A la suite d’une érosion des taux d’emprunt hypothécaire depuis trois mois, on observe des signes de stabilisation du secteur résidentiel. Confiance des promoteurs, mises en chantiers, ventes de maisons s’étaient effondrées en 2022 (mais pas l’emploi), amputant la croissance du PIB réel. Le point bas est peut-être atteint. La question suivante est celle d’une éventuelle reprise. Une condition essentielle est que les logements redeviennent plus abordables, mais pour cela, les prix et/ou les taux d’emprunt devraient baisser bien davantage. Concernant les prix, l’ajustement est graduel et partant long à faire sentir ses effets. Concernant les taux, il faudrait un pivot de la Fed qui ne se dessine pas encore.
Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste
Le durcissement des conditions financières a précipité la chute du secteur résidentiel et pesé sur l’activité globale. A lui seul, la baisse de l’investissement résidentiel (3% du PIB) a amputé la croissance d’environ 1 point en 2022. Depuis peu, il y a des signes d’accalmie (graphe). La confiance des constructeurs a repris 4 points en janvier (-53pts en 2022), les mises en chantiers de maisons individuelles ont rebondi de 11% en décembre (après -33% depuis leur pic), les promesses de ventes de maisons ont enregistré leur première hausse en 13 mois. Le taux d’emprunt hypothécaire s’était envolé quand la Fed a amorcé son virage monétaire, passant d’environ 3% début 2022 à plus de 7% en novembre. Depuis, il recule dans la direction de 6%. Est-ce le prélude à un rebond de la demande de logements et de la construction résidentielle?
Il y a un obstacle de taille à une reprise soutenue du secteur immobilier, c’est que, dans des conditions standard de prêt hypothécaire et de revenu, l’achat d’une maison n’a jamais été aussi difficile depuis 2005, au pic de la bulle du crédit subprime. Pour payer une mensualité de prêt, la durée moyenne de travail est 50% supérieure à sa moyenne prépandémie (graphe). Pour revenir à une situation plus normale, il faudrait soit une forte baisse des taux, soit une forte baisse des prix des maisons, ou une combinaison des deux effets. Toutes choses égales par ailleurs, avec un taux d’emprunt à 5%, les prix devraient baisser de l’ordre de 10 à 20%, effaçant une large part de la hausse enregistrée durant la pandémie. Il n’y a pas eu d’excès de crédit cette fois-ci, et l’on ne doit pas craindre une vague de défauts causant des ventes forcées, à leur tour pesant sur les prix et entraînant de nouveaux défauts, etc. Finalement, si la correction des prix reste graduelle, comme c’est le cas depuis six mois, le surcoût sera absorbé sur une longue période via une hausse des revenus. Quant aux conditions d’emprunt, elles sont largement conditionnées par la politique monétaire. A ce jour, la Fed n’en a pas encore tout à fait fini avec le resserrement, et est encore moins disposée à faire machine arrière.
Economie
Si la consommation des ménages a été plutôt résistante au T4 2022, en hausse de 2.1% t/t en rythme annualisé, à peu près comme au T2 et T3, le rapport mensuel sur le revenu et les dépenses des ménages montre un net fléchissement en cours de trimestre. Les dépenses en volume ont ainsi baissé de-0.2% m/m en novembre, puis de 0.3% en décembre. Le taux d’épargne qui avait touché un point bas à 2.4% en septembre s’est repris pour ressortir à 3.4%. Cela reste toujours très inférieur à la moyenne prépandémie (>8%), ce qui signifie que les ménages continuent de tirer sur leur « épargne Covid ». L’indice d’inflation PCE poursuit sa décrue à 5.0% sur un an (soit -0.5 pts vs novembre) et à 4.4% pour l’indice sous-jacent (-0.3 pts).
Au T4 2022, l’Employment Cost Index confirme une amorce de ralentissement. La rémunération totale a augmenté de 1.0% t/t (5.1% sur un an), après +1.2% au T3 et +1.3% au T2. Avant la pandémie, le gain moyen de l’ECI était de 0.7% par trimestre; il y aurait donc actuellement un « surcoût » de l’ordre de 1.2% par an. Le rythme actuel de progression des coûts du travail n’est pas en ligne avec la cible d’inflation de 2% mais plutôt indicatif d’une inflation dépassant un peu 3%. A noter que la modération de l’ECI doit un peu plus à la partie « primes » qu’à la partie « salaires ».
En novembre, les prix des maisons ont poursuivi leur recul amorcé à la mi-2022. L’indice S&P/Case-Shiller, en baisse de 0.6% m/m, se situe 3.6% sous son pic. Dans les métropoles de la côte ouest comme San Francisco, San Diego ou Seattle, la baisse avoisine ou même dépasse 10% par rapport au pic. L’indice FHFA enregistre un repli plus modeste des prix: -0.1% m/m, -1% vs pic.
En décembre, l’enquête du Conference Board livre une image mitigée du moral des ménages. Les conditions courantes continuent de se redresser. L’indice d’abondance de l’emploi est au plus haut depuis septembre, une évolution à mettre en relation avec le rebond des ouvertures de postes dans le dernier rapport JOLTS (>11M). L’indice Challenger qui recense les annonces de licenciements s’est nettement accru ces derniers mois. Simultanément, les inscriptions au chômage restent faibles (moins de 200k). Ce n’est pas nécessairement contradictoire dans un marché du travail fluide et tendu, ce qui semble être le cas. A l’opposé, les anticipations des ménages rechutent, c’est leur troisième baisse en quatre mois.
En janvier, l’indice ISM de confiance des directeurs d’achat du secteur manufacturier a continué de fléchir ressortant à 47.1 (-1 point). L’indice des nouvelles commandes s’enfonce en territoire récessif (-2.7pts à 42.5). Deux des 18 branches indiquent une activité en hausse, part inchangée par rapport à décembre. L’indice des prix pays suggère que les pressions continuent de s’atténuer.
Politique monétaire et budgétaire
Comme attendu, le FOMC a voté à l’unanimité le 1er février une 8ème hausse de taux directeur à la file, mais cette fois de 25pdb, après +50pdb en décembre et +75pdb en novembre. Au total, la hausse cumulée est de 450pdb. Le communiqué du FOMC note pour la première fois que l’inflation a un peu diminué, quoique toujours élevée.
Dans ses commentaires, Jerome Powell a laissé entendre que la Fed envisageait encore deux hausses de taux de 25pdb avant de faire une pause. C’est exactement en ligne avec la vue médiane du FOMC en décembre dernier qui mettait le pic à 5.1% (donc une fourchette des fonds fédéraux à 5-5.25%). Dans le scénario de la Fed, qui est un ralentissement sans récession, une baisse de taux cette année n’est pas appropriée, a rappelé le président de la Fed. Interrogé sur les vues du marché qui attend un assouplissement dès l’été, il s’est contenté de noter que cela traduisait un profil de désinflation plus rapide que celui de la banque centrale.
A suivre cette semaine
Après l’avalanche de statistiques de cette semaine, c’est le calme plat dans les jours prochains (l’indice UoM de la confiance des ménages le 10 février). Après chaque réunion du FOMC, nombre de ses membres seront sur les ondes pour marteler le message, dont Jerome Powell le 7 février. Si le président de la Fed estime n’avoir pas été compris/entendu par les marchés, ce sera l’occasion de rectifier le ton.
Le 7 février, Joe Biden prononcera le discours sur l’état de l’Union devant une session du Congrès présidée par Kevin McCarthy, le chef des républicains à la Chambre. Kevin McCarthy a été reçu à la Maison Blanche cette semaine. Le discours pourrait être l’occasion d’aborder divers sujets budgétaires, dont la question du plafond de dette fédérale que le GOP veut utiliser pour amener l’administration démocrate à accepter des baisses de dépense.
Sources : Thomson Reuters, ODDO BHF Securities