La grande question que l’on peut se poser ce matin, est exactement celle que je présente dans le titre de cette chronique : « fatigue, pessimisme ou juste que la trouille, ça ne se commande pas ? ». Les investisseurs sont en pleine introspection et on peine à savoir si nous sommes réellement en train de vivre un changement radical de tendance qui – pour une fois – pourrait durer. Ou si nous sommes tout simplement en train de vivre une opportunité d’achat exceptionnelle et que l’IA va reprendre le chemin de la victoire demain soir, après la clôture, quand Nvidia va nous balancer les chiffres de l’hyper-croissance en pleine figure et nous expliquer que le bull run de l’IA c’est : TO THE MOON !

L’Audio du 18 novembre 2025

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Pas rassuré

Hier matin je vous disais que les marchés commençaient la journée gavés à l’optimisme et les futures montraient clairement que le rebond de vendredi et le Xième refus de la moyenne mobile des 50 jours étaient un signe comme quoi ce marché ne pouvait pas baisser et que si les indices montraient des signes de faiblesse, il y avait le team « buy the dip » qui venait sauver la maison et lui éviter la correctionnelle à chaque fois. On l’avait vécu vendredi dernier et on l’avait vécu le vendredi précédent. Sauf qu’hier c’était pas la même mayonnaise.

Cette fois on a terminé SOUS cette fameuse moyenne mobile des 50 jours. Le Nasdaq 100 a réussi à s’en sortir par les poils, mais pas le S&P et pas le Nasdaq Composite. Pendant ce temps le Dow Jones « défensif » se prenait sa troisième séance de baisse consécutive. Faut-il en tirer des conclusions ? Quelque chose est-il en train de changer ? J’aurais tendance à répondre oui et non. Tout d’abord, il faut bien comprendre que ce marché est épuisé. Depuis le rebond du mois d’avril et la prise de pouvoir des valeurs de l’intelligence artificielle, on n’a pas arrêté de monter. Au mois d’octobre, c’était encore pire puisque durant ce mois traditionnellement pas terrible pour les marchés, la plupart des monstres de l’IA ont décidé d’annoncer des méga-deals dans tous les coins. Oui, je sais que ça peut vous paraître lointain, mais souvenez-vous les milliards qui ont été distribués dans le cercle vertueux de Nvidia durant ce dernier mois. Et si vous regardez maintenant les performances des titres qui avaient fait la une, vous verrez que c’est un peu moins Byzance. Je pense entre autres à Oracle qui avait explosé de 220$ à 345$ en une journée et qui est… de retour à 220$ aujourd’hui.

J’y vais ou J’y vais pas ?

Et la liste des deals est longue, peu restent satisfaisant sur le court terme. On entame donc cette semaine plus que critique du post-shutdown avec une avalanche de doutes, la notion que l’IA est quand même pricée très chère et qu’en plus Nvidia va publier ses chiffres mercredi soir. Heureusement que le titre a déjà rendu 15% par rapport à ses plus hauts du mois d’octobre, sinon je serais terrorisé en attendant mercredi soir. Mais ça n’est pourtant pas gagné pour autant. Si l’on fouille un peu dans les attentes que l’on a de la Magnificent ONE pour demain soir, on se rendra rapidement compte que les chiffres du trimestre, ça devrait bien se passer et s’ils déçoivent, ça ne sera pas là. Ça sera peut-être plus du côté de la guidance ou des prévisions à long terme. Aujourd’hui on sait que Nvidia a des projets qui vont bien au-delà de 2027-2028 et quand on regarde la taille des projets en question, il va en falloir des gigawatts. Et visiblement, pour le moment, on ne les a pas sous la main.

Mais encore une fois, on parle de dans 2-3 ans et là n’est pas le sujet. Le sujet qui nous occupe en ce mardi matin, c’est quand même que le marché montre des signes de faiblesse qu’il ne nous avait plus montré depuis bien longtemps. Alors ok, nous ne sommes pas vendredi soir et il nous reste pas mal de choses pour inverser la tendance, mais là tout de suite, techniquement, c’est pas terrible. Le S&P500 est en difficulté, tout comme le Nasdaq composite. Et tout ça à un jour des chiffres de Nvidia, des Minutes du dernier FOMC Meeting et des chiffres de l’emploi de septembre qui sortirons jeudi. En l’espace de quelques heures, demain soir, nous allons nous prendre une avalanche de chiffres qui ont le pouvoir de secouer le marché alors qu’il n’est accroché à la falaise que par une seule main.

Le négativisme ambiant

Sans s’attarder des heures sur les raisons de la baisse d’hier qui – si tout va bien restera cosmétique – il faut quand même se souvenir que les intervenants se posent des questions sur les valorisations de la techno depuis deux semaines, que des grands noms de la finances ont officiellement annoncé qu’ils vendaient tout le secteur et en plus de tout ça, on commence à se demander si les taux vont baisser en décembre, comme on l’a prévu depuis la fin de l’été. Cette probable baisse des taux reste probable à 50%. En gros la réunion de la FED se jouera à pile ou face. Hier il y avait des membres de la FED qui parlaient et qui semblaient plutôt en faveur d’une baisse. Articulant leur argumentaire sur le fait que « si le marché de l’emploi est vraiment aussi merdique qu’on le dit, l’inflation devrait se calmer d’elle-même – et donc, il n’y a pas de problème à baisser les taux. La réflexion est logique, d’autant que la Maison Blanche est en train de couper les tarifs douaniers sur les biens de première nécessité pour contrer la grogne des Américains et l’inflation.

On va donc dire que si tout va bien, Nvidia va publier des chiffres en ligne et que l’on n’aura pas trop peur de l’avenir et que, de l’autre côté, les taux vont baisser, ce qui devrait aider le marché. C’est un peu le scénario que nous sommes en droit d’attendre. Pourtant, le négativisme ambiant reste tout de même très fort. Les indicateurs montrent que les gens ont peur – ce qui est souvent présenté comme un signal d’achat – et il ne se passe pas un jour sans qu’on nous montre des chiffres qui font froid dans le dos ou que l’on aborde le sujet du Private Credit qui semble être devenu un axe d’investissement très à la mode. Et en même temps, un axe d’investissement qui fait très peur et qui s’est peut-être un peu trop démocratisé. Et encore, je vous passe le marché immobilier qui semble prêt à se casser la gueule et le niveau d’endettement des investisseurs qui est à des niveaux historiques.

Équilibre instable

Ce matin du 18 novembre les marchés sont dans une situation que l’on va qualifier d’équilibre instable. Loin de moi l’idée d’être négatif, je suis parfaitement conscient qu’il suffit que Nvidia pulvérise les attentes demain et le discours sera différent, mais il est vrai que lorsque l’on sonde le marché dans son ensemble, il est facile d’entendre et de trouver des discours qui préviennent que ça va pas bien se passer. Mais attention, ça ne veut pas dire que dès demain, il faut tout vendre, se mettre short et acheter des puts dans tous les sens, vous n’êtes pas Michael Burry, mais en revanche ça veut dire que tout est cher, que les niveaux de valorisations sont élevés et que, lorsque l’on regarde certains indices sectoriels, ça commence à craquer – mais comme c’est moins « populaire » que l’IA, on n’y prend pas garde.

Pour faire simple, à l’heure actuelle, il faut savoir raison garder, et être conscient qu’il peut se passer quelque chose à tout moment qui aurait le pouvoir de changer la donne. Peut-être pas aujourd’hui, ni demain, mais je crois qu’il est important de varier l’intensité du mode ultra-bullish-forever et passer en mode méfiance. Les rotations de secteur qui sont en cours actuellement, démontrent clairement que la fonction « RISK ON » a été mise sur pause momentanément. La journée d’hier aura donc été une journée de test, histoire de voir si les marchés sont capables de rester calmes, même si les signaux d’alerte se multiplient et les deux prochaines séances vont faire monter l’intensité et jeudi soir, on y verra plus clair. On sera pas forcément de bonne humeur, mais on y verra plus clair.

En Asie

Ce matin en Asie on s’est pas levé du bon pied, plus précisément en mode : « et si Wall Street nous claquait dans les mains ?” Les traders ont balancé la tech comme si Nvidia allait annoncer l’apocalypse demain. Le Nikkei plonge de 3%, Hong Kong recule de 1.5% et la Chine abandonne 0.5%. Au Japon, on a les obligations d’État qui s’effondrent, les rendements qui explosent, et tout le monde se demande comment Takaichi va financer son plan de dépenses XXL sans vendre un rein. Le 30 ans japonais tutoie les records, le 20 ans aussi — ça sent la panique chez les porteurs de JGB qui découvrent le risque comme un touriste découvre le wasabi en trop grosse quantité. Et comme si ça ne suffisait pas, l’économie nippone s’est contractée au troisième trimestre… ce qui pousse Tokyo à envisager encore plus de dépenses et même des baisses d’impôts.

Résultat : confiance en baisse, dette qui inquiète, et un marché qui se demande si c’est bien raisonnable de financer du keynésianisme à crédit façon open bar. La tech asiatique se fait cisailler dans tous les sens, le Kospi en plongée avec les fabricants de semi’s en panique pour demain et SOFTBANK. Alors Softbank, eux, depuis le début du mois, c’est le bain de sang. 31% de baisse depuis qu’ils ont vendu Nvidia et signé un contrat avec OpenAI…et ce matin c’est 7,5% de plus à la baisse. Le pétrole est à 59.42$, on s’accroche et l’or est en plongée à 4’010$. C’est marrant parce que ce truc qui est censé être une valeur refuge, est en train de baisser comme le Bitcoin, un jour faudra quand même qu’on m’explique le rationnel. Le Bitcoin justement, parlons-en… Il a cassé les 90’000$ à la baisse et franchement, c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres. Et pour terminer, le rendement du 10 ans est à 4.11%.

Les nouvelles du jour

Dans les nouvelles du jour, on retiendra que Novo Nordisk baisse le prix de Wegovy et d’Ozempic pour les patients qui paient cash : 349 $ au lieu de 499 $, sauf pour la dose max qui reste au tarif « tiens je vais plutôt me mettre à courir ». Ils lancent aussi une offre d’appel : 199 $ par mois pendant deux mois pour les nouvelles ordonnances — histoire d’attirer le chaland avant de repasser au prix “normal”. Ces annonces tombent juste après le deal signé entre Trump, Novo Nordisk et Eli Lilly pour rendre les fameux GLP-1 plus accessibles, via des prix réduits, de nouveaux remboursements Medicare et la plateforme TrumpRx. Du côté avions, Emirates a dégainé le carnet de chèques au Dubai Airshow : 65 Boeing 777-9 de plus, soit 38 milliards de dollars, parce qu’apparemment ils manquaient d’avions dans leur garage.
Avec ça, Emirates grimpe à 315 gros-porteurs commandés chez Boeing — un amour toxique mais solide, soutenu par GE qui rafle aussi 540 moteurs GE9X. L’administration Trump applaudit des deux mains : chaque avion commandé à l’étranger, c’est un communiqué de victoire à Washington. Le seul problème, c’est que Boeing n’arrive déjà pas à livrer les 777X, avec des retards qui poussent Emirates à bricoler des vieux avions en attendant 2027.
Résultat : Emirates signe le plus gros deal du salon… mais rappelle quand même à Boeing que vendre c’est bien, livrer c’est encore mieux.

Et puis, vous vous souvenez de Lisa Cook. La gouverneure de la FED accusée par Trump d’avoir bidouillé ses demandes de prêts immobiliers – eh bien son avocat contre-attaque et explique que les “incohérences” sont soit exactes à l’époque, soit de simples erreurs de case cochée, sans intention de fraude. Il démonte le signalement de William Pulte (boss de la FHFA), l’accusant de cibler les ennemis politiques de Trump tout en oubliant opportunément certains Républicains. Trump veut virer Lisa Cook du board de la Fed en s’appuyant sur ces soupçons, mais les tribunaux ont bloqué la manœuvre et la Cour suprême tranchera en janvier sur une question explosive : le président peut-il dégager un gouverneur de la Fed en cours de route ? Derrière ce feuilleton juridique, l’enjeu est énorme : si Trump gagne, il ouvre la porte à une Fed beaucoup moins indépendante, avec la peur que la politique monétaire devienne un simple outil au service du politique plutôt qu’un garde-fou contre l’inflation, mais ça c’est l’histoire qu’on abordera au printemps prochain. Dans longtemps. Très longtemps.

Les chiffres et le reste…

Côté chiffres du jour, il n’y aura pas grand-chose, si ce n’est la production industrielle, mais ça n’est pas ça qui va changer le monde, surtout à la veille de ce qui nous attend demain. On notera quand même les chiffres de Home Depot, Vinci et Baidu qui sont attendus aujourd’hui.

Bref, on est suspendu à la journée de demain, soit tout repart, soit il va falloir changer de métier. Bon, quand je vous dis ça, je plaisante. Mais une chose est sûre, les attentes pour demain sont tellement énormes, que l’on est incapables de se projeter plus loin que demain soir… Jeudi matin est une zone de non droit, un nouveau monde inconnu…. En attendant, la prudence est de mise. Passez une excellente journée et on se voit demain matin pour de nouvelles aventures qui risquent bien de ressembler aux mêmes aventures que ce matin…

À demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

“To live is the rarest thing in the world. Most people exist, that is all.”
― Oscar Wilde