Le mois de septembre touche à sa fin et on s’en sort plutôt pas mal pour un mois qui est censé être historiquement pourri. Pas de Lehman Brothers cette année et les chiffres de l’inflation continuent de monter, mais comme c’est « dans les attentes », ça ne choque plus personne. La semaine dernière ne s’est pas terminée au plus haut de tous les temps, mais l’un dans l’autre on a réussi à inverser la série baissière du milieu de la semaine. Le PCE n’a pas fait peur et maintenant on peut se concentrer sur l’autre épouvantail de Wall Street ; le SHUTDOWN du gouvernement.
L’Audio du 29 septembre 2025
Désaccord
C’est lundi et on commence la semaine. C’est d’ailleurs à peu près la seule certitude que l’on a, c’est que l’on commence la semaine. De mon point de vue, les marchés financiers n’ont jamais été aussi schizophrènes. Ça monte quand ça devrait baisser, ça baisse quand ça devrait monter, et surtout ça s’apprête à se retrouver dans le noir total parce que… le gouvernement américain pourrait tout simplement fermer ses portes mercredi soir à minuit. La première économie mondiale pourrait mettre le panneau « fermé pour cause de désaccord politique » sur sa vitrine. Alors c’est pas la première fois de ces 30 dernières années qu’ils nous font le coup. Et à chaque fois, on ressort les livres d’histoire ET les livres de Science-Fiction, pour essayer de tirer des plans sur la comète et deviner ce qui POURRAIT bien se passer si le gouvernement de Donald Trump fermait ses portes pour quelques jours. Et – pour être parfaitement complet – en général, on brasse de l’air pendant trois jours et on trouve une solution miracle à la dernière minute, comme dans les bons films de suspense made in Hollywood où le gentil espion de la CIA coupe le fil rouge pour éviter que la bombe explose et détruise New York. Et au moment où il coupe le fil, il reste une seconde sur l’horloge du compte à rebours. Ben le SHUTDOWN du gouvernement US c’est ça. On brasse de l’air, puis on coupe le fil, et on rachète les GREAT EIGHT et puis c’est tout. Mais apparemment, cette fois ça pourrait être différent. Comme à chaque fois. Alors on reprend les bouquins et on essaie de comprendre encore une fois ce que ça veut dire…
Alors déjà : non ! ça ne veut pas dire que les mecs de la Fed vont arrêter d’imprimer de la monnaie, ni que l’armée américaine va poser les armes pour aller pointer au chômage. Ça veut dire que toutes les administrations dites « non essentielles » vont être envoyées au chômage technique : Bureau of Labor Statistics, publications économiques, chiffres officiels… Bref, tout ce qui nous permet normalement d’avoir une vague idée de l’état réel de l’économie va disparaître. Momentanément. Alors bon. Quand on voit le niveau et la qualité des chiffres du BLS en ce moment, je dois vous dire que ça serait presque une bonne nouvelle de les voir fermer un moment. Ça leur donnerait une bonne raison de réfléchir et de faire une introspection sur eux-mêmes. Non, parce qu’entre vous et moi, si on regarde les publications du BLS depuis que Trump a viré l’ancienne patronne, on a l’impression que les mecs prennent le consensus le plus consensuel que l’on puisse trouver à Wall Street et qu’ils se contentent de publier exactement les mêmes chiffres. Comme ça personne n’est déçu, personne n’a peur. En 2025, ça n’est plus les économistes qui essaient de trouver les bons chiffres officiels, ce sont les chiffres officiels qui se collent au consensus…
Pas le bon moment
Le seul problème c’est que ce SHUTDOWN – s’il se produit – tombera pile poil la semaine de l’emploi. Vous savez, LES NFP’s, ce chiffre que tout le monde attend comme si c’était le Messie. Le rapport sur l’emploi, c’est un peu le Super Bowl des statistiques : tout le monde en parle, tout le monde a un pronostic, et à la fin, c’est surtout une question d’interprétation, comme d’habitude. Un peu moins de créations d’emplois et c’est le doute qui s’installe. Un petit 4,2 % de chômage et c’est l’euphorie parce que : l’économie tient bon, que la Fed pourra dormir tranquille et que les marchés vont pouvoir se payer un petit rallye. Mais si ça monte d’un dixième, à 4,3 %, alors là, c’est la crise existentielle : « Oh mon Dieu, la récession est à nos portes ! » Et puis s’il y a PLUS d’emplois créé que prévu, c’est formidable, parce que l’économie elle va trop trop bien !
Bref, c’est LE chiffre qui met tout le monde en transe, la météo officielle du moral de l’économie. Sauf que si le shutdown se confirme, vendredi on n’aura… rien. Pas de chiffre, pas de commentaire, pas même une révision foireuse sur laquelle je pourrais vomir dès lundi matin. Le grand vide intersidéral. Et une salle de marché sans données, c’est un peu comme un bar sans alcool : au début, on rigole, on fait semblant que ça va aller… puis très vite, ça dérape. Les traders s’ennuient, ils inventent des scénarios débiles, ils surréagissent au moindre tweet ou au moindre bruit de couloir. Et quand tu donnes à un marché trop de temps libre et zéro donnée solide à digérer, il finit toujours par se créer son propre feuilleton — en gros, ça n’est pas une bonne idée de laisser Wall Street sans os à ronger parce qu’ils seraient capables de s’inventer des raisons pour acheter ou vendre… Pour faire simple, les marchés n’ont pas si peur que ça du SHUTDOWN. Et d’ailleurs ça se voit, puisque les futures sont déjà largement en hausse ce matin. Non, le problème c’est de laisser les marchés dans le noir qui poserait des problèmes sur le moyen terme. Mais on peut compter sur les politiciens pour nous trouver un scénario débile dans les jours à venir… C’est comme la dernière fois qu’on s’est trouvé emmerdé par le plafond de la dette aux USA ; ils ont décidé de supprimer tout simplement le plafond, comme ça : Hop, problème réglé.
Pourquoi ça arrive ?
Alors pourquoi ce genre de truc se produit tous les 6 mois ? Très simple : le budget américain se termine le 30 septembre, et comme tous les ans, les Républicains et les Démocrates jouent au poker avec des milliards de dollars. L’un veut couper les dépenses sociales, l’autre veut protéger les crédits santé. Et plutôt que de trouver un compromis, ils préfèrent fermer le magasin, histoire de montrer qui a la plus grosse volonté politique et surtout que c’est de la faute de l’autre camp si ça ne va pas. On est tous conscient que trouver un politicien honnête et intelligent, ça devient presque aussi rare que de trouver un politicien honnête et intelligent. Résultat : à partir de mercredi minuit, si rien n’est signé, on baissera les stores et il n’y aura pas de chiffres de l’emploi, pas d’inflation, pas de CPI le 3 octobre, pas de CPI le 15 octobre… Powell sera comme nous : obligé de prendre ses décisions de taux « au feeling », en lisant les sondages sur Tik-Tok.
Et attention, il ne faut pas mélanger shutdown et debt ceiling. Le plafond de la dette, c’est quand le Trésor ne peut plus payer les intérêts de la dette et que l’Amérique risque le défaut technique. Là, ce n’est « que » la fermeture administrative : les fonctionnaires ne bossent plus, mais les intérêts de la dette continuent d’être payés. Ça reste complètement con, mais c’est moins apocalyptique.
La question du jour
Du coup, comme à chaque SHUTDOWN éventuel, on se pose LA QUESTION de savoir si c’est bien ou pas bien pour les marchés et si ça va se péter la gueule ou pas… La réponse c’est « ça dépend ». À court terme, pas vraiment. Les shutdowns précédents n’ont pas fait s’écrouler Wall Street. En 2018, Trump 1.0 avait même réussi à tenir 35 jours sans gouvernement. Les traders avaient continué à s’extasier sur Apple et à pleurer sur General Electric et tout s’était bien passé. Mais cette fois, l’effet pervers, c’est le blackout de données. Si on n’a pas de données économiques cette semaine, ça ne pourrait pas tomber plus mal ! Non seulement nous serions aveugles et sourds afin de pouvoir spéculer sur les futures décisions de la FED, mais EN PLUS, la FED elle-même serait tout aussi aveugle et sourde que nous ! Ce qui fait que Powell devrait se résigner à prendre une décision sur les taux en lisant dans le marc de café on en tirant des cartes de tarot. Deux techniques ancestrales qui n’ont pas brillé par leur efficacité ces 154 dernières années.
Imaginez un pilote de ligne qui traverserait l’Atlantique sans instruments, juste en regardant les étoiles. Voilà à quoi va ressembler la Fed sans chiffres de l’emploi ni inflation. Et un marché sans GPS – même si l’on a parfois des doutes sur son efficacité, ça devient vite nerveux. Les probabilités de volatilité qui explose en octobre sont réelles – comme chaque mois d’ailleurs – et ce n’est pas pour rien qu’on est déjà à 83% de probabilité de shutdown pricée par les bookmakers. Bref, cette semaine on va parler du SHUTDOWN et vous avez intérêt à potasser le sujet parce que même si on en parle tous les six mois, on a une fâcheuse tendance à oublier le sujet dans la minute où les Républicains se mettent d’accord avec les Démocrates. Pour faire simple : le SHUTDOWN m’a bien aidé pour cette chronique, mais à la fin il faut retenir une chose, c’est qu’on a en très rapidement plus rien à foutre. Est-ce que cette fois ça peut être différent ? J’en doute.
L’inflation, le PCE et la grande illusion
En attendant le blackout, on a quand même eu une dernière bougie pour éclairer la pièce : le fameux PCE, l’indicateur préféré de la Fed pour mesurer l’inflation. Verdict ? Une inflation qui reste collante, +0.3% sur le mois, +2.7% sur un an. Pas catastrophique, mais pas non plus la victoire finale sur la hausse des prix. Ce qui était surtout intéressant sur le PCE de vendredi c’est qu’encore une fois : le chiffre monte. En étant donc très basic et rationnel, un chiffre de l’inflation qui monte, ça veut dire que le coût de la vie est plus cher ce mois que le mois précédent. Donc, l’inflation monte et on a de la peine à la contrôler… Mais la bonne nouvelle c’est que le marché s’en tamponne comme jamais, puisque ce mois le PCE était DANS LES ATTENTES et si c’est dans les attentes, c’est que tout va bien. Donc le marché a aimé. Que ça soit DANS LES ATTENTES. Il n’a pas tiqué une seconde sur le fait que ça montait. Les attentes c’était quand même bien.
La consommation reste solide. Les Américains continuent à dépenser, que ce soit pour des vacances à Disney, des SUV qui consomment comme un porte-avion ou des assurances santé hors de prix. Bref, la demande reste là, et tant que les cartes de crédit ne sont pas grillées, l’économie américaine tient. Ce qui complique la tâche de Powell : faut-il vraiment continuer à baisser les taux si tout le monde dépense comme si de rien n’était ? En fait l’inflation c’est comme les dates de péremption. À 2.7% ça va, tant que c’est dans les attentes. À 2.8%, ça ira, tant que c’est dans les attentes. À 2.9% aussi, ça ira. Si c’est ce qu’on attendait. Et puis à 3% ça sera comme la boîte d’huîtres bouillies à l’escabèche et au beurre de cacahuètes. Elle était consommable jusqu’au 31 octobre à minuit, mais le premier novembre à 00h01, les huîtres sortent de la boîte et repartant à Arcachon par le premier TGV. L’inflation c’est pareil. Ça va si c’est dans les attentes, jusqu’à que l’on décide que les attentes sont dépassées. La seule chose que l’on ne connait pas, c’est le niveau exact qui nous fera disjoncter. Visiblement, c’est pas 2.7% encore…
Le Buffett Indicator
Et puisqu’on parle d’indicateurs, il faut aussi évoquer le Buffett Indicator. Vous savez, ce petit ratio qui compare la valeur totale des actions américaines au PIB. Warren Buffett disait en 2001 : « Si ça approche 200%, vous jouez avec le feu. » Eh ben devinez quoi ??? On est à 217%. Plus haut qu’en 2000, plus haut qu’en 2021, plus haut que tout ce qu’on a connu.
En théorie, ça veut dire que le marché est en mode bulle XXL. En pratique ? Tout le monde s’en fout parce que les investisseurs se racontent que l’économie moderne n’est plus basée sur des usines et du pétrole, mais sur des clouds, de l’IA et des promesses d’investissements circulaires entre Nvidia et OpenAI. Alors forcément, on justifie des valorisations lunaires avec des belles histoires où à la fin, Iron man en fait, il est pas mort…
Pendant ce temps, Buffett lui-même garde 344 milliards de cash chez Berkshire Hathaway. Mais en fait non, le marché s’en tape et il continue à acheter du Nvidia à 60 fois les bénéfices, c’est sûrement différent cette fois.
Conclusion
Nous entamons une nouvelle semaine à « haut risque », la 37ème de l’année. Et ce que l’on doit retenir pour commencer entamer ce lundi correctement, c’est que l’on s’autorise à penser dans les milieux autorisés et les milieux des bookmakers de Las Vegas, que l’on pourrait avoir un shutdown ce mercredi. Un shutdwon qui pourrait plonger les marchés dans le brouillard. On se souviendra aussi qu’on a un PCE qui dit que l’inflation n’est pas encore morte, mais que les Américains dépensent toujours comme si Visa et MasterCard ne faisaient plus payer les intérêts débiteurs. Et on a un Buffett Indicator qui clignote rouge écarlate, mais qui ne fait PLUS peur à personne…
En résumé, cette semaine s’annonce intéressante, parce qu’on ne sait vraiment pas à quoi s’attendre. On sait qu’on va devoir interpréter plein de trucs ou pas du tout. On pourrait bien se retrouver en train de brasser de l’air en se basant sur vent. Mais plus rien ne m’étonne et plus rien ne m’étonnera cette année !
Excellent lundi à tous, ce matin il y aura le CPI espagnol, Waller et Williams parleront et on publiera les Pending Home Sales, mais une chose est certaine, la seule chose qui va exploser sur ChatGPT, c’est le nombre de recherches qui disent : Explique-moi ce que c’est le Shutdown et est-ce que ça peut faire baisser les marchés ?!
Pour le reste, on se voit demain !
Thomas Veillet
Investir.ch
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― Albert Einstein