Vous n’avez pas pu rater la chose, hier c’était le 1er décembre, le premier jour du dernier mois de l’année. Un début de semaine qui commençait mal sans que l’on sache trop pourquoi. Les performances étaient mauvaises partout dans le monde sans que l’on ressente pour autant tant de panique que ça. Les intervenants semblent accueillir la baisse comme une opportunité. Pourtant on sentait quand même quelques doutes au niveau de l’économie et ça n’est pas l’ISM qui va dire le contraire. L’économie n’est pas au top, mais c’est pas grave, parce que du coup, la baisse des taux c’est presque une certitude. Et puis quand on voit l’optimisme des commentaires sur la tech… Attention au retour des bulls…
L’Audio du 2 décembre 2025
Il fallait compenser (ou décompenser)
Hier les marchés ont baissé. Le S&P500 a perdu 0.5%, le Nasdaq 0.4%, le Dow Jones abandonnait 0.9%. Et pendant ce temps, en Europe, c’était pire. Le Dax reculait de 1%, la France de 0.32% et la Suisse était en hausse de 0.13% parce qu’y en n’a point comme nous. La Suisse terminait en hausse à cause du luxe et de plusieurs upgrades et aussi parce que les poids lourds ne baissaient pas. En France on a surtout parlé d’Airbus qui s’est trouvé de nouveaux problèmes de qualité sur des panneaux métalliques de l’A320. Selon eux, tout est sous contrôle, pas de raison de paniquer et de prendre le train, mais le marché lui, A PANIQUÉ comme si un Airbus avait perdu un moteur en plein vol… Au pire de la séance, le titre perdait 10%, mais il a un peu comblé ses pertes en fin de séance. Mais moins 5.8% quand même. Il faut dire que tout ça arrive trois jours après un rappel urgent pour un logiciel vulnérable aux radiations solaires. Le calculateur en question est fabriqué par Thales, qui jure qu’il n’y est pour rien, mais qui termine quand même avec une baisse de 2.6% parce qu’il faut quand même être solidaire.
C’était plus compliqué en Allemagne. Chez eux c’était plutôt macro-économique. Et ça sera d’ailleurs et des gros sujets du jour aux USA aussi. On va le voir dans 30 secondes. Le PMI manufacturier allemand est retombé à 48,2, son plus bas en neuf mois. Les usines allemandes ont la dynamique d’un spaghetti trop cuit. Mais la vraie claque vient des nouvelles commandes, encore en chute libre. Il n’y a plus de demande. Et pas certain que ça reprenne à l’aube des grandes vacances de fin d’année. Depuis juillet 2022, le PMI reste coincé sous le 50 : l’industrie allemande voit la croissance… mais de loin et reste spectatrice pour le moment. Par contre, la production tient encore debout, mais emplois, commandes et stocks crient au secours. En résumé, le secteur manufacturier donne l’impression d’aller mieux… mais dès qu’on fouille un peu sous la surface, ça donne envie de partir en courant.
De l’autre côté de l’Atlantique…
Et puis aux USA on sortait de cinq jours de hausse, on s’était habitué à tout ce vert un peu partout et puis en même temps, c’est la saison du vert et des sapins, ça aurait du bien se passer. Et puis on s’est souvenu que décembre c’est aussi la saison du rouge – rapport au mec avec la veste rouge, les rennes et la barbe blanche et le camion Coca-Cola… Bref, hier on a créé le DIP aux USA, reste à voir si les acheteurs compulsifs que nous sommes vont tomber dans le piège. Dans la baisse d’hier – baisse qui était tout de même bien contrôlée parce qu’il faut bien avouer que l’on était quand même bien loin d’un krach boursier – il était quand même très intéressant de voir que la baisse a impacté tout le monde. Même les « utilities » qui sont censés (en général) offrir un certain soutien au marché. Et les obligations ont même aussi décidé de s’y mettre. Quand la partie « ultra-sécuritaire » du marché se met à trembler, c’est rarement un signe que la confiance déborde. On sent d’ailleurs depuis un moment qu’on reste convaincus de la hausse des marchés et de la baisse des taux dans 8 jours, mais qu’on a quand même deux-trois doutes qui pèsent sur le moral.
On sentait pas mal de doutes sur des secteurs du marchés qui ne sont pas ceux que l’on met généralement en avant dans les médias. On a vu que, du côté des options, les protections « anti-krach » sont devenues plus chères, ce qui signifie qu’on veut bien croire que la fin de l’année sera bullish et optimiste, et couronnée par une baisse des taux de Papa Powell, mais on préfère quand même y aller avec un casque, des gants et un équipement adéquat, histoire de ne pas se faire tacler au-dessus du genou d’entrée de mois. Et c’est là que l’étrangeté de la séance d’hier m’a frappé en plein visage. On avait un discours que l’on qualifiera « d’optimistico-prudent » et en même temps, on parle dans tous les sens du « potentiel de l’IA » et de certains des secteurs qui on fait de 2025 une année qui aura quand même été mythique. Pourtant si l’on creuse dans la séance d’hier, il y avait une certaine aversion au risque qui était presque palpable.
La peur du risque
Le meilleur exemple de la journée d’hier c’est le Bitcoin. Déjà qu’il est en baisse de 35’000$ sur deux mois, hier on en remettait une couche qui remettait l’existence même d’une forme de rebond en question. Strategy a laissé entendre que ses prochains résultats ne seraient pas au top à cause de la mauvaise ambiance sur le secteur crypto et au pire de la journée, la vedette des crypto trader est passée brièvement sous les 84’000$. Ça va un peu mieux ce matin, puisqu’à l’heure où je vous parle, nous sommes de retour à 87’000$. Mais force est de constater que l’appétit au risque, c’est pas le truc à la mode. Enfin, pas hier en tous les cas.
La vraie source de stress du jour vient peut-être du Japon: les taux longs nippons ont atteint un plus haut de 17 ans. Et quand le Japon commence à choper la grippe aviaire, c’est jamais bon pour les marchés obligataires mondiaux qui montrent immédiatement leur incapacité à gérer la pression. Par contre, quand je dis que « La vraie source de stress du jour vient peut-être du Japon », ça reste du conditionnel. Du conditionnel parce que tout le monde parle du sujet mais avec un ton décontracté qui laisse à penser qu’on s’en fout royalement et que le Japon, les taux japonais et le carry trade n’intéresse absolument personne, sauf pour se faire mousser à l’apéro de fin d’année de chez Goldman Sachs. Enfin : pour le moment, on s’en fout. Bref, hier on a commencé le mois de décembre en baissant, en doutant et en montrant qu’on avait envie d’y aller mais seulement si on n’y allait pas tout seul. Oui, on le sait, statistiquement, décembre c’est un mois bullish. Et encore plus en année post-électorale, puisqu’on a 74% de chances de finir positif. Sur 100 ans, c’est même le deuxième meilleur mois de l’année. Autrement dit : décembre devrait être sympa. Mais comme toujours avec les stats : ça marche très bien… jusqu’au jour où ça ne marche plus. Et hier on avait comme un doute, même si on n’arrivait pas trop à expliquer le pourquoi du comment.
L’Asie et le PMI américain
Ce matin, l’Asie a ouvert en mode « optimiste mais pas trop », dopée par l’idée que la Fed pourrait baisser les taux dès la semaine prochaine. Oui vous noterez l’originalité de la réflexion du matin. Mais peu importe, tant que ça monte, autant que les espoirs de baisses des taux nous sauvent la mise, c’est le cadeau de Noël avant l’heure. Il faut dire que les chiffres dégueulasses du PMI US qui est sorti à 48,2 ont encore renforcé les paris sur un assouplissement de la part de la FED. Le KOSPI s’envole de 1,5%, le Japon tente le rebond, mais c’est dur et ça se limite à 0.4%, il faut dire que les mots prononcés hier par Ueda font encore saigner les oreilles de certains traders, la crainte d’une hausse des taux reste dans l’esprit de tous et il faudra plus de 24 heures pour passer à autre chose. L’Australie et Singapour grignotent quelques points, pendant que la Chine est en baisse de 0.5% et que Hong Kong remonte de 0.7%. En résumé, on veut bien croire en Powell, mais va pas falloir qu’il nous plante mercredi prochain.
Mais revenons deux minutes sur le sujet du PMI manufacturier qui est retombé à 48,2 en novembre : neuvième mois de contraction. L’industrie US n’est pas morte, mais ça devient poussif. Rappelez-vous quand même qu’hier matin on attendait un chiffre à 49.3, après celui d’octobre qui était à 48.7 – soit une situation d’amélioration. Toujours en zone de contraction, mais « moins pire ». Sauf que là, c’est encore plus en contraction et c’est plus pire que c’était pire avant. J’aurais tendance à dire « dégueulasse » ou « tout pourri », mais comme on est entre gens de bonne famille, on va rester poli. Néanmoins, les nouvelles commandes replongent, les backlogs s’évaporent et l’emploi continue de reculer. On produit un peu plus, oui, mais sans demande et sans embaucher. Les prix montent encore, les délais fournisseurs raccourcissent (donc la demande faiblit), et les stocks restent trop bas. Rien n’est aligné. Au total, si l’on creuse un peu le rapport, 58% du PIB manufacturier est en contraction, 39% en contraction sévère. Quelques survivants (food, machinery, électronique) s’en sortent, le reste se fait laminer par les tarifs, l’incertitude politique et le bazar administratif. Les commentaires des entreprises sont unanimes : stress, coûts, confusion, logistique chaotique, clients qui n’osent plus planifier. Même l’IA « confuse » influence la demande.
L’ISM de novembre raconte une histoire simple :
• L’industrie américaine ne s’effondre pas.
• Mais elle n’a aucun momentum.
• Tarifs, politique et paperasse plombent tout.
• Les boîtes gèrent les effectifs comme si 2026 allait être un hiver nucléaire.
• La demande intérieure hésite, l’export cale, les prix montent.
Pas une récession immédiate…mais exactement le paysage d’un secteur manufacturier qui est au bord du gouffre et qui s’apprête à faire un grand pas en avant.

Et pourtant on y croit…
Alors maintenant vous pouvez relire ces trois pages ou réécouter ces 8 minutes de podcast, vous verrez que tout ça n’est pas très optimiste. Le Japon nous donne de l’urticaire, mais on l’ignore. L’économie n’a pas l’air en forme, mais la FED va baisser les taux, l’incertitude et le doute nous oppresse. Toutes les planètes sont alignées pour que l’on tienne comme on peut jusqu’au 10 décembre et qu’on se fasse un « sell the news » pour boucler l’année. Pourtant, à côté, lorsque vous lisez la presse du matin, il n’y a QUE des commentaires hyper-optimistes sur l’IA. D’un côté chez Apple on salue l’arrivée d’un « expert en IA » qui va tout changer la politique d’Apple sur le sujet. Après tu tombes un article à propos de Meta. Oui, Meta qui s’est pris 15% dans les dents depuis ses derniers résultats parce que Zuckerberg veut claquer 100 milliards dans l’IA d’ici 2026 — mais selon un analyste, c’est déjà financé : les outils IA de Meta génèrent 60 milliards par an rien qu’en pub. Pendant que Wall Street panique comme en 2022 avec le Metaverse, la croissance pub est repartie à +20%, preuve que l’IA imprime de la valeur à tour de bras. En gros : Meta dépense beaucoup, oui… mais c’est comme acheter un jet privé quand tu as déjà la piste d’atterrissage — et pour cet analyste, le titre a encore 70% de potentiel sous le capot.
Et puis c’est pas tout, ce matin je suis encore tombé sur une explication de texte au sujet de Nvidia. Une explication qui te donne envie de vendre un rein pour acheter une partie de la boîte de Jensen Huang. Oui, ça paraît dingue, mais Nvidia est presque “bon marché” en 2025 : le titre se traite à 25x les bénéfices futurs, un niveau qu’on n’avait plus vu depuis ses phases de 2022 et 2023… juste avant qu’il reparte entre 30x et 40x. Historiquement, c’est le point où les bulls sortent l’artillerie lourde. Actuellement, le marché panique parce que Broadcom serait le nouveau patron : Nvidia se traite avec 40% de discount par rapport à Broadcom, alors qu’en général, on est plus proche du 10%. Tout ça parce que les analystes imaginent Broadcom lui voler 10 points de part de marché IA. Problème : les clients ne peuvent pas switcher. Nvidia a la priorité chez TSMC, ses GPU tournent partout, et les TPU de Google… n’existent que chez Google (pour le moment). Quand une boîte imprime 51 milliards de revenus data centers en un trimestre — soit 14x le marché TPU — tu comprends vite qui tient le volant. Conclusion : Nvidia n’est pas bon marché au sens propre, mais bon marché par rapport à Nvidia. Et chaque fois que ça arrive, le titre repart comme un avion de chasse livré en Ukraine. L’offre est tendue, la demande est monstrueuse, la techno est dominante, et Jensen vend des GPU comme d’autres vendent des croissants. Bref : Nvidia est en promo — et quand Nvidia est en promo, les bears finissent en carpaccio. Et pour couronner ma chasse aux articles méga-optimistes de ce matin, je suis également tombé sur un autre analyste, qui lui pense que les craintes sur Oracle sont exagérées et que le titre à un potentiel de hausse de 90% à court terme.
Tout ça pour vous dire…
Tout ça pour vous dire que ce matin, je suis un peu interloqué. D’un côté on a un début de mois en baisse avec des aspects macro qui ne sont pas tops et qui ne laissent rien augurer de bon. La seule chose qui nous sauve les fesses, c’est le fait que ces chiffres ne font que mettre la pression sur Powell pour la baisse des taux. Mais alors que tout à l’air de se désagréger d’un côté, de l’autre on assiste à un retour des commentaires ultra-bullishs sur l’IA et tout ce qui tourne autour. Même Musk a recommandé d’investir dans Google et Nvidia dans un podcast hier. Nous avons donc une espèce d’ambivalence avec d’un côté des doutes et de la peur, pendant que de l’autre on nous parle de performances délirantes. Mais où est Michael Burry ?
J’avoue qu’il n’est pas simple de prendre position ce matin, alors que les avis sont aussi partagés et divergents. On se croirait aux USA à écouter un débat entre Démocrates et Républicains à propos du budget. Pour le reste, on notera que Nvidia prend une participation de 2 milliards dans Synopsis, que Trump est optimiste sur un accord de paix entre la Russie et l’Ukraine, mais que tout le monde n’est pas d’accord avec lui. Shopify est tombé en panne hier, en plein Black Friday. Les droits de douane avec la Corée sont descendus à 15%. Et puis, selon Bloomberg, la récente correction des cryptos a effacé un milliard d’investissements en levier… Pour le reste, le pétrole est à 59.42$, l’or est à 4’250$, le rendement du 10 ans US est à 4.09%, l’auction des obligations japonaises s’est bien passée ce matin et c’est rassurant et le Bitcoin est à 87’000$.
Côté chiffres
Aujourd’hui nous aurons le CPI en Europe et les JOLTS, on va pouvoir reparler de l’emploi. Pour le moment, les futures sont pratiquement inchangés. On se retrouve donc avec un marché qui avance de travers : macro dégueulasse, industrie poussive, Japon stressant… et un début de décembre qui ressemble plus à un rappel de factures qu’à un calendrier de l’Avent.
Mais en face, l’IA joue les pompiers-volontaires : Meta “déjà financée”, Nvidia “en promo”, des analystes qui annoncent +70%, +90%, et Musk qui recommande Google comme si c’était un antibiotique. Résultat : un marché schizophrène, partagé entre peur du vide et foi religieuse dans les semi-conducteurs et l’IA. On veut croire au bull market, mais on avance casque sur la tête, parce qu’on sait que Powell peut encore tout casser mercredi prochain. Bref : on doute, on espère, on flippe… et on rachètera peut-être le dip quand même.
Bienvenue en décembre. Et attachez vos ceintures. On se voit demain !
Thomas Veillet
Investir.ch