Alors là tout de suite, je ne sais pas quoi vous dire. J’ai tellement l’impression que tout ce que je peux vous raconter rappelle furieusement ce que je vous ai déjà dit hier, que j’ai l’impression d’être bloqué dans une bulle temporelle qui nous fait revivre la même chose encore et encore. Oui, la FED va baisser les taux. Oui l’emploi va mal, mais pas si mal que ça parce que selon certains chiffres c’est « moins pire » que le mois précédent. Oui, l’IA est un vrai challenge et c’est là qu’il y a de la croissance. Non ce marché ne veut pas baisser et OUI, on va battre encore des records avant la fin de l’année. On tourne en rond en attendant le PCE et la FED.

L’Audio du 5 décembre 2025

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Le jour de la marmotte

Le S&P500 termine en hausse de 0.11%, le Nasdaq avance de 0.22%. Rien que la taille de la performance d’hier devrait donner des indices sur le fait qu’on n’ose plus rien faire avant la publication du PCE cette après-midi et de la FED mercredi prochain. On est tétanisé et à chaque publication, on resasse les mêmes interrogations : « est-ce que c’est assez mauvais pour l’économie pour que Powell baisse les taux et donc il faut acheter pour anticiper la baisse des taux ? » ou alors « est-ce que finalement l’économie ne va pas si mal et c’est pour ça qu’il faut acheter et aller chercher les plus hauts de tous les temps ? »… En gros, le début de la question n’est pas très importante, ce qui a réellement de l’importance, c’est le fait que dans tous les cas de figure, on envisage d’acheter et pas de vendre.

Je ne vais pas vous rabâcher les mêmes histoires en boucle – oui parce qu’au bout d’un moment, ça devient chiant – mais il faut tout de même reconnaître que là tout de suite, nous attendons la baisse des taux et que ça sera probablement notre moteur pour la fin de l’année. Qu’ensuite on se réjouira de prévoir l’arrivée en mai d’un nouveau patron de la FED qui va être plus DOVISH que la pire des colombes obsédées par la baisse des taux et qu’en attendant le prochain meeting de la FED (qui est agendé en toute fin du mois de janvier), on va continuer à s’enthousiasmer sur les baisses de taux à venir, ce qui devrait inévitablement emmener le S&P500 au-delà des 7’000 points dans les jours à venir. Sans compter que la FED vient de terminer son fameux quantitative tightening – le fameux QT – cousin éloigné et pendant technique du QE (quantitative easing) et que dans cet environnement, Powell et ses potes ont de la munition pour nous soutenir et il n’y a plus de raisons que ça baisse. Déjà qu’il n’y en n’avait pas beaucoup avant…

La réflexion du matin

Et puis, je dois vous dire qu’en surfant sur les médias financiers ce matin – en dehors du fait que j’étais totalement subjugué par le fait qu’il n’y avait vraiment pas grand-chose à raconter, je me suis rappelé une réflexion que m’avait faite mon ami « le Trader Masqué » et qui m’avait dit : « de toutes façons avec Noël qui approche, les taux qui vont baisser et le fait qu’on n’a pas de chiffres macros qui tiennent la route avant mi-décembre, ils ne vont jamais lâcher ce marché et il faut juste acheter sur la moindre faiblesse, ça ne sert à rien de vouloir aller à contre-courant ».

C’est en effet une réflexion phénoménale d’une logique implacable. Les bourses mondiales ont fait preuve d’une force et d’une résilience exceptionnelle cette année et lorsque l’on regarde ce qui nous attend du côté des taux US, on continue de nous arroser de tout le carburant nécessaire pour aller plus haut. On en parlait encore hier : les mauvaises nouvelles sont utilisées pour justifier la baisse des taux et donc ; c’est bullish et les bonnes nouvelles sont utilisées pour montrer qu’en fait ; oui, tout va bien et donc c’est bullish ». Le meilleur exemple de la journée d’hier – enfin, celui qui a attiré mon regard – c’est le nombre de personnes qui ont été licenciées cette année.

Résultat : 1’200’000 licenciements annoncés depuis janvier. Une bricole. Une hausse d’à peine 54 % sur un an. Franchement, il n’y a vraiment pas de quoi paniquer. Selon le cabinet Challenger Gray & Christmas, c’est tout simplement le total le plus haut depuis 2020. Pas besoin de vous rappeler ce que l’on faisait en 2020. Mais alors ATTENTION… Ces chiffres font super-peur, mais il y a une excellente nouvelle au milieu de tout ça. On pourrait appeler ça le miracle de novembre : les suppressions d’emplois ont baissé de 53 % par rapport à octobre. Fantastique nouvelle : on licencie encore beaucoup, mais au moins on le fait plus doucement. Un peu comme arracher un sparadrap, mais délicatement. Le patron de Challenger Gray & Christmas explique : « Les plans de licenciement ont diminué le mois dernier et c’est un signe positif ». Et puis, juste après cet élan d’optimisme exacerbé, il a quand même expliqué que bon, les licenciements de novembre ont quand même dépassé les 70’000, un seuil franchi seulement deux fois depuis 2008. Mais ne paniquons pas : 70’000, aux États-Unis, c’est un gros match de NBA. On a vu pire. Bref, les chiffres étaient moches, mais c’était « moins pire », donc tout va bien. Les records sont à nos portes et on n’a peur de rien puisque la seule route à suivre c’est la hausse. Je suis même prêt à prendre les paris que le PCE de tout à l’heure sera « parfaitement en ligne avec les attentes » et que le fait que l’inflation soit « sous contrôle » (toujours trop haute, mais sous contrôle), devrait nous rassurer pleinement et emmener le marché vers les 6’950 points. Les records vont tomber ce soir.

Les choses qui ne vont pas

Le plus étonnant dans tout cela, c’est que tout ne va pas bien, mais actuellement, c’est impossible d’avoir une réflexion rationnelle en regardant la « big picture ». Si j’avais voulu et si j’avais le temps, ce matin j’aurais pu vous faire deux chroniques : la version bullish et la version bearish… Sauf que personne n’aurait lu la version bearish, parce que personne ne veut entendre ce qui ne va pas. Et le pire, c’est que dans les deux versions, il y aurait eu les mêmes infos, c’est simplement la manière de les interpréter qui diffère. Tenez, prenez par exemple le cas des puces pour l’IA à destination de la Chine. Vous le savez, le gouvernement US a resserré les boulons et empêché les fabricants de puces IA d’exporter en Chine pour pas que la Chine gagne la bataille de l’IA trop vite. Sauf que depuis quelques jours et surtout depuis 24 heures, on entend que Trump pourrait se montrer magnanime et faciliter ces exportations, Huang passe son temps à passer la pommade au Président et AMD vient d’annoncer qu’ils étaient chauds comme une baraque à frites pour payer 15% de taxes pour pouvoir exporter en Chine.

Sur ces nouvelles, on s’excite comme des puces sur le dos d’un chien, on se dit que ça y est, Nvidia qui avait totalement biffé le moindre revenu en provenance de la Chine allait voir sa croissance exploser encore un peu plus ! Tout le monde est content et hyper-motivé sur l’IA. Ce qui est troublant c’est que personne ne parle du fait que la Chine a répété à plusieurs reprises qu’ils ne voulaient pas de ces puces (pour le moment). On se retrouve donc LÀ AUSSI dans cas typique du verre à moitié plein ou du verre à moitié vide. Actuellement, on ne veut pas lire, pas entendre et ne pas intégrer les mauvaises nouvelles. À moins qu’elles servent le narratif de baisse des taux. Il ne faut pas chercher plus loin. Nous sommes dans un marché qui fonctionne aux sentiments optimistes et tant que cette manière de faire ne changera pas, il n’y a vraiment pas de raison que ça baisse.

Les nouvelles qu’il faut retenir

Mis à part ce marché de sentiment et cette conviction ultime de voir les taux baisser encore et encore, stratégie et manière de penser qui est le moteur de la hausse de ces deux dernières années, on notera que Meta a pris près de 4% hier parce qu’on s’autorise à penser que les investissements dans le Metavers vont être réduits de 30%. Snowflake a publié de bons chiffres, mais a foiré sa guidance ; résultat : -11%. Et puis Trump parle de changer les normes pour les véhicules à moteur thermique. Pour faire simple il veut marcher sur une des lois de Biden qui favorisait les voitures électriques et tout le secteur a explosé en Europe. Même Porsche a pris plus de 4%, chose qui ne lui était plus arrivé depuis un moment.

Et puis ce matin, la Banque centrale indienne a sorti le taille-crayon et coupé son taux directeur de 25 points de base, comme prévu. Officiellement : quelques faiblesses économiques. Officieusement : ça commençait à sentir le sapin. Pourtant, la croissance du pays cartonne (+8.2%), pendant que l’inflation est dans le coma. Mais derrière la vitrine, ça tousse : production industrielle au plus bas depuis 14 mois, PMI qui pique du nez, exportations vers les États-Unis en chute libre – merci les droits de douane. New Delhi tente de compenser en coupant la TVA locale avant la saison des fêtes, mais ça rame. Le taux directeur indien est dorénavant de 5.25%. Pendant ce temps, en Chine, il y a eu une IPO. Moore Threads – le fameux “Nvidia chinois” – a fait son entrée à Shanghai en mode « fusée au décollage » : +400%. L’action a explosé de 114 yuans à près de 585. Pour ce qui est de la rentabilité, on verra plus tard. Pour l’instant, c’est l’enthousiasme national qui compte. Toutes les grandes maisons de brokerage chinois ont porté l’IPO comme si c’était la naissance de Simba dans le Roi Lion, pendant que la société expliquait qu’elle a besoin des 1,1 milliard levés pour accélérer le R&D, développer des GPU maison pour l’IA et… payer les factures du quotidien. Le plus drôle c’est que Moore Threads est toujours sous sanctions américaines depuis 2023, donc privée des technologies les plus avancées. Et malgré ça, les investisseurs se ruent dessus comme si Jensen Huang allait venir leur livrer des cartes graphiques en personne. Bref : la Chine pousse à fond l’indépendance technologique, et Moore Threads devient le symbole parfait de “on va y arriver, même si Washington nous met des bâtons dans les roues”.

Au Japon

Arrive maintenant le sujet du Japon. Ce matin le Nikkei se fait démonter et se refait le chemin inverse de la hausse de la veille. La préoccupation du moment c’est bien sûr les mots du patron de la BOJ qui font mal. On les a pas trop entendu hier, mais ça a finalement fait son chemin dans nos cerveaux et celui des traders japonais. On commence à croire qu’une hausse des taux à 0.75% est dans le domaine du possible, mais en occident on refuse – pour le moment – de considérer que ça pourrait être un problème contagieux chez nous aussi. Le rendement du 10 ans japonais est à 1.94%. On se revoit pour le break-out des 2%. Le Nikkei est en baisse de 1.4%, le pétrole est à 59.50$, l’or qui bénéficie toujours du momentum des banques centrales qui achètent encore et encore. Le métal jaune est à 4’250$, le rendement du 10 ans US est à 4.10$ et le Bitcoin est à 92’000$.

Côté chiffres, nous aurons donc le PIB européen, la confiance du consommateur version Université du Michigan, le personal spending et BIEN SÛR, il y aura le PCE qui devrait sortir à 2.8% sur 12 mois… Si c’est 2.7%, on va direct à 6950 sur le S&P500. Les futures sont légèrement en hausse ce matin, what else ? Ce marché n’est pas câblé pour baisser en ce moment, alors on achète sur faiblesse et on arrête de se poser des questions au moins jusqu’à mercredi prochain jour de la FED…

Très belle journée à tous et excellent week-end ! On se voit lundi en pleine forme après deux jours de repos.

À lundi !

Thomas Veillet
Investir.ch

“But better to get hurt by the truth than comforted with a lie.”
― Khaled Hosseini