Après huit jours de fête quasiment ininterrompue, Wall Street a levé le pied. Oh, pas grand-chose. Une pause dans l’euphorie. Juste le genre de respiration qu’on prend avant de continuer à courir sans trop savoir pourquoi on continue à courir. Les records de la veille ont laissé place à un calme étrange — celui d’un marché qui attend un nouveau prétexte pour continuer à grimper. Et pendant qu’on cherche ce catalyseur, un autre sujet commence à sérieusement à « poser des questions » : les deals circulaires entre Nvidia, OpenAI, Oracle et consorts. L’IA, c’est peut-être le futur… mais là tout de suite, on commence à avoir l’impression que c’est un mouvement perpétuel.
L’Audio du 8 octobre 2025
Wall Street souffle, mais ne tremble pas
Après une série de records historiques, le S&P 500 a finalement mis un genou à terre, perdant 0,38 %, pendant que le Dow Jones cédait 0,2 % et le Nasdaq 0,67 %. Rien de dramatique, juste le marché qui reprend son souffle après une série de séances haussières qui ont donné l’impression d’être le « new normal » pendant un temps, tellement on s’y est habitué. Une hausse presque permanente dopée par les annonces en rafale autour de l’intelligence artificielle, les espoirs de baisses des taux et le fait que nous interprétons toutes les mauvaises nouvelles comme des bonnes, parce qu’à la fin, si c’est mauvais, ça fera baisser les taux, vous connaissez la musique.
L’absence d’indicateurs économiques — shutdown gouvernemental oblige — laisse les investisseurs dans le brouillard. Plus de chiffres de l’emploi, plus d’inflation, plus rien à se mettre sous la dent. Les traders se retrouvent à faire ce qu’ils détestent le plus : attendre.
Et quand Wall Street s’ennuie, il cherche une histoire à raconter et la grande thématique du moment – vous le savez – c’est l’IA. L’or du XXIe siècle, la ruée moderne vers les serveurs et les data centers, là où tout le monde se jette sans savoir si le filon est vraiment rentable. Mais comme tout le monde le fait, on laisse faire nos esprits et l’instinct grégaire reprendre le dessus. Sauf qu’hier, la belle mécanique a grincé.
Oracle et les marges à la marge
Le coup de froid est venu d’un article publié hier. Article selon lequel Oracle — le nouvel empire du CLOUD selon l’IA — ne margerait que 14 % sur ses ventes de serveurs Nvidia. Alors vous me direz : Oui, bon, 14% de marge sur des milliards, c’est quand même pas mal et c’est pas rien ! ». Et vous aurez parfaitement raison. Sauf que si on se penche deux minutes sur le RESTE du business de Larry Ellison ; on s’aperçoit assez rapidement les marges tournent plutôt du côté des 70 %. Autrement dit : l’IA coûte cher et ne rapporte pas tant que ça. Un ratio qui faisait désordre dans une industrie censée changer le monde. Résultat : l’action Oracle s’est vautré de près de 3 %, avant de rebondir timidement après que la société ait tenté de minimiser l’impact. Certains médias américains parlaient même d’un “malentendu” sur les chiffres internes. Mais le doute s’installe.
Le problème n’est pas qu’Oracle gagne un peu moins facilement de l’argent. Le problème c’est surtout qu’ils rament pour rentabiliser leurs serveurs Nvidia. Ce qui aurait tendance à remettre en question tout le modèle économique de cette nouvelle bulle… Euh pardon, c’est pas une bulle. C’est juste de l’anticipation de performance sur un avenir radieux qui sera dirigés par des serveurs un milliard de fois plus intelligent que nous. Parce que nous on sera bien trop occupé à scroller sur Tik Tok pour passer le temps. En gros, le problème tombait plutôt mal, parce que dans le même temps, on se rend compte qu’on commence à parler un peu trop du système de financement circulaire entre les géants de l’IA, Nvidia, OpenAI, Oracle, AMD et désormais xAI. Bloomberg a publié tout eune enquête sur le sujet et le doute se renforce un peu plus.
Le grand manège de l’intelligence artificielle
Alors c’est quoi ce financement circulaire ?
Le principe est simple… et déroutant. Tout commence par un accord à 100 milliards de dollars entre Nvidia et OpenAI : Nvidia investit pour aider OpenAI à construire d’immenses data centers… que la startup va ensuite remplir avec des puces Nvidia. Qu’ils vont acheter… chez Nvidia. Un peu comme si votre boulanger vous prêtait de l’argent pour que vous veniez lui acheter son pain tous les matins.
Mais attendez, attendez, ça n’est pas tout ! C’est Disneyland et il y a encore plein d’autre carrousels à explorer. Puisqu’il y a 48 heures, OpenAI a signé un contrat de plusieurs dizaines de milliards avec AMD, le rival direct de Nvidia — tout en devenant actionnaire d’AMD (selon certaines conditions).
Et comme il fallait bien un hébergeur pour tout ça, Oracle s’est invité à la fête : il finance, construit et équipe les infrastructures cloud… avec, encore une fois, des GPU Nvidia. Avec les marges que l’on connait. Et cette nuit, comme pour boucler la boucle, on apprenait que Nvidia devrait investit 2 milliards de dollars dans xAI, la société d’Elon Musk. Les chiffres sont encore un peu flous, mais ce que l’on sait c’est que Musk fait une augmentation de capital sur xAI à hauteur de 20 milliards, dont la moitié servira — à : (roulement de tambour)…
Acheter… des processeurs Nvidia !!!
Le montage passe par un “Special Purpose Vehicle”, un SPV, un véhicule financier intermédiaire créé spécialement pour ça. Ce SPV lèvera les fonds, achètera les processeurs Nvidia, puis les louera à xAI pour équiper son nouveau méga data center baptisé “Colossus 2”, actuellement en construction à Memphis. Au total, environ 7,5 milliards viendraient d’investisseurs, et 12,5 milliards sous forme de dette. Mais tout est intimement lié à Nvidia : sans ses GPU, xAI ne peut pas tourner, et sans clients comme xAI, ou OpenAI, Nvidia ne peut pas justifier sa valorisation stratosphérique.
J’y vais mais j’ai peur
C’est un peu comme si tout le monde jouait au Monopoly avec le même billet de 500 dollars et se le refilait sous la table pour installer des hôtels à Zurich Paradeplatz. Selon le dernier article de chez Bloomberg, plus de 1’000 milliards sont en train de tourner dans ce manège financier… Une espèce de réseau tissé sur base d’accords croisés entre géants de la tech, fabricants de puces, hébergeurs cloud et start-up d’IA… 1’000 milliards, c’est le PIB de la Suisse et de la Suède réunis… Chacun investit dans celui qui achète chez l’autre, qui revend à celui d’avant, qui lève des fonds pour acheter chez le premier. Un écosystème brillant, sophistiqué… et potentiellement explosif. On commence à se dire que la comparaison avec la bulle Internet n’est pas absurde : à la fin des années 90, les start-up s’achetaient mutuellement des pubs pour gonfler artificiellement leurs revenus. Aujourd’hui, les géants de l’IA s’achètent mutuellement des GPU pour gonfler leurs perspectives et justifier certains de leurs revenus délirants. Et cette fois, les montants sont stratosphériques. En résumé ; le serpent se mord la queue… sous vos applaudissements.
Ce qu’il faut surtout retenir de cette histoire, c’est que tout fonctionne tant que l’orchestre joue. Aujourd’hui Nvidia peut emprunter 2 milliards les injecter dans je-ne-sais-quelle-boîte, faire monter son titre sur l’annonce, vendre des actions après avoir gagné 100 milliards de market cap et rembourser son crédit. C’est le principe du mouvement perpétuel…
Dans la vraie vie
En dehors du grand cirque de l’IA, d’autres signaux montrent que tout n’est pas si rose.
Chez Tesla, les nouvelles versions des Model 3 et Model Y ont déçu les marchés. L’action a reculé de plus de 4 %, les « experts » qui s’étaient emballés la veille ont rapidement déchanté parce que LA nouvelle Tesla – c’est pas ce qu’on rêvait..
Mais en fait, on rêvait quoi ? Personne le sait vraiment…
Musk propose donc :
• Model Y Standard à 39’990 $ (contre 45’000 $ avant),
• Model 3 Standard à 36’990 $.
Dit comme ça, on pourrait croire à une vraie révolution à la Steve Jobs, mais pour beaucoup, ça reste trop cher pour vraiment toucher le grand public. Le rêve d’une Tesla à 30’000 dollars — la fameuse “voiture électrique pour tous” — reste une légende urbaine.
Et puis, ces nouveaux modèles n’apportent rien de nouveau. Pas de design inédit, pas de nouvelle techno, juste une batterie un peu plus petite et un 0 à 100 km/h plus lent. En gros ; du recyclage haut de gamme. Et pendant ce temps, on a aussi appris que les Américains dépensaient moins à crédit. Les chiffres des banques montrent une baisse des paiements par carte et un recours plus faible au crédit conso. En clair : le consommateur US commence à serrer la ceinture. La question reste de savoir si c’est la peur du futur ou si l’on paie simplement l’addition après plus de 5 ans d’inflation, la réponse est probablement quelque part entre les deux.
Manu à la retraite ou le virage à gauche ?
En Europe, Paris a terminé quasi stable malgré le merdier politique dans lequel ils se trouvent et malgré le fait que BFM tourne en édition spéciale chaque fois qu’un politicard quelconque passe devant Matignon. Donc la crise politique continue, Macron est isolé, et les négociations pour une coalition semblent perdues d’avance. Aux dernières nouvelles, on se dirige soit vers une dissolution, soit un gouvernement de gauche – oui, parce que la dernière fois ça a TELLEMENT bien fonctionné avec Hollande, que ça serait dommage de pas en remettre une couche. Une chose semble certaine, Macron ne quittera jamais l’Élysée… Même si Édouard Philippe s’impatiente parce que lui aussi il veut devenir Président. Bref, vu d’ici, ce qui se passe à Paris est totalement pathétique, 80% des Français en ont plein le cul de leurs politiciens et on voit mal qui pourrait redresser la barre.
Mais les marchés s’en foutent complètement et ils restent imperturbables. Les investisseurs ont appris à ignorer la politique française et tant que Wall Street ne tremblera pas, le CAC 40 ne bougera pas non plus. Hier à Paris, le seul vrai mouvement est venu du luxe : Kering et LVMH ont été dopés par un rapport de Morgan Stanley qui vantait le retour de la “créativité post-fashion week”. Ouf, si même les analystes identifient un retour de la créativité dans la mode, on est tout de suite rassurés. Reste plus qu’à que les Chinois débarquent.
En Asie
Matinée morose en Asie : Hong Kong décroche d’1 %, plombée par la tech. Alibaba, JD.com, Baidu et Tencent s’effondrent tous, rattrapés par un doute croissant sur la rentabilité de l’IA. Visiblement c’est comme le COVID version Frankenstein, c’est contagieux. Et bien sûr, on s’appuie sur les marges décevantes chez Oracle et les montages circulaires façon Nvidia–OpenAI–xAI, qui commencent à inquiéter. Je n’invente rien. Le Nikkei stagne après la victoire de Sanae Takaichi, nouvelle cheffe du parti au pouvoir, favorable à la relance budgétaire — mais personne ne sait comment elle financera tout ça. On brasse de l’air sur le sujet depuis deux jours, mais on n’avance pas des masses dans la réflexion. Le yen chute, les obligations plongent, et la Banque du Japon marche sur des œufs.
Ce matin la banque centrale de Nouvelle-Zélande a surpris tout le monde en baissant son taux directeur de 50 points de base à 2,5 %, soit deux fois plus que prévu. Elle justifie ce geste par une économie en perte de vitesse et une inflation en recul, tout en laissant la porte ouverte à d’autres baisses si la situation empire. Par contre, je vous rassure, tout le monde s’en fout à plus de 10 bornes d’Auckland. Le pétrole remonte à 62.23$ – cette fois c’est la guerre en Ukraine qui fait remonter le baril et l’or a donc battu son record historique et passé définitivement les 4’000$ – ce matin le métal jaune est à 4’050$. Le Bitcoin est à 122’000$ et le rendement du 10 ans est à 4.13%.
Conclusion : toujours plus haut, toujours plus fort (jusqu’à quand)
Malgré cette micro-correction, la peur n’a pas encore refait surface. Le marché reste persuadé qu’il est invincible — protégé par l’IA, par Trump, par Powell, ou peut-être par la grâce de je ne sais quel ami imaginaire. Chaque mini-baisse est achetée, chaque alerte est vue comme une opportunité. Les futures sont d’ailleurs déjà en hausse. Et pourtant, tout ce qu’on observe — la frénésie des deals circulaires, la faiblesse du consommateur, la flambée de l’or — sent bon la fin de cycle. Mais pour l’instant, l’orchestre joue toujours, même avec les genoux dans l’eau…
Pour ce qui est des chiffres du jour – le SHUTDOWN étant toujours d’actualité – nous allons devoir nous contenter de la production industrielle en Allemagne, du Construction Spending aux States et on terminera avec les Minutes du FOMC Meeting qui laisseront transparaitre que la FED reste DATA DEPENDANT et que si l’emploi ralenti, ils baisseront encore les taux. Mais comme y a pas de chiffres de l’emploi, on ne retiendra que le fait qu’ils vont baisser les taux et le marché terminera en hausse !!!
Passez une excellente journée et on se voit demain à la même heure et au même endroit !
Thomas Veillet
Investir.ch
« On devrait inventer l’alcootest politique, on devrait faire souffler les hommes politiques dans un ballon pour savoir s’ils ont droit de conduire le pays au désastre. »
Coluche