oublié pourquoi ça nous inquiétait y a trois jours. On y reviendra dans une semaine. Ou deux. Mais pour l’instant ça n’était tout simplement pas le moment. Du coup : HOP ! Record sur le S&P. Franchement on est juste indestructible et je ne vois même pas pourquoi on se pose des questions. Les chiffres d’hier étaient pourris, ceux de ce soir seront juste comme il faut pour montrer que ça va sans que ça aille trop bien. D’abord parce que le NOUVEAU patron du BLS veut pas se faire virer et ensuite parce qu’il faut montrer que la méthode Trump fonctionne juste assez bien pour soutenir l’économie, mais pas assez bien pour ne pas baisser les taux.
Et puis je crois sincèrement que cette fois-ci, si Powell ne baisse pas les taux le 17 septembre, le 18 il va être kidnappé et dans 12 ans on le retrouvera dans une cellule oubliée de Guantanamo. En plus je viens de tomber sur une statistique parfaite pour un matin comme celui-ci : « historiquement, chaque fois que la Fed reprend les baisses des taux après une pause, le marché actions monte dans les 12 mois qui suivent ». Autrement dit, si Powell baisse en septembre, Wall Street aura toutes les raisons de continuer la bringue jusqu’à l’an prochain. Et comme en plus les résultats du second trimestre ont été largement meilleurs qu’attendu – preuve que les boîtes savent encore générer du cash malgré les taux élevés – ça donne une légitimité supplémentaire à la hausse.
Europe : Paris râle, Francfort digère, Zurich caracole
De ce côté-ci de l’Atlantique, l’ambiance est plus morose. L’Europe a fini en hausse dans son ensemble : Stoxx 600 +0,6%, DAX +0,7%, FTSE +0,4%, SMI +1,5%. Mais à Paris, ça coince toujours et le CAC terminait légèrement en baisse. Parce que Sanofi s’est pris -8,3% après une étude clinique décevante. Leur nouveau traitement contre l’eczéma n’a pas convaincu. Parce que LVMH a perdu -4,2%, victime d’analystes pessimistes sur le luxe. Et si vous ajoutez à ça un climat politique tendu et détestable : François Bayrou attend son vote de confiance et tout le monde parie déjà sur l’ingouvernabilité, pendant que les agences de notation aiguisent leurs ratings à la baisse. Le 10 ans français dépasse les 3,6%, flirtant avec les sommets de 2011. On sent que la tension est palpable à Paris…
À ce propos, je vous recommande ma dernière vidéo sur le sujet qui a été publiée très tôt ce matin chez Zonebourse. Elle est juste-là-dessous..
Pendant ce temps, Francfort se gave d’upgrades d’analystes (Heidelberg +3,5%, RWE +2%). Airbus marque un record à 187,48 €. Et en Suisse, le SMI fait un carton, quasiment tous les gros noms de la cote étaient en hausse « en attendant les chiffres de l’emploi américain ». Chiffres qui vont d’ailleurs certainement bien aider l’économie locale. En août, l’inflation suisse est restée à un maigre 0,2 % sur un an, avec une légère baisse des prix de 0,1 % sur le mois. Le chômage a progressé de 2,7 % à 2,8 %, soit 1 123 personnes de plus au chômage.
Au total, la Suisse compte désormais 137 794 demandeurs d’emploi. Et le SMI est en hausse de 6.7% depuis l’annonce des 39% de droits de douane, tu parles d’un « BUY THE DIP »…
En ce moment, la psychologie de marché, c’est celle d’un joueur de casino compulsif qui gagne à tous les coups : si l’économie ralentit, la Fed baisse les taux et c’est champagne ; si l’économie repart, c’est champagne aussi. On vit dans un monde où les mauvaises nouvelles sont recyclées en bonnes excuses pour monter, et où Powell est vu comme le « dealer » officiel de liquidités bon marché. La France rame avec ses casseroles politiques et ses boîtes qui déçoivent, mais Wall Street s’en fout : la seule qui compte c’est le prochain « shoot » monétaire. En clair, on est assis sur une montagne de contradictions, mais tant que la fête continue, personne ne cherche la sortie. Ou alors pas longtemps.
Asie : bienvenue dans Tariff Wars
Et ce matin en Asie, c’est ambiance tendue. Tendue parce que Trump a validé son deal avec le Japon. Traduction : 15% de tarifs sur quasi toutes les importations japonaises. En échange, Tokyo s’engage à investir 550 milliards de dollars aux USA et à acheter plus d’agricole, plus d’avions, plus de matériel militaire. Bref, Trump a réussi à transformer un partenaire stratégique en super client de l’Amérique. Sauf que côté Japon, ça fait mal : Toyota prévoit déjà 10 milliards de pertes liées à ces taxes. Et ça ne va pas s’arrêter là. Ajoutez à ça les menaces de Trump de balancer bientôt des tarifs “substantiels” sur les semi-conducteurs et on a une région qui termine la semaine en serrant les dents. Ça c’était pour le côté économique. Parce que du côté marché, on ne réfléchit pas pareil, puisqu’on attend les chiffres de l’emploi américain de tout à l’heure qui vont être tous pourris et donc, ça va monter encore plus. Alors dans le doute, ce matin la Chine monte, le Japon monte, Hong Kong monte. Tout est vert dans une économie qui clignote dans le rouge.
Au sujet du Japon – qui remonte encore ce matin à cause des NFP’s qui arrivent, on notera quand même qu’en juillet, la consommation des ménages japonais et les revenus des salariés ont dépassé les attentes, montrant une économie plus robuste qu’anticipé. Bonne nouvelle pour la croissance, mais moins pour l’inflation, cette résilience et cette bonne ambiance relative pourrait pousser la Banque du Japon à envisager de nouvelles hausses de taux. Donc, si l’on pose l’équation sur le papier : vous avez le Japon qui va monter les taux et de l’autre côté du Pacifique, vous avez les States qui eux vont commencer à les baisser. Bien. Maintenant je reprends la définition du carry trade :
« Le carry trade consiste à emprunter dans une devise à faible taux d’intérêt pour investir dans une autre offrant un rendement plus élevé. »
Et je me projette dans six mois quand les taux US vont baisser agressivement et que les Japonais vont monter les leurs… Que se passera-t-il lorsque le différentiel d’intérêt deviendra moins intéressant ? Non, je disais ça comme ça pour y penser ce week-end.
Du côté du baril et de l’or
Le pétrole continue de baisser, parce que les stocks US ont gonflé de 2,4 millions de barils, dont 1,6 million rien qu’à Cushing. Et parce que l’OPEP+ pourrait encore augmenter sa production. Résultat : Goldman Sachs voit déjà le Brent retomber à 50 $ en 2026. Si ça se confirme, les producteurs vont passer un sale quart d’heure. Le baril est à 63.34$ et puis rassurez-vous, Goldman, ils sont souvent faux sur le baril…
Pendant ce temps, l’or brille de mille feux. On est à 3’616$ sur l’once, +35% depuis janvier. Et surtout, c’est devenu l’actif préféré des banques centrales. Elles en détiennent désormais plus que des Treasuries américains. Notez quand même que c’est un basculement historique : c’est la première fois depuis 1996 que l’or pèse plus lourd dans les réserves mondiales que les bons du Trésor. En gros, le message est clair : plus personne ne fait totalement confiance aux États-Unis. Étrange quand même, parce que c’est quand même eux les gentils qui gagnent à la fin du film en général…
Les stars de la soirée : Broadcom et le legging qui craque
Côté actions, deux histoires ont retenu toute l’attention après la clôture d’hier, on parle de Broadcom et de Lululemon – le grand écart est énorme entre les deux et ils n’ont pas la même trajectoire. Voyons d’abord Broadcom. C’est simple : les mecs sont en train de se transformer en “Nvidia bis”. Chiffre d’affaires trimestriel à 15,95 milliards, en hausse de 22% sur un an. Guidance au-dessus des attentes : 17,4 milliards au quatrième trimestre contre 17 anticipés. Et surtout : l’IA qui explose. +63% de revenus AI sur un an, 5,2 milliards au dernier trimestre, probablement 6,2 milliards au suivant. Et Hock Tan, le patron, qui annonce fièrement qu’il reste CEO jusqu’en 2030. Résultat : backlog à 110 milliards et un quatrième client MYSTÈRE géant dans la boîte. Moralité : Broadcom, c’est du solide et c’est énorme. Le titre a pris 4,6% après Bourse. Depuis avril, il a doublé et depuis que Tan a pris la boîte en main en 2006, l’action est à +18’000% de performance. Pendant ce temps, le S&P a fait +546%.
Chez Lululemon, par contre, c’est moins drôle. Le titre chutait de 16% après avoir reconnu que ses leggings et ses joggings étaient devenus aussi excitants qu’une émission de Michel Drucker un dimanche après-midi quand il reçoit François Bayrou et Gérard Larcher pour parler diététique. Le CEO admet que la marque est devenue “trop prévisible”. Traduction : on a trop recyclé les mêmes produits et les clients se lassent. En même temps, qu’est-ce qui ressemble plus à un leggins pour faire du yoga qu’un autre leggins pour faire du yoga. Enfin, moi je dis ça, je ne porte jamais de leggins et je ne fais pas de yoga. Ajoutez à ça les tarifs douaniers de Trump qui plombent les coûts, et voilà la marque star du yoga en train de perdre son souffle. Comme quoi, même les pantalons élastiques ont une limite à leur extension.
The Apprentice
Parlons maintenant deux secondes de l’avenir de la FED. La Fed, est censée être le temple de la rigueur avec de l’indépendance et de la sobriété. Mais avec Trump aux commandes, on est passé du manuel d’économie à un épisode de téléréalité bas de gamme. Entre un candidat – Miran – qui nous jure qu’il restera indépendant alors qu’il bosse toujours pour la Maison Blanche, et un processus de sélection du futur président de la Fed qui ressemble à un casting de “The Apprentice”, on se demande si on parle encore de politique monétaire… ou si on n’a pas simplement basculé dans une parodie.
Alors d’un côté, on a Stephen Miran, le candidat de Trump pour la Fed, qui jure la main sur le cœur qu’il ne se laissera pas manipuler par le président. Sérieusement ? On en rigole encore. Le mec reste officiellement employé par la Maison Blanche tout en siégeant « indépendamment » à la Fed. C’est à mourir de rire. Et de l’autre, on a le processus de sélection du futur président de la Fed. Tu t’imagines un grand moment solennel, sérieux, presque institutionnel ? Eh bien non. Bienvenue dans la saison 2 de “The Apprentice – Fed Edition”. Onze candidats, des interviews façon téléréalité par le secrétaire au Trésor, des noms balancés publiquement comme dans un casting de Koh-Lanta. D’habitude, la liste des prétendants est secrète, mais là Trump a décidé que ce serait showbiz. On ne choisit plus le patron de la banque centrale la plus puissante du monde, on organise un casting pour trouver le prochain pantin qui obéira au doigt et à l’œil au locataire de la Maison Blanche.
Au passage, on nous explique que c’est pour prouver que Trump ne va pas « contrôler » la Fed. Non mais, sérieusement, qui peut encore gober ça ? Même les ex-gouverneurs de la Fed le disent : impossible que le futur président paraisse indépendant dans ce cirque. Et pourtant, tout ce beau monde continue de jouer le jeu, comme si de rien n’était.
Bref : d’un côté, Miran qui clame son indépendance avec la conviction d’un gamin pris la main dans le pot de Nutella. De l’autre, une sélection de banquiers centraux qui ressemble à une mauvaise émission de téléréalité – si tant est qu’il existe une bonne émission de téléréalité. Moralité : on nous prend pour des cons, mais on nous le fait avec un sourire, un générique et des applaudissements enregistrés. Et la FED ne sera bientôt plus indépendante…
Conclusion : deux films pour une même réalité
On vit dans un marché schizophrène, nous avons d’un côté la Version Disney qui raconte que la Fed va baisser les taux, donc en anticipation, les taux baissent, les indices battent des records et tout le monde veut croire à la fête éternelle. Et puis à la fin il se marient et font plein d’enfants.
Et puis, on a la version film d’horreur avec du sang partout ou les banques centrales accumulent de l’or parce qu’elles ne croient plus aux Treasuries, ou Trump manipule la Fed, et ou le système repose sur des illusions de croissance qui ne tiennent qu’à cause de la planche à billets et un peu d’IA surévalué.
La vérité est sûrement quelque part entre les deux, comme d’habitude. Mais en attendant, Wall Street préfère faire péter le champagne. Et tant que la musique ne s’arrête pas, pourquoi se priver de danser ? Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on bat un record historique en priant pour que le chômage monte.
LE CHIFFRE DU JOUR
Dans quelques heures nous aurons les chiffres des NFP’s. Vous le savez. On attend 75’000 nouveaux emplois créés et un taux de chômage à 4.3%. Si c’est plus bas que 75’000, ce soir le S&P battra des records parce que cette fois c’est sûr, Powell il va baisser les taux et c’est tellement bon quand Powell il baisse les taux.
On en reparle lundi dans cette chronique. D’ici-là : excellent week-end et profitez bien !
Thomas Veillet
Investir.ch
A mind is like a parachute. It doesn’t work if it is not open.
Frank Zappa