Si les États-Unis ont longtemps boudé le ballon rond, les jeunes Américains sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser. Un marché dynamique et prometteur pour les clubs locaux, mais aussi les marques de sportswear et les plateformes de streaming.

Performances de l’équipe nationale féminine, transfert de Lionel Messi, rumeurs sur celui d’Antoine Griezmann et bientôt coupe du monde 2026… le football ou “soccer”, comme l’appellent les Américains, a le vent en poupe outre-Atlantique.

Cette nouvelle passion du public américain pour le ballon rond fait les choux gras des clubs de la Major Soccer League (MLS), la principale ligue de football professionnel en Amérique du Nord, qui génèrent de plus en plus d’argent et attirent un nombre croissant d’investisseurs.

2023.09.28.Soccer

Des clubs de plus en plus rentables…

Après avoir décroché le titre de la saison 2022 (une saison coïncide grosso modo avec une année calendaire), le Los Angeles Football Club est devenu le premier club américain valorisé à plus d’un milliard de dollars. En l’espace de quatre ans, sa valorisation (475 millions en 2019) a ainsi plus que doublé. Il faut dire que le club, qui a vendu l’intégralité de ses places pour chaque rencontre disputée depuis 2019, a dégagé l’an passé un chiffre d’affaires de 116 millions de dollars, et un profit de 8 millions, des chiffres qui devraient encore s’accroître cette année.

L’équipe de soccer du Golden State n’est pas un cas isolé: depuis 2019, la valorisation moyenne des équipes de la MLS a grimpé de 85%, pour atteindre 579 millions de dollars, tandis que leur chiffre d’affaires moyen se situe à 55 millions de dollars. Celles-ci sont parvenues à attirer un public fidèle: la MLS a rassemblé en moyenne 22’000 personnes par match la saison passée, et certains clubs, comme Atlanta, Charlotte et Seattle attirent régulièrement plus de 30’000 spectateurs. 72% des amateurs de soccer américains vont voir au moins un match par saison dans un stade.

L’Inter Miami, longtemps l’un des moins bons clubs de la MLS, bénéficie de son côté à plein de l’effet Messi : les reventes de billets ont crû de 1 700% depuis l’arrivée de l’international argentin par rapport à la même période l’an passé, et pour un récent match disputé contre Philadelphie, certaines places se sont vendues plus de 16 000 dollars. «Pour chaque rencontre, l’intégralité des places est désormais vendue. Il y a vraiment eu un avant et un après Messi», note Ed Desser, président de Desser Sports Media Inc, une entreprise de conseil spécialisée dans le sport.

… et convoités

En outre, la ligue, qui compte actuellement 29 équipes, en aura bientôt une supplémentaire, San Diego, grâce à un investissement de 500 millions de dollars du milliardaire égyptien Mohamed Mansour, qui a accepté de débloquer cette somme pour monter une équipe dans cette ville de Californie du Sud. Il bat ainsi le record de 325 millions de dollars dépensés par David Tepper, un autre milliardaire, pour fonder le Charlotte FC, 29e club de la ligue.

Irwin Kishner, avocat spécialisé dans le milieu du sport chez Herrick Feinstein, note ainsi qu’un nombre croissant de clients sont intéressés pour investir dans des clubs de football. «De tels investissements sont perçus comme de plus en plus rentables, dans un contexte où les contrats de marketing, de produits dérivés, de sponsors et de publicités ne cessent d’augmenter», note l’avocat.

La manne des produits dérivés

D’autant que les fans américains sont prêts à mettre la main au portefeuille pour soutenir financièrement leur club. 71% d’entre eux achètent ainsi régulièrement des produits dérivés de leur équipe favorite, avec le maillot comme choix privilégié. S’habiller comme un footballeur est même devenu un phénomène de mode, le “Blokecore”, qui fait fureur sur les réseaux sociaux.

Là encore, l’effet Messi joue en la faveur de l’Inter Miami, qui a vu les ventes du maillot de la star argentine battre celles de tous les autres maillots, tous sports confondus, sur juillet et août. Une excellente opération pour Adidas, fournisseur officiel de l’équipe.

Lors de la victoire de l’équipe féminine américaine à la coupe du monde 2019, c’est Nike qui avait touché le jackpot, accroissant ses ventes de maillots de 200% par rapport à la coupe du monde précédente. Celle de cet été s’est également avérée une bonne affaire pour la marque américaine, qui a lancé une campagne marketing en amont de la compétition pour faire la promotion du football féminin, ainsi qu’une collection de vêtements en édition limitée portés par l’équipe nationale américaine avant leur premier match. 8% des produits footballistiques féminins vendus par la marque ont été épuisés durant l’événement, selon l’agence Reuters. Adidas lui grille toutefois la politesse avec 21% de produits épuisés.

«Les sponsors vont bénéficier d’un effet multiplicateur: la plus grande popularité du sport entraîne davantage de ventes de produits dérivés, qui génèrent davantage de revenus pour les sponsors et les clubs, permettant la construction de nouveaux stades, de meilleures infrastructures et de nouveaux contrats avec des hôtels, des restaurants, ce qui renforce encore la popularité du soccer et donc les ventes de produits dérivés…», résume Irwin Kishner.

La poule aux œufs d’or du streaming

La popularité croissante du soccer aux États-Unis constitue aussi naturellement une opportunité pour les plateformes qui diffusent les rencontres. 93,2% des fans de soccer américains regardent au moins un match chez eux par semaine, en streaming ou via leur télévision, et plus de la moitié d’entre eux regardent entre deux et quatre rencontres hebdomadaires.

2023.09.28.Streaming

Apple l’a bien compris : la marque à la pomme a récemment signé un contrat avec la MLS pour obtenir l’exclusivité des droits de diffusion dans le monde entier sur les dix prochaines années. Coût de l’opération: 2,5 milliards de dollars. «Il me paraît certain que les fans vont continuer à augmenter leurs dépenses pour pouvoir visionner leur sport favori, et que la vidéo à la demande va prendre une place croissante. On voit cela avec la NFL (la ligue de football américain) qui a récemment réorienté une partie de ses droits sur le streaming. Les plateformes comme Apple ont d’immenses quantités de liquidités disponibles et peuvent battre les chaînes de télévision traditionnelle pour l’obtention des droits», analyse Irwin Kishner.

La marque à la pomme tire elle aussi les dividendes de l’effet Messi: depuis l’arrivée de celui-ci à l’Inter Miami, les abonnements au MLS Season Pass ont doublé. Un documentaire sur la star argentine doit également être tourné et diffusé sur Apple TV+.

La trajectoire empruntée par les autres sports les plus populaires aux États-Unis permet d’envisager un avenir similaire pour le soccer. Amazon Prime Video diffuse les matchs du jeudi soir de la NFL, YouTube TV ceux du dimanche, et en plus de son accord avec la MLS, Apple TV+ a également acquis les droits pour certaines rencontres de baseball. Au total, d’après les recherches de Parks Associates, un cabinet d’intelligence de marché, le chiffre d’affaires du streaming sportif aux États-Unis était de 13,1 milliards de dollars en 2022, et devrait doubler pour atteindre les 22,6 milliards en 2027.  En outre, les fans de soccer sont les plus enclins à payer pour ce type de services, toujours selon Parks Associates.

Vers un nouveau modèle de diffusion des matchs sans frontières?

Mais les amateurs du ballon rond américain ne s’intéressent pas uniquement à la MLS. Les ligues européennes, et en particulier la Premier League anglaise, généralement considérée comme la meilleure au monde, remportent également un franc succès auprès du public américain. Cette saison, les matchs de la Premier League, diffusés sur NBC, rassemblent en moyenne 527’000 spectateurs aux États-Unis, en hausse de 3% par rapport à la saison dernière.

En juin dernier, Apple a toutefois refusé de faire une offre pour la diffusion des matchs de la Premier League au Royaume-Uni sur Apple TV+. Motif? La marque à la pomme s’intéresse uniquement aux contrats qui lui permettent de diffuser les matchs partout dans le monde. «Ce qui importe pour nous, ce sont les droits internationaux», a ainsi affirmé Eddy Cue, vice-président senior des services et logiciels internet, au medium britannique The Mirror.

Apple est actuellement en discussion avec la Bundesliga, elle aussi populaire chez les fans américains, pour acquérir les droits de diffusion de la ligue allemande à l’international. Derrière l’évolution de la diffusion du soccer aux États-Unis et la mainmise des plateformes de vidéo à la demande, c’est peut-être bien tout le marché mondial de la diffusion du sport qui pourrait bientôt en être transformé.