Qu’il s’agisse de faire rouler des voitures ou voler des avions, de réduire les émissions de la production d’acier ou encore de stocker de l’énergie, l’hydrogène vert suscite de nombreux espoirs pour décarboner l’économie. Afin de prendre son essor, la technologie aura toutefois besoin du soutien des pouvoirs publics.

Faire rouler son véhicule grâce à un mélange d’eau et d’électricité n’émettant quasiment pas de CO2, remplacer la fumée du pot d’échappement par de la vapeur d’eau : voilà qui semble trop beau pour être vrai. C’est pourtant la promesse de l’hydrogène vert, une énergie propre autour de laquelle se structure une industrie encore embryonnaire, mais déjà fort dynamique.

2023.08.03.Green Hydrogen
Source : https://blogs.worldbank.org/ppps/green-hydrogen-key-investment-energy-transition

Plusieurs géants de l’énergie, soucieux de se préparer au monde d’après, celui qui s’affranchira des énergies fossiles, ont d’ores et déjà sauté sur ce nouveau cheval. En mars dernier, TotalEnergies et Engie ont ainsi revu à la hausse leurs ambitions pour leur site de production d’hydrogène vert au cœur de la bioraffinerie de La Mède, près de Marseille, annonçant viser une capacité de production trois fois plus importante que celle initialement envisagée (125 MW contre 40 MW).

Début juillet c’était au tour de CPP Investments, le plus gros fonds de pension canadien, de se mettre au vert en investissant 130 millions d’euros dans la jeune pousse néerlandaise d’hydrogène Power2X.

Aux États-Unis, l’Inflation Reduction Act, qui propose des crédits d’impôt avantageux aux entreprises investissant dans les énergies propres, suscite également des vocations, comme du côté du norvégien Nel, qui a récemment annoncé, l’investissement de 500 millions de dollars pour construire une usine de production d’équipements nécessaires pour produire de l’hydrogène dans le Michigan.

Rouler à l’eau

L’hydrogène vert est produit à partir d’eau et d’électricité, grâce à des appareils nommés électrolyseurs. L’énergie ainsi produite a l’avantage d’être faiblement émettrice de CO2, souveraine et facile d’utilisation, selon Matthieu Guesné, fondateur de Lhyfe, jeune pousse française spécialisée dans la production d’hydrogène vert.

«L’hydrogène vert permet de rouler à partir d’eau et de vent pour un prix comparable à l’essence ou au diesel. On peut rouler jusqu’à 700 km et on fait le plein en deux minutes, deux avantages non négligeables face aux voitures électriques. C’est en outre un carburant qui peut être produit en local et nous évite d’être dépendants de régimes autoritaires situés au bout du monde. Enfin, on est capable d’en produire dès maintenant : ce n’est donc pas une énergie de demain, mais bien d’aujourd’hui.»

L’hydrogène vert est vu comme l’un des moteurs susceptibles de permettre la transition vers une économie décarbonée, et suscite un intérêt croissant de la part des investisseurs. 120 jeunes pousses de l’hydrogène ont levé 2,6 milliards de dollars l’an passé, selon les données de PitchBook, soit une hausse de 50% par rapport à l’année précédente, le tout sur un marché plutôt morose pour les start-ups. L’année 2021 avait déjà vu les jeunes pousses de l’hydrogène rassembler davantage de financements qu’au cours des six années précédentes combinées.

Fin avril, les projets de construction d’électrolyseurs cumulés dans le monde ont pour la première fois dépassé une capacité de production projetée d’un Térawatt-heure, selon Aurora Energy Research, un consultant britannique spécialisé dans l’énergie. Le nombre de ces projets a crû de 18% sur les neuf derniers mois.

Une solution à l’intermittence du renouvelable

Non que l’hydrogène vert soit une simple alternative au pétrole dans le réservoir des voitures, cette énergie ouvre également des perspectives dans les transports lourds : camions, bateaux et même avions. «L’enjeu est surtout de décarboner les 45 milliards de camions qui consomment 35 litres aux cent et roulent 6 jours par semaine, et les activités industrielles dans la métallurgie, l’aciérie, la chimie…, très consommatrices d’énergies fossiles comme le gaz et l’hydrogène gris[1]», note Mathieu Guesné.

Mærsk, plus grand armateur de porte-conteneurs du monde, s’efforce actuellement de décarboner sa flotte en équipant ses bateaux de moteurs fonctionnant à l’ammoniac, produit à partir d’hydrogène décarboné. Boeing, de son côté, a récemment signé un accord avec une jeune pousse de Los Angeles afin d’utiliser l’hydrogène comme carburant alternatif.

L’hydrogène ouvre également des perspectives dans les industries lourdes très difficiles à décarboner, comme celles du ciment et de l’acier. En Suède, l’entreprise Hybrit a ainsi entrepris de transformer sa chaîne de valeur en remplaçant les énergies fossiles utilisées pour produire de l’acier par de l’hydrogène vert. Elle affirme même produire ainsi un acier de meilleure qualité. Le géant Cemex, de son côté, expérimente avec l’utilisation d’hydrogène dans quatre usines de production au Mexique.

Plus généralement, l’hydrogène constitue aussi un excellent complément aux énergies renouvelables que sont le solaire et l’éolien, en permettant de remédier à l’intermittence de ces dernières. Par rapport à l’électricité stockée sur batterie, l’hydrogène peut être conservée en beaucoup plus grande quantité et plus longtemps, selon Dilara Caglayan, chargée de la recherche sur l’hydrogène chez Aurora.

«Les capacités de stockage maximales d’une batterie se comptent en centaines de mégawatts-heure. Pour l’hydrogène, on compte en gigawatts-heure. En outre, les batteries se déchargent avec le temps, on ne peut donc pas y stocker de l’électricité pendant plusieurs mois. Avec le stockage d’hydrogène, la perdition est bien moindre. Cela permettrait par exemple de stocker facilement le surplus d’énergie généré en été par les panneaux solaires pour l’utiliser en hiver.»

Un défi logistique

Si la multiplication des projets, l’afflux d’investissements et la hausse de l’intérêt sont bien réels, l’industrie de l’hydrogène vert n’en est encore qu’à ses balbutiements, et devra considérablement accroître sa production pour avoir un impact significatif sur les émissions de CO2. L’Agence Internationale de l’Énergie estime ainsi que la production d’hydrogène vert devra atteindre 80 millions de mètres cubes d’ici 2030 pour nous permettre d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Elle est aujourd’hui de 90 millions de mètres cubes… Mais seulement 1% de cet hydrogène est vert, le reste étant de l’hydrogène gris, fabriqué par procédés thermochimiques avec comme matières premières des sources fossiles (charbon ou gaz naturel). Il y a donc du pain sur la planche. En outre, 1% seulement des projets annoncés autour de l’hydrogène vert ont démarré leur construction.

Pour Matthieu Guesné, la hausse de la production passera nécessairement par la mer.

«Les océans recouvrent 70% de la planète, et en mettant des éoliennes à 50 km des côtes, on n’embête plus personne. On peut ensuite ajouter une plateforme de production d’hydrogène, utiliser l’eau de mer pour produire, et amener l’hydrogène ainsi généré à terre avec un pipeline sous-marin. Une fois consommé, il génère de l’eau qui retourne ensuite à la mer. Nous estimons qu’on peut alimenter 70% de la population européenne en énergie avec cette façon de fabriquer de l’hydrogène d’ici fin 2030. Rien qu’en mer du Nord, le potentiel techniquement adressable représente onze fois notre consommation électrique annuelle en Europe.»

Sealhyfe, projet de l’entreprise et premier pilote de production d’hydrogène offshore au monde, a récemment produit ses premiers kilos d’hydrogène vert au large, dans l’océan Atlantique. Lhyfe possède également une usine en Vendée qui fabrique de l’hydrogène vert grâce à de l’électricité fournie par des éoliennes, et prévoit l’ouverture d’un site de production accolé à une usine au Danemark l’an prochain.

L’hydrogène pose toutefois également des défis en matière logistique. «Le gaz naturel peut facilement être liquéfié pour être plus aisément transporté, ce qui n’est pas le cas de l’hydrogène, qui doit être refroidi à -250 degrés Celsius pour être liquéfié. Sous forme gazeuse, il ne peut pas être compressé autant que les autres gaz. Son transport est donc coûteux et le fait de proposer des stations-service à hydrogène représente un défi logistique conséquent», tempère Dilara Caglayan.

Pour cette raison, le développement de l’hydrogène va nécessiter des investissements importants qui ne seront possibles qu’avec l’appui de la puissance publique. Les États-Unis ont effectué un premier pas dans ce sens avec l’Inflation Reduction Act, qui propose trois dollars par kilogramme d’hydrogène vert produit, reversé sous forme de crédit d’impôt. L’Europe, qui prépare sa réponse à ce grand plan d’investissement dans la transition énergétique, pourrait bien suivre la même voie.