Le début de semaine américain n’a pas été facile. Les traders digèrent toujours les problématiques de la tech et n’arrivent pas à se positionner clairement en attendant les chiffres de l’emploi prévus tout à l’heure. Les indices ont reculé gentiment, sans panique mais sans conviction non plus. On parle de rotation de secteurs, on parle de se positionner sur des choses plus défensives, les banquiers centraux parlent, spéculent, expliquent, mais pour l’instant – aussi fou que ça puisse paraître – personne ne parle d’acheter sur faiblesse, le « BUY THE DIP » et absent du dictionnaire depuis quelques jours. Signe des temps ou la trouille de fin d’année, il reste 15 jours pour y répondre.
L’Audio du 16 décembre 2025
Deux salles deux ambiances
Hier le Nasdaq a continué sur sa lancée baissière et perdait 0.59%, le S&P500, plus diversifié, reculait de 0.16% et le Dow Jones, tout le monde s’en fout. Il n’y avait pas besoin d’avoir fait les grandes écoles de bourse pour savoir que les marchés US restaient sur la lancée de la semaine dernière, l’hémorragie Oracle et la déception relative chez Broadcom a clairement laissé des traces et en attendant d’y voir plus clair, il est plus simple de chercher des zones pour se planquer et se mettre à couvert qu’autre chose. Le message semblait clair : cette semaine, ce ne sont plus les discours qui comptent, ce sont les chiffres. Et surtout le rapport sur l’emploi de novembre qui sortira en début d’après-midi. Le consensus parle de seulement 50’000 créations d’emplois, mais au vu des données à notre disposition, autant jouer le consensus aux fléchettes, on sera probablement plus proches de la vérité que le BLS ne le sera jamais. Autant dire qu’à cause du shutdown, le doute est encore plus présent que d’habitude.
Dans ce contexte, la Fed vient de faire ce qu’elle pouvait : troisième baisse des taux consécutive, clairement motivée par les inquiétudes sur le marché du travail. Officiellement, on maintient les projections jusqu’en 2028. Officieusement, tout le monde sent que l’emploi devient le vrai sujet, bien plus que l’inflation. D’ailleurs, sur l’inflation, c’est un joyeux bordel. Certains membres de la Fed expliquent que l’inflation “réelle” serait en fait beaucoup plus basse que les chiffres officiels, une fois qu’on enlève le logement et les effets comptables un peu fumeux – bien sûr cette interprétation vient des hommes de Trump alors que d’autres restent beaucoup plus prudents. Bref, les dissensions sont toujours bien présentes et ça ne va pas s’arranger avec le changement de patron de dans 5 mois.
Une rotation classique
Pour faire très simple, en attendant les chiffres de l’emploi, la séance américaine a été marquée par une rotation classique. La tech a souffert, pendant que des secteurs plus défensifs comme la santé ont tenu le choc. Le marché commence à regarder les valorisations de l’IA avec un œil un peu plus critique que le reste de l’année. Et puis, il faut dire qu’il y a que de la casse. iRobot s’est effondré après s’être mis en faillite, ServiceNow se faisait démonter, parce qu’on a peur que l’emploi dans le secteur tech rigole un peu moins en 2026 et Broadcom continue de glisser dans le sillage de la semaine dernière. Le titre a perdu 18% depuis les tops historiques et si l’on en croit la théorie des gaps, il y a encore de la place pour une trentaine de dollars. À moins que la hype IA revienne pour sauver le monde avant d’ouvrir les cadeaux.
On notera au passage que si la saison des trimestriels est bien terminée, nous aurons encore quelques publications qui vont donner le pouls de l’économie qui vont nous tomber dessus cette semaine ; Micron qui publiera demain, histoire de voir s’il y a de l’espoir dans le secteur des semiconducteurs, puis Nike et Fedex qui sortiront jeudi, histoire de voir si la consommation tient le coup et si le consommateur ne se fait pas massacrer par les taux d’usures pratiqués par leurs vendeurs de cartes de crédit. En résumé, la conclusion est presque simple : le marché n’est pas inquiet, mais il n’est plus serein non plus. Il attend une seule chose — savoir si l’économie ralentit doucement… ou si elle commence vraiment à caler. On devrait avoir notre réponse cette semaine.
En Europe et de par chez nous
Si les Américains étaient un peu dans le coltard, c’était une autre ambiance en Europe. Attention, on ne va pas dire que c’était euphorique et qu’on y voyait nettement plus clair qu’à New York. On regarde et on attend les mêmes choses – l’emploi, toujours l’emploi – l’inflation, toujours l’inflation. Mais disons que c’était au moins dans le vert. Un vert synonyme d’attentisme, mais un vert quand même. Le CAC repassait au-dessus des 8’100 points avec une hausse de 0.7%. Le DAX avançait péniblement de 0.18% et la Suisse se rapproche gentiment des plus hauts de tous les temps, mais les derniers mètres sont les plus difficiles. Le SMI progressait quand même de 1.16%, ce qui est bien au-dessus de la moyenne du Vieux Contient pour cette journée du 15 décembre.
N’oublions pas que jeudi la BCE sera de sortie. La BCE qui ne devrait pas toucher à ses taux. Christine Lagarde devrait surtout prolonger le statu quo et gagner du temps, l’inflation étant sous contrôle et l’économie européenne suffisamment résiliente pour attendre. Hier, le DAX progressait timidement. La macro étant plutôt rassurante à court terme : la production industrielle de la zone euro rebondit, confirmant que l’économie ralentit mais ne décroche pas. Mais en revanche, les prix de gros remontent en Allemagne, rappelant que l’inflation n’a pas totalement disparu du paysage. À Paris, la séance a été pénalisée par Sanofi, après l’échec d’un essai clinique et le report d’une décision de la FDA aux États-Unis. En Suisse la hausse n’était pas uniquement due à notre statut de marché défensif, mais aussi à la révision des perspectives économiques à la hausse – dans le sillage des droits de douane, bien sûr. Les prévisions de croissance sont relevées pour 2025, 2026 et 2027, et le KOF confirme cette lecture. L’inflation continue de reculer, laissant à la BNS une marge de manœuvre confortable.
L’Asie
Ce matin, les marchés asiatiques étaient dans le rouge – encore – et encore une fois, c’est sous la pression des valeurs technologiques, toujours pénalisées par les doutes qui planent sur l’IA à Wall Street. L’incertitude sur les chiffres économiques à venir n’aide pas à trouver joie et confiance. Le Nikkei est en baisse de 1.58% – inutile de vous dire qu’à Tokyo on est toujours angoissé rien qu’à l’idée du meeting de la BOJ qui commence jeudi et qui donnera le ton au reste de l’année ce vendredi. Je ne vous réexplique pas le concept de l’inflation qui repart, des taux qui pourraient monter et du carry-trade qui pourrait exploser – puisque c’est pas sûr pour le moment. La tech est également responsable du plongeon made in Hong Kong, puisque le Hang Seng est en baisse de presque 2% à l’heure où je vous parle. En Chine, les indices ont reculé d’environ 1.2% sur fond de signaux économiques décevants et de nouvelles inquiétudes autour de la dette immobilière, notamment chez China Vanke – oui, moi non plus je ne sais pas ce que c’est. Mais en fouillant un peu, on apprendra rapidement que China Vanke, l’un des derniers grands promoteurs immobiliers chinois encore debout, est en difficulté sérieuse. Le groupe n’a pas réussi à convaincre ses créanciers de reporter le remboursement d’une obligation, ce qui fait remonter le risque de défaut. Le problème est symbolique : Vanke était considéré comme “soutenu par l’État”, donc relativement sûr. Si même Vanke vacille, c’est tout le secteur immobilier chinois qui tremble à nouveau. Les marchés y voient un signal clair : la crise immobilière en Chine est loin d’être terminée, et le filet de sécurité public a ses limites. C’est visiblement reparti pour un tour….
Du côté du baril, le pétrole continue de faire exactement l’inverse de ce que la géopolitique devrait lui dicter. Malgré les tensions, malgré l’Ukraine, malgré la Russie, malgré le Venezuela, le WTI est tombé lundi à son plus bas niveau depuis près de cinq ans, autour de 56$ le baril. La raison est simple et pas très glamour : il y a trop de pétrole. L’OPEP+ pompe, les producteurs américains et occidentaux pompent aussi, et pendant ce temps-là, la demande mondiale progresse mollement. Résultat, les stocks gonflent et le baril recule. Alors oui, il y a bien quelques soutiens théoriques, des attaques ukrainiennes sur les infrastructures russes, une demande chinoise un peu meilleure le mois dernier et les USA qui sont plus agressifs envers le Venezuela, allant jusqu’à saisir un pétrolier. Mais pour l’instant, ça ne suffit pas. Le marché regarde les flux, pas les gros titres. L’or est à 4’317$ et les cryptos se sont encore fait défoncer hier. Les liquidations continuent, le Bitcoin est à 86’000$, l’Ether est sous les 3’000$, la peur est omniprésente dans le secteur et je ne suis pas certain que la remontée des taux japonais va aider le rebond dans l’immédiat.

Musk toujours plus riche
Dans les histoires à retenir du moment, Tesla a encore fait du Tesla : flirter avec ses records historiques sans jamais conclure. Mais le vrai sujet n’est pas là. Le vrai sujet, c’est l’histoire que Wall Street recommence à se raconter. Pour Daniel Ives de Wedbush, Tesla entre dans une année « monstrueuse », non pas grâce aux voitures, mais grâce à l’IA, la conduite autonome, les robotaxis et la robotique. Valorisé aujourd’hui autour de 1’500 milliards de dollars, le groupe pourrait, selon lui, doubler à 3’000 milliards en un an, porté par une activité IA qui vaudrait à elle seule au moins 1’000 milliards. Rien que ça. On connaît l’enthousiasme de Ives, mais son discours a suffi à relancer la machine et à rappeler que Tesla n’est plus traitée comme un constructeur automobile, mais comme une option géante sur le futur, où la voiture devient un logiciel sur roues.
N’oublions pas que Tesla avance très concrètement. Depuis des mois, la société teste des services de transport autonome à Austin et en Californie, encore supervisés par des humains. Mais ce week-end, Elon Musk a annoncé que la conduite totalement autonome, sans supervision, était quasiment prête. Des Tesla sans personne à bord roulent déjà à Austin, avec un objectif clair : retirer l’humain d’ici la fin de l’année. Si ce pari fonctionne, le modèle économique change radicalement. Tesla ne vend plus seulement des voitures, mais du logiciel, de l’abonnement et de la marge récurrente. Aujourd’hui, seuls 12% des clients paient le Full Self Driving ; Ives voit ce chiffre dépasser 50%. À cela s’ajoute encore un facteur politique potentiellement favorable ; la simplification réglementaire dès 2026 pour accélérer l’IA et l’autonomie face à la Chine. Et l’histoire ne s’arrête pas aux robotaxis : Cybercab et Optimus, attendus en 2026, nourrissent une narration puissante, parfaitement alignée avec le plan de rémunération stratosphérique de Musk. Tesla vaudra-t-elle vraiment 3’000 milliards dans 12 mois ? Pas sûr. Mais une chose est certaine : le marché a décidé d’y croire de nouveau.
Coup d’arrêt à Détroit
Pendant que Musk voit très loin, Ford appuie sur la touche “retour à la réalité”. La facture est lourde : 19,5 milliards de dollars de writedown, c’est le prix à payer pour admettre que le pari du tout-électrique n’a pas fonctionné (pas de polémique, pas de polémique, mais quand c’est de la daube, c’est de la daube). Les ventes de voitures électriques se sont effondrées de plus de 60 %, les subventions ont disparu, et les clients n’ont pas suivi. Ford coupe donc dans le vif et abandonne le F-150 Lightning, ainsi que plusieurs projets 100 % électriques, et retour aux fondamentaux — pick-up rentables, hybrides et modèles à autonomie étendue. Pas d’idéologie, du pragmatisme. On ne parle plus d’écologie, on parle de rentabilité. Et paradoxalement, le marché aime ça. Ford a relevé ses prévisions de bénéfices pour 2025, autour de 7 milliards de dollars. L’électrique n’est pas abandonné, mais redimensionné : modèles plus petits, moins chers, et une rentabilité repoussée à plus tard. En attendant, Ford investit dans le stockage d’énergie, là où il y a du cash et de la demande. Ford ne renonce pas au futur, il refuse juste de le payer à perte.
La journée qui nous attend
Aujourd’hui, tout tournera autour des NFP’s. Le rapport de novembre tombe en début d’après-midi et servira de thermomètre officiel — même si, avec le shutdown, personne ne sait vraiment à quoi s’attendre, le consensus parle de 50’000 créations d’emplois, mais la fourchette réelle est large, très large. Dans tous les sens. Un chiffre faible serait paradoxalement bien accueilli par les marchés, car il renforcerait l’idée que la Fed peut continuer à baisser les taux. Et un chiffre trop solide, en revanche, relancerait les doutes sur l’inflation et pourrait remettre un peu de pression sur les actifs risqués.
En parallèle, on surveillera encore la tech, toujours fragile, les cryptos, qui restent sous pression, et le pétrole, incapable de rebondir malgré la géopolitique. En Europe, l’attentisme domine avant la BCE jeudi, tandis qu’en Asie, la nervosité reste palpable à l’approche de la BOJ. Bref, journée potentiellement calme… jusqu’à 14h30, après ça sera pile ou face…
Très belle journée à tous, merci d’être là tous les matins et à demain pour le débrief de l’emploi !
Thomas Veillet
Investir.ch
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― Marilyn Monroe