Ces marchés sont fantastiques. Il y a 24 heures nous étions encore en pleine euphorie. Palantir venait de publier des chiffres à limite du hors du commun, les signaux d’alertes clignotaient dans tous les sens, mais tout le monde s’en foutait comme de son premier stop-loss, si vous aviez l’outrecuidance de vous montrer méfiant sur l’avenir du marché, vous aviez toutes les chances de vous faire insulter et dès que le marché reculait de 0.2%, tout le monde hurlait au BUY THE DIP dans tous les sens. Et puis, il a suffi d’un tweet et de deux commentaires de chez Goldman et Morgan, pour que tout d’un coup le vent tourne et que le discours se transforme : et si c’était trop cher ?
L’Audio du 5 novembre 2025
Et si et si ???
Depuis sept mois, les marchés montaient comme si la gravité n’existait plus. Et là, d’un coup, le doute s’installe : “Et si on était allés un peu trop loin ?” Hier les marchés ont commencé à se poser des questions. Alors ne me faites pas dire ce que j’ai pas dit, ça n’est pas encore une correction, ni un sell-off et encore moins un « krach boursier », mais disons que le ton n’est plus le même et l’expression d’un sentiment « bearish » beaucoup plus clair se dessine dans les médias financiers. Et pourtant Trump n’a pas tweeté, il ne s’en est pas pris à Poutine ou à Xi Jinping et il n’a pas non plus annoncé de nouvelles taxes douanières contre le Canada, le Mexique et la Suisse. Pourtant, les taux américains se sont un peu calmés, signe que certains sont en train de se mettre en position d’atterrissage d’urgence et sur les écrans de trading, c’était le carnage sur tout ce qui portait l’étiquette “IA”. Palantir s’est fait dégommer de 8 %, Nvidia a perdu 4 %, et même les valeurs les plus solides du moment, les Microsoft, Meta, Alphabet ou Amazon — ont baissé.
Alors pourquoi ce bain de sang aussi soudain qu’inattendu dans une ambiance de publications trimestrielles plutôt bonnes et parfois excellentes ? Eh ben tout simplement parce qu’un trader mythique est ressorti de son terrier. Michael Burry, le type qui avait flairé la crise des subprimes en 2008, a pris des positions short sur ces mêmes titres. Et il l’a annoncé, comme à son habitude. Résultat : petite panique du mardi matin. Et pourtant, si on creuse dans son « track record », Michael Burry n’a pas toujours eu raison depuis le Big Short qui a fait sa légende. Mais le fait qu’actuellement le marché soit cher et « pricé à la perfection » – comme le disait un analyste hier soir, fait qu’il suffit d’un rien pour que les vieilles angoisses de la surévaluation nous reviennent en pleine face. Et soudainement, tout le monde est en train de changer de discours. Les ultra-bullishs se font plus discrets et les discours de fin du monde reprennent le dessus de façon brutale. Un peu comme si les textes étaient écrits depuis longtemps et que l’on attendait juste le bon moment pour tout vendre en hurlant : « ON VOUS L’AVAIT DIT !!! »…
Les patrons de Wall Street sentent le vent tourner
Et puis alors – comme si l’intervention de Michael Burry ne suffisait pas – il a fallu que deux grands pontes de Wall Street se lâchent plus ou moins en même temps dans les médias. Ils sont réalistes, ne paniquent pas, mais ils sont tendus. Ils sentent que le marché chauffe trop, que c’est trop cher. Et soudainement, tout le monde est d’accord avec eux. David Solomon de chez Goldman Sachs, prédit une baisse de 10 à 20 % des actions dans les 12 prochains mois (et c’est pas la première fois qu’il le dit). Et son presque homologue de chez Morgan Stanley, Ted Pick, trouve qu’une correction de 10 à 15 % serait “saine” pour les marchés. En gros, on pourrait se faire momentanément défenestrer, mais c’est pour notre bien, pour notre santé et celle des marchés. Et aussi pour créer de vraies opportunités d’achats et pas des « BUY THE DIP » à deux balles après une baisse de 0.32% sur Nvidia.
Il faut dire qu’il n’y a pas besoin d’être dans ce métier pour comprendre que tout est cher et que tout est haut et que depuis quelques temps, ça devenait trop facile de faire du fric ; il suffisait d’acheter et d’attendre trois jours pour revendre en argumentant sur l’IA ou le fait que Powell allait baisser les taux. Mais avec un shutdown du gouvernement américain qui entre dans son 35ème jour et qui bat un nouveau record de longévité, l’absence de données économiques fiables (pour autant que les données économiques eurent été fiables un jour) et Powell qui continue à jouer à l’indécision sur les taux, l’ambiance devient électrique. Les attentes de profits sont délirantes : +11,6 % cette année, +14,1 % en 2026. On croirait lire le pitch d’une start-up qui veut lever des fonds. Sauf que là, on parle de méga-caps qui valent plus de 2’000 milliards. Et du coup, quand les gros banquiers qui tiennent le marché et les Hedge Funds Managers mythiques commencent à lâcher des phrases du genre : “Ce serait bien que ça baisse un peu.” Quand ceux qui habituellement te vendent du rêve, viennent te t’expliquer qu’il FAUT redescendre sur terre, c’est rarement bon signe. Les marchés n’ont donc pas aimé. Le Nasdaq s’est pris la plus grosse taule de ces 30 derniers jours, le Japon était en plongée de 4% pour fêter ça (avant de se reprendre un peu) et les futures sont POUR UNE FOIS, toujours dans le rouge. Comme pour dire : cette fois ça ne sera pas aussi simple.
L’endettement facile
Les marchés sont donc en plein doute ce matin et – comme je le disais plus tôt dans cette chronique – le ton « bon enfant et rassurant » est en train de changer. Du coup, il y a deux-trois histoires qui remontent à la surface. Des histoires que l’on gardait discrètement loin des plateaux télé pour ne « pas gâcher » la fête. Et là, on parle de montages financiers et d’Elon Musk. Encore lui. Hier Tesla s’est pris 5% dans les dents, entre autres parce que le fonds souverain norvégien a promis de voter contre le plan de rémunération à 1’000 milliards de dollars. Elon prépare déjà son prochain tour de magie financière : un SPV de 20 milliards de dollars pour son projet xAI. L’idée de base est assez simple : il veut acheter des puces Nvidia et se les louer à lui-même. À ce niveau, ce n’est plus de la finance, c’est de l’art comptable.
Et c’est là que ça devient croustillant. Les géants de la tech, qui dépensent des centaines de milliards par an dans leurs data centers dédiés à l’IA, commencent à sentir la charge financière. Selon une récente note de Bank of America, ces dépenses bouffent presque tout leur cash flow. Et comme on ne peut pas tout financer en cash éternellement, ils ressortent une vieille ficelle : les SPV — les Special Purpose Vehicles. Un SPV, c’est donc une société créée juste pour un projet ou une dette spécifique, souvent pour sortir le risque du bilan principal d’une entreprise. En clair : une boîte “annexe” qui permet de cacher la poussière sous le tapis sans que ça se voie trop dans les comptes. Pour faire simple : les mêmes structures “hors bilan” qui avaient servi à planquer les CDO’s avant la crise de 2008. Et Musk n’a rien inventé : Meta a levé 30 milliards via un SPV nommé Beignet Investor LLC (je n’invente rien) pour un data center en Louisiane. Alphabet a vendu 15 milliards de dette à 50 ans, Oracle 18 milliards, et tout le monde se refinance jusqu’à l’infini. Les « experts » disent que c’est juste pour “isoler le risque des projets”. Bien sûr. Mais quand le risque devient un produit qu’on revend pour rassurer tout le monde, on n’est jamais très loin d’une partie de Jenga géant qui se joue sur un tanker en pleine tempête. Sauf qu’au lieu de crédits immobiliers pourris, ce sont des racks de serveurs et des GPU Nvidia. Alors ça n’est pas À CAUSE de ça que ça baissait hier et que le doute s’immisçait dans les salles de trading, mais disons qu’il est toujours fascinant de voir que dès que le vent tourne, on nous ressort direct les merdes que l’on n’osait pas aborder en pleine euphorie. Bref, hier on a baissé et on espère que c’est juste encore une MAGNIFIQUE occasion de racheter. Mais il faut dire que cette fois, tout ceux qui veulent vendre depuis le mois d’avril sont dans les starting-blocks et ils donnent de la voix. Peut-être plus fort que ce à quoi nous étions habitués ces derniers mois.
L’Asie
Ce matin L’Asie s’est donc pris la vague venue de Wall Street en pleine figure : le Nikkei et le KOSPI ont plongé de plus de 4 %, emportés par la peur que les valeurs tech soient devenues trop chère. Et que tout ce qu’on a vu ces derniers mois n’était finalement qu’un rêve. Samsung, Hynix et SoftBank se sont fait déboîter, pendant que les traders comptaient les milliards qui s’envolaient. Les stars d’hier sont devenus les victimes d’aujourd’hui et les déclarations à l’emporte-pièce des Dieux de Wall Street n’ont pas aidé. L’Asie a paniqué et même les services chinois montrent des signes de fatigue. Pour faire simple : la fête de la tech tourne à la gueule de bois globale.
Et comme si ça ne suffisait pas, le Bitcoin a décidé de s’inviter à la fête. La crypto-star a plongé sous les 100’000 dollars pour la première fois depuis le mois juin, en baisse de plus de 20 % depuis ses records du 6 octobre. Les autres cryptos suivent : Ethereum -5 %, Solana -8,5 %, XRP -5,5 %. Il n’y pas de raison spéciale pour la baisse. Mais on peut trouver des arguments, un hack sur une plateforme DEFI, la perte de confiance soudaine sur la tech et deux-trois baleines qui allègent les portefeuilles et vous avez le bain de sang d’hier. À l’heure qu’il est le Bitcoin est de retour au-dessus des 100’000, à 102’000$. Le pétrole est à 60.63$, l’or est à 3’976$, le rendement du 10 ans est de 4.07% et le Barron’s publie un article en gros titres qui explique que les gros clients vont se planquer dans les bonds à cause de cette soudaine incertitude. On n’est pas loin du KRACH ANNONCÉ en direct sur CNBC. Et je rappelle pour mémoire que les KRACHS ANNONCÉS, c’est comme le monstre du Loch Ness, on en a beaucoup entendu parler, mais on ne les a jamais vus…ou alors très tard dans la nuit avec 4 grammes par jambe.

Les nouvelles du jour
Du côté des news du jour à retenir, mis à part le crash d’un Boeing d’UPS à Louisville qui met immédiatement Boeing sous le feu de projecteurs et le New York politique qui vient de virer à gauche toute avec Zohran Mamdani qui a été élu maire de la ville – Mamdani devient le maire le plus à gauche depuis des générations. Reste à voir s’il pourra transformer ses promesses ambitieuses (voire utopiques) en réalité, dans une ville qui ne laisse aucun répit à ceux qui la dirigent. Mais mis à part, le reste des choses qui nous intéressent, se trouve du côté des résultats du trimestre et des sanctions qui vont avec. AMD a sorti un trimestre solide comme un roc : bénéfice mieux que prévu, chiffre d’affaires au-dessus du consensus, et des ventes dopées par l’IA et le retour en force des PC et autres consoles. Les puces pour data centers grimpent de 22%, les processeurs PC et consoles explosent de 73%, nouveau record pour la maison. Lisa Su continue son plan “déloger Nvidia du trône IA” — avec un récent accord pour alimenter OpenAI en puissance avec la MI450 l’an prochain.
Guidance positive pour le trimestre à venir…mais malgré ce sans faute, le marché, en pleine crise de nerfs anti-tech, a vendu la nouvelle : l’action était en baisse de 3.6%.
Super Micro a relevé sa guidance — mais le marché n’a vu que le côté obscur de la force.
Le fabricant de serveurs prévoit désormais au moins 36 milliards de revenus pour l’exercice, contre 33 auparavant, et anticipe un second trimestre entre 10 et 11 milliards, bien au-dessus des attentes. Problème : les marges fondent. La marge brute est tombée à 9,3 %, contre 13,1 % il y a un an — signe que la guerre des prix fait rage dans les serveurs IA, désormais plus “commoditisés” que stratégiques. Résultat : le titre a plongé de 9 % after-close, les investisseurs craignant que la croissance se fasse désormais au détriment de la rentabilité. Le PDG reste confiant, évoquant un carnet de commandes “explosif” — dont 13 milliards d’ordres Blackwell Ultra— mais Wall Street, lui, commence à douter de la crédibilité du miracle Super Micro. Et en plus, personne n’a confiance en ce CEO… Et puis il y avait aussi Pinterest qui a publié des résultats mitigés : bénéfice ajusté à 0,38 $ par action contre 0,42 $ attendu, mais un chiffre d’affaires conforme à 1,05 milliard $. Le nombre d’utilisateurs atteint un record de 600 millions, surtout à l’international, où ils génèrent moins de revenus. Les prévisions pour le 4ème trimestre et l’impact des droits de douane sur les annonceurs américains ont déçu, entraînant une chute du titre de 18 %. Pinterest tente de se réinventer comme plateforme de shopping visuel dopée à l’IA. Malgré tout, le titre reste en hausse de 16 % depuis le début de l’année et est jugé bon marché, avec un potentiel de rebond d’environ 30 % selon les analystes.
Et sur 4 roues
Du côté de ce qui roule, Uber a sorti des chiffres plutôt pas mal : chiffre d’affaires au-dessus des attentes bénéfice record gonflé par un bonus fiscal, et 22 % de trajets en plus – du jamais vu depuis 2023. Mais derrière la fête, les prévisions pour le prochain trimestre refroidissent l’ambiance : la croissance des réservations devrait ralentir, signe que le moteur commence à chauffer. Résultat : le titre s’est pris une claque de plus de 5 % durant la séance. Et puis chez Ferrari, on a remis un coup de gaz : bénéfice net au-dessus des attentes chiffre d’affaires en hausse de 7,4 % à 1,77 milliard €, et un mix produit toujours plus luxueux — autrement dit, ils vendent moins, mais mieux. Après une grosse sortie de route boursière en octobre, Maranello rassure en confirmant ses ambitions pour 2025 avec un objectif relevé à plus de 7,1 milliards €. Le patron parle de croissance durable, les investisseurs, eux, respirent enfin. Ferrari reste fidèle à sa recette : rareté, prestige, et un moteur qui ronronne même quand les marchés toussent. Mais pas un moteur électrique.
Et puis ce matin, Novo Nordisk, le fabricant d’Ozempic, a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour ses traitements contre le diabète et l’obésité, plombé par la concurrence et la pression sur les prix. Le bénéfice net du trimestre ressort à 20 milliards de couronnes danoises, en ligne avec les attentes, mais le marché n’a pas aimé le ton plus prudent. L’engouement pour Wegovy et Ozempic reste fort, mais la guerre des prix s’intensifie, tout comme la bataille avec Pfizer pour racheter la biotech américaine Metsera. Résultat : le titre a déjà perdu plus de 50 % cette année — le roi danois du poids plume commence à sentir la pesanteur. D’ailleurs côté publications du jour ; nous aurons encore McDo, Robinhood, Qualcomm, Arm et Snap pour mettre l’ambiance.
Côté chiffres économiques, le Shutdown est toujours en place, mais il y aura des ISM et des PMI’s. Et également les chiffres de l’emploi ADP. Pour le moment les futures sont légèrement en baisse et tentent de refaire surface. Quoi qu’il en soit, ce matin l’ambiance a changé, ça ne va peut-être pas durer parce qu’on veut quand même croire à notre bull market forever, mais les doutes sont devenus insidieux et les prédicateurs de mauvais augure sont un peu plus nombreux et peut-être un peu trop célèbres !
Excellente journée à tous et on se revoit demain à la même heure et au même endroit !
Thomas Veillet
Investir.ch
« A hero is an ordinary individual who finds the strength to persevere and endure in spite of overwhelming obstacles. »
Christopher Reeve