Après la séance « stressante » de mardi, on croyait sincèrement que ça pouvait rapidement dégénérer. On sentait la méfiance dans les dires des intervenants. Ce qui faisait peur depuis des mois remontait enfin à la surface et la détresse du marché obligataire rajoutait une couche de peur sur le gâteau. Mais comme on sait que quand on SAIT QUE ça va baisser, on ne baisse pas, Wall Street a trouvé son super-héros. Google a échappé au glaive de la justice et ne vendra pas Chrome, le titre s’est envolé de 9%, et Apple a suivi le mouvement. Pour une fois c’est pas Nvidia qui a sauvé le monde et les deux compères du jour ont bien masqué le reste du marché qui lui, restait quand même bien rouge.

L’Audio du 4 septembre 2025

Télécharger le podcast

Wall Street : Google s’envole, le reste rame

Alors oui, si on regarde les gros indices, le S&P 500 prend +0,5 %, le Nasdaq +1 %. Mais si on plonge un peu sous la surface ; dans les entrailles du marché, c’est pas exactement de la joie et du bonheur. En vrai, c’était un défilé de perdants, avec la majorité des actions en baisse. On a eu droit à la grande illusion façon David Copperfield : on prend deux mastodontes comme Alphabet et Apple, on package une belle histoire qui finit bien à la fin, et hop ! tout le monde a l’impression que le marché est en pleine santé. Sauf que rien n’est réglé et que les problèmes qui nous faisaient paniquer mardi sont encore bien présents et ce n’est pas l’annonce made in Google qui va régler les craintes du marché obligataire et les inquiétudes sous-jacentes. Mais hier, ça n’était pas le sujet.

Le meilleur moyen de juger la santé globale du marché, c’est de se concentrer sur le Dow Jones, alors oui, il n’y a « que » 30 titres dedans, mais il n’y a pas Google dedans et quand on voit sa performance hier, on voit bien que sans Google on ne serait pas là où nous sommes ce matin. C’est pas grave, mais il faut quand même comprendre que le rebond d’hier n’a pas été déclenché par un rachat basé sur des fondamentaux qui remettent en question les craintes de mardi, mais plutôt par un médicament placebo qui aura eu le mérite de détourner l’attention de certains problèmes économiques que l’on qualifiera de…. Persistants. D’ailleurs, on notera quand même – à propos du Dow – qu’Apple, qui elle, est dans l’indice – y est pondérée par le prix de l’action et non par sa capitalisation en gros, Sherwin Williams – qui vend de la peinture – ou l’assureur Travelers, pèsent plus qu’Apple dans l’indice. L’anecdote est savoureuse, mais à la fin on retiendra quand même qu’hier, c’était la fête au village si on regarde de loin, mais en fait c’est de loin pas la fête de près.. .

Célébration

Le marché a donc célébré Alphabet : record historique, 9 % de hausse, et une claque donnée à tous ceux qui rêvaient de voir Google se faire démanteler. Et Apple a encaissé son petit bonus : merci pour les 20 milliards de chèque annuel de Google, ça fait toujours plaisir pour arrondir les fins de mois. On pourrait presque croire que l’économie américaine repose uniquement sur le fait que Google reste le moteur par défaut de votre iPhone. C’est un raccourci un peu simpliste, mais hier c’est ce qui faisait monter le marché.

Et pendant que les actions faisaient du yo-yo, les obligations respiraient un peu. Le 10 ans est retombé à 4,21 %, le 2 ans à 3,61 %. Et tout ça grâce aux chiffres économiques d’hier. Le rapport des JOLTS sur les offres d’emploi est sorti plus faible que prévu et ça c’est une bonne nouvelle… Enfin c’est une bonne nouvelle pour Wall Street qui veut que la FED baisse les taux, mais c’est une mauvaise nouvelle pour Main Street, parce que ça veut dire qu’il y a moins d’offres d’emploi. En résumé, le marché s’est dit : « SUPER, les chiffres de l’emploi sont dégueulasses, Powell va donc vraiment baisser les taux le 17 septembre et ensuite, il pourrait même recommencer le mois prochain !!! ». Résultat : on achète des actions, même si on sait très bien qu’en dehors des deux géants de la tech qui dépassaient le marché d’une tête hier, le reste des boîtes galèrent à faire passer leurs hausses de prix causées par les tarifs de Trump. Mais on ne va pas pinailler, on ne va pas montrer plus négatif en mode plantigrade plus qu’il n’en faut. L’important c’est de sauver le narratif. Hier le S&P500 a confirmé que la moyenne mobile des 50 jours fait toujours office de barrage et il sera toujours temps de revenir sur la panique du marché obligataire dans quelques jours. Ou dans quelques heures.

Europe : Paris croit encore au Père Noël, Francfort fait la grimace

À Paris, le CAC 40 s’est payé un rebond de +0,84 % porté par la tech. Les investisseurs se sont dit que si Google échappe au peloton d’exécution, Capgemini, Schneider et Legrand qui bénéficient du business des géant de la pouvaient dormir tranquilles. Sans compter que le rapport JOLTS qui renforce également les chances d’une baisse des taux US, a permis à tout le monde de retrouver un peu d’appétit au risque.

Mais ne rêvons pas trop. Les taux longs français restent perchés : le 30 ans flirtait encore avec des niveaux dignes de 2011. Et à Francfort, le DAX a tenté un rebond de +0,46 %, mais n’a même pas réussi à repasser au-dessus de sa moyenne mobile 100 jours. Entre les droits de douane qui continuent de peser sur le moral, la guerre en Ukraine qui s’éternise – qui permet de vendre des armes, d’accord, mais qui s’éternise quand même, une politique monétaire totalement illisible et qui ne porte pas ses fruits et une France qui carbure au déficit en plongeant vers l’instabilité de la semaine prochaine, les investisseurs ont franchement de quoi avoir la migraine et pas être plus motivés que ça. Les risques sont désormais regardés à la loupe et les valorisations – qui paraissaient hier encore « normales » – sont aujourd’hui disséquées comme la dinde à Thanksgiving. La vraie question est de savoir à quel niveau les investisseurs vont oser recharger le bateau…

Asie : ça hésite, ça surveille Wall Street

L’Asie s’est réveillée plutôt de bonne humeur ce matin. La région est plus ou moins dans le sillage de New York, pendant que tout le monde se convainc que la Fed va ENFIN baisser ses taux en septembre. Oui, Powell avait dit « attention à l’inflation », mais là, vu les chiffres pourris de l’emploi, même ses lieutenants commencent à préparer le terrain, Waller l’a déjà répété hier la FED BAISSERA LES TAUX en septembre (bon, Waller c’est le traître de la FED qui cire les pompes de Trump, mais c’est bien quand même). Résultat : les futures sont en hausse et le Japon s’envole de près de 1.5%. Par contre, il y a la Chine qui est un peu à contre-courant – comme souvent d’ailleurs. Pékin réfléchit à calmer le délire boursier avec de nouvelles restrictions sur la spéculation. Ce qui est d’ailleurs assez drôle parce que ça fait des mois qu’ils disent vouloir sauver l’économie et les bourses locale à coup d’injections monétaires tous azimuts et dès que ça commence à fonctionner, BAM ! On veut freiner les marchés. Incompréhensible. Du coup, Shanghai se prend -2% dans les dents et Hong Kong -1,2%. Les stars de l’IA locale dégonflent : Cambricon perd 9%, les fabricants de puces s’écroulent de 4 à 5%, et même les biotechs s’y mettent. Ajoutez à ça BYD qui révise à la baisse ses objectifs de ventes, et c’est la soupe à la grimace. Bref, après le rallye d’août à +1’200 milliards, il fallait bien que ça prenne un peu les profits, mais là c’est limite pénible. En conclusion : L’Asie danse sur la musique de la Fed, sauf la Chine qui préfère casser l’ambiance en mettant un gros coup de règle sur les doigts des méchants et vils spéculateurs.

Du côté du reste, Le pétrole fait marche arrière après avoir tapé les 65$ et la moyenne des 50 jours. Tout le monde attend le grand rendez-vous du week-end avec l’OPEP+, histoire de savoir si les producteurs vont continuer à serrer le robinet… ou le desserrer. Certains qui sont peut-être mieux informés que les autres, estiment que ça pourrait éventuellement peut-être penser à réduire les coupes. Peut-être. Ou peut-être pas. En attendant, on va scruter le rapport de l’EIA de ce soir : on s’attend à une troisième baisse consécutive des stocks US, avec aussi moins d’essence et de diesel. Le WTI est à 63.52$, l’or est à 3’588$, le Bitcoin à 110’700$ et le rendement du 10 ans est à 4.22%, parce que Powell, il va baisser les taux.

Ray Dalio sort le défibrillateur

Et pendant que Google et Apple vivaient leur meilleure vie hier, Ray Dalio – le gourou à la semi-retraite, ex-patron de Bridgewater – est revenu nous faire son numéro préféré, numéro qui se nomme :

« Le monde va s’écrouler et je vais vous dire pourquoi ».

Cette fois, son concept, c’est l’infarctus économique. Pas une crise, pas un ralentissement, non : un infarctus. Dalio, c’est Docteur House avec un Bloomberg à la place d’une canne. Selon lui, les États-Unis sont en train de s’approcher des urgences de l’hôpital le plus proche : la dette publique explose, les paiements d’intérêts atteignent déjà 1’000 milliards par an, et il y a 9’000 milliards à refinancer cette année. Imaginez un ménage qui doit renouveler tous ses crédits consommation d’un coup d’un seul, sauf que là, c’est le Trésor américain qui serait censé le faire.

Résultat : les investisseurs étrangers commencent à lâcher les Treasuries (on en parlait avant-hier) et à acheter de l’or. Ajoutez à ça le Bitcoin qui, comme toujours, profite du chaos pour se la jouer valeur refuge du futur, et vous avez la recette d’un cocktail explosif. Mais Dalio ne s’arrête pas là : il nous dit aussi que si Trump continue à vouloir prendre d’assaut la Fed – en virant les gouverneurs qui lui déplaisent pour y installer ses hommes de main – le marché obligataire risque de ne plus croire à l’indépendance de la banque centrale (pour autant qu’il y croie encore). Et si plus personne ne croit que les taux sont « naturels », alors le dollar ne vaut pas plus que les billets de votre Monopoly qui est rangé dans l’armoire du salon.

Évidemment, Dalio est toujours un peu dans l’exagération dramatique. Mais quelque part, son alerte tombe au bon moment : pendant que Wall Street fait semblant de planer grâce à Google et Apple, la réalité, c’est que la dette US est une bombe à retardement. Et cette bombe-là, elle ne va pas se régler en silence dans l’arrière-salle d’un restaurant étoilé, ça risque plus de ressembler à une boucherie qui a été interdite d’exercer par les services sanitaires.

On notera aussi que Salesforce a publié des résultats solides qui dépassaient les attentes sur tous les plans. Mais les prévisions ont déçu, notamment sur la croissance des ventes et du carnet de commandes. Le titre a chuté de 6% after-close et reste en baisse de 30% par rapport à son sommet de décembre. Les investisseurs s’inquiètent surtout de la fin de l’hypercroissance – les ventes sont en hausse de +8,7% seulement – et du risque lié à l’IA.
Pour rassurer, Salesforce mise sur des rachats d’actions massifs (50 milliards autorisés) et le développement d’agents IA. Figma a publié ses premiers résultats depuis son IPO : croissance de 41% du chiffre d’affaires à 249,6 M$, mais en dessous des attentes. Le bénéfice est quasi nul (846’000 $), alors que Wall Street attendait 9 cents par action. Le titre a plongé de 10% après l’annonce. Les analystes restent partagés : 4 achats, 7 neutres, analystes qui sont freinés par une valorisation jugée délirante puisque ça se traite quand même à 200x les bénéfices attendus. Beaucoup estiment que le titre a trop profité de l’euphorie post-IPO et qu’il faudra un point d’entrée plus bas. Et histoire de chauffer encore un peu la salle avant les chiffres de l’emploi, ConocoPhillips va supprimer 20 à 25% de ses effectifs mondiaux d’ici fin 2025, soit jusqu’à 3’000 postes. L’action a chuté de 4,4% sur la nouvelle, pénalisée aussi par les rumeurs d’une hausse de production de l’OPEP+. Le secteur pétrolier multiplie les licenciements actuellement, après des acquisitions coûteuses…

Chiffres du jour

Côté chiffres du jour, il y aura le CPI en Suisse, mais ça ne devrait pas trop provoquer de séisme économique dans la planète finance, puis ensuite il y aura les chiffres de l’emploi ADP qui sont – je le répète pour de 1’000ème fois : l’antichambre des NFP’s de demain, même si avec le temps on s’est rendu compte que c’était du pipeau. Nous aurons aussi le Trade Balance américain, les Jobless Claims, le PMI Composite, le PMI des services et le PMI non-manufacturier. Il y aura aussi les inventaires pétroliers, mais une chose est sûre : on devrait forcément trouver un truc qui justifierait une baisse des taux en septembre. Et si on ne trouve pas, on l’inventera.

Hier, Wall Street a donné une masterclass : deux actions qui explosent à la hausse suffisent à masquer la misère du reste du marché. L’Europe fait semblant d’y croire, l’Asie attend de voir, et Dalio annonce l’apocalypse. Jusque-là, tout va bien… Excellente journée à tous, n’oubliez pas de vous abonner à la newsletter d’Investir.ch et on se voit demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

“The only person you are destined to become is the person you decide to be.” – Ralph Waldo Emerson