Les bourses mondiales sont fabuleuses. Il n’y a pas d’autre terme. Nous avons cette capacité à nous angoisser sur des sujets avec une force sans précédent. On bosse sur nos craintes, on argumente, on se convainc qu’il pourrait y avoir des problèmes sur certains sujets, que ce soit économiques, structurels ou simplement parce qu’on est allé trop vite trop loin. On génère un stress de fou pendant une semaine et puis on part en week-end en couvrant les shorts. Le lundi matin, alors qu’absolument rien n’a changé et que Trump n’a rien tweeté et que Nvidia n’a racheté personne ces 24 dernières heures, on tourne la veste à la vitesse de la lumière, parce que la tech, c’est quand même bien !
L’Audio du 25 novembre 2025
Le bouton « Reset »
Hier Wall Street a entamé sa semaine la plus courte de l’année comme si quelqu’un avait discrètement appuyé sur le bouton reset pendant la nuit. La semaine dernière, c’était panique, inflation mystérieuse, CPI annulé, taux trop hauts, Fed trop dure, Tech trop dangereuse avec des magouilles comptables dans tous les coins et des valorisations qui faisaient peur à tout le monde. Hier matin, on aurait dit que tout ça n’avait jamais existé.
À l’ouverture, le Nasdaq a bondi comme un ressort comprimé depuis trop longtemps : +2,7%, la meilleure séance depuis mai. Et ça a mis tout le monde d’accord. Le reste n’avait qu’à suivre. On peut retourner la séance dans tous les sens, gratter dans tous les coins pour essayer de voir « comment les pros investissaient », laissez tomber, hier c’était « TOUT LE MONDE SUR LA TECH » et puis c’est tout. Le S&P 500 a suivi docilement avec +1,6%, pendant que le Dow se traînait un peu, mais montait quand même, +0,44%.
Toutes les craintes de la semaine dernière se sont envolées. Les problèmes ne se sont pas réglés, on ne sait toujours pas si l’IA c’est trop cher ou pas. On ne sait pas si ces dépréciations comptables sont un problème ou si même elles SERONT un problème un jour. Ce que l’on sait avec certitude, c’est qu’elles ne seront pas un problème aujourd’hui. Que la dette d’Oracle est un détail, compte tenu de la croissance de l’Intelligence Artificielle – croissance sur laquelle on est toujours incapable de mettre des chiffres concrets, et pour cause. Et puis Nvidia a envoyé une lettre aux analystes de Wall Street pour expliquer que Burry n’avait rien compris, qu’ils n’étaient pas Enron et qu’amortir sur 6 ans un truc qui sera obsolète dans 18 mois est tout à fait normal, puisque les produits en question fonctionnent toujours très bien après 6 ans. On ne parle pas du renouvellement de ces produits dans les années à venir. Non, c’est pas le sujet. Ce qu’il faut retenir, c’est que Burry n’a rien compris, que Nvidia c’est pas Enron et qu’il faut les laisser tranquille parce que c’est quand même la meilleure boîte du monde. Et comme toutes ces craintes liées à l’IA avaient été oubliées pendant le week-end, on a pu profiter d’acheter sur faiblesse. Et puis sur certains titres, comme Alphabet, on a pu continuer d’acheter tout court, parce qu’il n’a jamais été faible et que l’IA, c’est quand même VRAIMENT COOL et la TECH c’est VRAIMENT GÉNIAL.
Retour sur la tech mais pas que
La tech a donc été à l’honneur en ce lundi 24 novembre, mais ça n’était pas « QUE » le sujet principal. Il y avait aussi la baisse des taux à venir. Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais la semaine dernière, entre mercredi et vendredi matin, la thématique de la baisse des taux en avait pris un coup dans l’aile et les choses avaient l’air de se compliquer. Puis, presque sans prévenir, une petite fissure est apparue dans ce mur de pessimisme. Tout a commencé avec Christopher Waller. Il a annoncé calmement que le marché du travail est « toujours fragile ». Une phrase simple, presque anodine… mais dans les oreilles des experts à Wall Street, c’est devenu : « Euh dites-voir, les gars. On sent comme une pointe d’inquiétude sur l’emploi, il est pas en train de nous dire qu’ils vont baisser les taux, finalement ??? »
Il n’en fallait pas plus et le sentiment a immédiatement changé de direction. Comme si quelqu’un avait injecté de l’oxygène pure dans la pièce. Et pendant que l’on gérait nos émotions dans le sillage de cette annonce, John Williams, le patron de la Fed de New York, a ajouté à son tour : « Il y a encore de la marge pour un ajustement à court terme. » La phrase sortie de son contexte peut vouloir dire à peu près tout et n’importe quoi, mais le marché l’a immédiatement traduite et vulgarisée. « Il y a encore de la marge pour un ajustement à court terme » est donc devenue instantanément : « on a encore de la place pour baisser les taux le 10 décembre ». Inutile de vous dire que, dans ces conditions, ce marché, qui a fait du narratif de la baisse des taux sont plan de bataille pour justifier la hausse depuis plus de deux ans, s’est immédiatement remis en mode « BULL MARKET, À POIL LES SHORTS ». C’était comme un lion qui était devenu végétarien depuis trois mois et qui vient de se faire enfermer dans une boucherie ! En moins de quelques heures tout a changé. Les probabilités d’une baisse de taux en décembre ont soudainement explosé et nous sommes passés de 30% de chances à 85%.
Retournement de veste version Champions League
C’était un véritable retournement de veste collectif, assumé, enthousiaste et de classe mondiale. Nous sommes passés de : « la tech c’est trop cher et ça sent le poisson pas frais et on ne BAISSERA JAMAIS LES TAUX » à : « l’IA c’est quand même génial et puis les taux, c’est sûr il va devoir les baisser ». Ne cherchez pas des justifications à ce comportement, ni même la moindre rationalité. On parle des bourses mondiales, d’un milieu qui est moins stable mentalement qu’un Président français qui veut aller faire la guerre aux Russes, dans ces conditions tout peut arriver. Et hier c’est arrivé. En plus, les données économiques retardées par le shutdown ont commencé à tomber. Et comme elles n’étaient catastrophiques, juste suffisamment molles pour alimenter la hype. Le mot d’ordre était devenu clair : “Le marché ralentit, la Fed doit agir.” Les « experts » se donc appuyés sur ces quelques phrases pour changer complètement de scénario. Aucun problème concret de résolu, aucune phrase officielle qui corroborerait la chose, juste du sentiment de marché.
Et puis bien sûr, si l’on doit parler des chiffres économiques en retard qui ne sont – je cite : pas catastrophiques mais suffisamment mous pour faire bouger la FED – il ne faut quand même pas oublier qu’on nous donne au compte-goutte ce qu’on a bien envie de nous donner. Je rappelle que le CPI a été trop compliqué à calculer pour le mois d’octobre et qu’on nous l’a donc biffé d’un coup de crayon, mais qu’en revanche on a – par miracle – quand même réussi à nous calculer le PPI qui sortira tout à l’heure. Moi je ne veux pas être complotiste et je ne bosse pas au BLS (heureusement), mais j’ai quand même un peu l’impression qu’on nous donne ce qu’on a bien envie de nous donner ! Mais peu importe, le marché a toujours raison. Et comme le marché a toujours raison, les obligations se sont calmées, les rendements ont reflué, et les investisseurs ont vu dans ce mouvement la confirmation que le vent tournait. Et comme souvent, quand le vent tourne, la tech rallume tous les moteurs. En quelques heures, Wall Street est passé du doute à l’extase. Pourtant, dans le fond, rien n’a été réglé. Ni l’inflation, ni les tensions économiques, ni les risques géopolitiques. Ni l’emploi, ni la compta des hyperscalers. Il aura suffi de deux phrases de banquiers centraux exprimées au bon moment. Mais c’est comme ça que les histoires se racontent à Wall Street : il suffit parfois d’un murmure pour transformer un cauchemar en rêve. L’inverse étant tout à fait possible à tout instant, d’ailleurs.
Le retour de la vengeance
Vous l’aurez compris, Tout ce qui ressemblait de près ou de loin à de la tech, de l’IA ou tout simplement qui avait le moindre rapport avec un des deux, a explosé. Google a ENCORE pris plus de 6% grâce à l’accueil réservé à son nouveau modèle Gemini 3. Broadcom a explosé avec +11%, même Tesla était au top avec +6,8%. Pendant ce temps, l’Europe regardait tout ça de loin avec une excitation un peu différente. Paris baissait un peu, Milan carrément, Londres se balançait autour de zéro. Francfort et Zurich montaient légèrement, mais sans conviction. Le 10 ans US redescend à 4,03% et côté entreprises, Bayer a bondi avec des résultats cliniques positifs. Novo Nordisk, lui, s’est pris une taule monumentale : son traitement Alzheimer ne fonctionne pas. Comme quoi Ozempic ne marche pas pour toutes les maladies, contrairement à certaines croyances. Le titre termine en baisse de 5.8% après avoir tapé des niveaux plus vus depuis 2021. Autrement, le gaz européen est tombé sous les 30 €, première fois depuis un an. Le pétrole, lui, continue d’essayer de sortir de sa tendance baissière et se traite à 58.59$. Et au-dessus de tout ça plane l’esprit de Thanksgiving : marchés fermés jeudi, séance écourtée vendredi, volumes minuscules, volatilité maximum. C’est chaque année la même histoire : quand il n’y a plus personne derrière les écrans, c’est là qu’il peut se passer des trucs.
L’Asie s’est réveillée en mode « copier-coller » de Wall Street : la tech US a rebondi, donc les marchés asiatiques aussi. Le moteur du jour est exactement le même qu’à New York, les taux qui vont baisser et la tech (merci Google) qui est trop trop chouette. Résultat, le Hang Seng monte de 1,2%, le KOSPI de 0,9%, le tout porté par des achats à bon compte après un mois à s’être fait défoncer. Alibaba grimpe juste avant ses résultats, boostée par son appli Qwen AI déjà téléchargée 10 millions de fois. La Chine suit le mouvement avec le CSI 300 en hausse de 1,4%. Le Japon, lui, traîne la patte : avec une hausse 0,6%. Entre risques fiscaux, tensions politiques avec la Chine et annulations massives de vols, les valeurs tourisme/loisirs prennent cher. Pour faire simple, l’Asie monte parce que Wall Street monte — même si rien n’est réglé. L’or est à 4’180$ et le Bitcoin retrouve des couleurs et frôle les 88’000$ ce matin. Déjà 10% de rebond depuis les plus bas.

Les nouvelles neuves
Dans les nouvelles du jour, on attaque avec Trump. Trump qui a dégainé un nouveau décret : la Genesis Mission, une sorte de programme Apollo version IA boostée aux stéroïdes. Officiellement, l’idée est simple : prendre toutes les données scientifiques du pays, les jeter dans une giga-machine d’IA et sortir des découvertes express en médecine, énergie et sécurité nationale. Michael Kratsios – le Chief Technology Officer de Trump, ex de chez Peter Thiel, vend ça comme « la plus grande mobilisation scientifique depuis Apollo », rien que ça.
On promet de passer de plusieurs années de recherche à… quelques heures. Pour y arriver, les États-Unis comptent sur leurs supercalculateurs, déjà les trois plus puissants du monde, plus une flopée de nouvelles machines en partenariat avec Nvidia, AMD, Dell et compagnie.
Problème classique : personne ne sait qui va payer la note, et le Congrès ne croule pas sous le pognon, là tout de suite. La Maison-Blanche tease déjà des partenariats avec AWS, Azure et Google Cloud. Ironie suprême : on lance un méga-programme de recherche… tout en coupant les budgets de la recherche. Mais pour l’équipe Trump, l’IA permet de faire plus avec moins. Une chose est sûre : l’IA entre officiellement dans la machine d’État américaine, et cette fois, c’est pour aller sur la Lune — version data.
On continue en mode cauchemar chez Softbank, depuis qu’ils ont vendu Nvidia, tout part en vrille. Et ça continue aujourd’hui. SoftBank a plongé en Bourse, avec -11% mardi après un -10,9% la séance précédente. Le marché s’inquiète que Gemini 3, le nouveau modèle d’IA de Google acclamé par la critique, ne durcisse fortement la concurrence pour OpenAI, l’un des paris stratégiques de SoftBank. Résultat y a plus de confiance. Il y a moins d’un mois, SoftBank flirtait avec une valorisation de 40’000 milliards de yens. Aujourd’hui, elle a déjà perdu plus de 40%. Du côté tech, Donald Trump envisagerait de permettre à Nvidia de vendre ses puces d’IA avancées H200 en Chine. L’idée fait suite à des discussions internes aux États-Unis sur un éventuel assouplissement des restrictions instaurées depuis 2022. Jensen Huang, le patron de Nvidia, pousse fortement pour rouvrir ce marché stratégique.
Problème : Pékin aurait déjà demandé à ses entreprises de ne plus acheter les puces H20, jugées trop limitées, et les H200 sont actuellement interdites d’exportation. Si Washington dit oui, ce serait un virage majeur dans la guerre techno sino-américaine. Mais l’armée américaine et plusieurs élus s’y opposent fermement, craignant de renforcer la puissance technologique chinoise. Affaire à suivre, le feuilleton ne s’arrête pas là. Autrement, Sandisk va intégrer le S&P500, Spotifiy va augmenter ses prix l’année prochaine. Il y a un analyste qui voit Amazon 40% plus haut sous 12 mois et un autre qui parle de META qui va bondir de 30% rapidement. Il y a JP Morgan qui vend des tonnes de Strategy et de plus en plus d’articles qui peignent le diable sur la muraille de Michael Saylor.
Côté chiffres
Pour ce qui est des chiffres économiques, il y aura le PIB en Allemagne, et puis aux States, il y aura du lourd avec le PPI, la production industrielle, les ventes de détail, les business inventories et la confiance du consommateur. On va sûrement reparler des taux, il suffirait qu’un mec de la FED viennent dire que c’est complètement débile de baisser les taux en décembre pour qu’on se fasse un demi-tour sur route.
Bref, on continue cette semaine tronquée avec un marché qui change d’avis plus vite qu’un influenceur crypto. On est passé de « tout va s’effondrer » à « mais si,si, ça va aller » sans que rien — absolument rien — n’ait bougé dans le réel. La tech redevient le Saint Graal grâce à Gemini 3, la Fed redevient notre meilleure amie, et Trump veut envoyer l’IA sur la Lune pendant que SoftBank s’enfonce sous terre.
La seule vraie leçon du jour c’est qu’à Wall Street, les problèmes ne disparaissent jamais… mais l’humeur, elle, change toutes les quatre heures (environ). Passez une excellente journée et moi je vous vois demain pour boucler la semaine, parce que moi aussi je fais Thanksgiving !
Thomas Veillet
Investir.ch
“All you need is love. But a little chocolate now and then doesn’t hurt.”
― Charles M. Schulz