L’accord se concentre pour l’heure sur quelques secteurs clefs : l’automobile, l’acier et l’agriculture, avec un futur élargissement prévu au domaine pharmaceutique. S’il ne cause pas de véritable révolution et n’efface pas complètement les dégâts causés par la guerre commerciale de Donald Trump, il offre des opportunités aux entreprises opérant dans certains domaines stratégiques. Explications.

Après d’âpres négociations durant lesquelles chacun des deux camps a envisagé à plusieurs reprises de jeter l’éponge, les États-Unis et le Royaume-Uni ont finalement signé un accord de libre-échange le 8 mai dernier. En discussion depuis la sortie effective du Royaume-Uni de l’UE, l’accord a connu un coup de fouet après le «Liberation Day», le 2 avril dernier, lors duquel Donald Trump a menacé un grand nombre de pays de droits de douane prohibitifs s’ils ne signaient pas un traité de libre-échange avec lui. Celui que Washington a conclu avec Londres est le premier de ce que la Maison-Blanche espère être une longue liste.

L’accord est une bonne nouvelle pour Donald Trump, qui fait ainsi preuve de son «art du deal», sa capacité à convaincre ses partenaires commerciaux de s’asseoir à sa table pour négocier en les menaçant de mesures punitives. Le président américain entend ainsi obtenir des accords plus favorables aux États-Unis, qu’il estime (ce qui est pour le moins discutable) être les grands perdants du libre-échange et de la mondialisation.  Mais c’est aussi une bonne nouvelle pour le parti travailliste, au pouvoir au Royaume-Uni. Confronté à la nécessité de faire des économies pour équilibrer son budget, le gouvernement a désespérément besoin de croissance pour rétablir ses comptes sans trop tailler dans ses dépenses sociales, au risque de braquer son électorat.

Le parti au pouvoir, qui vient de perdre des élections locales face au parti Reform UK, le parti anti-immigration de Nigel Farage, avait également besoin de succès visibles pour redresser sa cote de popularité. Voici donc un accord politique qui arrange les deux parties. Qu’en est-il des bénéfices économiques ? Quels sont, des deux côtés de l’Atlantique, les secteurs et les entreprises les plus à même de tirer leur épingle du jeu suite à cet accord ?

Automobile : champagne pour les marques de luxe britanniques

«Les principaux bénéficiaires seront l’automobile, l’acier, l’aluminium, et peut-être l’industrie pharmaceutique dans un deuxième temps», estime Alan Winters, économiste spécialiste des politiques commerciales à l’université du Sussex.

Le premier secteur concerné par l’accord de libre-échange est effectivement l’automobile, le secteur de l’économie britannique qui exporte le plus vers les États-Unis, à hauteur de neuf milliards de livres sterling par an.

Les droits de douane de 27,5% que Donald avait prévu d’appliquer sur les véhicules britanniques importés au Royaume-Uni sont ramenés à 10% pour les 100’000 premiers véhicules exportés chaque année, ce qui correspond grosso modo au nombre annuel de véhicules britanniques exportés vers les États-Unis. Une mesure qui va principalement profiter aux marques de luxe britanniques, qui sont les principales à exporter de l’autre côté de l’Atlantique. C’est le cas de Jaguar Land Rover, qui réalise environ 20% de ses ventes globales sur le marché américain, d’Aston Martin et de Rolls-Royce, notamment.

L’accord de libre-échange donne un avantage compétitif à celles-ci face aux rivales allemandes comme Mercedes-Benz, BMW et Audi, principales concurrentes des constructeurs de luxe britannique sur le marché américain. En l’absence d’un accord de libre-échange entre l’UE et les États-Unis, celles-ci seront en effet toujours taxées de 27,5%.

Le Royaume-Uni a également évoqué la possibilité de réduire ses propres droits de douane de 10 % sur l’automobile américaine, ce qui pourrait profiter à Ford, General Motors et Stellantis, principaux exportateurs des États-Unis vers le Royaume-Uni, mais rien n’a pour l’heure été officialisé.

De l’acier britannique à bas coût pour l’industrie américaine

Deuxième secteur concerné : l’acier et la métallurgie, l’un des chevaux de bataille de Donald Trump, qui rêve de réindustrialiser l’Amérique et de redonner une place de choix à cette industrie dans l’économie de son pays. Tous les droits de douane prévus sur les exportations d’acier britanniques sont supprimés, là où les autres aciéristes souhaitant vendre sur le marché américain feront face à des tarifs de 25%. Une excellente nouvelle pour Tata Steel et British Steel, donc. «De légères concessions sur l’agriculture ont permis un énorme répit pour les usines et forges britanniques», s’est ainsi félicité Liam Byrne, élu travailliste.

Les États-Unis constituent le second marché pour l’exportation de l’acier britannique, derrière l’UE, avec environ 400 millions de dollars de livres sterling d’exportations annuelles, selon UK Steel, un lobby industriel. Le gouvernement travailliste a fait de la préservation de cette industrie l’une de ses priorités, comme l’illustre sa récente intervention pour sauver British Steel, constructeur basé au Royaume-Uni et menacé de fermeture.

Côté américain, l’accord sur l’acier est une bonne nouvelle pour les entreprises qui importent de l’acier britannique afin de le transformer en produits finis, ce qui inclut les équipementiers (Cummins), le secteur de la construction (Quanta Services, Emcor Group), l’automobile (Ford, General Motors) et l’aérospatial. Cette partie de l’accord va ainsi profiter à l’industrie américaine et potentiellement faciliter la création d’emplois industriels, l’un des chevaux de bataille de la nouvelle administration Trump.

Les géants de l’agro-alimentaire américain mettent un pied sur le marché britannique

Enfin, la partie de l’accord qui a fait grincer le plus de dents au Royaume-Uni est celle consacrée à l’agriculture. Les secteurs agro-alimentaires des deux pays vont avoir chacun davantage accès au marché de l’autre. Le bœuf américain va pour la première fois être commercialisé dans les supermarchés britanniques, ce qui a conduit la National Cattlemen’s Beef Association, un lobby d’éleveurs américains, à qualifier l’accord d’«énorme victoire».  L’accord prévoit également un accès facilité au marché britannique, un assouplissement des contrôles à la douane et une baisse de la paperasse pour un grand nombre de produits d’alimentation courante, ce qui devrait également être à l’avantage de grands groupes américains du secteur comme Kellogg’s et Heinz.

Enfin, un futur volet pharmaceutique doit être ajouté à l’accord, mais les détails n’ont pour l’heure pas encore été précisés. Il devrait cependant faciliter la circulation des médicaments et produits pharmaceutiques entre les deux marchés, une bonne nouvelle pour les entreprises du secteur des deux côtés de l’Atlantique, de l’américain Pfizer au britannique AstraZeneca. L’idée d’une prise de contrôle partielle du NHS, le système de santé publique britannique, qui avait été évoqué lors d’un premier volet de négociations lors de la première présidence Trump, semble de son côté avoir été définitivement abandonnée, ne serait-ce qu’à cause de l’immense impopularité qu’une telle mesure aurait auprès de l’opinion publique britannique.

Si l’accord ne contient aucun volet technologique, il est enfin possible que le rapprochement entre les deux économies profite à l’écosystème britannique des nouvelles technologies, en conduisant davantage de sociétés tech américaines à s’implanter au Royaume-Uni pour établir un avant-poste en Europe, ou encore à investir dans les jeunes pousses britanniques. Avancer dans cette direction requerra toutefois davantage de réformes de la part du gouvernement travailliste, selon l’économiste britannique John Springford. «Obtenir des entreprises américaines qu’elles déplacent leur siège social au Royaume-Uni nécessiterait de proposer des avantages fiscaux aussi intéressants que ceux de l’Irlande. Il est possible que le Royaume-Uni, en suivant une approche sur la régulation de l’IA et de la technologie en général qui priorise l’innovation sur les risques pour les consommateurs et la priorité intellectuelle, parvienne à attirer davantage d’investissements de la part des big tech américains, mais c’est pour l’heure difficile à affirmer et plus encore à quantifier.»